LA DEFENSE DEVANT LES JURIDICTIONS PENALES INTERNATIONALES



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Transcription:

LA DEFENSE DEVANT LES JURIDICTIONS PENALES INTERNATIONALES PAR François ROUX Depuis Nuremberg jusqu au Tribunal spécial pour le Liban, la défense devant les tribunaux pénaux internationaux a subi une évolution considérable. Elle s est peu à peu organisée et institutionnalisée, de sorte que des bureaux de la défense s inscrivent progressivement dans le portrait de la justice pénale internationale. Cette brève présentation vise à discuter les principaux défis auxquels font face les avocats de la défense devant les juridictions pénales internationales et l apport des bureaux de la défense, qui se développent peu à peu pour assurer le respect du principe de l égalité des armes et du droit au temps et facilités nécessaires pour préparer une défense. LES PRINCIPAUX ENJEUX DE LA DÉFENSE DEVANT LES JURIDICTIONS PÉNALES INTERNATIONALES La défense d accusés de génocide, crimes contre l humanité, crimes de guerre, voire de crime liés au terrorisme devant des tribunaux pénaux internationaux diffère à plusieurs égards de la pratique nationale et représente, pour un certain nombre de raisons, un défi de taille pour les avocats. Tout d abord, il s agit de dossiers particulièrement complexes en ce qu ils impliquent généralement des faits particulièrement odieux et s étalant dans le temps, plusieurs auteurs et victimes, ainsi que des actes qui se sont déroulés dans un contexte anarchique et où l enquête n intervient pas immédiatement après la survenance des faits mais des années, voire des décennies, plus tard. Ces dossiers sont pour la plupart extrêmement volumineux, notamment en raison du fait qu un nombre considérable de pièces et de témoins sont produits par les procureurs et/ou entreposés dans des centres de documentation, dans des langues souvent étrangères au conseil. Le droit applicable est pour sa part un amalgame de plusieurs régimes normatifs en constante évolution généralement une combinaison de droit national et international au niveau du droit substantiel et de droit de tradition romano-germanique et de common law au niveau de la procédure. Cela qui oblige l avocat à assimiler et appliquer ensemble différents concepts qui, en plus d être en constante évolution, lui sont souvent étrangers. A cela s ajoutent des problèmes de langues des procédures, documents et témoins et des traductions qui en découlent. Malgré les difficultés auxquelles ils font face, les avocats de la défense sont traditionnellement placés en situation de désavantage par rapport aux procureurs, témoignant d une importante inégalité entre l accusation et la défense. Alors que les procureurs ont pour leur part une équipe d enquêteurs et de juristes considérable dont des sections d avis juridiques et d appels et ont accès à des bases de Chef du Bureau de la défense du Tribunal spécial pour le Liban.

données élaborées, développées au fil des ans, les avocats disposent pour leur part de ressources financières et logistiques limitées, se traduisant par la difficulté de s adjoindre les services d une équipe. Les équipes de la défense, au début des tribunaux pénaux internationaux, se composaient initialement d un seul conseil, d un assistant et d un enquêteur. Elles se composent désormais généralement de deux co-conseils (souvent un international et un national), un assistant légal, un gestionnaire de dossier et un ou deux enquêteurs. Il est ici rappelé que, à l exception des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC), il n y a pas de juge d instruction devant les tribunaux pénaux internationaux et que nous sommes dans une procédure accusatoire où chaque partie (accusation comme défense) doit réaliser ses propres enquêtes, l une à charge, l autre à décharge, et faire appeler devant le tribunal ses propres témoins, lesquels seront soumis à la procédure de l interrogatoire (par la partie qui a convoqué le témoin), puis à un contreinterrogatoire (par l autre partie) devant des juges qui sont essentiellement des juges arbitres. Alors que le principe d égalité des armes exige pourtant que la défense puisse présenter sa cause dans les mêmes conditions que le procureur, les avocats de la défense rencontrent de nombreuses difficultés dans la conduite de leurs enquêtes. En raison de leur absence de reconnaissance institutionnelle et du fait qu ils ne bénéficient pas de réseaux de contacts comme le procureur qui a un lien direct avec les Etats et a notamment accès aux réseaux policiers nationaux et aux réseaux tel Interpol, il leur est difficile d accéder aux documents et archives des Etats, ainsi qu aux témoins. Un déséquilibre institutionnel a également traditionnellement eu pour résultat l absence d une voix pour la défense au sein des tribunaux, notamment lors de l adoption ou de la modification des instruments juridiques régissant la procédure devant ces tribunaux et lors d activités de relations publiques des tribunaux, dont l emphase est généralement mise sur les activités du procureur. L EVOLUTION DES BUREAUX DE LA DEFENSE DES TRIBUNAUX PENAUX INTERNATIONAUX Afin de briser l isolement des avocats, qui font face, avec une équipe limitée, à des procureurs aux moyens considérables, la défense a tenté de s organiser. Vus d abord comme un mal nécessaire, les avocats pionniers du droit international ont contribué, à force d efforts collectifs, à obtenir voix au chapitre. Dans le cadre des deux premiers tribunaux internationaux créés après Nuremberg et Tokyo, le Tribunal pénal international pour l ex-yougoslavie (TPIY) et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), une Section de la défense a été mise en place, sous la tutelle du greffier, chargé de «gérer» les avocats. Le mandat de cette Section de la défense est de constituer des listes de conseils pouvant être commis d office et de gérer l aide légale (commission d office), sans s impliquer d un point de vue juridique dans le soutien des équipes de la défense ou la représentation des intérêts de la défense. Les avocats ont dès lors senti le besoin de s organiser entre eux et ont spontanément créé des associations d avocats de la défense, afin de représenter leurs intérêts collectifs, d assurer le contrôle de la performance des conseils et le respect de leurs obligations professionnelles et de faire valoir collectivement les droits de la défense, notamment au moyen de mémoires d amicus curiae. Il s agit toutefois de structures ad hoc, avec des moyens limités.

Une seconde génération de bureaux de la défense a vu le jour avec l avènement de la Mission des Nations Unies au Kosovo, la Cour spéciale pour la Sierra Léone, les CETC et la Cour pénale internationale (CPI). Ces bureaux se sont vus confier un mandat plus large, celui de fournir une assistance au niveau juridique, notamment en assurant le monitoring des procès, en prodiguant des conseils et de l assistance à toutes les équipes dans la préparation de leur dossier cela incluant la recherche juridique et la préparation d arguments d intérêt commun, en facilitant l accès des équipes à la jurisprudence, en donnant des formations et, dans certains cas, en faisant la liaison en matière de coopération judiciaire. L idée d un défenseur public (public defender) qui assurerait directement la représentation des suspects et accusés initialement mise en avant a vite été rejetée, puisque la juridiction limitée des tribunaux pénaux internationaux a pour conséquence que les accusés sont peu nombreux et que les charges sont souvent liées d un accusé à l autre, ce qui entraîne inévitablement des conflits d intérêts. A la CPI, un Bureau de l aide juridique et un Bureau du conseil public pour la défense ont été mis en place. Ils relèvent tous les deux de l autorité administrative du Greffier, mais, tel que prévu à l article 77 du Règlement de la Cour, fonctionnent comme des bureaux indépendants. Les conseils du Bureau du conseil public pour la défense ont notamment pour tâche de représenter et de protéger les droits de la défense au stade initial de l enquête et de fournir aide et assistance aux conseils de la défense et aux personnes habilitées à bénéficier de l aide judiciaire, y compris, le cas échéant, a) en effectuant des recherches et en donnant des avis juridiques et b) en comparaissant devant une Chambre dans le cadre de questions spécifiques. Le Bureau du conseil public pour la défense n est à ce jour pas intervenu directement devant les Chambres. LE BUREAU DE LA DEFENSE DU TRIBUNAL SPECIAL POUR LE LIBAN Témoin de l évolution des bureaux de la défense, a été créé, au sein du tout dernier tribunal mis en place, un Bureau de la défense de ce qu on peut appeler de «troisième génération». Pour la première fois, le Bureau de la défense, dont le chef est nommé par le Secrétaire général des Nations Unies, a été créé par le Statut même du Tribunal spécial pour le Liban. Conçu comme un organe indépendant, il dispose d un statut égal à celui des trois autres organes du Tribunal, avec un budget propre, un accès direct aux Etats et un siège au sein du Comité de direction du Tribunal. Destiné à renforcer le respect du principe d égalité des armes, ce Bureau doit, suivant les termes employés par les Chambres, «constituer un organe du Tribunal semblable et parallèle au Bureau du procureur». Opérationnel depuis mars 2009, il est actuellement composé de huit membres et comporte une section d appui juridique aux futures équipes de défense. Le rôle du Bureau de la défense, qui ne représente pas d accusés mais agit comme défense de la défense, consiste essentiellement à assurer que les suspects ou accusés devant le Tribunal spécial pour le Liban bénéficient d une défense adéquate. A ce titre, le Bureau de la défense doit tout d abord constituer des équipes de défense compétentes en sélectionnant et commettant d office des avocats compétents ayant l expérience des suspects ou accusés indigents, en les rémunérant, en contrôlant la qualité de leur travail et en dispensant leur des formations. A ce jour, le Bureau a auditionné plus de 100 conseils et en a admis 85 sur la liste. Il a organisé pour ces conseils deux séminaires de formation intensive de quatre jours. Il a travaillé à l élaboration de différentes directives et politiques destinées à régir le fonctionnement du Bureau et ses relations avec les conseils,

notamment une politique sur l aide légale, un code de conduite pour les avocats et une directive relative à la commission d office de conseils de la défense. Conformément à l article 13 du Statut du Tribunal, le Bureau doit également fournir une assistance matérielle et juridique aux avocats, sous la forme de recherches juridiques, rassemblement d éléments de preuve et conseils juridiques. A cette fin, la Section d appui juridique a entrepris un processus d analyse détaillée des règles du Tribunal et du droit applicable en vue de renseigner les avocats sur leurs particularités et de leur dispenser des conseils pratiques. La Section a en outre réalisé et fait réaliser par des consultants extérieurs une centaine de memoranda sur un grand nombre de questions juridiques qui seront discutées devant le Tribunal sur des sujets tels que le terrorisme, la compétence du Tribunal, les formes de responsabilité (dont l entreprise criminelle commune et la responsabilité du supérieur hiérarchique), le droit libanais applicable, etc. Ces memoranda seront mis à disposition des équipes de défense lors de leur arrivée au Tribunal et ont pour vocation de leur faire gagner du temps, ainsi qu à la justice. Sur le plan pratique, il est prévu que le Bureau fournisse une assistance aux équipes de la défense dans la recherche d experts et d enquêteurs, notamment en constituant une liste de spécialistes. Il doit aussi leur apporter des ressources matérielles nécessaires à l exercice de leurs fonctions ce qui inclut un lieu de travail dans les locaux du Tribunal et répondant aux exigences de leur mandat, notamment en matière de confidentialité Le Bureau, en sus d assister les avocats sur le plan juridique, peut intervenir devant les différentes instances judiciaires du Tribunal spécial pour le Liban sur «des questions présentant un intérêt général pour les équipes de la défense», sans toutefois intervenir sur «des questions de fait ou des questions en rapport avec une affaire spécifique qui pourrait donner lieu à des conflits d intérêts» (cf. les paragraphes F) et I) de l article 57 du Règlement de procédure et de preuve). Le chef du Bureau s est ainsi manifesté devant le Juge de la mise en état relativement aux conditions de détention des quatre généraux détenus par les autorités libanaises et à la question de leur remise en liberté. Il est également intervenu lors de l audience relative à la demande d accès à des documents présentée par le général Sayed pour faire des représentations sur la «compétence inhérente» du Tribunal dans des matières qui ne sont pas prévues expressément par le Statut du Tribunal. En tant qu organe du Tribunal, le Bureau a en outre pour tâche de contribuer à la coopération des Etats en concluant des ententes de coopération reflétant les besoins particuliers de la défense ou en demandant leur coopération dans des affaires spécifiques. Dans le contexte où les accusés et leurs représentants légaux ont souvent du mal à obtenir une coopération significative des autorités judiciaires nationales, qui soit similaire à celle qui est accordée au procureur, ce rôle du chef du Bureau de la défense apparaît fondamental pour les équipes de défense. Le chef du Bureau a ainsi conclu un important protocole d accord avec le gouvernement libanais au sujet des enquêtes de la défense. Grâce à cet accord, il est désormais possible aux futures équipes de défense d effectuer librement leurs enquêtes au Liban et de demander, si nécessaire, l appui et l assistance des autorités libanaises. Ce statut d organe du Tribunal conduit également le Bureau à agir en tant que porteparole des droits de la défense, tant à l interne qu à l externe. A ce jour, le Bureau a participé au processus d élaboration et d amendement des Règles de procédure et de preuve, participé à des activités de relations publiques et diplomatiques, tant au Liban que dans des Etats tiers, établi des relations suivies avec les Barreaux libanais et dispensé par leur intermédiaire des

séminaires de formation aux avocats libanais sur des questions d intérêts pour la défense devant le TSL. * * * La création d un Bureau de la défense comme organe du Tribunal résulte d une évolution longtemps réclamée par les avocats, par laquelle est conférée une juste place à la défense dans le processus judiciaire de la justice pénale internationale. Comme le rappelait fort à propos le procureur Goldstone, «il ne saurait y avoir de justice pénale internationale digne de ce nom sans une défense forte». Le retard pris pour cette création témoigne cependant de la difficulté qu a eue la communauté internationale à se défaire de l idée qu un tribunal, même s il est créé pour mettre fin à l impunité, n a nullement pour but d éradiquer l impunité, mais «tout simplement» de rendre la justice. Certes, les crimes commis sont odieux et punissables en tant que tels, mais la lutte contre l impunité ne relève pas et ne doit pas relever du tribunal. C est la fonction du seul procureur que de poursuivre, après une enquête sérieuse, les personnes qu il suspecte de ces crimes et contre lesquelles il a recueilli des preuves qu il estime suffisantes pour les traduire en justice ; c est sa fonction de lutter contre l impunité. C est ensuite à la défense, à égalité d armes et avec des moyens qui devraient, à défaut d égalité, être au moins proportionnels, de discuter des preuves du Procureur et de proposer des éléments à décharge. C est enfin aux juges d accomplir leur mission de juges et de dire, après un procès équitable, si les preuves présentées par le procureur les ont convaincus «audelà de tout doute raisonnable» de la culpabilité de l accusé et, si oui, si celui-là a droit à des circonstances atténuantes. Telle est leur mission : il ne s agit donc en aucun cas d une croisade contre l impunité. Malheureusement, de telles évidences ont manqué dans les premiers statuts des tribunaux pénaux internationaux. Ainsi, le mot «acquittement» n existe pas dans le Statut du TPIR, où les accusés ne sont pas présumés innocents mais «présumés responsables»! Cela explique le peu de cas qui était fait, dans ces premiers Statuts, de la défense, autrement que par des pétitions de principe sur le procès équitable. Et pourtant, comme le rappelait le président Claude Jorda, sur environ 160 décisions de la Chambre d appel du TPIY et du TPIR, 40 ont été des acquittements, par confirmation ou censure des jugements de première instance. C est dire l importance du travail réalisé par la défense. C est dire la reconnaissance du rôle de la défense que représente aujourd hui la création, au sein du Tribunal spécial pour le Liban, d un Bureau de la défense comme un des quatre organes du Tribunal, à égalité avec le Bureau du procureur. Il restera à traduire ce progrès dans les faits, en donnant à ce Bureau les moyens d assurer aux équipes de défense, «de manière concrète et effective» (pour reprendre l expression de la Cour européenne des droits de l homme), l égalité des armes avec le Bureau du procureur.

Pour que justice soit dite.