Thomas Briatte Des histoires et des vies 2
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Préface Comme un livre, chaque page de notre vie se tourne page après page. Souvent à notre propre initiative. Un changement de carrière, la naissance ou la fin d une relation, toutes ces choses sur lesquelles nous avons la volonté d agir. Il y a aussi ces pages tournées par la vie elle-même. Certains pensent que c est un dieu, d autres que c est le destin. Des pages de notre vie tournées par une volonté supérieure, qui provoque notre bonheur ou notre malheur. Des accidents de voitures desquels certains réchappent indemnes et desquels d autres survivent, mais en fauteuil roulant ou dans le coma. Dans d autres cas, c est la dernière page qui est tournée. Ainsi, cette volonté supérieure est capable de laisser la vie sauve à un enfant qui fait une chute de douze mètres, et de laisser mourir un autre enfant tombé du haut de son lit superposé. Et tout ça dans quel but? Peut-être que lorsque notre dernière page est tournée, on nous laisse voir l épilogue de notre vie afin de pouvoir mieux vivre notre tome suivant. C est 2 3
en tout cas ce que j aime à croire. Que chaque événement de notre vie serait écrit dans un livre, et que chacun de ses livres de nos vies passées soit conservé dans la bibliothèque céleste de notre esprit. Notre histoire prend donc des chemins différents selon celui qui tourne les pages. La vie, nous et parfois une personne. Celle à qui on décide de remettre notre livre, de confier notre vie. Cette personne a un pouvoir sur nous et influence notre histoire. Alors que vous commenciez à écrire que vous partez vivre seul à l étranger, cette personne tourne la page, écrit que vous restez et fondez une famille. A vous de tourner une page, d écrire «changement de travail», «achat maison», «peindre la chambre de bébé en». La vie prend le relais, tourne une page et écrit «bleu» ou «rose». On peut croire au destin, penser que ce qui nous arrive n est pas dû au hasard. Mais penser que tout est écrit à l avance, c est se leurrer. Les pages s écrivent au fur et à mesure, on ne tombe pas sur une page préremplie à un moment donné. La vie suit son cours et est imprévisible, et elle-même n est pas en mesure de prévoir ce qui va arriver. Comment pourrait-on tomber sur une page où il est écrit «Germaine m a plaqué» si toutes les pages écrites avant ne nous ont jamais fait rencontrer cette Germaine? La vie avance avec nous, influence notre histoire, mais elle ne prend pas d avance sur nous. Voilà ce que je crois. 24
Vie N 1 : Juste pour une nuit Nous nous sommes donnés rendez-vous dans un hôtel, non loin du centre ville, à 20h. Je suis dans la chambre depuis 19h30, je fais les cents pas en t attendant mais je ne sais pas si cela est dû au stress, au trac, à la peur ou simplement à l excitation. Il est 20h, mon cœur s emballe lorsque j entends frapper à la porte. L émotion est forte lorsque je te découvre enfin. Tu es absolument magnifique, et tes yeux fuyants trahissent la même sensation que la mienne, ce qui me rassure. Je te prends la main et t invite à entrer, puis je pose ma main délicatement sur ta joue comme pour te dire que tu es en sécurité avec moi, que je prendrais soin de toi comme la fleur douce et délicate que tu es. Après un court moment plongé dans tes yeux, je me décide à t embrasser. La passion qui sommeillait en nous se réveille alors. Nous oublions que nous sommes deux inconnus et 2 5
nous nous laissons aller. Tu me pousses en arrière, me faisant tomber sur le lit. Tu t installes sur moi et commences à déboutonner ma chemise pour découvrir mon corps imberbe et musclé. Tu y déposes de doux baisers, ce qui me fait frissonner de plaisir. Je me redresse pour te serrer contre moi, je passe mes mains dans tes cheveux et t embrasse dans le creux de l épaule. Je ne peux plus résister à la tentation de caresser ta peau, je dois enlever le moindre de tes vêtements. Je m y prends délicatement et je prends mon temps. Je te découvre petit à petit alors que je meurs littéralement de voir les trésors que tes vêtements cachent. Après un combat acharné, et dans notre quasi-nudité, tu es allongée sur le lit et je suis légèrement penché sur toi, préoccupé par les derniers petits détails qui te couvrent encore. Je me délecte de ton corps par de langoureux baisers. Je laisse ma langue arpenter chaque parcelle de ta peau, pour arriver sur le dernier morceau de tissu qui te sépare d une totale nudité. Nos mains parcourent nos corps, chacune de nos caresses cherchant à explorer la moindre parcelle de la peau de l autre. Le désir est à son comble, nous ne pouvons plus jouer d avantage, la raison ne commande plus nos actes, nos regards se croisent et nous savons que nous allons faire l amour à cet instant. Je ne détourne pas mon regard du tien au moment où je glisse en toi, je veux voir tes yeux se plisser de plaisir à mesure que j avance, et en me regardant, tu vois l extase se 26
dessiner sur mon visage. Nous ne faisons qu un, nos corps ainsi mêlés n ont plus de frontière. La chaleur qui nous englobe forme un havre dans lequel le temps et tout ce qui nous entoure n ont plus d importance. Il n y a que nous. Nous ne sommes plus des inconnus mais deux amoureux s aimant le temps d une nuit. J obéis à la moindre de tes demandes, je suis chacune de tes instructions pour te donner tout le plaisir dont je suis capable, et c est avec ardeur, dans un élan passionné, que nous atteignons ensemble le paradis. Nous recommencerons encore et encore, jusqu à ce que nos corps demandent grâce. Nous finirons dans les bras l un de l autre, les yeux dans les yeux, nous parlerons jusqu à ce que le sommeil nous emporte. Au matin, je me réveille alors que tu dors encore et je te regarde. Tu sembles sourire aux anges qui traversent tes rêves, peut-être suis-je l un d entre eux. Tu ouvres les yeux, c est comme un lever de soleil, ton sourire illumine ton visage, je t embrasse sur le front, tes lèvres cherchent les miennes, nous nous enlaçons et faisons l amour une dernière fois. Le doux soleil du matin m éblouit, mais bien moins que tes yeux qui semblent s emplir de tristesse. Quelque chose s était passé dans cette chambre d hôtel, quelque chose de magnifique qui laisserait sa trace dans notre mémoire sans doute pour toujours. Mais il en était convenu ainsi, une nuit et rien de plus, une seule nuit, peut-être celle de notre vie. Mes mains ont encore la sensation qu a laissée ta peau, mon cœur 2 7
bat encore au rythme du tien et à ce moment, toutes mes pensées sont pour toi. Nous sortons, je ferme la porte sur le doux rêve qui vient de s achever, je te prends la main juste le temps de te raccompagner à ta voiture. Ce moment est déchirant, plus que je ne l aurais imaginé. Je dois faire appel à toute ma volonté pour ne pas te retenir un peu plus longtemps, pour détourner mon regard du tien et pour ne pas demander à te revoir. Une nuit et rien de plus, une seule nuit. Mes doigts glissent douloureusement de ta main pour enfin te laisser partir, et dans un ultime baiser, je te dis au revoir. Je reste là un moment, je te regarde t éloigner et je pense. Je pense que je viens de passer la nuit la plus magique de ma vie, je pense que tu seras ma plus belle aventure et je pense que je ne t oublierai jamais. Plusieurs années ont passé depuis. Je suis marié, j ai un enfant et je me sens heureux. Mais dans des moments d égarement, où la solitude ou la tristesse me gagnent, je me souviens de cette nuit passée avec une inconnue que j ai aimée, avec la plus grande intensité. Le temps d une nuit et rien de plus, une seule nuit. Lors d une journée comme les autres, à l occasion d une promenade avec ma femme et mon enfant, mon regard se pose sur une femme, accompagné de son mari et de leurs deux enfants. Elle a l air heureuse. Nos regards se croisent et soudain, je me rends compte que c est toi, et à en juger par ton expression, tu m as reconnu aussi. Nos souvenirs 28
refont surface et nous échangeons un sourire. Nous savions que quelque chose s était passé cette nuit-là, quelque chose de beau. Mais nous ne pouvions nous adresser le moindre mot, il en était convenu ainsi, c était juste pour une nuit et rien de plus, une seule nuit. Celle de notre vie. 2 9
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