HISTOIRE MONTMORENCY DE LA MAISON DE TOME PREMIER

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Transcription:

HISTOIRE DE LA MAISON DE MONTMORENCY TOME PREMIER

Collection «Mémoire du royaume de France». Éditions S. Pastéris-Rex & Comes, Strasbourg, 2000. Imprimé en France. Tous droits réservés.

SOMMAIRE DÉDICACE INTRODUCTION..................................................17. GÉNÉALOGIE TABLEAU SYNOPTIQUE........................................30. I ER. Les Sires de Montmorency......................33. II. Les Sires de Nivelle & Hornes.................51. III. Les Sires de Fosseux...............................59. IV. Les Sires de Bouteville............................69. V. Les Sires de Wattines & Estaires..............83. VI. Les Sires de Croisilles & Roulers.............91. VII. Les Sires de Laval..................................99. VIII. Les Sires de Rais..................................111. IX. Les Sires de Loué.................................119. X. Les Sires de Lezay................................127. XI. Les Sires de La Faigne..........................133. DU MOYEN ÂGE À LA RENAISSANCE I ER. Au Temps des premiers Capétiens..........143. II. De l Irlande à Constantinople.................163. III. Le Bras armé du Roi.............................191. IV. Honte à l Aragonais, sus au Plantagenêt..217. V. Les Cousins de Laval............................251. VI. Bouter l Anglois...................................275. VII. Ce Chien de Jean de Nivelle..................301. INDEX DES MONTMORENCY...............................316.

(Fac-similé)

(Fac-similé)

HISTOIRE DE LA MAISON DE MONTMORENCY INTRODUCTION L ÉCLAT DE LA MAISON DE MONTMORENCY est tel que son nom seul fait son éloge. On ne la voit sortir de la nuit des temps, que pour remplir les plus éminentes dignités de l État, pour s allier à presque toutes les maisons souveraines de l Europe. C est cette grandeur, attestée par l histoire et soutenue sans nulle interruption, depuis Hugues Capet jusqu à nos jours, qui détermina dans le siècle passé le savant André Duchesne à donner l Histoire généalogique de cette grande maison, ouvrage qui a toujours passé pour le chef-d œuvre du maître de l art ; c est en effet la généalogie la plus authentique, la plus claire, la mieux prouvée que l on connaisse, après celle de la maison royale. Il la commence à Bouchard I er, environ l an 950 de l ère chrétienne, et l amène jusqu en 1624, c est-à-dire jusqu à Pierre de Montmorency II e du nom, marquis de Fosseux, bisaïeul de monsieur le baron de 17

HISTOIRE DE LA MAISON DE MONTMORENCY Montmorency ; jusqu à François de Montmorency, comte de Bouteville, bisaïeul de monsieur le maréchal de Luxembourg ; jusqu à Jean de Montmorency, comte d Estaires, depuis prince de Robecq, bisaïeul de monsieur le prince de Robecq ; jusqu à Guillaume de Montmorency, vicomte de Roulers, bisaïeul de monsieur le prince de Montmorency ; jusqu à Gui-Urbain de Montmorency-Laval, marquis de Laval-Lezay, bisaïeul de monsieur le duc de Laval ; et enfin, jusqu à Gabriel de Montmorency-Laval, baron de La Faigne, cinquième aïeul de monsieur le comte de Laval, petitfils du dernier maréchal de Montmorency : ces six seigneurs sont les chefs des six branches actuellement existantes de la maison de Montmorency. D après l excellent ouvrage de Duchesne, il paraîtrait peut-être inutile et superflu de donner une nouvelle histoire de la maison de Montmorency ; mais comme cet écrivain s est plus attaché à la généalogie et aux alliances des Montmorency, qu à leurs actions, on a cru que le public verrait avec d autant plus de plaisir l histoire des hommes les plus illustres de cette maison, qu on y a ajouté celle de François-Henri de Montmorency, maréchal, duc de Luxembourg, l un des plus grands capitaines que la France ait produit. On proteste ici qu on se serait bien donné de garde de publier cet ouvrage, si les Montmorency n avaient été que de grands seigneurs, les premiers barons de France ; on ne l a entrepris que parce que la plupart de ceux qui ont porté le nom de Montmorency ont rendu 18

INTRODUCTION des services éclatants à la Patrie. Six d entre eux ont été honorés de l épée de connétable, onze du bâton de maréchal, quatre de la dignité d amiral : on ne parle point des grands-sénéchaux, des grands-maîtres, des grands-chambellans, des grands-bouteillers, des chambriers, des grands-panetiers, des chevaliers de Saint-Michel, de la Toison d or, de la Jarretière, du Saint-Esprit ; le nombre en est étonnant. Tout ce qu on peut ajouter, c est que l histoire ancienne et moderne n offre point de maison, dans quelque nation que ce soit, qui ait fourni à sa patrie plus de généraux et de défenseurs. C est ce qui faisait dire, il y a deux cents ans, au célèbre Ronsard, en parlant de cette maison : Cette race est sur toute la plus belle, Race héroïque et antique, laquelle, De père en fils guerrier victorieux, A porté son renom jusqu aux Cieux. Tel est le plan que l on s est prescrit pour jeter de l ordre et de la clarté dans cet ouvrage : on commence par donner la généalogie de la maison, et surtout des branches existantes aujourd hui ; on entre ensuite dans le détail des actions des hommes les plus illustres de la maison ; mais comme plusieurs ont paru en même temps sur la scène, on a jugé à propos, pour éviter la confusion, de rapporter à l article des chefs de la maison, en conservant avec soin les dates et les époques, tout ce qui est arrivé de plus intéressant dans les 19

HISTOIRE DE LA MAISON DE MONTMORENCY branches cadettes. On a suivi cet ordre jusqu à Jean II, baron de Montmorency, inclusivement. Personne n ignore que Jean, indigné de voir ses deux fils aînés dans le parti des ducs de Bourgogne, les exhéréda, et qu il transféra le droit d aînesse et la baronnie de Montmorency à Guillaume, son troisième fils. Ce Guillaume fut l auteur de la branche la plus illustrée de sa maison ; branche qui, après avoir donné, dans l espace d un peu plus d un siècle, deux connétables, quatre maréchaux, deux amiraux, deux grands-maîtres, cinq ducs et pairs de France, s est éteinte dans la maison de Bourbon-Condé. C est sous l article de Guillaume et de ses descendants, représentant les aînés de la maison, qu on parlera des Montmorency des autres branches qui se signalent le plus dans le même temps. On n avancera rien sans citer les auteurs originaux en note : on aura soin de choisir les plus connus et les plus estimés. Quant à l histoire particulière du maréchal de Luxembourg, plus approfondie, plus détaillée, parce qu elle approche plus de notre temps, on l a écrite sur les monuments authentiques que le petit-fils du héros, l héritier de son nom, de ses titres et de ses vertus, a fournis : ce sont des lettres de Louis XIV, de messieurs de Louvois et de Barbezieux ; on a profité de plusieurs morceaux que le Maréchal a lui-même écrits sur sa prison, sur sa disgrâce et sur plusieurs autres événements ; on a lu avec soin tous les ouvrages du temps, les historiens étrangers et nationaux ; enfin les mémoires de monsieur de Saint-Germain, gentilhomme attaché dès 20

INTRODUCTION son enfance au Maréchal, et l histoire des cinq dernières campagnes de ce général, donnée au public depuis quelques années, ont été du plus grand secours. Persuadé qu il ne peut y avoir de plus noble panégyrique des grands hommes, que leurs actions, on ne relèvera point, par la pompe du style et des expressions, les exploits des Montmorency. Le respect qu on doit à la vérité ne permettra de dissimuler ni leurs fautes, ni leurs défauts, ni leurs malheurs. Mais on dissipera avec force les nuages que la calomnie a répandus sur quelques-unes de leurs actions ; on s élèvera surtout, avec le courage que les intérêts de la vertu opprimée inspirent, contre les auteurs du mystère d iniquité qui forcèrent le maréchal de Luxembourg de se justifier des imputations les plus absurdes et les plus atroces ; quant aux épigrammes et aux chansons que l envie fit éclore contre lui, on les laissera dans l oubli où l Europe les a justement condamnées ; on dira seulement que Luxembourg et Turenne, qui fut lui-même l objet de la satire, ne répondirent à des épigrammes que par des victoires ; on ajoutera que la postérité ne parlera jamais qu avec respect de ces grands hommes, tandis que les auteurs des chansons et des satires ont laissé une mémoire odieuse, juste fruit de la méchanceté. Avant que de finir, on ne peut s empêcher de témoigner sa surprise d avoir vu répéter dans un livre 1, d ailleurs très intéressant, la harangue insensée et 1. L École Militaire. 21

HISTOIRE DE LA MAISON DE MONTMORENCY féroce qu un écrivain hollandais met dans la bouche du maréchal de Luxembourg avant son expédition de Woerden. Monsieur l abbé Raynal ignore sans doute que cet ouvrage a toujours été regardé comme une satire contre la nation française, et contre le maréchal de Luxembourg en particulier. L écrivain réfugié ne rend justice qu à la naissance et à la valeur du Maréchal ; il le peint d ailleurs sous les couleurs les plus noires et les plus fausses, jusqu à lui faire remercier Dieu de l avoir fait naître sans pitié, sans compassion, afin d être d autant plus capable de servir Louis XIV, et d exécuter ses projets. C est donner une étrange idée du Monarque et de son général. On ne dira rien du premier, dont le caractère est généralement connu ; quant au Maréchal, tous ceux qui liront cette histoire verront combien les écrivains hollandais en ont imposé au public, en représentant comme cruel et inhumain un général que le prince d Orange regardait lui-même comme plein de générosité et de grandeur d âme. Il est vrai que monsieur l abbé Raynal ajoute que les historiens protestants se sont toujours plu à charger le caractère du Maréchal. Mais n aurait-il pas mieux fait de laisser ensevelis dans l oubli des traits aussi faux qu injurieux? Quoi qu il en soit, nous nous applaudirons de nos recherches et de notre travail, si cette histoire peut paraître utile à la noblesse française qui s efforce de marcher sur les traces de nos grands hommes : Omnes boni semper nobilitati favemus, et quia reipublicæ utile est nobiles esse dignos majoribus suis, et quia valere debet 22

INTRODUCTION apud nos senes clarorum hominum de republica bene meritorum memoria etiam mortuorum. Cicero, Pro Sextio. En voyant réunies sous un seul point de vue toutes les grandes actions de leurs ancêtres, que les Montmorency jugent eux-mêmes de tout ce que l État est en droit d attendre de leur zèle, de leur courage et de leur application. La maison de Montmorency se perd dans l obscurité des temps. On a toujours cru, non seulement en France, mais dans toute l Europe, qu elle descendait du premier des Francs qui embrassa la religion chrétienne. Les uns attribuent son origine à Lisoie, général de Clovis, qui reçut le baptême après son maître 1 ; d autres la font remonter encore plus haut : ils prétendent que Lisbius, le plus noble et le plus puissant des Gaulois qui habitaient la province qu on appelle aujourd hui l Île-de-France, converti à la foi chrétienne par l apôtre saint Denis, et honoré avec lui de la palme du martyr, est l auteur de cette illustre maison 2 ; de là, ajoutent-ils, les bénédictions qui se sont multipliées sur sa nombreuse postérité, qui, depuis tant de siècles, a non seulement échappé aux guerres et aux révolutions qui en ont emporté tant d autres, mais qui s est maintenue dans un tel éclat, qu à la souveraineté près, il n y a point de marque de grandeur dont elle n ait été revêtue. 1. Robert Cenal, évêque d Avranches, Remarques gauloises, liv. I er ; Claude Fauchet, Premier président de la Cour des monnaies, Les Antiquités et histoires gauloises et françaises, liv. II. 2. Étienne Forcadel, Montmorency gaulois ; Mérula ; Anssel ; Du Verdier. 23

HISTOIRE DE LA MAISON DE MONTMORENCY Quoique les systèmes dont on vient de parler, et plusieurs autres 1, ne soient appuyés que sur des conjectures, il faut avouer qu ils donnent une idée bien respectable de l antiquité de la maison de Montmorency. Tout ce qu il y a de vrai, c est qu un héraut très versé dans la connaissance des antiquités françaises écrivait, sous le règne de Philippe IV le Bel, il y a plus de quatre cents ans, comme un fait connu de toute la nation : Montmorency premier chrétien de France, premier baron de France, premier seigneur de Montmorency que roi en France. C est ce qui faisait dire à un célèbre écrivain du dernier siècle, en parlant des Montmorency : La couronne n est pas plus ancienne sur la tête de nos rois, que la noblesse dans le sang de ces héros 2. Au reste, personne n ignore qu avant le règne des deux derniers Carolingiens, les Francs, comme tous les autres peuples de l Europe, n avaient d autre nom que ceux qu on leur donnait au baptême ; on ne les distinguait les uns des autres, que par des surnoms pris de leurs vertus, de leurs vices, de leurs actions ou de la conformation de leur corps ; cette confusion, jointe à la perte des vieux titres, a rendu l origine des plus illustres familles incertaine, enveloppée de nuages et d obscurités. 1. Forcadel, en son Montmorency gaulois, a attribué l origine de cette maison à Bouchard, l un des plus grands capitaines de Charlemagne ; d autres à un seigneur franc nommé Gui le Blond. Ce Gui, compagnon d armes de Charles Martel, tua, dit-on, dans une bataille, un roi maure de sa propre main. On ajoute qu en voyant tomber son ennemi, il s écria : «Voilà mon maure occis» ; et qu en mémoire de cette victoire, il bâtit un château qu il appela Mon-maure-occis, d où est venu ensuite le nom de Montmorency. Voyez Duchesne, p. 9. 2. Père Charles de La Rue, Oraison funèbre du maréchal de Luxembourg. 24

INTRODUCTION C est un avantage presque unique à la maison de Montmorency, de pouvoir prouver, par les chartes de nos rois, par les monuments de l Histoire, par les titres enfin les plus authentiques, une filiation de héros, d hommes illustres, honorés depuis plus de sept cents ans des premières dignités de l État 1. Nos historiens les plus anciens 2 ne parlent qu avec de grands éloges de la noblesse des Montmorency ; ils leur donnent presque partout la gloire d avoir été les plus vaillants chevaliers du Royaume, les plus preux, de meilleur conseil, les plus prisés et les plus aimés. Il faut 1. Bouchard, l un des plus illustres guerriers de son temps sous Hugues Capet et Robert ; Albéric, connétable sous Henri I er ; Thibaud, connétable sous Philippe I er ; Hervé, grand-bouteiller ; Gui de Rochefort, grand-sénéchal ; Hugues, son fils, grand-sénéchal sous le même prince et sous Louis VI ; Albéric, grand-chambrier ; Matthieu I er, connétable et époux d Alix de Savoie, reine douairière de France, sous Louis VII ; Hervé, connétable d Irlande ; Matthieu II, surnommé le Grand Connétable sous Philippe II, Louis VIII et Louis IX ; Matthieu de Marly, grandchambellan sous Philippe III ; Matthieu IV, amiral et grand-chambellan sous Philippe IV ; Érard, grand-échanson sous Louis X, Philippe V et Charles IV dit le Bel ; Bouchard, grand-panetier ; Charles, maréchal sous les mêmes rois, et grandpanetier de France sous Philippe VI, Jean II et Charles V ; Gilles de Laval, sire de Rais, maréchal de France sous Charles VII ; Jean II, grand-chambellan sous le même prince ; Guillaume, gouverneur de l Orléanais, chevalier de Saint-Michel sous Charles VIII, Louis XII et François I er ; Anne, maréchal, grand-maître et connétable de France sous François I er, Henri II, François II et Charles IX ; François, grand-maître, maréchal de France sous François II, Charles IX et Henry III ; Henri, maréchal de France sous Charles IX et Henri III, connétable sous Henri IV et Louis XIII ; Charles, colonel général des Suisses, amiral de France sous Henri IV et Louis XIII ; Urbain de Laval-Bois-Dauphin, comte de Sablé, gouverneur d Anjou, maréchal de France sous les mêmes rois ; Louis de Bouteville, vice-amiral ; Henri, comte de Luxe, aussi vice-amiral dans le même temps ; Henri II, amiral et maréchal de France sous Louis XIII ; François-Henri, duc de Luxembourg, maréchal de France sous Louis XIV ; Christian-Louis de Luxembourg, prince de Tingry, Claude- Roland de Laval et Charles-François, duc de Luxembourg, maréchaux de France sous Louis XIV. 2. Geoffroy de Villehardouin, liv. X ; Rigord, Vie de Philippe Auguste, etc. 25

HISTOIRE DE LA MAISON DE MONTMORENCY convenir aussi que le courage, la probité, l amour de la gloire et de la Patrie semblaient héréditaires dans cette illustre maison. Telle était la splendeur de cette puissante famille dans les temps les plus reculés, que ses chefs s intitulaient sires de Montmorency par la grâce de Dieu. Les vieilles chartes leur donnent les mêmes titres qu aux rois et aux souverains ; elles les appellent tantôt hommes nobles et illustres, hauts seigneurs du Royaume, princes, primats, palatins et barons. Personne n ignore que cette dernière qualité renfermait éminemment toutes les autres ; seuls les barons qui rendaient un hommage immédiat à la Couronne avaient séance dans le parlement de la nation : ils composaient ce qu on appelait la Cour du roi ou la Cour des pairs par excellence ; eux seuls étaient chargés, avec le prince, de l administration de l État ; ils ne reconnaissaient d autre supérieur que le roi. Les princes du sang, les ducs, les comtes et les évêques étaient également confondus sous le nom de barons. La qualité de baron était si éminente, qu on la donnait quelquefois aux rois : un ancien historien appelle Louis VIII baron ; Thibaud, roi de Navarre, est désigné sous le nom de baron. D après l éclat attaché au titre de baron, est-il étonnant que les Montmorency l aient longtemps préféré à ceux de primat, de palatin et de prince, dont nos rois les avaient souvent honorés? Mais il reste une difficulté à éclaircir : si les barons ou les vassaux immédiats de la Couronne étaient égaux 26

INTRODUCTION entre eux, pourquoi les sires de Montmorency sont-ils demeurés en possession du titre de premier baron? Entre plusieurs raisons qu on apporte d une distinction d autant plus éclatante, qu elle a toujours donné à la maison de Montmorency le premier rang parmi les familles les plus anciennes et les plus illustres du Royaume, voici celle qui paraît la plus vraisemblable. Tout le monde sait que, dans le temps de la décadence des descendants de Charlemagne, Robert le Fort, bisaïeul de Hugues Capet, s empara du duché de France ; les sires de Montmorency, qui jusqu alors avaient été vassaux de la Couronne, le devinrent du nouveau duc ; comme ils étaient les seigneurs les plus nobles et les plus puissants de la province, ils obtinrent sans peine le premier rang parmi les barons du duc de France. Au reste, ce n est pas seulement dans les états du Duc qu on voit certains seigneurs honorés d un titre si glorieux : dans le même temps ou peu après, les sires de Joigny obtenaient le même rang en Champagne, et les sires d Avaugour en Bretagne. Mais lorsque Hugues Capet parvenu au trône et ses successeurs eurent réuni à la Couronne les grands fiefs qui en avaient été démembrés, les barons de ces fiefs devinrent vassaux immédiats de la Couronne ; alors aucun d eux ne s avisa de disputer aux sires de Montmorency la qualité de premiers barons, dont ils étaient en possession : ils étaient les plus anciens vassaux immédiats de la Couronne. D ailleurs l attachement singulier que les Montmorency avaient voué à nos rois, la grandeur de leurs services, la 27

HISTOIRE DE LA MAISON DE MONTMORENCY splendeur de leurs alliances, la possession jamais interrompue des plus hautes dignités, et des biens immenses, leur donnaient à la Cour, et dans toute la Nation, un tel degré de considération, qu il n y avait presque point de famille qui pût entrer en concurrence avec la leur. Au reste, ce ne fut qu en 1390 que Jacques I er, sire de Montmorency, prit la qualité de premier baron de France ; mais il ne s intitula ainsi qu après avoir prouvé au Parlement qu il était en effet le plus ancien baron du Royaume 1. Depuis cette époque, nos rois n ont jamais cessé de leur donner ce titre. Henri II, en érigeant la terre de Montmorency en duché-pairie, reconnaît que c est la première baronnie de son royaume 2 ; François I er et Henri IV, en élevant Anne et Henri I er de Montmorency à la dignité de connétable, leur donnent le titre de premier baron de France 3. m 1. C était Jean Galli, le plus savant avocat de son siècle, qui portait la parole. 2. Duchesne, Preuves de l histoire de le maison de Montmorency, p. 285. 3. Ibidem, p. 305. 28

GÉNÉALOGIE DE LA MAISON DE MONTMORENCY

La Maison de Montmorency en 1764 d où sont issus :! Monsieur le baron de Montmorency, marquis de Fosseux, chef du nom et des armes de Montmorency, premier baron de France ;! Monsieur le duc de Luxembourg & de Montmorency, maréchal de France ;! Monsieur le prince de Robecq, comte d Estaires ;! Monsieur le prince de Montmorency, vicomte de Roulers ;! Monsieur le duc de Laval-Lezay ;! Monsieur le comte de Laval. Bouchard I er ( 978) Bouchard II ( 1020) Bouchard III ( 1042) Thibaud File Étoupe. Br. de Montlhéry, ét. en 1118. Albéric ( ~ 1065), connétable. Br. ét. en 1130. Thibaud ( 1090),, mort sans postérité. Hervé ( 1094), Geoffroy. Br. de Gisors, ét. en 1244. Matthieu I er ( 1160) Bouchard V ( 1189) Matthieu II ( 1230) Matthieu ( 1204). Br. de Marly, ét. en 1356. Bouchard VI ( 1243) Matthieu V ( 1306), mort sans postérité. Matthieu III ( 1270) Matthieu IV ( 1305) Jean I er ( 1325), Charles ( 1381), Jacques ( 1414), Bouchard. Br. de Nangis, ét. en 1402. Érard ( 1334). Br. de Conflans, ét. en 1423. Matthieu ( 1360). Br. de Bouqueval, ét. en 1461. Jean II ( 1477), Philippe, S. de Croisilles Jean ( 1477). Br. de Nivelle, ét. en 1570. Louis ( 1490), S. de Fosseux Guillaume ( 1531), Marc ( 1499), S. de Croisilles Roland ( 1506), S. de Fosseux Oger ( 1523), S. d Estaires Claude ( 1546), S. de Fosseux Pierre ( ~1582), S. de Fosseux Anne ( 1592), S. de Fosseux Pierre de Lauresse. Br. ét. au XVII e s. François ( ~ 1560), S. de Bouteville Henri II, dernier duc de Montmorency, décapité le 30-10-1632. Pierre II ( 1615), S. de Fosseux Anne-Léon, B. de Montmorency François. Br. de Châteaubrun, ét. en 1746. Charles-François, D. de Luxembourg Anne-Louis, P. de Robecq Louis-Ernest, P. de Montmorency

S. Sire B. Baron C. Comte D. Duc P. Prince Br. Branche ét. éteinte ~ vers mort en " mariée à Gui VII ( 1267), S. de Laval Gui VIII ( 1295), S. de Laval Gui IX ( 1323), S. de Laval André ( 1356), S. de Loué Gui X ( 1347), S. de Laval Jean, S. de Passy Br. ét. en 1387. Foulques ( 1360). Br. de Rais, ét. en 1474. Gui I er ( 1386), S. de Loué Gui XI ( 1348), S. de Laval Gui XII ( 1412), S. de Laval Thibaud ( 1433), S. de Loué Gui, mort adolescent. Anne, dame de Laval, " Jean de Montfort Gui II ( 1484), S. de Loué Thibaud. Br. de Bois-Dauphin, ét. en 1672. Jean, S. de Brée. Br.ét. en 1540. Hugues. Br. de Bours, ét. au XVIII e s. Maison de Montfort-Laval Pierre ( 1528), S. de Loué Gilles I er, ( 1556) Br. de Loué, ét. en 1590. Gui ( ~ 1536), S. de Lezay René I er ( 1496), S. de La Faigne Gui-André-Pierre, D. de Laval Gui-Marie-René, C. de Laval