Emmanuel Ngona 25 ans de vie missionnaire 1989 Toulouse 2014 Rome «Pas comme un long fleuve tranquille mais comme en dents de scie» C est une joie et une grâce pour moi de marcher à la suite de Jésus Christ Ressuscité depuis mon baptême en général et en particulier, pendant 25 ans, comme missionnaire de l Evangile, avec les confrères, les chrétiens et les musulmans que le Seigneur a placés sur ma route. Cette marche n a pas été rectiligne pour moi, mais a été comme en dents de scie avec des moments lumineux mais aussi des moments ténébreux et sombres : deux mots la résument : action de grâce (comment rendrai-je au Seigneur tous les biens qu il m a fait) et pardon (la force du pardon du Seigneur pour moi : il m a aimé et s est livré pour moi (Galates 2, 20). En 25 ans de vie missionnaire : j ai vécu dans 7 communautés différentes et mon parcours missionnaire se résume en 4 temps : Temps de trouver ma route comme disciple missionnaire de Jésus Christ (1990 à 1996), Temps d enracinement au Niger (1996 à 2002), temps d apprendre ce qu est le leadership aujourd hui dans un monde en fuite (2002 à 2008) et temps de l imprévu de Dieu de 2008 à aujourd hui. 1. D abord trouver ma route comme missionnaire : sur la photo souvenir de mon ordination, j avais écrit : «la Mission c est de se savoir aimé de Dieu et d avoir envie de le dire». C est cette envie de dire que Dieu en Jésus Christ aime tout homme qui m a conduit au Niger le 18 octobre 1990, quelques semaines après mon ordination presbytérale le 22 août 1990 en RD Congo, dans ce nouveau pays que je ne connaissais pas encore : le Niger. Je me suis retrouvé à 420 km de la capitale Niamey, à Birnin Konni, milieu islamisé presque à 100%... Trois confrères et un stagiaire pour une vingtaine des chrétiens. Quel choc? En plus, les deux premières années, certains musulmans étaient intolérants : quand nous prions, ils venaient faire beaucoup de bruit devant notre petite Eglise ou on trouvait des excréments à l entrée de notre Eglise, un autre voulait m arracher ma croix au marché, Je me suis mis à apprendre la langue locale et la culture «hausa», à aller vers les voisins, à rencontrer les jeunes par le biais du sport : les premiers
contacts étaient toujours comme un interrogatoire : «tous les africains sont musulmans et pour quoi tu es chrétien, cette religion de blancs? Pourquoi tu n es pas marié? Avec qui as-tu des relations sexuelles? Jésus n est pas fils de Dieu? Comment pries-tu? Combien de fois par jour? La vraie religion est l islam. Comment jeûnes-tu? Reconnais-tu Mahomet comme prophète? Toutes ces questions m ont aidé à approfondir ma foi, mon attachement et enracinement en Jésus qui est la lumière qui éclaire tout homme Après 3 ans, j ai commencé à trouver ma route car chaque jour j allais vers les musulmans lors des joies et des peines. J allais aussi échanger avec les fonctionnaires car le souffle démocratique commençait à ce moment. Il faut dire que j ai aussi beaucoup lu sur l Islam en général et surtout l islam au Niger en particulier. Pendant le mois béni de Ramadân, je faisais le tour des mosquées le soir pour écouter les prêches au milieu des musulmans en langue hausa. Cette sortie pour aller vers les musulmans a eu un impact positif sur la petite communauté chrétienne car elle a abouti à introduire la langue locale (hausa) pour la célébration eucharistique malgré la réticence de notre minorité chrétienne d origine béninoise ou togolaise. Finalement, l autre différent de moi par sa religion, sa manière de vivre m a enrichi pour approfondir avec eux, les valeurs des béatitudes : la paix, la justice, la douceur, la pureté, l amour sans frontière, essayer d être un frère universel, le pardon reçu et donné nous avons démarré ensemble de centres d alphabétisation, une librairie, des groupes JEC et JOC, des visites entre les leaders religieux lors de différentes fêtes j ai eu à accompagner trois couples mixtes Qui sont devenus aujourd hui des foyens chrétiens. Les six ans à Birninkonni m ont permis de m attacher à Jésus, à respecter l autre différent de moi car son visage aussi me révèle Dieu et à me passionner pour l analyse sociopolitique car c était le début du vent de démocratie qui soufflait. J ai aussi appris par le dialogue de vie et d amitié surtout à entrer en contact avec les musulmans car le dialogue par les œuvres sociales et les échanges spirituels sont venus dans mon parcours par la suite de nos rencontres. Je me voyais plus comme étant au service du Royaume : Cherchez d abord le Royaume de Dieu et sa justice, le reste viendra après. Etre proche des chrétiens, des musulmans, des fonctionnaires, des jeunes et des villageois c était ma joie. La joie d être devant Dieu en silence avec le vécu quotidien qui m habite, d être avec les gens, a grandi dans mon cœur et c était la source de ma force intérieure et de ma détermination de continuer à être une prédication vivante de l Evangile au milieu des gens. Etre humain dans toute situation est la clef pour respecter tout homme, pour écouter et prêter attention à chaque personne. C est seulement dans cette perspective qu un vrai dialogue dans la réciprocité et la vérité est possible. 2. Puis est venu le temps d enracinement au Niger : d abord par l étude de trois ans à Paris où j ai travaillé sur la «conférence nationale souveraine du Niger, étape vers la démocratie ainsi je me suis familiarisé avec les réalités sociopolitiques du Niger, les différents acteurs politiques, les leaders religieux, les différents groupes ethniques, l omniprésence de l Islam au Niger, les différentes Eglises
chrétiennes et les ONG qui y interviennent Le Niger m était devenu familier. Je me sentais prêt à y vivre longtemps car la durée dans le temps est un facteur important si l on veut assurer une présence parlante dans un milieu imprégné de l Islam depuis le 11 ème siècle. Puis, je suis retourné à Zinder, deuxième ville du Niger avec une communauté chrétienne constituée de 200 pratiquants sur une population de plus de 300.000 habitants c est là que j ai déployé mes énergies pour le dialogue interreligieux, l œcuménisme au quotidien avec les 5 églises protestantes allant du pentecôtisme jusqu à l évangélique, animant des sessions sur le dialogue islamo-chrétien, les droits de l homme et la Charia... J ai trouvé une place au sein d un collectif d'ongs locales et internationales qui menait des actions de développements divers. L engagement de JPIC m a ouvert le chemin de la Prison de Zinder ainsi que d un groupe d'enfants de la Rue qui a démarré, et d une association de personnes vivant avec le Sida. Nous avons lancé un club de Basket-ball pour les jeunes, et continuer avec le mouvement scout pour les chrétiens et musulmans, sans oublier l animation de notre petite communauté chrétienne pour la rendre «vivante, solidaire, missionnaire et ouverte à tous». Nous avons eu la joie de nous occuper des sœurs de St Joseph de Cluny qui sont venues à Zinder pour s installer et lancer des œuvres sociales (écoles, dispensaires et visites dans les villages environnants) et aussi de développer une collaboration très fraternelle avec les Sœurs de l Assomption. Ce fut aussi l occasion pour moi d apprendre à être leader : curé de cette grande paroisse, vicaire épiscopal, Responsable du secteur Niger pour les Missionnaires d Afrique ainsi que responsable de la commission nationale de Liturgie. Une de mes passions était d animer une émission à la radio privée «Amfani», destinée aux chrétiens et musulmans à partir des questions qu ils se posent, sans oublier l évangile de chaque dimanche j acceptais même les débats publics sur les faits de la société avec les autres leaders religieux. Au même moment la prière personnelle, la lecture de la Bible et du Coran m ont enrichi pour comprendre ma foi et le milieu islamisé de Zinder. Tous ces engagements ainsi que des interrogations diverses m ont aidé à approfondir mon identité chrétienne ainsi que la nécessité d'étendre partout la présence de l Evangile, c est-à-dire de Jésus Christ Ressuscité. Oui, Dieu nous a bénis à Zinder en nous donnant une bonne communauté de missionnaires d Afrique dans laquelle les difficultés rencontrées trouvaient toujours une solution communautaire. Il faut aussi souligner l'excellente collaboration avec trois congrégation de religieuses : Sœurs de l Assomption, Sœurs St Joseph de Cluny ainsi des Petites Sœurs de Jésus. Cette proximité entre les prêtres et les religieuses ont eu un impact très positif sur notre paroisse. Nous avons bâti ensemble une Eglise famille dans laquelle les joies et les douleurs étaient vécues ensemble dans la communion du cœur. Personnellement, j en ai fait l expérience en 2003 lorsque j ai perdu 13 membres de ma
famille dont mon papa et ma maman dans la guerre interethnique en Ituri (RD Congo) : la communauté chrétienne de Zinder (protestants et catholiques) et les musulmans m ont soutenu et apporté leur sympathie et leur prière. Pour moi, la parole de Job face à la douleur de souffrance : "Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris. Que son nom soit béni", et aussi la parole de Jésus sur la croix : "Père, pardonne leur car ils ne savent pas ce qu ils font " m ont redonné la force spirituelle, la détermination d aller avec plus de zèle dans mes activités missionnaires en me donnant totalement et sans retenue au service des valeurs du Royaume de Dieu à Zinder : «Il n y pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu on aime». Cette période très sombre pour moi m a ouvert le temps de grâce du Pardon donné ainsi que la confiance sans limite à Jésus Christ qui est devenu chaque jour pour moi, le chemin, la vérité et la vie à proposer à tous. Oui rien n arrive au hasard et chaque événement de ma vie depuis mon enfance jusqu'à aujourd hui : joies, tristesses, trahison, tout contient un message divin pour moi et m invite à aller chaque jour au large pour atteindre l autre rive. L essentiel pour moi est et reste selon l exhortation de St Pierre : «soyez prêts à défendre l espérance qui est en vous dès que quelqu un vous demande vos raisons. Mais faites le toujours avec calme et respect puis que vous avez une bonne confiance" (1Pierre 3,15-16) Cette expérience si passionnante, si riche, mais également si pleine de défis durant six ans, j aurais aimé encore la poursuivre quelques années mais c était sans compter avec celui que je sers et qui m a envoyé. Voici, ce que je disais aux chrétiens et aux hommes de bonne volonté avant de quitter Zinder en 2005: «vous le voyez bien, j aurai pu trouver mille raisons à avancer pour rester ici au Niger, mais je suis un missionnaire, c est-à-dire un envoyé de Dieu comme Jésus Christ. Je ne suis pas là pour faire ce que je veux mais ce que le Seigneur veut de moi : il me demande de quitter le Niger, de quitter toutes ces personnes que j aime ici, de laisser tout ce que nous avons entrepris ensemble et d aller là où il m indiquera, il marchera avec moi. Je lui fais confiance car sa mission continuera à Zinder et il me devance déjà là où il m envoie» 3. Oui ce temps d enracinement au Niger pendant une bonne douzaine d année fut suivi par la participation au leadership de la société : en effet en mai 2005, je fus nommé Vice provincial pour le Burkina, Côte d Ivoire, Niger et Togo avec résidence à Ouagadougou. J ai formé une équipe provinciale solide avec Theo Caerts avec qui nous avons appris à nous connaitre, à nous accepter et à travailler ensemble dans la confiance mutuelle, l estime Theo Caerts et Emmanuel
réciproque, dans l unité et la vérité. J ai beaucoup appris de sa longue expérience dans l administration des Missionnaires d Afrique. Nous avons eu à prendre de décisions difficiles ainsi qu à mettre toutes nos énergies avec l équipe provinciale du Mali pour aboutir à cette grande province francophone de l Afrique de l'ouest.c était une joie pour moi de travailler dans la vigne du Seigneur dans les domaines de JPIC et de dialogue/rencontre, de découvrir les familles de nos candidats ainsi que des confrères burkinabé. La vie dans notre communauté de la maison provinciale était familiale, avec beaucoup de temps de prière Une communauté ouverte pour accueillir les confrères, l hospitalité y était vécue comme une valeur évangélique. Cette fonction m a permis de mettre plus en valeur ma formation de Paris et de développer la technique d écoute attentive ainsi que la technique de la communication non-violente. Ainsi ces trois années ont passé très vite et j ai déployé toute mon énergie intérieure pour ce service d écoute, d animation et d attention aux confrères et aux réalités des églises locales où nous sommes. Ainsi, après ces trois ans, j ai demandé une année sabbatique car nous avions réussi avec tous les confrères ainsi que les deux équipes provinciales du Burkina et du Mali à donner naissance à la province de PAO. Donc, je pouvais prendre cette année sabbatique dans la paix et retourner à la base au Niger. Mais hélas, il fallait un Recteur pour notre premier cycle de Ouagadougou qui accueille les candidats de plusieurs congrégations Ce service me fut proposé. Adieu donc à mon année sabbatique mais pas à la retraite de 30 jours car je sentais le désir ardent à me ressourcer pour la suite de ma vie missionnaire. Cela me fut accordé et je l ai vécue à Manresa (Banlieue de Paris). Ce fut pour moi trente jours de grâce, de bénédictions. C était une retraite de 30 jours, personnalisée adaptée à l itinéraire humain et personnel de chacun. J y suis entré de tout mon cœur en m ouvrant totalement à mon accompagnateur dans le souci de découvrir ce que le Seigneur veut faire de moi à cette étape de ma vie (49 ans à ce moment) La lumière m est venue suite à la méditation, à la contemplation et à la rumination de l annonciation à Joseph (Matthieu 1, 18-24) : Joseph est allé d imprévu en imprévu : sa fiancée tombe enceinte avant d avoir habité ensemble, il est obligé de fuir en Egypte pour sauver l enfant Jésus (Mt 2, 13-14), puis il doit retourner à Nazareth (Mt 2, 19-23). 4. L imprévu de Dieu qui déroute mais qui invite à vivre le présent à 100% comme si chaque jour était son dernier à vivre sur cette terre de Dieu et des hommes. C est ainsi que je suis entré dans une série d imprévus : comme Recteur, je n y avais jamais pensé mais je sais que ma formation pédagogique faite à l école normale à Kilo (RDC) sous la direction des missionnaires d Afrique m a donné des valeurs solides pour être un éducateur. Je me suis mis avec une générosité du cœur pour ce nouveau service en travaillant très dur, en lisant et en étant ouvert à accueillir et à apprendre de mes confrères, des candidats ainsi que
d autres acteurs impliqués dans cette grande institution. C était une bonne expérience que de participer à la formation des futurs missionnaires, de leur enseigner et d essayer de vivre déjà avec eux cet idéal missionnaire. Mais malheureusement, en mai 2009, j ai été nommé Provincial de l Afrique Centrale après la consultation auprès des confrères Nouvel imprévu! Oh, notre Dieu de Surprise Alors, j ai quitté cette expérience si passionnante de la formation qui m attirait pour me retrouver dans ma province d origine comme premier provincial africain depuis l arrivée des missionnaires d Afrique en Afrique Centrale. Donc c est une fonction qui a du poids en Afrique Centrale. Mais j ai pris cela avec humour et sourire tout en donnant le meilleur de moi-même pour visiter, écouter et encourager les confrères à garder l espérance dans un monde de violence, de cruautés de toutes sortes et aussi de générosités et de solidarités très fortes dans cet environnement de lutte.. J'ai pu voir toutes les merveilles que le Seigneur réalisait à travers la petitesse de mes confrères dans un environnement hostile à l homme. Oui, l homme peut être un loup pour l homme. L amour de l autre, le pardon mutuel et les Béatitudes doivent trouver leur place dans le cœur de chacun pour que chaque homme soit un frère, un père et un ami pour chaque homme Le Christianisme de surface n apporte que du mal quand on doit se décider pour ou contre Jésus dans des situations très concrètes. Ce travail d écoute, d attention et d animation des confrères dans un contexte de violence m a donné beaucoup d énergie pour aller, visite, prier patienter, mais malheureusement, c était aussi l année des préparation de Chapitre général de 2010 Nous avons mis tout notre cœur pour le préparer afin de partager avec le reste de la Société les réalités socioculturelles difficiles que les confrères vivaient en Afrique centrale tout en essayant d être des signes d espérance. Mais je m étais interdit formellement de rester à Rome quoi qu il arrive car l aventure que je venais de commencer à vivre comme provincial de l Afrique centrale me passionnait et je souhaitais aussi à travers ce service partager mes 19 ans d expériences de l Afrique de l Ouest avec les églises locales de l Afrique centrale. Alors, le Dieu de surprise s est mis sur ma route pour me proposer autre chose que mon plan prévu qui était de retourner au Congo je me suis retrouvé à Rome depuis 2010 pour cette nouvelle expérience au sein du Conseil général je vous en parlerai à une autre occasion.
Je dis tout simplement Merci à Dieu de m avoir accompagné ou porté tout au long de 25 ans de vie missionnaire Si c était à recommencer, je recommencerai sans hésiter. Pour finir, je reprends à mon compte ce mot de l apôtre Paul (Ph. 3, 13-14) : «oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l avant, tendu de tout mon être et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus». Ngona Emmanuel Voir son Jubilé à Bukavu RD. Congo