Discours de Monsieur Gérard COLLOMB Sénateur-Maire de Lyon A l occasion de la remise de la Médaille de la Ville de Lyon A Maître Ugo Iannucci, Ancien Bâtonnier A l occasion de son départ De la Présidence de la Chaire Lyonnaise des Droits de l Homme Hôtel de Ville de Lyon Salon Justin Godart Mercredi 16 septembre 2009 ** * 1
Cher Ugo Iannucci, Chère Madame Iannucci, Chère Raphaële Iannucci, Monsieur le Président de la Chaire Lyonnaise des Droits de l Homme, Monsieur le Bâtonnier, Mesdames et Messieurs les Elus, Mesdames et Messieurs, Chers Amis, «L individu n est jamais aussi humain que lorsqu il se tourne vers les autres». C est par ces mots, cher Ugo, que vous prononciez l an dernier lors d une conférence sur la Résistance, que je veux vous accueillir aujourd hui dans notre maison commune. Ces mots expriment pleinement l exigence qui fut la vôtre tout au long d une vie dense, engagée, tout entière vouée à la défense de la justice et des Droits de l Homme. Ugo Iannucci : à lui seul, votre nom raconte une histoire lyonnaise. Une histoire qui prend sa source dans un ailleurs, et qui s enracine dans des valeurs qui nous sont chères : ouverture à l autre, solidarité, défense de la dignité humaine. 2
Cette histoire commence avec votre père, Angelo, qui pour fuir l Italie de Mussolini, s installa à Lyon en 1923. Le décor de votre enfance, c est une baraque de la rue des Culattes, à côté du centre d accueil des immigrés italiens, dans le 7 e arrondissement. Maçon, puis chauffeur de fours à la centrale thermique de Gerland, votre père est militant syndical communiste. Quand arrivent les heures sombres de l occupation, il s engage comme Résistant au sein des F.T.P.-MOI, c est-à-dire les Francs Tireurs et Partisans de la Main d œuvre Immigrée qui comptèrent parmi les groupes de Résistants les plus actifs et les plus déterminés. Vous n aviez alors guère plus de dix ans. Mais cet engagement a marqué votre vie. Vous apprenez dès l enfance la vigilance, l amour de la vérité, des valeurs de justice, d égalité, et par-dessus tout peut-être l esprit de révolte, le refus de la soumission. «On ne choisit pas son époque», direz-vous plus tard. Vous auriez aimé participer à la Résistance. Votre guerre fut une autre : celle d Algérie. Dès vos années d étude à la faculté de Droit, votre engagement politique vous conduit à vous intéresser à cette guerre qui n en porte pas encore le nom. Responsable de l Union des Etudiants Communistes de Lyon, vous auriez pu choisir de rejoindre, en prison, des camarades objecteurs, comme Alban Liechti. Mais vous jugez que ce positionnement n a pas assez d impact sur l opinion. 3
Vous vous résolvez donc à subir le sort des appelés du contingent. Nous sommes le 1 er mai 1959. C est l année de vos 26 ans. Après 4 mois au sein du 13 e Bataillon de Chasseurs Alpins du Roc Noir, à Chambéry, vous devenez soldat au sein du 137 e Régiment d Infanterie en Grande Kabylie, dans les gorges de Palestro. La hiérarchie militaire connaît votre engagement. Des mois durant, vous subissez les menaces des gradés, à l affut de la moindre incartade. Dans la préface qu il consacre à votre Journal de Guerre, publié en 2001, Claude Burgelin écrit que votre sincérité et votre courage furent vos boucliers. Muté dans un centre de torture, vous prenez le risque de déclarer que vous n accepterez jamais, je cite, «une mission dégradante pour l uniforme» que vous êtes «obligé de porter». Vous êtes renvoyé dans les gorges de Palestro, cette fois-ci comme instituteur. Cette clémence, vous pensez la devoir au soutien actif de plusieurs intellectuels lyonnais. Vous citez volontiers Jeannette Colombel, professeur de philosophie au lycée Edgar Quinet, André Vial ou le professeur Jean Pouilloux qui fut mon professeur à la faculté de lettres à Lyon. Les courriers qu ils vous adressent portent le cachet de la Faculté ou du lycée, et les officiers devinent que s il vous arrive malheur, la Ville de Lyon en sera alertée! C est ce que vous appelez la «théorie du regard extérieur», que vous mettrez vous-même en pratique, en qualité de Président de la Commission des Droits de l Homme du Barreau de Lyon entre 1993 et 1999 au profit d avocats persécutés en Turquie, Tunisie ou au Pérou. 4
L ensemble de votre parcours porte la trace de ces années. Une vie tout entière vouée, dès vos premières années d avocat au Barreau de Lyon, à la défense des plus faibles et aux Droits de Homme. Pour la séance solennelle de rentrée du Barreau de Lyon, en décembre 1964, vous choisissez pour thème de votre intervention «La première insurrection des Canuts». C est ce Lyon de la révolte, de la solidarité que vous aimez. Lyon, que vous ne quitterez plus, fidèle à ce qui pour vous fait l identité de cette ville : l indépendance d esprit, le refus de l injustice, l ouverture à l autre. Votre rêve en tant qu avocat : une défense «préventive», au service de la formation du citoyen. Car si nul n est censé ignorer la loi, vous savez que la plupart ne la connaissent pas, ou n y ont pas accès, et que cette méconnaissance frappe souvent les plus démunis. Votre credo : exercer selon les exigences du serment, «avec dignité, conscience, indépendance, probité, humanité». Votre idéal : faire prévaloir la conscience sur l obéissance ou le conformisme. Cet idéal, vous n avez cessé de l incarner. De l usine Berliet de Vénissieux, où vous instaurez, avec Roland Sgorbini, la première permanence juridique sur un lieu de travail en France, c était en 1967, aux consultations gratuites pour les mineurs initiées en 1990 sous votre bâtonnat «Mercredi, j en parle à mon avocat», c est une succession d initiatives qui, toutes, concourent à faire de l avocat un acteur majeur de la vie de la Cité. 5
En 1981, c est la création de la Maison des Avocats du Vieux Lyon, point d orgue de cette aventure collective que vous menez avec Paul Bouchet, et d autres confrères, notamment ceux du groupe Adamas. L objectif de cette maison est alors d affirmer le rôle des avocats dans la ville, en proposant au public des consultations gratuites spécialisées, une première en France, de donner une visibilité à l action du Barreau de Lyon pour qu il soit un outil de leur indépendance. Pour vous, l avocat n est pas seulement un technicien du droit. Sa mission doit s accomplir dans l intérêt du public. C est un homme de la Cité, dans la Cité. Pour Lyon, capitale de la Résistance, mais aussi pour la France, pays des Droits de l Homme, votre nom reste attaché au combat que vous avez mené pour faire la lumière sur les responsabilités de l Etat français dans la spoliation, les persécutions et la déportation des Juifs sous l occupation. C est vous qui, avec Joe Nordmann, en 1973, avez déposé la première plainte en France fondée sur la notion de crime contre l humanité. Elle fut déposée à l encontre de Paul Touvier, au nom de Georges Glaeser, fils de l un des otages juifs fusillés par la milice le 29 juin 1944 à Rillieux. C est encore vous que l on retrouve sur les bancs des parties civiles, en 1987, lors du procès historique de Klaus Barbie. En avril 1994, vous êtes l avocat des parties civiles au procès Touvier à la Cour d Assises de Versailles. 6
Votre plaidoirie souligne la pleine participation du chef de la milice française de Lyon au plan concerté d extermination des Juifs par le régime nazi. Paul Touvier sera le premier Français condamné pour crime contre l humanité. C était quatre ans avant Maurice Papon. Pour vous, le combat ne s arrête jamais. Président de la Commission des Droits de l Homme du Barreau de Lyon, jusqu en 1999, vous intervenez tant à l étranger, pour défendre des avocats menacés par des régimes dictatoriaux, qu à Lyon, pour faire respecter la dignité des détenus et des personnes gardées à vue. Le combat ne s arrête jamais, et deux ans après votre retraite de l Ordre des Avocats, vous nous faites l honneur et l amitié de devenir Président de la Chaire Lyonnaise des Droits de l Homme, en 2001. Transmettre la Mémoire des heures sombres de notre histoire aux nouvelles générations, les préparer à la vigilance, au refus de la soumission, faire participer les universités à cette œuvre collective : autant de missions que vous avez su développer et enrichir avec l énergie et les convictions que l on vous connaît. Pendant huit ans, vous n avez eu de cesse d ouvrir l institution sur la ville, accueillant de nouveaux membres, comme l Institut d Etudes Politiques ou l Ecole Nationale Supérieure lettres et sciences humaines, vous mettant à l heure des nouvelles technologies avec la création d un site internet. Votre travail avec le Conseil Lyonnais pour le Respect des Droits a permis, dès 2002, la signature de la Charte Européenne des Droits de l Homme dans la Ville. 7
L ouverture sur la Cité, vous l avez encore illustrée en organisant pour le grand public, des conférences sur les Droits de l Homme, avec des personnalités d envergure, comme l an dernier par exemple avec notre ami Stéphane Hessel, Résistant, co-auteur de la déclaration universelle des Droits de l Homme. Comme lui, Cher Ugo, vous vous attachez à transmettre à nos enfants la pleine connaissance de ce que fut la Résistance d hier, pour mieux préparer la Résistance des esprits aujourd hui. C est le sens du séminaire pour les enseignants que vous organisez depuis cinq ans, à Auschwitz, à Cracovie, et à Rivesaltes, en partenariat avec la maison d Izieu et le CHRD. Vous n étiez encore qu un enfant lorsque votre père vous disait qu il fallait rendre à la France ce qu elle vous avait donné en vous accueillant. En réalité, vous le lui avez rendu au centuple! Vos engagements, vos actions, ont fait l honneur de notre pays. En vous faisant Chevalier de la Légion d honneur, la France vous a rendu, en 1998, un hommage mérité. Cher Ugo, Cette cérémonie est à votre image, discrète. Avec autant de justes titres, certains auraient réunis la terre entière dans cet hôtel de ville. Vous vous êtes contentés de réunir vos amis, vos fidèles, celles et ceux qui partagent votre idéal. Parce que votre parcours a aussi fait la fierté de notre ville, parce que votre nom restera à jamais attaché à l humanisme lyonnais, je suis très heureux de vous décerner, au nom de tous les citoyens de notre Cité, la Médaille de la Ville de Lyon. 8