Le vieillissement des installations nucléaires

Documents pareils
Conséquences radiologiques et dosimétriques en cas d accident nucléaire : prise en compte dans la démarche de sûreté et enjeux de protection

LE GRAND CARÉNAGE DU PARC NUCLÉAIRE EDF ET LES ACTIONS POST FUKUSHIMA 1 AMBITIONNER DE PORTER À 50 OU 60 ANS L EXPLOITATION DES RÉACTEURS

Les matériels des centrales électronucléaires sont

Capteurs. centrales nucléaires. de température pour. performances. fiabilité. Sûreté. La mesure de vos exigences

Autorité de sûreté nucléaire et Bilan du contrôle de la centrale nucléaire de Saint-Alban / Saint-Maurice en 2013

Présentations GTF. Point de vue d un utilisateur final. Durée de vie des ouvrages : Approche Prédictive, PerformantielLE et probabiliste

Avis de l IRSN sur la tenue en service des cuves des réacteurs de 900 MWe, aspect neutronique et thermohydraulique

Quel avenir pour l énergie énergie nucléaire?

DIVISION TECHNIQUE GÉNÉRALE

1 ROLE ET DESCRIPTION DES DIESELS D ULTIME SECOURS

LE MARCHE FRANCAIS ET EUROPEEN DE L ELECTRICITE. Conférence Centrale Energie, 19 Janvier 2011

L Allemagne championne des énergies propres?

Origine du courant électrique Constitution d un atome

PLAN DE LA PRESENTATION

La surveillance de la fabrication des équipements des centrales nucléaires pour EDF Création de l EMIB

Les besoins en eau de refroidissement des centrales thermiques de production d électricité. Alain VICAUD - EDF Division Production Nucléaire

: Loi n du 13 juin 2006 relative à la tran sparence et à la sécurité en matière nucléaire, notamment son article 40.

A.3 Les méthodes : L applicabilité

POLLUTEC LYON 3 Décembre 2004 M. LECA gérard GCEE

Projet ANR. Bruno Capra - OXAND. 04/06/2015 CEOS.fr - Journée de restitution (Paris) B. CAPRA

UNE REFLEXION PREALBLE

Tours de refroidissement Technologie environnementale

L actuariat et les nouveaux horizons de l assurance en Afrique

Production électrique : la place de l énergie éolienne

Distribution d électricité et réseaux souterrains

Acquisition. d une centrale de surveillance des températures CAHIER DES CHARGES. Maître de l'ouvrage :

La transition énergétique en France et en Allemagne

PROJET DE COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DE LA COMMISSION «Technique» DE LA CLI DE GRAVELINES du 06 novembre 2008

Pour un habitat sûr. Assurer la sécurité de son installation électrique, c est simple quand on nous guide!

Mise en œuvre de la radioprotection dans les entreprises: Certification d'entreprise et formation du personnel.

L énergie nucléaire au sein du mix énergétique belge

Les résistances de point neutre

L équilibre offre-demande d électricité en France pour l été 2015

Fiable, sûr et économique Mesure de niveau par pression différentielle électronique avec cellules métalliques ou céramiques

Accidents nucléaires De Three Mile Island à Fukushima

Le pétrole fournit 40% de l énergie mondiale. C est lui qui a régulé jusqu à présent le prix de l énergie.

Systèmes de stockage simples à installer et économiques

Contrôle des installations nucléaires de base. Inspection n INSSN-CAE du 15 février 2012.

La gestion à long terme des déchets de haute activité et/ou de longue durée de vie. Options

LE CETIME votre partenaire pour le progrès et l innovation:

Philippe BERNET. Philippe LAUNÉ. Directeur-adjoint du CIDEN. Chef de la division déconstruction

Métiers d études, recherche & développement dans l industrie

Installations de production d Eau Chaude Sanitaire Collective. La Garantie de Résultats Solaires (GRS)

Renouvellement à 50000MW étalé sur 20 ans ( ) rythme de construction nucléaire: 2500MW/an

Les domaines. d intérêt pour. Directeur Scientifique d EDF R&D

«L apport des réseaux électriques intelligents»

Green (?) datacenter. Green Datacenter - TIC et environnement - Institut Mines Telecom - 13 mai 2014, boutherin@lpsc.in2p3.fr

Point d actualités du site AREVA Tricastin

Le kern adopte le plan Wathelet

SOLUTIONS TECHNOLOGIQUES D AVENIR

Surveillance des réseaux, qualité de fourniture et perturbographie

CENTRE NUCLÉAIRE D ÉLÉCTRICITÉ. EDF Nogent-sur-Seine

Une stratégie Bas Carbone

Pour les utilités, le process et l environnement. Les solutions pompes KSB.

Dossier : Sûreté nucléaire dans les installations du SCK CEN à Mol. De l exploitation quotidienne à l évaluation périodique de la sûreté

VARIO 200 / 200ZR LE FOUR À CÉRAMIQUE DOTÉ D UNE TECHNOLOGIE DE CUISSON RÉVOLUTIONNAIRE.

Montrouge, le 9 février Centre national d équipement nucléaire (CNEN) EDF 97 avenue Pierre Brossolette MONTROUGE

RÉFÉRENTIEL TECHNIQUE

Energie Nucléaire. Principes, Applications & Enjeux. 6 ème /2015

Samedi 17 & Dimanche 18 Octobre 2015 Circuit Paul Ricard


L énergie sous toutes ses formes : définitions

Une coentreprise AREVA et Siemens JEUMONT Groupes motopompes primaires & Mécanismes de commande de grappe

BILAN 2014 ET PERSPECTIVES

Tournant énergétique indispensable, défis immenses

Energie nucléaire. Quelques éléments de physique

Le contenu en CO2 du kwh électrique : Avantages comparés du contenu marginal et du contenu par usages sur la base de l historique.

Notice d emploi. PROGRAMMATEUR HT1 température pour coffret de BRUMISATION HAUTE PRESSION

DÉFIS CLIMATIQUES NOUVEAUX ENJEUX ÉLECTRIQUES

AGENCE POUR L ÉNERGIE NUCLÉAIRE. RECHERCHES SUR LA SÛRETÉ DES RÉACTEURS DE CONCEPTION RUSSE État des besoins

Assemblée Générale du 28 avril Questions écrites posées au Conseil d administration de GDF SUEZ

Renforcement de la surveillance des installations hydrauliques EDF HYDRAULIQUE Astrid HOTELLIER (EDF-DTG)

Thermorégulateurs Series 5 et Series 4. Exciting technology!

Pôle Performance Industrielle Durable. Page 1 Rencontre SEE Le 20/05/2014 Lille. Innover

Système d énergie solaire et de gain énergétique

La Belgique peut sortir du nucléaire plus vite que prévu!

supports métalliques basse fréquence gamme "Polycal-Ressort" standard définition R P

Bilan électrique français ÉDITION 2014

DOSSIER DE PRESSE. confidentiel

J TB/TW Limiteur de température, contrôleur de température avec afficheur LCD, montage sur rail oméga 35 mm

Ces deux systèmes offraient bien sur un choix, mais il était limité à deux extrêmes.

C3. Produire de l électricité

Les métiers à la. Division Production Nucléaire

Dossier de Presse. Pose de fibres optiques sur le réseau de RTE entre Bourg-Saint-Maurice et Val d Isère

La fusion : rêve de physicien, bluff de technocrate

Conférence Enjeux énergétiques et Développement durable ( )

Les véhicules électriques pour les flottes : attrayant?

2.0 MegaWattBlock pour parcs solaires

LES CONTRATS D ENTRETIEN ET D EXPLOITATION DE CHAUFFAGE J-M R. D-BTP

Groupe Areva Usine de La Hague Métier CNP

Optimisation de l équilibre offre-demande, rôle des interconnexions et impact de l arrêt du nucléaire allemand pour EDF

électriques en France :

FUSION PAR CONFINEMENT MAGNÉTIQUE

La place du charbon dans le mix électrique

Avis et communications

2.0 Interprétation des cotes d évaluation des risques relatifs aux produits

Dans un deuxième temps et avec l expérience de cette observation, un ENT mutualisant la Nouvelle Calédonie verra le jour.

GREENPEACE.Fr. 50 % de nucléaire : 5 centrales nucléaires à fermer en priorité

INFLUENCE de la TEMPERATURE. Transition ductile/fragile Choc Thermique Fluage

Actions de l Autorité de Sûreté Nucléaire. Le contrôle de la dépollution & L information des publics

Transcription:

Le vieillissement des installations nucléaires Yves Marignac Directeur de WISE-Paris 1 / 31 2 / 31

Le vieillissement : un problème abordé sans retour d expérience Distribution par âge des réacteurs en exploitation dans le monde, avril 2009 3 / 31 Le vieillissement : un problème abordé sans retour d expérience Distribution par âge des réacteurs en exploitation et arrêtés, dans le monde et en France (situation au 30 avril 2009) Réacteurs en exploitation Réacteurs définitivement arrêtés Nombre Âge moyen Âge max. Nombre Âge moyen Âge max. Monde, toutes filières 436 25 ans 41,5 ans 121 23 ans 46,5 ans Monde, filière REP 264 25 ans 40 ans 18 23 ans 38 ans France, toutes filières 58 22 ans 32 ans 12 21 ans 36 ans France, filière REP 58 22 ans 32 ans 1 25 ans 25 ans Sources : IAEA, PRIS, 2007 ; MSC, 2009 ; ASN, 2009 Parc REP : moins d expérience que la moyenne Parc français : moins d expérience que la moyenne 4 / 31

France : un parc nucléaire jeune mais vieillissant... Pyramide des âges du parc nucléaire d EDF (situation décembre 2008) Dans les 5 ans : 33 % des réacteurs atteindront 30 ans Dans les 10 ans : 40 % de réacteurs supplémentaires atteindront 30 ans 5 / 31 Un enjeu de sûreté et de sécurité Le problème du vieillissement 6 / 31

La vieillesse, c est la seule maladie dont on ne peut pas guérir Orson Welles, Citizen Kane 7 / 31 Le vieillissement : obsolescence et sénescence Un processus systémique : Centré sur la dégradation physique des composants mais plus large Le vieillissement englobe : - la conception du réacteur, son design et son référentiel de sûreté et de sécurité - l ensemble des composants, à travers des processus classiques (usure, corrosions,...) renforcés par des contraintes spécifiques (fatigue neutronique, conditions de température et de pression,...), - les technologies employées et le tissu académique et industriel associé, - les procédures d exploitation et les équipes (perte d expérience au niveau de la conception, de l exploitation, de la surveillance par l autorité de sûreté) Le vieillissement concerne toutes les installations : Réacteurs très standardisés, approche générique Autres installations (usines, etc.) très diversifiées, approche au cas par cas 8 / 31

Le vieillissement physique : principaux facteurs Principaux systèmes touchés : - Systèmes de confinement : cuve, couvercle, circuit primaire... enceinte béton - Systèmes de conduite du réacteur : maintien des structures, géométrie du cœur... barres de contrôle cablâge système de contrôle-commande - Systèmes de sauvegarde : circuits et pompes de secours générateurs diesel 9 / 31 Le vieillissement physique : principaux facteurs Principaux phénomènes : - Mécanismes de fragilisation : cuve, circuits (acier ferritique...) perte de résistance à la rupture, propagation plus rapide d éventuelles fissures augmentation de la température de transition ductile-fragile - fissuration par corrosion sous contrainte : couvercles de cuve... phénomène mal connu, risque de rupture - corrosion, usure, dépôt : générateurs de vapeur fissurations traversantes, rupture des tubes, colmatage des plaques dégrade la performance et la sûreté - altération sous contrainte des gaines et câbles : vieillissement prématuré - évolution des bétons : fluage, perte d étanchéité en situation accidentelle 10 / 31

Le vieillissement : accumulation de signaux inquiétants Vieillissement des standards : réacteurs développés avant TMI et Tchernobyl, avant le changement climatique, avant le 11 septembre... Dégradation de la performance : Insuffisance de la prise en compte du vieillissement à la conception et larges incertitudes Enseignements sur le caractère aléatoire et non linéaire des mécanismes de vieillissement Vieillissement physique : deux effets - augmentation progressive du nombre d incidents ou d événements significatifs tels que fissures, fuites, court-circuits, etc. - affaiblissement croissant des matériaux pouvant déclencher des situations accidentelles ou en aggraver les conséquences Perte de compétence : vieillissement des équipes, dépérissement du tissu industriel, voire académique...) 11 / 31 Un enjeu de sûreté et de sécurité Le problème du vieillissement Le cas de Fessenheim 12 / 31

Points particuliers à Fessenheim Cuve : température ductile / fragile à 80 C Fissuration couvercle de cuve (changé) Vieillissement de la salle de commande Volume de l enceinte de confinement / risque d explosion hydrogène Taille du radier Normes de résistance sismique Réacteur construit sous le niveau inondable Problème de refroidissement / température de rejet 13 / 31 Un enjeu de sûreté et de sécurité Le problème du vieillissement Le cas de Fessenheim La pression sur la sûreté 14 / 31

La dégradation de la sûreté des installations nucléaires Nombre d événements significatifs recensés par l IRSN Source: Residual Risk report, 2007, based on IRSN 15 / 31 L érosion des marges de sûreté Mécanismes de vieillissement Optimisation Réduction des coûts NIVEAU DE RISQUE PLUS ELEV E SEUIL RÉGLEMENTAIRE MARGE DE SÛRETÉ NIVEAU RÉEL NIVEAU DE RISQUE MOINS ELEVE Maintenance préventive Inspection Mise en conformité Investissements 16 / 31

Un enjeu de sûreté et de sécurité Un enjeu industriel et financier 17 / 31 L extension de la durée de vie : un enjeu crucial pour l industrie Maintien de la capacité et des compétences : Vieillissement des réacteurs qui s approchent de leur durée initiale de conception Longue période sans construction : perte de capacité Difficulté à mettre en œuvre la renaissance Double enjeu : Poursuite de l exploitation d un outil de production amorti Retarder un déclin annoncé par le niveau actuel de nouvelles commandes Pression des opérateurs partout dans le monde : - USA : 52 demandes d extension de 40 à 60 ans obtenues (total : 104 réacteurs) - Allemagne, Belgique : pressions pour retarder les délais de sortie du nucléaire - Suisse : autorisations avec ou sans limite fixe, demandes d extension - France : EDF confiant sur une durée de 40 ans, vise au-delà 18 / 31

L extension de la durée de vie : le projet d EDF EDF Investor Day, Londres, décembre 2008) Plan d investissement pour étendre à 50 ou 60 ans la durée de vie du parc existant : 400 M! par tranche 900 Mwe Un investissement qui rapporte : 1.200 M! net d investissement évité revenu de l électricité amortie produite économie sur les provisions pour charges long terme Une pression forte sur les autorités pour obtenir la visibilité nécessaire 19 / 31 Un enjeu de sûreté et de sécurité Un enjeu industriel et financier Un enjeu énergétique et climatique Scénarios officiels 20 / 31

La place du nucléaire dans les scénarios officiels Emissions françaises de CO2, historiques (1970-2007) et tendancielles (2008-2030) Scénario tendanciel : maintien de la capacité nucléaire (prolongement / renouvellement) Scénario d application Grenelle : idem, exportations portées de 60 à 130 TWh 21 / 31 Un enjeu de sûreté et de sécurité Un enjeu industriel et financier Un enjeu énergétique et climatique Scénarios officiels Scénarios alternatifs 22 / 31

Le scénario négawatt : une sortie naturelle du nucléaire Démarche : sobriété / efficacité / renouvelables Un scénario français pour respecter les objectifs du 3 x 20 en 2020 et -75 % en 2050 23 / 31 Le parc nucléaire dans le scénario négawatt Exemple de modélisation de la fin de vie du parc nucléaire Fermeture lissée Fermeture graduée en fonction de l état de conception et de vieillissement Kp (%) Années 900 MW 76,1 30,4 1300 MW 76,5 38,5 1450 MW 80,5 42,8 Ensemble 75,2 34,1 24 / 31

Le scénario négawatt : un respect des engagements Les engagements de la France à moyen et long terme Paquet 3 x 20 énergie-climat européen (2008) : -20 % CO2 en 2020 (et 20 % d efficacité energétique, et 20 % d énergies renouvelables dans la consommation) Loi POPE sur l énergie (2005) : division par 4 des émissions d ici 2050 ( facteur 4, ou -75 %) Comparison of prospective scenarios 2020-2050 25 / 31 Un enjeux de sûreté et de sécurité Un enjeu industriel et financier Un enjeu énergétique et climatique Un enjeu démocratique Un processus fermé 26 / 31

Un processus long et complexe Démarche engagée à Fessenheim : - exception - limitée (accès à l info, ressources) - restreinte à une partie du processus EDF Investor Day, Londres, décembre 2008) 27 / 31 Un enjeu de sûreté et de sécurité Un enjeu industriel et financier Un enjeu énergétique et climatique Un enjeu démocratique Un processus fermé Un manque de critères objectifs 28 / 31

Nous désirons tous atteindre la vieillesse, et nous refusons tous d y être parvenus Francisco de Quevedo, Politica de Dios y Gobierno de Cristo, 1619 29 / 31 Pistes pour l établissement de critères objectivables et partagés Critères quantitatifs directs : Basés sur des limites de dégradation par des processus physiques des différents composants, structures et systèmes Limite quantitative probabiliste : Approche plus fine basée sur des seuils d augmentation de probabilité d accident à ne pas dépasser dans le cadre des évaluations probabilistes de sûreté Critères qualitatifs complémentaires : Liés à la mise en œuvre ou non de bonnes pratiques de l exploitant dans l ensemble des tâches de gestion, voire d auto-surveillance attachées à la maîtrise du vieillisement (information, contrôle, planification, etc.) Critères sur la capacité technique, industrielle, financière : Relatifs à la démonstration de la capacité financière de l exploitant à faire face aux différentes charges, y compris celles résultant de la gestion du vieillissement, voire aux capacités techniques et industrielles (par exemple l existence de personnels qualifiés et expérimentés en nombre suffisant, la disponibilité des services de maintenance et des pièces de rechange ) 30 / 31

Merci de votre attention! Contact: Yves MARIGNAC Directeur de WISE-Paris Mob. 06.07.71.02.41 E-mail: yves.marignac@wise-paris.org 31 / 31