HISTOIRE L'ILE D'ORLEANS I'.~ F. L. P. TURCOTTE QUEBEC ATELIER TYPOGRAPHIQUE DU "CANADIEN" 21, rue 18 Montagne, Basse Ville



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Transcription:

HISTOIRE DE L'ILE D'ORLEANS I'.~ F. L. P. TURCOTTE QUEBEC ATELIER TYPOGRAPHIQUE DU "CANADIEN" 21, rue 18 Montagne, Basse Ville 1867

INTRODUCTION. VIle d'orleans est une des con trees du Canada les plus riches en souvenirs historiques. Elle a ete Ie theatre d'ev mements remarquables, de drames san giants, qui interessent Iloll-selliement ses habitants, mais les Canadiells en general. Grace a sa proximite de Quebec et it sa prodigieusf' fertilite, elle fut Ull des premiers endroits habites par les Fran~ais en Canada, et de bonne heure elle fournit chaque annee quelques eolons pour Ie reste du pays. Que d'hommes eminents et distingues elle a aussi fournis a toutes les classes de la societe! Que de familles, et des plus distinguees, comptent pour ancetres de braves habitants de l'ile! Quelques ecrivains de merite nous ont deja legue de belles pages sur cette charmante lie. M. H. N. Bowen, notaire, publia, il y a quelques annies, une

4 INTRODUCTION. interessante brochure ayant pour titre: An Historical Sketch of Ihe /s!1' of Orleans. Ce travail fut lu devant la Societe Litterail'e et Historique de Quebec, dont M. Bowen est un des membres les plus marquants. De son cole, If' Dr. F. A. H. LaRue, professeur a l'ljniversite-laval, dojlue aussi, dans son Voyage 011/0111' de f'fle!i'orleans, un certain nombre de faits historiques et plusieurs belles legendes de I'Ile. Cet ouvrage, ecrit par ce distinglle litterateur,.que l'ile (l'orleans se glorifie de comptei' au nombre de SIlS I'nfants, fut public dans les Soirees Canadiennes en 1861. Enfin, un derniel' ecrivain, qui signe J., et I)ll'On elit I'>tre un membre distingue du clerge,. a I']'itique favorablement la brochure de M. Bowen, rlalls Ie feuilleton du Journal de Quebec de 1864, pi il oil. ('nridli ('11 onlre son travail de plusieurs notes hislol'iqnes. \I~ 18'1'{' Ie merite de ces trois ouvrages, nous avons l'pprnelant, qu'il y avait moyen de faire autre rh'ii~p. melli, sinon mieux. Des ecl'its deja publies sur PIle, rull est en anglais, et les autres ont paru dans des fj"'lll'ils littcraires on dan;; les journaux, de sorte.'lll jb n'ont ell) Ius que pal' nn nombre restreint de pprsoniles. La plupart des habitants de I'lle ontdonc.plr' pri \'"s de la connaissance complete d'une histoire qui les touche a un si haut point.

INTRODUCTION. 5 La presente brochure remmiera it cet incom'enient, nous osons l'esperer; tous les cultivateurs pourront se la procurer, car elle leur est particulierement destinee. De plus, elle contiendra plusieur~ renseignements de la plus haute importanee, qut' nos predecessellrs n'ont pas mentionnes, et qui me nacent de tomber dans l'oubli: entre autres les suivants: la liste ues premiers colons de!'lip, les nombreux naufrages dans lesljllels ont peri UIle foule d'habitants de l'ile, les noms des pretres qui ont uesservi les parolsses, la date de la constnh:tioll des eglises, etc., etc. Enfin, on y trouvera plusieurs petites anecdotes qui aul'ont, croyons-nolls. Ull interet tout particulier pour ljuelljues-un:; de nos lectellrs. Les nombreux loisirs dont nous avons pu disposer nous ont permis de faire de longue~ recherches. Nous avons visite les archives des paroisses et les actes des seigneuries de l'ile; nolls avons parcouru aussi un grand nombre de documents enfouis dans nos bibliotheques. Les plus grands 50ins ont He pris afin de donner aux faits l'exactitude la plus minutie use, et les sources ou Us ont tote puises sont indio quees autant que possible. Nous devons it messieurs les cures et seigneurs de I'Ile, a M.le Bibliothecaire de l'universite Laval et a

6 INTRODUCTION. plusieurs autres personnes, les plus sinceres remerciments pour les documents et les renseignements qu'ils nous ont fournis, et nous les prions d'accepter ici l'expression de notre viye et parfaite gratitude.

HISTOIRE DE L'ILE D'ORLEANS I Etendue et description de I'lle d'orleans.-jacques Cartier vi.it. l'i1e.-nom. donnes " l"i1e.-sejour des Hurons dans I'lIe. Massacre de M. Jean de Lauzon.-Anecdote sur Anne Bail largeon.-disparition d'une Jenne flue de la Ste. Famille. L'Ile d'orleans, situee dans Ie fleuve St. Laurent, a une lieue et un tiers de Quebec, est longue d'environ vingt milles et large de cinq et demi. Elle a 70 milles,'arres, ou 47,923 acres en superficie, et est divisee en cinq petites paroisses, qui sont: St. Pierre, Ste. Famille, S1. Franltois, St. Jean et St. Laurent. L'heureuse situation de cette Ile au milieu du majestueux St. Laurent et dans le voisin age de l'ancienne capitale du Canada, son elevation en forme d'amphitheatre au-dessus des eaux, la fertilite de son sol, son rivage d'un cote couvert d'un beau sable, de l'autre borde de verdoyantes prairies, ou abonde Ie gibier, ses sites pittoresques, ses points de vue grandioses, en font, sans aucun doute, une des plus belles lies du Canada, et peut-etre du monde entier.

8 HISTOIRE DE Aussi excite-t-eue l'admiration de tous les etrangel's, frappes d'y voir reunies tant de beautes et tant de grandeur. Les premiers voyageurs en ont fait, dans leurs relations de voyages, des mentions particulieres, des descriptions magnifiques, qu'ils onto refusees am: autres parties de ce pays. Champlain, pl'emier gouverneur du Canada, visita l'ile d'orleans. Voici la description assez exacte qu'il en donne dans ses Voyages.. «Alors on suit Ie fond, cotoyant l'hle d'orleans au sud, qui a six Heues de longueur et une et demie de large en des endroits, chargee de quantile de bois de toutes les SOltes, que nous avons en France, eue est tres-belle, bordee de prairies du cote du nord, qui inondent deux fois Ie jour. Il y a plusieurs petits ruisseaux et sources de fontaines, et quantile de vignes, qui sont en plusieurs endroits. Au cote du nord de l'ile, il y a un autre passage, bien que en Ie chenal, il y ait au molndre endroit trois brasses d'eau, cependant 1'0n rencontre quantile de pointes qui avancent en la riviere, tres-dangereuse et de. peu de louiage, si ce n'est pour barques, et si faut faire les bordees courtes. Entre l'ile et la terre du nord, il y a pres de demi Heue de large, mais le chenal est etroit; toutle pays du nord est fort montueux. Le long de ces cotes il y a quantile de petites rivieres qui la vlupart assechent de basse mer; eues abondent en voissons de plusieurs sortes et la chasse du gibier qui y est en nombre infini, comme a l'ile et aux prairies du cap Tourmente, tres-beau lieu et plaisant a volr...»

VILE D'ORL~ AN8. 9 Dans un autre passage, Champlain dit encore: " L'Isle d'orleans a six lieues de longueur, tres-belle et agreable par la diversite des bois, prairies et vignes qu'il y a en quelques endroits, avec des lloyers, Ie bout de laquelle He du cote de l'ouest s'appelle Ca)J de Conde IJ (II. Jacques Cartier est Ie premier Europeen qui ait foule la tel'l'e de l'ile d'orleans, lors de son second voyage en Amerique. Ce celi~bre navigateur, montant en 1535 Ie St. Laurent pour la premiere fois, vint jeter l'ancre entre la terre du nord et la grande isle, ou il debarqua et trouva une nation qui s'occupait de peche. A son approche, les naturels prirent la fuite; mais ils furent facilement appriyoises, lorsqu'ils reconl1urel1t les deux Indiens Taiguragny et Domagaya (2), qui l'accompagnaient en qualite d'il1terpretes. Alors ils se mirent it danser et a faire aux Fral1ftais de grandes demonstrations de joie. Dans Ie COUl'S de la journee, ils se rendirent am: navires de Cartier et lui firent des presents de poissons, de mil et de melons. Le lendemain, Cartier Hanl eucore yis-a-vis de l'ile reftut la visite du chef Donnacolla, Seig1uu/' de Canada, accompaglle de douze canots charges d'indiens. II se rendit el1suite a la riviere Sail/le-Crob.' (riviere St. Charles), OU il plat;;a ses vaisseaux. (1) 'Nons avon. crn devoir changer, dans Ips citations des.. n ciens ouvrages, l'orthographe de certains mots, atin de rendre I.. lecture de ces pas.ages plus agreable. Ainsi, an lieu de coste, iour, luy J DaUB avons ecrit: cot~j jour, lui. (2) 7'aigurag"'!1 et DomagaYQ ataient deux Gsap"siens qt,l'un chef sauvage avait donnes Ii Cat tier en 1534.

10 HIBTOIRE DE Cartier commanda alors de preparer les barques pour aller visiter l'ile, dont la beaute des arbres et la nature du 15011'avait frappe: II Etant a la dite isle, la trouvames pleine de fort beaux arbres, comme chimes, ormes, pins, cedres et autres bois de la sorte des notres, et pareillement y trouvames force vignes, ce que n'avons vu par cidevant en toute la terre; et pour ce, la nommames l'lsle de Bacchus,' icelle isle tient de longueur environ douze lieues, et est moult belle terre et unie, pleine de bois, sans y avoir aucun labourage, fors <lu'it y a petites maisons ou ils (les Indiens) font p8cherie... I, (1). Le nom de Bacchus donne a l'ile fut presque aussitot change. Au printemps de 1536, Cartier la nomme lie d'orlt!ans, comme Ie fait voir Ie passage suivant: "Le samedi, sixieme jour de mai, nous appareiluimes du Havre Sainte-Croix, et vinmes poser au bas de l'lsle d'orlt!ans, environ douze lieues du dit lieu Sainte-Croix." Cartier ne nous dit pas pourquoi Ie nom d'orleans rut substitue a celui de Bacchus; mais Thevet, son intime ami, et celebre navigateur, qui visita le Canada quelque temps apres lui, nous dit qu'elle fut appelee ainsi en l'honneur du Due d'orieans : " II est question de savoir ", dit-il, "que lorsque cette terre canadienne fut premierement decouverte par les Fran<;ais, pour y faire nouvelle colonie, et eussent penetre en la cote de cette terre que environs (1) Second voyage de Jacquea Oartier.

L'ILE D'ORLtANS. et riviere d'icelle, etant curieux d'immortaliser Ie nom et la memoil'e des rois et princes de France, ayant mis pied a terre en quelque lieu remarquable ou dans quelques isles, leur donnaient Ie nom de prince ou princessi' de France, comme ils faisaient de cette isle, laquelle ils nommerent Islc d'orljulls en I'honneur d'un fils de France qui lol's vivait et se nommait lors \' alois, duc tl'orieans, lils de ce grand roi de France de \' alois, premier de ('I' nom ( Fran~ois Ier).» Thevet nous apprend encore, dans un autre endroit, que PIle d'orleans etait appelee Milligo (II par les sauvages : "J'avais oublie it YOUS dire qu'une isle nommel' des Fran.;ais Orleans et des sam'ages Minigo est l'endroit ou la riviere est la plus etroite... L'isle de Minigo sert de retraite au peuple de res pays pour se retirer lorsqu'ils sont poursuivis de leurs ennemis, et IA ou ils les mettent, les ayant pris en vie, pour les garder quelques lunes et jours, pour apl'es les massacre I' Ii la fa~on et maniel'e que leurs anciens ennemis faisaient d'eux quand ils les avaient pris, ou sur terre ou sur mer. Autour de la dill' isle, c'est la plus belle pecherie qui soit en tout Ie grand Ocean, et ou les baleines y repairent en tout temps. Les Bayonnais, Espaignols et autres y vont it la pecherie pour y prendre ces grandes baleines (2) J) (1) Lahontan nous dit que les sauvages appelaieut J'lle d'c!r Jeans BaCC/llao.; msis ce voyageur n'est pas generalement Iresexact. (2) A. Thevet, Ie Grand Imulaire. II

12 HlST01RE DE Lors de leur sejou!' dans-l'ile en 1651, les Hurons lui donnerent Ie nom sacre d'ile de Sainte-Mm'ie,.en souvenir de leur ancienne demeure au pays des Hurons (1). En '1675, l'ile appartenant it M. Fran«;ois Berthelot, fut erigee en comte noble, sous Ie nom d'/ie et cornu de Saint-Latweltl (2). A partir de ceue epoque jusque vel's 1770, elle a porte alternativement Ie nom de Saint-Laurent et d'orleans. Celui de Saint Laurent prevalut cependant dans les actes et documents publics. Depuis pres d'un siecle, on ne donne plus a l'ile que Ie nom d'orleans (3). (I) Relatiolls des Jlsflile. (2) Voir copie notariee de i"acte de I'erection de PIle d'ormans ~ll comte, Le Pere Le Jeune, en 1632, donne Ii Pile Ie nom d" Saint-Lauren.: "Avllnt que d'al'rivel' a Kebec, dit-il, on.. en contre au milit"u ue cette grande riviere nne isle nommee d" Saint Lam'en", (lui a bien sept Iieues de long: elle n'est ~Iotgnee du bout plus occidental que d'une lieue de la demeure des Fran ~ais." II est probable que c'es! par erreur qu'illui donne ce nom, 4n'on ne trouve pas ailleurs avant 1675. (3) On a donne autrefois a I'lle d'od"an8 Ie nom d'j" de. Sorciers. Deux raisons ant surtout contribue a lui procurer ce titre. La premiere {'t la principale, croyons nous, est eelle-ci: Dans Ie. pl'emiers temps de la colonie, les batiments fran9ai& visitaient ell nes-petit nombra Ie port de Quebec; II peiue trois ou quatre navires, et voilll tout. Ces batiments etaient parfoia a!tendu. avec la plus grande anxiete par les Canadiens, surtout 10raqu'i1s devaient leur apporter des vi"res dans un temps de famine, au d troupes dans un temps de guene. Dans cette eruelle alleute, on.'adressait quelquefois aul( habitants de I'lle, tres.exp,himentel dans I'al't de la navigation, 'pour apprendre d'euk la dlite 1'0"' chaine de I'arrivee de ces V818seaux. Ces brave. geds ne ae aio saient pas lon~temps prier et donnaient une repollse quelconque. On assure qu'ija r"pondirent quelquefoia as8ez jnste, et alai's on leur decerna tout naturellement Ie titre de aorciers. C'est-li-dire, comme Ie remarque Ie P. Charlevoix, qu'ayant devine une ou deux fois, et ayant fait accroire, pour ae divertir, qu'il. p6l'laient de science certaine, on s'eat imagine qn'i1s a'vaient eonsul~ Ie diable. Void maintenant la seconde raison: L'BIIguille tltait autl'afoi.

L'ILE D ORLEA!'IS. 13 Aprils avoir donne la description et Irs noms de rile, nous continuerons it raconter les faits historiques qui ont un interet general pour les insulaires, avant de MUS occuper des concessions pt des premiers etablissements faits dans rile. En 1651, les Hurons vinrent se fixer dans I'lle d'orhians, qu'ils habiterent plusieurs annees; voiri dans queues circonstances : Cette brave nation habitait, au commencement de l'etablissement de la colonie, un vaste territoire avoisinant Ie lac qui porte son nom. EUe comptait it cette epoque environ 35,000 ames, qui "ivaient en paix, et etaient respectees des autres peupiades san Yages. Les missionnaires evangeliserent faciiement cettp nation, qui etait smentaire ; iis y etablirent piusieur" missions qui porterent de grands fruits. Les feroces Iroquois voyaient d'un mauvais ceilla puissance et Ia prosperite des Hurons. En 1648, ii, resoiurent de Ies exterminer (I). lis commencerent leur reuvre de destruction par I'attaqne de Ia bourgade tn,s-abondante surles bul'ds de I'lle d'ormans ; chaque cnltivateul'. avail one pecha a I'axtremite de... terre et la visitait tous les ionrs. A cause de l'hellre variee de 18 ma.l'f3e, on Be rendait Ii. differentes heures de 1811uit un Ao.mbeau Ii. Is main pour s'eclairer. Le grand n(lwbre de ces lumier, qui allaient en tous sens, se, croibaient ot se rennissaient quelqucfois pour se disperser ensuitf;t, presentaicllt un coup d'reil tout-a.fait sillilnlicr. LOB habitants de la cote dn sud et du noi'd, parait-il, virellt dans ces feux!j.uelqnn chose de merveilleux, et pour ainsi dire de diabolique. et Ii. B'en... ffr.yerent meme. Alors, pins de doute; ils penseren! tout natu,ell.,ment que rile etait peuplee de sorcier., de loups-garqu8 et de fenx-follets. (1) Le BejoUI' des Hurons dans I'lle est presque exclusivement tir. des Relatton. de. Jbuit06.

14 HISTOIRE DE de St. Joseph; ils detruisirent successivement celles de St. Ignace, de St. Louis et de St. Jean; et, en moins de deux ans, ce pays, autrefois si prospere, fut entierement devaste. La famine et les maladies contagieuses decimerent les Hurons qui echapperent a ces massacres. CompleLement decourages it la suite de tant de desastres, les Hurons resolurent de se disperser. Quelques-uns se retirerent dans l'ile Manitoualin; d'autres se refugierent chez les nations voisines; un bourg entier s'annexa aux Iroquois Onnontagues; enhn, une derniere bande snpplia les missionnaires de la conduire it Quebec pour y demeurer. Les Jesuites y consentirent, afin de sauver les tristes restes d'un peuple que Dieu avait appele it la foi, et qui pouvait servir de semence pour repeupler Ie christianisme parmi les natioils sauvages. Le vingt-six juillet 1650, quatre cents Hurons, accompagnes des missionnaires, arriverent it Quebec, ou ils passerent l'hiver. An printemps de l'annee suivante, ils furent places it l'extremite sud-ouest de rile d'orleans, it l'endroit appele Anse du Fort. Mile Eleonore de Grandmaison vendit une partie de ses terres eultivees pour l'etablissement huron. Le dix-huit avril se fit la distribution de ces terres; chaque famille eut depuis vingt perches jusqu'a un demi-arpen t (II. Les Hurons furen t satisfaits de ce partage, et ils eommencerent aussit6t it se b,itir des cabanes et it ensemeneer leurs terres. lis adopterent cetle nouvelle patrie, it laquelle ils donnerent, comme (1) JOIITllal de. Jt."ite.

VILE D'ORLtANS. 15 nous l'avons deja dit, Ie nom sacre d'ile de Sainte Jlarie, en souvenir de leur ancienne demeure. Plusieurs familles huronnes dispersees ~a et la vinrent grossir celte colonie., qui com pta bientot pres de six cents ames. Deux JesuiLes, les Peres ChaumonoL et Garreau, accompagnes de plusieurs serviteurs, vinrent se fixer au milieu d'eux, pour continuer ales evangeliser (1\. Voici ce qu'ecrivait un de ces Peres en 1652 : "Nous avons aide ces bonnes gens a defricher leurs terres, comme vous aurez appris. lls outrecueilli cette annee une assez bonne quantile de ble d'inde, tous neanmoins n'en auront pas suffisamment pour leur provision. Nous les secourrons comme nous avons secouru les autres, des charites que l'on nous enverra de France. Nous avons fait batir un Reduit ou une espece de Fort, pour les defendre contre les Hiroquois: il esl a peu pres de la grandeur de celui qui etait aux Hurons, au lieu nomme Ahouendae. Nous avons anssi fait dresser une chapelle assez gentille, et une petite maison pour nous loger. Les cabanes de nos bons neophites sont tout aupres de nou~, it l'abri du fort. Les Hiro quois nous obligent de secourir les corps de ces pauvres exiles pour sauyer leurs ames... II La devotion et la foi regnent dans ce petit reo duit: outre les prieres qu'un chacun fait en particulier soir et matin dans sa cabane, ils assistent aux (1) Le Pe... Ragueneau vint aus8i re8ider quelque temp8 a la bourgade hurodne de I'lle.

16 HISTOIRE DE prieres publiques qui se font it l'eglise. A peine distingue-t-on les jours d'ouvrage du dimanche et des fetes, sinon par la frequence des communions que l'on fait en ceux-ci, et par Ie chapelet que l'on vient reciter sur jour, qu'ils disent hautement it deux rhreurs en la place des vepres.... (I La beaute de leur voix est rare par excellence, particulierement des filles. On leur a compose des rantiques hurons, sur I'air des hymnes de I'Eglise ; plies les chantent it ravir. C'est une sainte consolation, qui n'a rien de la barbarie, que d'entendre les champs et les bois resonner si melodieusement des louanges de Dieu, au milieu d'un payt', qu'il n'y a pas longtemps, qu'on appelait barbare.... II Ce qui a Ie plus aide a mettre I'esprit de ferveur dans cette colonie huronne, c'est la devotion qu'ils ont prise cette derniere annee, pour honorer.la Vierge. Nos Peres qui en ont Ie soin, pour les y donner davantage, ont fait une Congregation OU ils n'admettent que ceux et celles qui sont d'une vie exemplaire, et qui par leur vertu se rendent dignes de cette grace. Les dimanches et les fetes ils s'assemblent des Ie point du jour. Au lieu'de l'officede la Sainte-Vierge, qu'ils ne peuvent reciter, ils disent leur chapelet a deux chceurs, les hommes d'un cote, et les femmes de l'autre... )) (I). Les Dames Ursulines avaient adopte plusieurs jeunes filles huronnes, auxquelles elies procuraient gratuitement la nourriture et l'education. Lors de l'incendie du monastere de ces saintes femmes, les (J) Relation de 1654.

VILE D'ORL~ANS. 17 Hurons voulurent en cette occasion montrer la compassion qu'ils eprouvaient pour elles, et temoigner leur reconnaissance. Comme la fa«;.on des sauvages, dans de semblables circonstances, est de porter quelques presents aux personnes de grand merite pour les consoier dans leur malheur, les Hurons deciderent de leur presenter deux colliers de porcelaine, chacun de douze cents grains. Ils allerent donc trouver ces bonnes religieuses, qui depuis l'incendie s'etaient retirt' ps a l'hopital. Un capitaine, nomme Louis Taiaeronk, leur presenta ces deux colliers au nom de ses compatriotes, et leur fit Ie discours sui "ant: "Valis yoyez, saintes filles, de pauyres carcasses, les restes d'un pays qui a ete florissan t, et qui n'esl plus. Du pays des Hurons, nous a"ons He devores et ranges jusques aux as par la guerre et par la famine. Ces carcasses ne se tiennent debout qu'a cause que vous les. soutenez: vous l'a"iez appris par des lettre5, et maintenant vous Ie "oyez de vas yeux, a quelle extremite de miseres nous sommes venus. Regardez-nous de tout rult\ et considerez s'il y a rien en nolls qui ne nous oblige de pleurer sur nous-memes, et de verser sans cesse des torrents de larmes. Helas! ce funeste accident, qui vous est arrive, va rengregeant nos maux et renouvelant nos larmes, qui comment;aient a tarir! Avoir vu reduite en cendre en un moment cette belle maison de Jesus, cette maison de charite, y avoir vu regner Ie : feu sans respecter vas personnes toules saintes qui y habitaient} c'est ce qui nous fait ressouvenir de. I"

HISTOIRE DE l'incendie universel de toutes nos maisons, de toutes nos bourgades et de toute notre patrie. Faut-ildonc que Ie feu nous suive ainsi partout? Pleurons, pleurons, mes chers compatriotes; oui, pleurons nos mise res, qui de particulieres sout devenues communes avec ces innocentes fiues. Saintes filles, vous voila donc reduites it la memo misere que vos pauvres Hurons, pour qui vous avez eu des compassions si tendres. Vous voila sans patrie, sans maison, sans provisiolls et sans secours, sinon du ciel, que jamais vous ne perdrez de vue. Nous sommes entres ici dans Ie dessein de vous con soler, et avant que d'y venir, nous sommes entres dans vos crnurs, pour y reconnaitre ce qui pourrait davantage les affliger depuis votre incendie, afin d'y apporter queique remme. Si nous avions affaire a des personnes semblables it nous, Ia coutume de notre pays eut ete de vous faire un present pour essuyer vos larmes, et uu second pour affermir votre courage; mais nous avons bien vu que vos courages n'ont jamais e-te abattus sous les l'uines de cette maison, et pas un de nous n'a pu voir meme une demi lal'me qui ait paru dessus vos yeux, pour pleurer sur vous-memes it Ia vue de cette infortune. Vos crnul's ne s'attristent pas dans la perte des biens de la terre, nous les voyons tr()p eleves dans les desirs des biens du ciel; et, aussi, de ce cote-ia, nous n'y cherchons aucun remme. Nous ne craignons rien qu'une chose, qui serait un malheur pour nous; nous craignons que la nouvelle de l'accident qui vous est arrive, etant portee en Fl'ance,ne soit sensible a vos parents plus

VILE D'ORLEANS. 19 qu'it vous-m~mes; nons craignons qu'ils l1e vous I'appellent et que VOllS ne soyez attendries de leurs larmes. Le moyen qu'une mere puisse lire sans pleurer les lettres qui lui feront savoir que sa fille est demeuree sans vetements, sans vivres, sans lit, et sans les douceurs de la vie, dans lesquelles vous avez ete elevees des votre jeunesse: les premieres pen sees que la nature fournira it ces meres toutes desolees, c'est de vous rappeler au pres d'elles, et de se procurer it elles-memes la plus grande consolation qu'elles puissent recevoir au monde, procurant aussi votre bien. Un frere fera de meme pour sa SCBm" un onele et une tante pour sa niece, et ensuite nons serons en danger de VOliS perdre, et de perdre en vos personnes Ie secours qne nous avions espere pour l'instructioll de nos fiues it la foi, dont nous avons commence avec tant de douceur de gouter les fruits. Courage, saintes filles, ne VOllS laissez pas vaincre par l'amour de vos parents, et faites paraitre aujourd'hui que la charite que vous avez pour nous, est plus forte que les biens de la nature. Pour affermil' en cela vos resolutions, voici un present de douze cents grains dl' porcelaine qui enfoncera vos pieds si avant dans la terre de ce pays, qu'aucull amour de vos parents ni de votre patrie ne les en puisse retirei'. Le second present que nous vous prions d'agreer, c'est un collier semblable de douze cents grains de porcelaine, pour jeter de nouveaux fondements it un batiment lout nouveau, ou sera la maison de Jesus, la maison de prieres, et ou seront vos classes, dans lesquelles vous puissiezinstruire

20 HISTOIRE DE nos peti.es fiues huronnes. Ce sont la nos desirs, ce sont la les votres, car sans doute vous ne pourriez mourir contentes, si en mourant on YOUS pouvait faire ce reproche, que pour Pamour trop tendre de vos parents, vous n'eussiez pas aide au salut de tant d'ames que vous avez aimees pour Dieu, et qui seront votre couronne dans Ie ciel.)) "Voila la harangue,)) dit Ie Pere Jesuite qui raconte cet incident, "que fit ce capitaine huron; je n'y ajoute rien, et meme je n'y puis joindre la grace que lui donnait Ie ton de sa voix et les regards de son visage. La nature a son eloquence, et quoiqu'ils soient barbares, ils n'ont pas depouille ni Petre d'homme, ni la raison, ni line arne de meme extraction que les notres. I) La colonie huronne perdit au mois de juin 1652 six de ses meilleurs chretiens et trois enfants, qui se rendaient a Tadoussac pour echanger de la farine de ble d'inde contre des pelleteries. Dne tempete les surprit au milieu du fleuve et les engloutit dans les eaux, sans qu'on put jamais retrouver ni hommes, ni canot. Cette perte fut vivement deploree par leurs compatriotes. Les Hurons vecurent en paix plusieurs annees dans leur nouvelle demeure. lis s'occupaient tranquillement de la culture de leurs champs. La seconde recolte leur fournit autant de ble d'!nde qu'ils avaient coutume d'en recueillir dans leur pays. TIs. devaient cette prosperite aux missionnaires, qui les avaient presque entierement nourris les deux premieres annees, et les avaient diriges dans leurs tra-

VILE D'ORL~ANS. vaux. Aussi comblerent-ils de remerciments et de benedictions ces bons.jesuites, qui leur avaient donne tout ce qu'ils possedaient sans rien se resen el pour eux. Cette vie heureuse leur fit oublier leurs anciens malheurs. Places au milieu de la colonie franqaise, et proteges par leur fort defendu par plusieurs canons, ils se croyaient 11 l'abri de tout danger de la part de leurs ennemis. Mais les Iroquois ne les laisserent pas jouir longtemps de ce bonheur. lis chercherent,'t les attirer dans leur pays et descendirent a Quebec en 1654, dans Ie dessein de conclure la paix avec Ie gou\ erneur et les Hurons. A cet effet, il S6 tint plusieurs assemblees, dont l'une it la bourgade humnne de l'ile, it laquelie assisterent :\1. de Lauzon et plusieurs notables du pays. Apres avoir fait plusieurs presents til' paix, les Iroquois en offrirent d'autres aux Hurons pour les en gager a alier habiter Ienr pays, et ne fa ire desormais qu'un peuple avec eux. En entendant une semblable proposition, les Hurons furent tres-embarrasses. Ils crurent que c'8tait un piege qu'onleur tendait afin de les detrllire. Apr,,~ de grandes deliberations, ils demanderent que ce dessein rut differe d'un an avant de se decider. En atten dant, les Iroquois devaient batir dans leur pays une demeure pour les missionnaires et les Fran<;;ais qui desireraient alier fonder un etablissement; ensuite les Hurons iraient se fixer au milieu d'eux. Cette reponse fut reque avec plaisir par les Iroquois, qui partirent apres avoir fait de nombreuses pro- 2l

22. HI8TOIRP! DE messes de garder la paix. On decouvrit plus tard que ces deliberations n'avaient pour but que d'attirer les Hurons chez leurs ennemis afin de les massacrer, puis tom bel' ensuite sur les Frant;ais. Les annees suivantes, ils continuerent leurs courses guerrieres dans toute l'etendue du Canada. Au printemps de 1656, deux Iroquois s'etant caches dans les bois de l'lle d'orleans, dechargerent leurs fusils sur deux Hurons qui abordaient au rivage. L'un tomba roide mort, et l'autre, quoique grievement blesse, put neanmoins se sauvei' heureusement. A cette nouvelle vingt Hurons partirent pour pour,;uivre les meurtriers. Apres une marche de vingt lieues, ils en prirent un, qu'ils emmenerent a la bourgade pour lui faire subir son proces. Les missionnaires auraient bien voulu epargnel' la vie de ce prisonnier. Ils s'en seraient servis poui' detourner nne ban de de trois cents Iroquois qui etait en campagne et qui menat;ait la colonie huronne de l'ile. Mais les esprits etaient trop echauffes a la suite de ce meurtre. Les parents du jeune Huron tue demandaient justice: c'etaient les plus considerables de la bourgade ; ib perdaient en lui leur fils unique, jeune homme plein de qualites, destine au grade de capitaine, et qui avait meme accorde la vie a einq piisonniel's iroquois. Malgre les avis des missionnaires, Ie prisonnier fut condamne it mort, et perit dans les plus grands tourments. On s'attendait it tout moment que les Iroquois yiendraient venger la mort de leur frere. On deputa vel's eux Ie P. Lemoyne pour leur faire des presents,.

VILE D'ORL~ANS. 23 afin de les calmer et d'arreter leurs courses. Us lui promirent qu'i1s allaient Sf' disperser et retourner dans leur pays. Cette nouvelle rassura un peu les Hurons, toujours en crainte depuis quelque temps. Mais ils ne se defierent pas assez de l'esprit perfide de la natioll iroquoise. Dans la nuit du dix-neuf au vingt avril, ces miserables, favorises par un temps obscur, descendirent Ie fleuye sans etre aper~us, et allerent debarque I' un peu au-dessous de la bourgade huronne. lis se cacherent dans les bois environnant des champs de ble d'lnde. Les Hurons, apres ayoir assiste ft la messe, suivant leur coutume, se dispe1'serent pour cultiver leurs ter1'es. A un signal donne, les Iroquois tombent sur leurs victimes dispersees et sans armes. Us en mas' sacrent plusieurs sur place, et font un grand nombre de prisonniers. Les aulres se refugient dans la maison des Jesuites, qui etait bien fortifiee. Ap1'es ce coup d'audace, ces traitres, emmenant en triomphe leurs prisonniers, passerent devant Quebec en plein midi. Le gouverneur ne voulut pas les poursuivre, parce qu'i! craignait par 1ft compromettre Ie sort de la colonie. Les habitants de l'ile d'orleans qui furent reneontres da!ls eette occasion, ne furent ni attaques, ni faits captifs par ces barbares, qui respecterent meme les maisons habitees par des femmes. Ils pillerent cependant plusieurs maisons abandonnees par leurs proprietaires. Plus tard, ils firent des excuses aux

24 HISTOIRE DE Franl;ais et condamnerent, d'une part, l'insolence de la jeunesse, difficile a retenir dans la chaleur <l. la victoire, et reprocherent, d'autre part, aux Fran \;ais d'avoir abandonne leurs maisons et pris l'epouvante mal it propos_ La perte des Hurons dans ce massacre fut de soixante et onze, tant de tues que de prisonniers. Ceux-ci subirent les plus cruels tourments de la part de leurs ennemis. On leur enleva la chevelure; on leur versa sur la tete nue de l'eau bouillante et des eendres chaudes; les parties les plus sensibles du corps leur furent brulees avec des tisons ardents; des colliers de haches embrasees leur furent suspendus au cou, tourments inventes par les demons memes. De plus, on avait Ie soin de les laisser se reposer de temps en temps pour les reprendre de plus belle, et gouter plus long temps Ie plaisir de les voir bruler, et entendre les plaintes que quelquesuns d'entre eux ne pouvaient s'empecher de pousser. La plupart des victimes enduraient cependant ces cruels tourments sans se plaindre. Jacques Oachouk, prefet de la Congregation, et Ie plus fervent des chretiens, etait du nombre des captifs. Dans Ie plus fort de ses douleurs, au lieu de chanter ses prouesses de guerre, comme c'etait la coutume, il priait Dieu et consolait ses compagnons d'infortune. II Ne me plaignez pas ", disait-il, II ne m'estimez pas malheureux, je serai heureux dans Ie ciel. Je ne crains pas les feux que mon sang est capable d'eteindre, je crains Ie feu d'enfer qui jamais ne s'eteindra.» 11 declarait hautement qu'en jetant

L'ILE D'ORLtANS. es yeux vers Ie ciel en pron onqant ces paroles: (( Jesus, ayez pitie de moi II, il sentait chaque fois l'allegement de ses douleurs et un surcroit de force et de courage. Ces particularites furent rapportees par un des prisonniers, qui etait parvenu a s'echapper. On l'avait deja brule a demi, on lui avait coupe les doigts; mais, profitant de l'occasion Oll ses bourreaux, au nombre de cinquante, etaient tous plonges dans Ie sommeil, il fut assez heureux de rompre ses liens et de s'echapper. II marcha quinze jours sans armes, sans provisions, Ie corps nu et dechire, et il serait mort sans la rencontre de quelques FranQais qui Ie secoururent. Plusieurs prisonniers furent ainsi brules, les autres furent distribues comme esclaves. Apres la defaite des Hurons a l'ile, ceux qui restaient demanderent la paix a leurs vainqueurs : elle leur fut accordee, a condition qu'ils iraient tous habiter Ie pays des Iroquois, pour ne faire qu'un peuple avec eux. Par malheur, ils y consentirent, et les Iroquois promirent qu'ils viendraient Ies chercher au printemps. Au temps convenu, cent jeunes guerriers, bien resolus, vinrent sommer les Hurons de leur tenir parole. Les Hurons craignaient avec raison de se livrer a la merci de leurs ennemis. lis auraient bien voulu trouver quelque pretexte pour ne pas aller vivre avec eux. Mais il n'y avait plus de moyen; il leur fallait marcher ou perir. Les belles promesses des Iroquois deciderent une partie des Hurons a. aller vivre avec eux. Apres avoir fait leurs adieux 2

26 HISTOIRE DE aux FranQais et a leurs freres, Ia tribu du Rocher et ceue de l'ours partirent pour Ie pays des Iroquois. II ne restait plus a rile qne la tribu de la Corde (1). Voici done Ie plus grand nombre de ces bons Hurons partis aver les Iroquois. On leur avait promis une fide lite inviolable; on devait les traiter en f]'ere~. Ces barbares 80nt enfin parvenus a leur dessein, qui elait de les attirer pres d'eux pour s'en defaire plus vite. lis ont dans leurs mains Ie gros d'une nalion autrefois nombreuse. Il y a bien encore quelques families dispersees de part et d'autre, rna is elles sont annexees a d'autrcs peuplades, et ne peuvent former un,'orps de nation, YU leur pelit nombre et leur dispersion. La pel'fidie des Iroquois ne tarda pas a eclater: a, un signal donne, on a,somma les plus braves des Hurons; les femmes ec les ellfanls furent depouilles de leurs eiteb, et clislribues a ('e~ traitres comme esclaves. Dans Il'ur "aplivite ils eurent a endurer des tourmenb pires que la mort. Ces pauvres exiles conserverent cependant intade leur foi, 1'1 firent la Ies memes exerricf's de pietc qu'ils pratiqnaient II I'Ile. Les Hurons de l'ile d'orleans, rmuits il un petit nombre par la guerre et l'emip;ration, no se crurent pins en surele it leur bonrgado; lis vouillrent se rapprocher de (\)I1P hcl'. M, (L\illeboust, Ie gouverneur, leur permit de placer Ipur3 cabanes pres du fort St. Louis. A 1'1'i'~ Ull s'"',ionr do sept annees, iis (1) Les Hurons etaient rliviscs ell tro;, tribll": la tribu du Ro dler, celie de I'O"TS et celie de la COl de.

VILE D ORLEANS. 27 furent contraints d'abandonner 1'lIe, qui leur avait procure pendant quf'lque Ipmps nne:-;i paisible demeure. Ces bons Hurons rpsiderent quelques annees a Quebec. En 1667, ils se transporti>rent a une Heue et. demie de la ville, et fonderent la mission de Notre Dame de Foye. QuelrllteS ajlilct's plus tard, ils dnrenl encore s'eloigner de cct.te derniere residence, afin de Sf' rapprocher des bois f'i d'avoir des terres plus etendues. lis se fixerent a Notre-Dame de Lorette. Bien des annees apres, ils subirent un dernier ehangement pi [onderenl Ie village appele Jeune Lorette (I). Cpsl la qn'on peul. \'Oir Cf' qui rf'ste aujourd'hui de eeue nation autrefois si puissante ('2). L'annee 1661 fut une annee fl.. malheurs et d'epreuves pour Ie Canada. Les Iroquois, continuant t.oujours leurs hostilites, n'epargnerent pas plus cette fois-ci les Fran~ais que les Sauvages. Commen\:ant leur campagne de bonne heme, ils attaquerent d'abord Montreal, ou ils prirent et tuerent dans deux combats vingt-trois colons, puis les Trois-Rivieres, Oil ils massacrerent egalement quatorze Fran\iais. Trente Algonquins et deux Fran~ais, qui remontaient Ie St. Maurice, flirent aussi tailles en pieces par un de leur parti. lis descendirent ensuite jusque a Tadoussac, Oil quelques Fran!:ais furent encore (1) Traduction des Relations du 1'. Bl'eSSalli, pat Ie P. Martin. (2) Les teltes qui Oil t "ppal'tellu aux Hurons pelldant leur.ejour Ii I'lIe, SOllt aujourd'hni en partie la propriot" de M. N. H. Howell, notaire. M. Bowen pretend avoil' decouvert Ie lieu precis nu avait "Ie construit Ie fort hurun. En faisalll, ell 1856, des excavations pres de sa delleure, ii d"couvrit un mur de cinq pied. d'epaisseur, couvel't alor. d'ull pied de lene.

28 HISTOIRE DE tues. En remontant vers Quebec, ils se jeterent avec acharnement sur la cote de Beaupre et sur l'ile d'orleans. "Le 18 Lillin) it 8 h. du malin, II dit Ie lotwnal des.tt'sliilcs, "se commenga Ie massacre ou capture de pltlsleurs personnes it Beaupre et it l'ile d'orleans par les Iroquois descendus de Tadoussac... On pariah ce jour-ii, ue 8 it Beaupre et sept it rile d'orleans, ce qui s'est ti'ouve vrai.)) On peut s'imaginer la terreur que eausa aux habitants de rile la presen,:p de res barbares, qui se cantonnerent plusieurs jom's an milieu d'eux. Presque tous abandonnerent leurs demeures pour eviler Ie carnage dont plnsieurs d'elltre eux avaient ete les victimes (I). Lorsqn'on apprit it Quebec la nouvelle de ces massacres, 1\1..Jean de Lauzon, senechal de la Nouvelle Franee et fils du gouverneur, voulut it toute force aller combattre les Iroquois, Cet homme de ereur et de resolution ne pouvait voir les desastres et les meurtres que,';msaient. les Iroquois sans aller leur donner la ehasse. Comme on etait peu nombreux pollr leur tenir tete, Oil l'en empeeha avec raison, Mais lorsqu'il sut que Ie sieur Couillard de l'espinay, son beau-frere, etait it la ehasse dans les environs (Ir l'ile, pt que sa dame etait depuis ce temps tresinqniete snr son sort, il resolut d'aller avertir son parent dn danger auquel il etait expose, et Ie secourir ;111 besoin, n partit dans nne chaloupe avec sept antres jplll1l's gens. La vent de nord-est Ie forga de prendre trrre it ia riyiere l\iahen, au milieu de l'ile (l'orieal1s, II t'ilyoya alors denx de ses hommes voir (I) L,tlres Hisloriq1tcs de la Mere de I'Incamation.

VILE D ORL~ANS. 29 slil y avait quelqu'un dans la maison de M. Rene Maheu, pilote. En ouvrant la porte, ils se trouyerent en presence de quatre-vingts Iroquois, qui tuerent l'un d'eux d'un coup d'arquebuse, et prirent l'autre, qui fut oblige de se rendre apres s\'tre Lien dmendu; et poussant leur cri de guerre, ils vinrent se presenter aux Fran~ais et les cerner de tout cote. M. Ie Senechal vit bien qu'illui etait impossible de songer it fuir, car, par malheur, la maree baissante avait echoue la chaloupe. Les Iroquois etaient si stirs de leur proie qu'ils sommerent trois fois M. de Lauzon de se rendre, lui promettant la vie sauve. Celui-ci leur repondit par la voie de son rusil: il connaissait trop bien l'ennemi pdur se fier it sa parole, et il preferait une mort gioriellse it une honteuse captiyite Les Fran<.;ais commencerent l'attaque par une priere fervente, qu'ils repeterent trois fois en commun. Ils resolurent de vendre leur yie bien eher; aussi se dmendirent-ils avec Ie plus grand acharnement dans cette lutte si inegale, et tuerent-ils un grand nombre d'ennemis. lis furent tous massacres sur place, it l'exception d'un seul qui, griiwement blesse au bras et it l'epaule, fut emmene captif par les vainqueurs pour etre yidime de leur fureur et de leur cruaute. M. Ie Senechal fut un des premiers tues. Les Iroquois Ie menagerent longtemps, ne cherchant qu'a Ie blesser pour Ie mettre hors de combat et Ie faire prisonnier; mais ils ne purent en venir A bout. On lui trom'a les bras tout meurtris et haches des coups qu'on lui avait donnes pour lui faire mettre

30 HISTOIRE DE bas les armes. Les vainqueurs lui coupel'ent la tete, qu'ils emportel'ent comn1l' un trophee dans leur pays. Apres avoir fait brulel', :mivant leur coutu me, les corps de leurs guerriers morts uans cette action, ils se retirerent awe hate, emmenant an'c eux plusieul's prisonniers ti). M. Ul' l'espinay, revenaut ue la chasse, entendit Ie bruit de la fl1sillaue. II mit aussitot a la voile pour avertir qu'il y avait UU Illalheur. Ql1anu il sut que c'etait pour lui LIue ('es Imlyes s'etaient uevoues, il pensa moul'ir ue uouleur. Le gouverneur envoya aussitut SUIIS son ('uj11manuement ueux chaloupes bien armeesj mais il etait trop tard, les Iroquois etaient disparus. II ne tl'ouva que ues corps horriblement mutiles, parmi lesliuels il reeonnut celui de son jeune frere,.il' sil'll\' Couillard de Belleroche, a peine clge de vingt ans. Le vingt-ql1atre, les corps ue t:es infortunes furent ramenes it QueIJel. Trois furent entenes dans I'eglise: ('l'ux ue NI. de Lauzon, de Nicolas Couillaru uit Belleroche et d'ignace Sevestre uit Desl'Oclll'I'';, Lous trois gentilshommes. Le meme jour, furent inhuj11t-s dans Ie ('imetiere les quatre autres tues uans Ie meme combat: Elie Jac quet dit Champa!-:l1(', JacLIues Penoche et deux servitelli's du sieur COllillal'll, I'uu apvele Toussaint et l'autre Frau\:ois. Lf' massacj'e ue ces heros affligea au uemier point les habitants Ul' Quebec. La perle ue i\i. Ie Senechal fut surtout regrellel' ues Fran<;ais, qui l'aimaiellt el Ie respectaient a. cause de sa bra- (1) Lettles ue In ~Iere de I'Tncarnation. Relations de. Jel1ti/,. Hu/oire de I' H6Iel Dieu.

VILE D'ORL'fiANS. 31 voure et de son devouement. Ii gagnait tout Ie monde par sa bonte et sa familiarite, de sorte que les FranQais etaient heureux de combattre sous un tel chef. Au moindre signal qu'il donnait, ils etaient prets a Ie suivre ]Jartout (t). Dans cette excursion, les Iroquois enleverent d'une maison de I' Argentenay un grand crucifix, qu'ils emporterent dans leur pays. Le Pere Lallemand donne dans la Relaliult de 1662 les details suivants sur ce sujet: ({ Je ne saurais mieu.\ terminer que par une rencontre assez illustre, touchant un crucifix de deux pieds de haut ou environ, que les Iroquois Agnieronnons enleverent en rail passe a Argentenay, dans I'ile d'orleans, quand ils1' firent Ctc'S degats que nous avons racontes. Je ne sais si re fllt par moquerie ou par estime qu'ils se saisirent de cette image; quoi qu'il en soit, ils I'emporterent jnsque dans leur pays et la faisaient voir dans leurs l"abanes, comme une de leurs plus precieuses depouilles des FranQais; Garakontie, protecteur des FranQais, etant aile a Aquie, la vit par hasard; et comme il savait assez Ie respect que nons portions a de semblables images, il ne youlut pas laisser profaner celle-ia. II entreprend donc de la ral:heter, il fait un beau present pour cela, et, pour n'avoir pas de refns, il fait un eloge de ce crucifix, plus digne de sortir de la bouche d'un predicateur gut' d'un barbare: il I'obtient, et par la richesse de son present et par l'eloquence de ce discours. Retourne qu'il fut a Onontague, tout triom- (1) Lettres de la Mere de l'incarnation. Relations de.jlruites, etc.

32 HISTOIRE DE phant d'une si belle action, dont il ne connaissait pas tout Ie merite, il place honorablement ce crucifix sur l'autel de la petite chapelle, ou tous les jours les FranQais, les Hurons et les Iroquois allaient lui rendre leurs hommages. Et ainsi Dieu s'est voulu servir de la main d'un barbare pour faire triompher sa croix, au milieu de la barbarie.1i Il a ete dit plus haut que les Iroquois tuerent ou firent prisonnieres sept personnes de l'ile d'orleans. De ce nombre etait une jeune fille nommee Anne Baillargeon, dont Ie pere, Nicolas Baillargeon, occupait une terre voisine de la riviere Maheu, dans la paroisse de St. Laurent (\). Nicolas Baillargeon, originaire de Loudigny en Al1gouleme, est l'ancetre de Mgr. C. F. Baillargeon, e\'eque de Tloa (2). La Mere de l'incarnation rapporte dans ses Lettl'es Historiques un fait meryeilleux au sujet de cette jeune fille: "Une jeune fiue, llommee Anne Baillargeon, diteue, etant agee de neuf ans, fut prise par les hoquois, et emmenee dans leur pays, Oil eue demeura pres de neuf ans. EUe se plut teuement aux coutuwes de ces sam'ages, qu'eue Hail resolue de passer avec eux Ie reste de sa \'ie. Monsieur de Tracy ayant oblige cette nation de rendre tous les Francais qu'elle tenait captifs, eue se retira dans les bois; de crainte de retourner dans son pays. Lorsqu'elle se croyail en assurance, une religieuse lui apparut,et la menaqa de la chatier, si eue ne retournait avec (1) Voir la carte de l'lle d'orleans de 1689. (2) Notes sur les registres de N. D. de Quebec.

VILE D'ORL1JANS. 33 les Fran«;ais. La crainte la fit sortir du bois, et se joindre avec les autres captifs que l'on mettait en liberte. Monsieur de Tracy 1 ui donna cinquante ecus pour se marier, mais il voulut premierement qu'elle fut mise aux Ursulines, pour reprendre l'esprit de christianisme qui s'etait fort affaibli parmi les Iroquois. Quand elle vit Ie tableau de la Mere Marie de St. Joseph, elle s'ecria: Ah! c'est celle-la qui m'a parle, et elle avait Ie meme habit. Durant toute sa captivite, il ne se peut faire que, vivant parmi des payens, elle ne commit des rautes contraires a la saintete du christianisme; elle avait neanmoins conserve une tres-grande purete, et 1'011 croit que cette Mere s'etait faite son ange pour la conserver dans cette integrite, comme elle 1'a He de quelques autres dans d'autres rencontres... A une epoque tres-reculee, une autre jeune Hlle de 1'Ile d'orleans disparut et fut enlevee, mais d'une maniere diiferente. Cette petite fille, agee peut-ett'e de neuf ou dix ans, appartenait a une famille du nom de Baucher dit Morency; ses parents, parait-il, ne menaient pas une vie exemplaire. Un jour, elle partit pour aller porter a diner a son pere, et on ne la revit plus. Plusieurs annees apres, une lettre fut ecrite a l'eveqne de Quebec par les Seeurs d'un couvent de la Louisiane. Cette lettre donnait a peu pres les details suivants: Une jeune fille fut un matin trouvee sur Ie seuil de la porte de notre couvent: Interrogee, elle repondit qu'elle etait de la paroisse de la Ste. Famille, dans une ije, et qu'en allant porter a diner a son pere, elle fut enlevee par une grande femme blanche qui prit bien so in d'elle, et

34 HISTOIRE DE la deposa elle-meme a la porte du couvent. Les Sceurs eurent pitie de cette petite infortunee j elles l'adopterent et l'instruisirent. Plus tard, elle devint religieuse dans ce meme couvent. Cette lettre annon'1ait en meme temps la mort de cette jeune fllle, et priait l'{'\ l~lllle de comn11lniquer ces details it ses parents (I). II Fondation dn couvent d, la Ste. Famille. - Les.<Eurs Marie Barbier d Anile Hiol1x vont demeurer a I'Ile.-Soutfl'tlnces et privatiulls des ~H:'llrs.-Dolls de 1\1. Lamy et d'autl'es pal'ti~ culif'l"... C'e~t en \(jtl5 qu'eut lieu la fonilatiol1 du couvent de la SI '. Famille, belle institution qui depuis pres de deux siecles a rendu If'S plus grands services aux habitan Is de l'ile d'orleans (I). M. Frall~ois Larny, premier cure de la SIt'. Famille, fra)jpe des fruits que produisaient les Sceurs de la Congregation partont ou elles exer\;aient leur ministere, resolut d'attirer quelques-unes de res saintes fllles dans sa paroisse, convaincu qu'elles procureraient un bien immense. II pria Mgr. de St. (I) Co fait merveillenx nous a,ole raconte par feu M. G. H. Bessel'er, ancien cure d~ 101 Stp, Famille. (I) Les details que nons donnons sur la fondation du couvent de In Ste. Famille, Ollt ell presque tous puises dans la Vie de la 8m,, Bourgevy. par M. I'abbe Faillon. Ce savant historien a emprllute en partie ce qu'il dit de 10 fondation de ce couvent,.. la Vie de la S(]!ltT Barh'jeT, ouvl'age que nous n'avons pu nons procurer.

VILE D'ORL"EANS. 35 St. Valier d'en faire pour lui la demande ala sc:em Bourgeoys, fondatrice de ceue celi~bre communaute. La sc:eur Bourgeoys accorda aussitot cette mission, qui se trouvait une des premieres qu'elie fondait dans les campagnes. Ce furent les sc:eurs Marie Barbier et Anne Hioux que 1'on nomma pour jeter les fondements de l'e nouyel etablissement. Elles n'ignoraient pas quelles difficultes elles rencontreraient et ~\ quelles privations elles seraient exposees dans une semblable entreprise, ou tout leur manquait; mais lorsqu'il s'agissait de faire du bien, ces ames pieuses n'hesitaien t pas it faire les pi us grands sacrifices. Anne Barbier, fille de Gilbert Barbier, llaquit it Montreal Ie ler mai IG6:i. SOIl pere ne negligea rien pour lui procurer une excellellte education religiellse; elle repoudit tres-bien aux vues de ses pieux parents. Des 1'age Ie plus tendre, elle pratiqna Ia piete et Ia vertu. Elle resolllt de se consacrer au culte de la Ste. Vierge, et entra, a l'age de quinze ans, dans la communaute de la sc:eur Bourgeoys. Elle fit sa profession en!g80, et fut la premiere fille ( anadienne qui se consacra a Die\l dans la Congregation de Notre-Dame. Cette sainte fille fut chargee d'etablir la maisoll de la Providence a Quebec et la mission de la 8te. Famille; mais elle demeura particulierement a Montreal, ou elle remplit avec zele toutes les charges de la communaute, dont elle fut qllelque temps superieure. Elle etait reputee sainte dans tout Ie pays, et l'on conserva toujours une grande veneration pour sa memoire. Anne Rioux, nee en France, suivit la sc:eur Bour-

36 HISTOIRE DE geoys au Canada, et fut la premiere religieuse rec;ue dans la communaute de Notre-Dame. La soout Barbier fut appelee de la mission de la Montagne, it Montreal, pour se preparer a son depart pour rile d'orleans: II J'avais un pressentiment,» dit cette derniere, 'I que.ie serais envciyee it l'ile d'orleans, et une espece de certitude interieure que mon bien spirituel dependait de la; que j'aurais occasion d'y mourir it toutes mes mechantes inclinations. Avant mon depart pour la Montagne, M. Guyotte, pretre de Saint-Sulpice etcure de Villemarie, m'ayant dit par mamere de conyersation qu'on n'avait pas encore nomme de compagne pour rna soour Anne, je lui dis que ce serait mol II en parut surpris, et me dit que cela ne pouvait se faire pour toutes sortes de raisons qu'il m'allegua. Je Ie priai de n'en rien dire, et qu'il verrait a la fin que c'etait la volonte de Dieu de m'envoyer a rile d'orleans. Quelques joms apres, M. Ie cure m'ayant dit qu'une autre, qu'i! me nomma, etait deja destinee pour etre compagne de la soour Anne dans cette mission, que cela avait ete arrete par la communaute, je lui dis en riant que quand elle serait dans la barque je n'en croiraili rien, et que ce serait moi-meme. On me fit done partir pour la mission de la Montagne, et ou on ne pensait a rien moins qu'a moi pour l'ile d'orleans. II Cependant la communaute change a de sentiment a l'egard de la soour designee pour y aller, voulant envoyer tan tot une soour, tan tot une autre. Le pretre qui nous conduisait, M. Bailly, et qui m'avait exclue lui-meme du nombre de celles qui pourraient titre envoyees a l'ile d'orleans, fut contraint, afin de