18 JUIN 2004 C.03.0036.F/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N C.03.0036.F ATS RAUW, société privée à responsabilité limitée dont le siège social est établi à Bullange, Industriegebiet, 285/A, inscrite au registre du commerce d Eupen sous le numéro 60.221, demanderesse en cassation, représentée par Maître Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile, contre 1. BREUER-ANTOINE, société anonyme dont le siège social est établi à Malmedy, route du Luxembourg, 1, défenderesse en cassation,
18 JUIN 2004 C.03.0036.F/2 2. TREVISANI, société anonyme dont le siège social est établi à Blégny, (Saive), rue du Grand Moulin, 84, défenderesse en cassation, représentée par Maître Cécile Draps, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, boulevard Emile de Laveleye, 14, où il est fait élection de domicile. I. La décision attaquée Le pourvoi en cassation est dirigé contre les arrêts rendus le 30 juin 1998 et le 25 avril 2002 par la cour d appel de Liège. II. La procédure devant la Cour Le conseiller Didier Batselé a fait rapport. L avocat général Thierry Werquin a conclu. III. Les moyens de cassation suivants : La demanderesse présente trois moyens libellés dans les termes 1. Premier moyen Disposition légale violée Article 149 de la Constitution coordonnée.
18 JUIN 2004 C.03.0036.F/3 Décisions et motifs critiqués L'arrêt attaqué du 30 juin 1998, «réformant le jugement entrepris, reçoit les demandes principales et en intervention, les joint et avant faire droit, commet en qualité d'expert Monsieur J. W.». Cet arrêt ne comporte aucun motif relatif à la recevabilité de la demande en garantie dirigée contre la demanderesse. Il se borne en effet à relever ce qui suit quant à la recevabilité de la demande principale de Trevisani contre Breuer-Antoine : «qu'il est admis que le bref délai visé par l'article 1648 du Code civil est suspendu par des pourparlers sérieux c'est-àdire poursuivis dans la perspective d'un arrangement amiable ; que la lettre du conseil de Breuer du 8 août 1995 dans laquelle il ne dit mot d'une réclamation tardive mais au contraire propose une expertise demandée par une comparution volontaire des trois parties intéressées amorce les pourparlers ; qu'en ne faisant pas suivre le procès-verbal de comparution, ce même conseil engage toutefois les pourparlers dans une impasse alors qu'il en est le demandeur ; que sans réponse à sa lettre du 25 août, Trevisani lance citation le 23 octobre ; que ce délai ne serait anormalement long que dans l'hypothèse où Breuer aurait clairement signifié qu'il renonçait à poursuivre dans la voie qu'il avait lui-même ouverte ; que par ailleurs, Trevisani, avant d'engager le procès, avait de bonnes raisons d'attendre les conclusions de son expert, lequel avait lui aussi de bonnes raisons de prendre du recul avant de conclure que la benne était inutilisable ; que la demande a donc été introduite dans un délai acceptable et que l'expertise qu'elle demande est toujours d'actualité, même s'il faut regretter les lenteurs inadmissibles de la procédure menée par les parties».
18 JUIN 2004 C.03.0036.F/4 Griefs L'arrêt attaqué du 30 juin 1998 justifie ainsi la recevabilité de la demande principale de Trevisani contre Breuer-Antoine mais ne comporte aucun motif relatif à la recevabilité de la demande en garantie de Breuer- Antoine contre la demanderesse. Or, cette dernière avait soutenu, dans ses conclusions d'appel avant expertise [ ] que : «Dans le cas d'espèce, la société anonyme Trevisani ne peut pas invoquer à son avantage qu'il y aurait eu des pourparlers sérieux entre parties qui auraient suspendu le bref délai. Me S. a, dès le départ, contesté la responsabilité de sa cliente [ ]. Il faut en déduire que l'action introduite par la société anonyme Trevisani et celle de la société anonyme Breuer-Antoine contre la [demanderesse] ne sont pas recevables. Il ne faut pas perdre de vue que l'action introduite contre la [demanderesse] intervient un an après la livraison dont la conformité n'est pas contestée par la société anonyme Breuer- Antoine», et que : «5. Conclusion L'action principale ainsi que l'action en garantie ne sont pas recevables. Même si l'action principale devait être recevable, l'action en garantie serait tout de même irrecevable puisque la livraison effectuée par la [demanderesse] à la société anonyme Breuer est conforme à la commande». Ni les motifs de l'arrêt reproduits au moyen, ni aucun autre ne constituent une réponse à cette défense circonstanciée en tant qu'elle contestait la recevabilité de la demande en garantie. L'arrêt attaqué du 30 juin 1998 n'est dès lors pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution coordonnée) et sa cassation doit entraîner, par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt du 25 avril 2002,
18 JUIN 2004 C.03.0036.F/5 qui en est la suite dès lors qu'il condamne la demanderesse «à garantir la société anonyme Breuer-Antoine des condamnations prononcées contre elle en principal, intérêts et dépens et au paiement de ses propres dépens» après avoir décidé «qu'en vain [la demanderesse] soutient[-elle] que l'action en garantie dirigée contre [elle] serait irrecevable pour avoir été introduite tardivement dès lors que la question a été tranchée par l'arrêt du 30 juin 1998». 2. Deuxième moyen Dispositions légales violées Articles 779, alinéa 1 er, et 1042 du Code judiciaire. Décisions et motifs critiqués L'arrêt attaqué du 25 avril 2002 : «Reçoit la demande incidente ; Condamne la société anonyme Breuer-Antoine à payer à la société anonyme Trevisani 13.060,35 euros à majorer des intérêts au taux légal depuis le 23 octobre 1995 et des dépens des deux instances liquidés à 5.148,73 euros ; Condamne la [demanderesse] à garantir la société anonyme Breuer- Antoine des condamnations prononcées contre elle en principal, intérêts et dépens et au paiement de ses propres dépens liquidés à 1.323,48 euros».
18 JUIN 2004 C.03.0036.F/6 Griefs Ledit arrêt du 25 avril 2002 a été rendu par un siège composé de Messieurs R. de F., conseiller faisant fonction de président, M. L., conseiller, Madame A. J., conseiller, alors que l'arrêt avant dire droit du 30 juin 1998 l'a été par un siège composé de Messieurs F. D., président, R. de F. et M. Ligot, conseillers, et ce sans que les débats aient été repris ab initio devant le nouveau siège. Or, l'arrêt du 30 juin 1998 relève que le fait que la demanderesse n'ait pas réclamé paiement de sa facture de réparation «pourrait signifier qu'elle admet les griefs qui lui sont adressés» et que, eu égard à l'utilisation qui est faite de la benne depuis décembre 1994, «Trevisani pourrait alors s'orienter vers l'action estimatoire», l'expert étant dès lors chargé «de proposer une moins-value et/ou des dommages-intérêts pour le cas où il devrait être décidé que Trevisani conserve la benne en l'état». Il suit de ces motifs que les débats postérieurs à l'expertise constituent la continuation des débats entamés avant le prononcé de l'arrêt interlocutoire et sur l'existence d'un vice caché et sur la sanction de ce vice. Or, la reprise des débats ab initio devant le nouveau siège n'est constatée ni par l'arrêt attaqué du 25 avril 2002, ni par les conclusions d'appel après expertise des défenderesses, ni par les procès-verbaux des audiences tenues en les causes les 29 mars 2002 et 25 avril 2002 par la septième chambre de la cour d'appel de Liège. Il s'ensuit que l'arrêt attaqué du 25 avril 2002 a été rendu par des juges n'ayant pas assisté à toutes les audiences de la cause (violation des articles 779, alinéa 1 er, et 1042 du Code judiciaire) et doit être cassé de ce chef.
18 JUIN 2004 C.03.0036.F/7 3. Troisième moyen Disposition légale violée Article 149 de la Constitution coordonnée. Décisions et motifs critiqués L'arrêt attaqué du 25 avril 2002, pour condamner la société anonyme Breuer-Antoine à payer à la société anonyme Trevisani 13.060,35 euros à majorer des intérêts au taux légal depuis le 23 octobre 1995 et des dépens des deux instances liquidés à 5.148,73 euros et pour condamner la [demanderesse] à garantir la société anonyme Breuer-Antoine des condamnations prononcées contre elle en principal, intérêts et dépens et au paiement de ses propres dépens liquidés à 1.323,48 euros, se fonde sur ce que la benne du camion litigieux est atteinte, eu égard à l'insuffisance de la charge utile qu'elle peut transporter, d'un vice intrinsèque ou, à tout le moins, d'un vice fonctionnel. Il décide à cet égard : «que le problème et les désordres dont se plaint [la société anonyme Trevisani] proviennent de ce qu'en réalité, la charge utile que peut transporter la benne n'est que de 11,439 kgs [ ] ; que la benne est donc atteinte d'un vice, non seulement d'un vice intrinsèque puisque l'expert judiciaire précise que le châssis de cette benne n'est donc conforme ni aux spécifications de l'offre [de la demanderesse], ni aux normes de sécurité de la construction mécanique, ni aux règles de l'art [ ], mais également d'un vice fonctionnel ; qu il y a vice fonctionnel lorsque la chose vendue, quoique exempte de tout défaut intrinsèque (quod non in casu), ne répond pas à l'usage que l'acheteur avait en vue, étant entendu que cet usage, s'il n'est pas l'usage
18 JUIN 2004 C.03.0036.F/8 normal, doit être entré dans le champ contractuel. Cela suppose que le vendeur ait connu ou ait pu présumer l'usage auquel l'acheteur destinait la chose [ ] ; que le vice n'est rien d'autre que le prolongement du défaut de conformité [ ] ; que tel est le cas en l'espèce et que l'action estimatoire est fondée ; qu'il en va de même de l'action en garantie diligentée par le vendeur du camion contre le fabricant de la benne». Ce faisant, l'arrêt attaqué ne constate toutefois pas le caractère caché du vice intrinsèque et/ou fonctionnel dont il relève l'existence. Or, dans ses conclusions d'appel avant expertise, la demanderesse avait fait valoir que : «1. La société anonyme Breuer-Antoine a reçu la livraison de la benne et de la grue fin 1994. Les objets vendus ont été livrés et agréés par la société anonyme Breuer-Antoine. Ceci est la reconnaissance par l'acheteur que la chose livrée est de bonne livraison au point de vue de sa conformité avec la chose vendue et de ses vices apparents [ ]. La société anonyme Breuer-Antoine confirme avec ses conclusions que les objets livrés par la [demanderesse] étaient bien conformes avec la commande (que si la benne n'avait pas été conforme, quod non, les problèmes se seraient manifestés immédiatement et non pas presque 9 mois après la livraison). 2. Il résulte de la lettre de l'expert P. du 10 mai 1995 et de la lettre de Me L. du 4 juillet 1995 qu'un vice caché est invoqué. Il résulte des deux correspondances que la benne ne serait pas du tout adaptée aux transports de matériaux que la société anonyme Trevisani devait exécuter. Cela signifie qu'on aurait dû remarquer dès le départ ce vice. Il faut poser la question si le vice invoqué n'est pas apparent. En effet, l'article 1642 du Code civil stipule : Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même.
18 JUIN 2004 C.03.0036.F/9 Le vice apparent est celui qui peut être découvert par un acheteur normalement sérieux, compétent et qui effectue une vérification normale, immédiatement après la livraison [ ]. Avec l'agréation les vices apparents sont couverts [ ]». Par ces conclusions circonstanciées, la demanderesse soutenait que le vice allégué n'était pas caché mais apparent. Ces conclusions ayant été «tenues ici pour entièrement reproduites» par les conclusions d'appel après expertise de la demanderesse, l'arrêt attaqué du 25 avril 2002 était tenu d'y répondre. A défaut de l'avoir fait, il n'est pas régulièrement motivé et viole, partant, l'article 149 de la Constitution coordonnée. En outre, à défaut de constater et de justifier le caractère caché du vice qu'il retient, alors que ce caractère caché était contesté de manière circonstanciée dans les conclusions reproduites au moyen, l'arrêt attaqué du 25 avril 2002 met la Cour dans l'impossibilité d'exercer le contrôle de légalité qui lui est confié et, dès lors, ne motive pas régulièrement sa décision (violation de l'article 149 de la Constitution). IV. La décision de la Cour Sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi par la seconde défenderesse et déduite de ce qu elle n avait avec la demanderesse pas d instance liée relativement à l objet principal du litige : Attendu que, réformant le jugement dont appel, l arrêt du 30 juin 1988 reçoit les appels des deux défenderesses, les joint et, avant faire droit, ordonne l expertise de la benne litigieuse ; que l arrêt du 25 avril 2002 condamne la première défenderesse au paiement d une somme à la seconde défenderesse et condamne la demanderesse à garantir la première défenderesse des condamnations prononcées contre elle ;
18 JUIN 2004 C.03.0036.F/10 Attendu que la demanderesse n avait pas introduit d action contre la seconde défenderesse, hormis la réclamation d une facture du 30 mai 1995, étrangère à l objet principal du litige ; Attendu que, cependant, il ressort des conclusions d appel de la demanderesse du 29 août 1997 que celle-ci a demandé que les appels, celui de la seconde défenderesse étant également visé, soient déclarés non fondés ; que dans ses conclusions d appel après expertise du 19 novembre 2001, la demanderesse a conclu à la confirmation du jugement dont appel ; Qu ainsi, la demanderesse avait instance liée avec la seconde défenderesse ; Attendu que, par ailleurs, le pourvoi est dirigé contre les deux décisions de condamnation que prononce l arrêt du 25 avril 2002 ; Que la fin de non-recevoir ne peut être accueillie ; Sur le premier moyen : Attendu qu il ressort des conclusions d appel de la demanderesse que celle-ci liait étroitement l irrecevabilité de l'action en garantie exercée contre elle au non-respect du bref délai dans lequel l'action principale devait être intentée contre la première défenderesse ; Que, dès lors, par les motifs reproduits au moyen, l'arrêt attaqué du 30 juin 1998 répond aux conclusions de la demanderesse contestant la recevabilité de la demande en garantie ; Que le moyen manque en fait ; Sur le deuxième moyen : Attendu que, par l arrêt du 30 juin 1998, la cour d'appel, composée de Messieurs D., président, de F. et L., conseillers, a considéré que l'action résultant des vices rédhibitoires intentée par la seconde défenderesse contre la première défenderesse avait été introduite dans un délai acceptable, a reçu les demandes principales et en garantie et, avant faire droit, a commis un expert ;
18 JUIN 2004 C.03.0036.F/11 Attendu que, par l'arrêt attaqué du 25 avril 2002, la cour d'appel, composée de Messieurs de F., conseiller faisant fonction de président, L. et de Madame J., conseillers, a considéré que la benne était atteinte d'un vice intrinsèque mais également d'un vice fonctionnel, et a condamné d'une part, la première défenderesse à payer à la seconde défenderesse 13.060,35 euros et, d'autre part, la demanderesse à garantir la première défenderesse des condamnations prononcées contre elle ; Attendu que les débats ayant donné lieu à cet arrêt n ont pas été la continuation des débats antérieurs ; Que le moyen ne peut être accueilli ; Sur le troisième moyen : Attendu que l'arrêt du 30 juin 1998 relève que l'action de la seconde défenderesse contre la première défenderesse se fonde sur un vice rédhibitoire apparu au début de l'année 1995, après usage de la benne, considère que cette action a été introduite dans le bref délai visé à l article 1648 du Code civil, reçoit les demandes principale et en garantie et commet un expert avec la mission de donner un avis sur l'aptitude de la benne, au moment de la vente, à recevoir l'usage auquel la seconde défenderesse la destinait ; Qu'ainsi, l'arrêt considère de manière certaine que le vice allégué par la seconde défenderesse n'est pas un vice apparent mais un vice caché ; Que, dès lors, l'arrêt attaqué du 25 avril 2002 n'était plus tenu de répondre aux conclusions visées au moyen ni de constater à nouveau le caractère caché du vice pour permettre le contrôle de la légalité de sa décision ; Que le moyen ne peut être accueilli ; PAR CES MOTIFS, LA COUR Rejette le pourvoi ; Condamne la demanderesse aux dépens.
18 JUIN 2004 C.03.0036.F/12 Les dépens taxés à la somme de neuf cent dix-sept euros nonante et un centimes envers la partie demanderesse et à la somme de deux cent soixantedeux euros septante et un centimes envers la seconde partie défenderesse. Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Christian Storck, Didier Batselé, Daniel Plas et Sylviane Velu, et prononcé en audience publique du dix-huit juin deux mille quatre par le président de section Claude Parmentier, en présence de l avocat général Thierry Werquin, avec l assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.