CAMBODGE : QUE DIT LA CONSTITUTION A PROPOS DU ROI ET DE SES POUVOIRS?

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Transcription:

CAMBODGE : QUE DIT LA CONSTITUTION A PROPOS DU ROI ET DE SES POUVOIRS? D abord, la Constitution dispose qu en tant que «symbole de l unité et de la permanence de la nation» (article 8, alinéa 1), «le Roi exerce le rôle d arbitre suprême en vue d assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics» (article 9). Par ailleurs, le Roi «a le droit de grâce et de commutation des peines» (article 27). Ensuite, la Constitution attribue au Roi les hautes charges de «garant de l indépendance nationale, de la souveraineté et de l intégrité territoriale du royaume du Cambodge» et de «garant du respect des traités internationaux» (article 8, alinéa 2). Par ailleurs «le Roi signe les traités et conventions internationaux et les ratifie après approbation par l Assemblée nationale et le Sénat» (article 26 nouveau). Il est en outre «Commandant suprême des Forces armées royales khmères» (article 23) et «Président du haut conseil de la défense nationale» (article 24, alinéa 1). Enfin, elle confère au Roi les hautes fonctions de «garant du respect des droits et libertés des citoyens» (article 8, alinéa 2) et de «garant de l indépendance du pouvoir judiciaire» (article 132 nouveau). Le Roi assure ainsi le rôle de «Président du conseil supérieur de la magistrature» (article 134 nouveau, alinéa 2). Ainsi, comme nous venons de constater, bien que la Constitution précise, en son article 7, que «le Roi règne, mais ne gouverne pas» il n en demeure pas moins qu elle lui confère par ailleurs des pouvoirs très importants dans certains domaines essentiels de la vie politique nationale. En clair, cela veut dire qu en vertu de notre Constitution, le Roi dispose : - de pouvoirs qui lui sont propres : pouvoirs d arbitrage, de grâce et de substitution de peine ; - de pouvoirs partagés très étendus en matière de : - relations extérieures et de défense nationale concurremment 1

avec le gouvernement et le parlement, - défense des droits et libertés des citoyens conjointement avec le pouvoir judiciaire, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. La Constitution donne par ailleurs, en tant qu institution, la première place au Roi, présenté sous le titre II, juste après la souveraineté, présentée sous le titre I. Cette présentation reconnaît la primauté du Roi sur les autres institutions constitutionnelles. En outre, notre Constitution s inspire sans nul doute de la Constitution française de 1958. C est ainsi que les articles conférant des pouvoirs au Roi, au Cambodge (articles 8 et 9 par exemple) et au Président de la République, en France (article 5 notamment) (*), sont rédigés presque dans les mêmes termes. C est sur le fondement de cet article 5 de la Constitution française de 1958 que les Présidents successifs de la cinquième République française se sont attribués un rôle éminent dans la conduite des affaires étrangères et de la défense nationale de l Etat français, par rapport au pouvoir de leur Premier Ministre dans ce domaine. Le premier Président de la cinquième République française, le Général de GAULLE, s attribuait ce rôle prépondérant avant même qu il ne fût élu au suffrage universel. Il serait donc abusif de prétendre que les mêmes dispositions constitutionnelles, dès lors qu elles sont déclinées pour le Cambodge, changent complètement de signification juridique. Certes, le Président de la République française préside et gouverne la France, tandis que le Roi du Cambodge «règne, mais ne gouverne pas». Cette différence signifie simplement que le Président de la République française dispose, concurremment avec son Premier Ministre, des pouvoirs dans tous les domaines de la vie politique française, alors que le Roi du Cambodge n en dispose que dans les domaines strictement énumérés dans la Constitution cambodgienne. 2

Rappelons par ailleurs que notre loi suprême, qui confère au Roi les pouvoirs énumérés ci-dessus, a été élaborée par l Assemblée constituante élue par le peuple khmer souverain le 28 mai 1993 et installée à Phnom-Penh le 14 juin de la même année. Et n oublions pas que c était la même Assemblée constituante qui instaurait la deuxième monarchie cambodgienne. En plus, parmi les neuf membres du Conseil du Trône (article 13 nouveau) qui choisissait le Roi, sept sont des représentants directs ou indirects du peuple. Le Roi est donc, à l instar de l Assemblée nationale, du Sénat et du gouvernement, un des représentants du peuple khmer souverain et ce, au même titre que ces organes nationaux, il tient sa légitimité et ses pouvoirs du peuple khmer tout entier. Le Roi peut, par conséquent, comme le parlement et le gouvernement, utiliser ses pouvoirs comme il l entend dès lors qu il défende l intérêt supérieur de notre nation et respecte les règles de forme et de fond prévues par la Constitution et les lois du royaume. Il doit être consulté et son avis doit être un avis conforme dans tous les domaines qui relèvent de ses compétences constitutionnelles, et du fait que le Roi constitue l institution suprême du pays, ses pouvoirs doivent être prépondérants. Certaines personnes semblent comprendre qu il existe des contradictions entre l article 7 de notre Constitution qui dit que «le Roi règne mais ne gouverne pas» et ses autres articles qui confèrent au Roi des pouvoirs énumérés ci-dessus. D autres avancent que l article 7 prime sur tous les autres articles relatifs au Roi. Or il n y a ni contradiction entre cet article 7 et les autres articles, ni primauté d aucun article sur les autres dans notre Constitution. Certes, le Roi ne gouverne pas, n étant pas le chef de l exécutif, mais il n en demeure pas moins que le Roi dispose de certains pouvoirs qui lui sont propres et de certains autres pouvoirs partagés avec les autres 3

institutions du royaume. Ainsi, dans le domaine des Affaires étrangères et de la Défense nationale, il doit collaborer avec le parlement et le gouvernement et, dans le domaine de la justice, avec ces deux pouvoirs et le judiciaire : si le Roi n approuve pas une décision donnée, il peut refuser de signer le texte y afférent. En revanche, dans les autres domaines, tel que celui de l économie, de l éducation ou des affaires sociales, où il ne possède pas de pouvoir, le Roi est tenu de parapher tous les textes qui lui sont présentés par le gouvernement. De même, le parlement et le gouvernement sont tenus de prendre toutes dispositions légales et réglementaires destinées à permettre au Roi d exercer pleinement ses attributions constitutionnelles. Mais toute disposition procédurale restreignant ses pouvoirs régaliens (arbitrage et grâce) serait inconstitutionnelle. Nier l existence d attributions constitutionnelles du Roi relèveraient d une véritable forfaiture : les constituants ne sauraient attribuer au Roi la responsabilité de garant de l indépendance, de la souveraineté et de l intégrité territoriale de notre pays et de garant du respect des droits et libertés des citoyens sans lui conférer des pouvoirs nécessaires à l accomplissement de ces hautes missions. Du reste, si les constituants ne souhaitaient pas attribuer des pouvoirs au Roi, ils n auraient pas éprouvé la nécessité de mettre en place les différents articles précités : l article 7, édicté exclusivement, dépouillerait le Roi de tout pouvoir, mais ce n est pas le cas en l espèce. Créteil, le 29 septembre 2011. TITH Huon. Docteur en Droit. 4

(*) Article 5 de la Constitution française du 4 octobre 1958 : «Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l Etat. Il est le garant de l indépendance nationale, de l intégrité du territoire et du respect des traités». 5