NATALIA GONTCHAROVA (1881-1962) Portrait théâtral : dame au chapeau circa 1916 LA GALERIE ART XXI vous convie à venir découvrir sa nouvelle exposition: vingt-six œuvres sur papier et carton de la collection du peintre Leonardo Benatov (1899-1972) par Natalia Gontcharova (1881-1962) et Mikhaïl Larionov (1881-1964)
VINGT-SIX ŒUVRES EXCEPTIONNELLES DE NATALIA GONTCHAROVA ET MIKHAÏL LARIONOV La galerie Art XXI inaugurera le 26 mars 2009 une importante collection de vingt-six œuvres sur papier et carton par Natalia Gontcharova (1881-1962) et Mikhaïl Larionov (1881-1964), deux éminents artistes de l avant-garde russe qui partagèrent aussi bien leur vie que leur œuvre. Il s agit avant tout d une collection exceptionnelle par sa provenance très particulière puisque Gontcharova et Larionov en firent personnellement don au peintre Leonardo Benatov (1899-1972), lui aussi exilé à Paris depuis 1922, pour le remercier d avoir été leur mécène I. Cette nouvelle exposition suscitera par ailleurs l intérêt des amateurs d art par sa grande cohérence et par le nombre important de travaux de Gontcharova qui s y trouvent réunis, mais surtout parce qu elle reflète la richesse stylistique qui a caractérisé l œuvre de ces deux peintres. A travers les différents tableaux, datés de 1908 à 1925, c est en effet la quasi-totalité des mouvements artistiques ayant marqué leur carrière qui sont illustrés: le néo-primitivisme, le cubisme, le rayonnisme, le futurisme, etc... Le spectateur pourra également mieux saisir la perpétuelle quête de perfection et le sens du détail toujours associés à l art de Natalia Gontcharova II qui estimait devoir faire des séries entières de dessins préliminaires avant d entamer une œuvre: les deux études de Femme chevauchant un animal monstrueux, sans doute destinées au polyptyque Moisson, les portraits théâtraux ou encore les thèmes des Espagnoles et des Baigneuses soulignent bien la minutie et le caractère répétitif du travail de l artiste qui ne manque pas pour autant de parer ces simples œuvres sur papier ou carton de couleurs parfaitement somptueuses. Notons enfin que le sculpteur Leonardo Benatov sera présent au vernissage: il apportera sans nul doute un accent de passion et de vécu à la collection de son père. Quant à Maria Valyaeva (docteur en Histoire de l Art et chercheur en chef au département d Art Moderne de la Galerie Tretiakov), et Jean Chauvelin (l un des trois experts officiels pour Gontcharova et Larionov), ils se tiendront à la disposition de chacun pour les explications les plus érudites. I II Une copie de la lettre écrite le 25 octobre 1962 par Larionov à Benatov sera présentée au vernissage. PETROVA Y., Natalia Goncharova. The Russian Years, Saint-Petersburg, Palace Editions, 2006, p. 194.
NATALIA GONTCHAROVA (1881-1962) Promenade au bord de l eau circa 1910
NATALIA GONTCHAROVA (1881-1962) ET MIKHAÏL LARIONOV (1881-1964): BIOGRAPHIE CROISÉE Tous deux nés en 1881, Natalia Gontcharova et Mikhaïl Larionov se rencontrèrent en 1900 alors qu ils poursuivaient leurs études à l Ecole de peinture, sculpture et architecture de Moscou. Leur peinture, d abord impressionniste, s enrichit de la connaissance du fauvisme et du cubisme lors de leur voyage à Paris en 1906 1. De retour en Russie, ils redécouvrirent la richesse du patrimoine traditionnel russe: les icônes, les gravures populaires (appelées louboks 2 ) et les enseignes artisanales. Entre 1909 et 1912, ils exécutèrent plusieurs centaines d œuvres néo-primitivistes dont le sujet était la paysannerie russe et les minorités ethniques de Russie (la juive en particulier). Les thèmes chrétiens, et plus généralement religieux, dominèrent alors leur œuvre. Dans les années qui précédèrent la Première Guerre mondiale, ils se mirent à pratiquer l art abstrait en utilisant des images empruntées à l industrie, à la technologie et aux sciences qu ils exploraient en utilisant les techniques de la peinture cubiste et futuriste. Ils inaugurèrent aussi un nouveau style de peinture mis au point ensemble en 1912: le rayonnisme. Ce faisant, ils participèrent à toutes les grandes manifestations d avant-garde russes et internationales, ainsi qu à d innombrables expositions comme la première exposition moscovite du Valet de carreau (1910) ou celle du Cavalier Bleu à Münich (1912), etc... La notoriété de Gontcharova culmina en 1913 avec la grande rétrospective de son œuvre organisée à Moscou 3. En 1914, ils réalisèrent les décors du Coq d or de Rimski-Korsakov pour les Ballets Russes et cette commande transforma leur carrière. La même année, tous deux accédèrent à la plus haute renommée en exposant chez Paul Guillaume à Paris où Apollinaire les acclama 4. Les deux artistes furent aussi de grands illustrateurs: ils illustrèrent des recueils de poèmes, des journaux, etc. Ils imaginèrent même une nouvelle forme de livre: le livre-objet, un livre entièrement lithographié dans lequel le texte n était pas imprimé, mais écrit à la main 5. L un des exemples les plus connus est sans doute Les images mystiques de la guerre (1914). 1 Ils exposèrent au Salon d Automne sur l invitation de Serge de Diaghilev qui y organisait une exposition de peinture russe (Grand Palais, du 6 octobre au 15 novembre 1906). 2 PARTON A., Mikhail Larionov and the Russian Avant-Garde, New Jersey, Princeton University Press, 1996, p. 81. 3 Le catalogue énumère 800 œuvres et la Galerie Tretiakov en acquit même deux, suite à cette exposition. 4 OTTINGER D., Le futurisme à Paris : une avant-garde explosive, Paris, Centre Georges Pompidou, 2008, p. 254. 5 MARCADE J.-C., L avant-garde russe, Paris, Flammarion, 2007, p. 174.
NATALIA GONTCHAROVA (1881-1962) ET MIKHAÏL LARIONOV (1881-1964): BIOGRAPHIE CROISÉE (suite) Mais Gontcharova et Larionov avaient beau s être forgé la réputation de chefs de file de l avant-garde russe, la censure de leur pays ne leur laissait aucun répit 6. Ils décidèrent donc de quitter définitivement la Russie et c est ainsi qu ils arrivèrent, le 16 juillet 1915, à l hôtel Beau-Rivage de Genève où les attendait Diaghilev, le célèbre impresario des Ballets Russes. Ils deviennent alors ses principaux concepteurs de décors et de costumes et accompagnèrent la troupe en tournée à travers le monde, finissant par s installer à Paris en 1918. Leur travail de décorateurs de théâtre, dans lequel ils excellaient, fut pour eux une grande source de création, de succès et de profond épanouissement artistique jusqu à la fin de leurs jours 7. Gontcharova et Larionov participèrent régulièrement à partir de 1922 aux salons artistiques: Salon des Indépendants jusqu en 1931, Salon d Automne jusqu en 1933 et Salon des Tuileries jusqu en 1943. Les deux artistes furent également représentés à l étranger: ils exposèrent à Amsterdam, Londres, Berlin, Tokyo, New York, Milan, etc. L exposition Cubism and Abstract Art organisée par le Museum of Modern Art de New York en 1936 fut une consécration du rayonnisme et de son rôle dans l art abstrait. Toutes les œuvres exposées de Larionov ainsi que quelques œuvres de Gontcharova furent rachetées par le MoMA à l issue de l exposition et un ouvrage sur le rayonnisme fut même publié. A partir de cette date, les musées se mirent les uns après les autres à acheter les œuvres de Gontcharova et Larionov, ce qui constitua sans doute pour eux la meilleure forme de reconnaissance. A titre d exemple, la peinture Portrait de femme (1911-1912), dont on trouve un remarquable travail préparatoire dans l exposition de la galerie Art XXI, fut parmi tant d autres acquise par l Etat français en 1951 et se trouve aujourd hui au Centre Pompidou. Natalia Gontcharova et Mikhaïl Larionov finirent enfin par se marier à Paris en 1955. Soulignons encore qu une grande rétrospective de l œuvre de Larionov et de Gontcharova fut organisée à Londres par le Conseil d Art de Grande-Bretagne en 1961. Natalia Gontcharova s éteignit en 1962 et Mikhaïl Larionov en 1964. La cote de ces artistes rend aujourd hui un bel hommage à leur génie. En effet, si Mikhaïl Larionov bénéficie d un excellent classement 8, Natalia Gontcharova est quant à elle sacrée «femme peintre la plus cotée du marché» 9 avec une adjudication de 4 900 000 chez Christie s le 24 juin dernier pour sa nature morte Les fleurs, une huile sur toile de 1912 10. 6 A l occasion de l exposition individuelle de Natalia Gontcharova, organisée par la galeriste N. Dobytchina à Saint-Péterbourg en 1914, la police saisit par exemple 12 peintures à sujet religieux jugées blasphématoires. Le Comité central du parti communiste finira par dissoudre tous les groupements artistiques officiels en 1932 et le réalisme socialiste sera décrété tendance officielle de l art et de la littérature en 1934. 7 PARTON A., Natalia Gontcharova, œuvres sur papier, Paris, Galerie 1900-2000, 2007, p. 11. 8 Position de l artiste dans le classement par chiffre d affaires (1997-2007) : 211e (source artprice.com). 9 L AGEFI, Marché de l art, 25 juillet 2008 (source agefi.com). 10 Christie s King Street, 24 juin 2008, vente 7599, lot no. 65.
Un florilège de l avant-garde russe Les voies complexes, et parfois contradictoires, empruntées par la culture du XX e siècle ont vu ses acteurs être assaillis d évènements dramatiques, voire cataclysmiques. C est dans ce contexte que toute une pléiade de talentueux artistes russes durent s arracher définitivement à leur patrie, sans toujours parvenir à se refaire une place dans les milieux artistiques de leurs pays d exil. Les plus brillants et les plus doués d entre eux finirent malgré tout par acquérir une renommée mondiale. C est ainsi que quelques décennies en arrière, les noms de Chagall, Kandinsky, Larionov, Gontcharova, Pougny et Exter furent gravés en lettres d or dans l histoire de l art française et allemande. Ce n est qu après cela, et grâce aux revirements heureux de l histoire, qu ils finirent enfin par être reconnus en Russie où l on considère aujourd hui leurs œuvres avec fierté comme un apanage national des plus précieux. La plupart des émigrés qui avaient fui la Russie après la révolution de 1917 furent amenés à entretenir entre eux d étroites relations: ils se soutinrent les uns les autres et s entraidèrent pour parvenir à s adapter à la nouvelle réalité à laquelle ils étaient confrontés. Tels étaient les liens qui unissaient Larionov et Gontcharova (partis en en 1915 rejoindre Serge Diaghilev et sa troupe des Ballets russes en Suisse) à Leonardo Benatov (artiste russe d origine arménienne s étant exilé en Europe en 1922). Le nom de ce dernier est moins connu, mais sa contribution à la culture russe et à l art de l Ecole de Paris est pourtant tout à fait considérable. Avant de quitter la Russie, Levon Mikhaïlovitch Bouniatian créa en 1921, sous le pseudonyme de Leonardo Benatov, le groupe Bytié (Existence) qui réunit dans ses rangs de nombreux maîtres du début du XX e siècle et leurs élèves. Cette association permit à la vie artistique de subsister tant bien que mal dans les années vingt, en dépit de circonstances historiques extrêmement pénibles et malgré l occultation par l Etat de toute forme de créativité. Benatov lui-même était un peintre brillant, un coloriste qui brossa au cours de sa longue existence des centaines de portraits, de paysages et de natures mortes dans un style libre, expressif et profondément original. Il ne manqua pas de léguer ses dons à son fils Leonardo Benatov le Jeune, un sculpteur talentueux aujourd hui directeur artistique de la fonderie Valsuani. Tout comme son père, Leonardo Benatov continue à considérer que sa mission, parallèlement à son travail d artiste, est de sauvegarder et de populariser l héritage d autres artistes russes. Les Benatov ont du reste toujours conservé des archives ainsi que des œuvres de Mikhaïl Larionov, de Natalia Gontcharova et de Philipp Maliavine, avec qui ils avaient des liens de parenté. L une des meilleures toiles de Maliavine, Les Paysannes, qui orne les cimaises de la galerie Tretiakov, provient d ailleurs de la collection de la famille Benatov. La galerie Art XXI consacre aujourd hui sa nouvelle exposition aux œuvres de Larionov et de Gontcharova léguées en signe de reconnaissance à Leonardo Benatov père, et au domicile duquel elles furent longtemps conservées. Vingt-six tableaux (huiles, gouaches et aquarelles) illustrent l apogée de l épanouissement créatif des deux artistes, que l on situe entre 1910 et le début des années 1920. L exposition porte principalement sur les œuvres de Gontcharova, au nombre de vingt-quatre. Les deux aquarelles de Larionov figurant dans la collection revêtent quant à elles une grande importance et reflètent les préoccupations fondamentales de son activité artistique: la mise en forme théâtrale et la peinture de chevalet. Le portrait Femme au chapeau, grande esquisse d une célèbre peinture à l huile du Centre Georges Pompidou, est particulièrement intéressant. Les lignes, dont l entrelacement laisse deviner la silhouette d une femme assise, se détachent de manière évanescente sur le fond blanc du papier, ébauchant un croquis élégant aux formes à la fois arrondies et brisées.
Un florilège de l avant-garde russe (suite) Exécuté vers 1911, ce portrait annonce en effet la conversion de Larionov au rayonnisme, l une des premières expériences d art abstrait. Inventé par Larionov, le rayonnisme a naturellement conquis Natalia Gontcharova, sa compagne dans l art comme dans la vie; mais celle-ci en a moins appliqué les principes pour satisfaire une aspiration à s abstraire de la matière et à dissoudre cette dernière dans des rayons de lumière conventionnels, que pour en tirer une méthode originale de décomposition énergique des formes en lignes et en plans. Ainsi, les compositions rayonnistes de Gontcharova soulignent avant tout la structure de la représentation. Leur dynamisme n est ni fébrile ni éphémère comme chez Larionov, mais plutôt tumultueux et expressif. Parmi les œuvres rayonnistes présentées dans cette exposition, on compte quelques paysages, une nature morte aux fleurs et une variante des Espagnoles. L influence du rayonnisme se perçoit également dans les deux versions de la composition apocalyptique Femme chevauchant un animal mythique. L un des thèmes favoris de Gontcharova était celui des Espagnoles. Abordant ce thème à la fin des années 1910, après avoir travaillé à l élaboration d une mise en scène théâtrale des Rhapsodies espagnoles sur la musique de Maurice Ravel, l artiste a consacré de longues années à la création d un cycle de portraits de femmes espagnoles en grand apparat, stylisées de façon décorative et parées d accessoires festifs. De nombreuses compositions de ce type, et parmi elles celles qui figurent dans cette collection, démontrent avec éclat l aptitude de Gontcharova à synthétiser harmonieusement dans une même toile l image, la construction et le décor ornemental. La sélection des œuvres retenues pour l exposition a été réalisée avec un esprit de finesse et de méthode conceptuelle approprié. L un des motifs inhérents à Gontcharova, le modèle féminin, y est notamment représenté dans toute l impétuosité de son évolution: depuis la brutalité primitiviste qui se dégage de la silhouette de Paysanne dansant, au géométrisme de Torse de femme; du lyrisme à la naïveté fervente de La famille juive, au raffinement plutôt froid et à la sveltesse plastique des Baigneuses. Au début comme à la fin de sa carrière, Natalia Gontcharova a trouvé l inspiration dans la représentation des fleurs. Elle peignait ses célèbres bouquets dans un transport d émotion empreint d un sentiment de spontanéité et d un profond ravissement devant la beauté. La nature morte aux coquelicots dans un vase de verre (Vase de fleurs) est sans conteste le véritable bijou de l exposition: l accord musical aux notes stridentes qui s en dégage couronne avec effet cette collection, petite par le nombre d œuvres, mais grande par la variété de ses choix artistiques. Maria Valyaeva Docteur en histoire de l art et chercheur en chef au département d art moderne Galerie Tretiakov Moscou
NATALIA GONTCHAROVA (1881-1962) Torse de femme (étude pour la gravure du Bauhaus) 1918-1920 Genève - Villars 14, Rue Kléberg 1201 Genève 022 732 63 88 076 369 61 17 www.galerieart21.ch