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TEXTES THOMAS D AQUIN (suite) Réf : Somme théologique, Prima secundae, Questions 18 et 19 [La morale générale]. QUESTION 18 : De la bonté et de la malice des actes humains en général ARTICLE 4: La bonté ou la malice de l'action humaine lui vient-elle de la fin? 1. Il ne semble pas. Selon Denys "personne n'agit en vue du mal". Donc si la fin rendait les actions bonnes ou mauvaises, il n'y en aurait aucune de mauvaise; ce qui est évidemment faux. 2. La bonté d'un acte lui est intrinsèque. Or la fin est une cause extrinsèque. Donc elle ne peut rendre une action bonne ou mauvaise. 3. Des actions bonnes sont quelquefois rapportées à une fin mauvaise, lorsque, par exemple, on fait l'aumône par vaine gloire. Réciproquement des actions mauvaises sont rapportées à une fin bonne, lorsque, par exemple, on vole pour donner à un pauvre. Donc la fin ne rend pas l'action bonne ou mauvaise. Boèce dit: "Une chose est bonne si la fin en est bonne", et mauvaise si la fin est mauvaise. Il en est de la bonté des êtres comme de leur existence même. Il y en a dont l'existence ne dépend d'aucun autre, et qu'il suffit, par suite, de considérer absolument. Il y en a aussi dont l'existence dépend d'un autre être et donc doit être envisagée dans son rapport avec la cause dont il dépend. Or, de même que l'existence d'une chose dépend de l'agent et de la forme, de même sa bonté dépend de la fin. C'est pourquoi, dans les personnes divines, dont la bonté ne dépend pas d'autrui, cette bonté n'est pas considérée par rapport à une fin. Mais dans les actes humains et les autres êtres qui dépendent de certaines causes, outre la bonté absolue qui est en eux, il faut voir encore la bonté qu'ils empruntent à la fin dont ils dépendent. Ainsi donc, on peut envisager une quadruple bonté de l'action humaine. D'abord une bonté générique, qui lui convient en tant qu'action, car, nous l'avons dit, elle a autant de bonté qu'elle a d'être. Deuxièmement, une bonté spécifique qui résulte de l'objet approprié. En troisième lieu, une bonté qui résulte des circonstances, qui sont comme les accidents de l'acte. En quatrième lieu, une bonté qui résulte de la fin, comme de son rapport avec la cause de la bonté. 1

1. Le bien qu'on se propose pour fin n'est pas toujours un vrai bien; quelquefois il est réel, quelquefois il n'est qu'apparent, et dans ce dernier cas, la fin peut rendre l'action mauvaise. 2. Quoique la fin soit une cause extrinsèque, néanmoins la proportion voulue et le rapport qu'elle a avec l'action sont intrinsèques à l'action même. 3. Rien n'empêche qu'une action, dotée d'une des bontés que nous avons énumérées, manque des autres. En ce sens, il arrive qu'une action bonne dans son espèce ou dans ses circonstances soit rapportée à une fin mauvaise, ou inversement. Néanmoins elle n'est absolument bonne que si ces diverses sortes de bonté concourent à sa perfection, car "n'importe quel défaut produit le mal, mais le bien ne provient que d'une cause parfaite", dit Denys. ----- QUESTION 19 : De la bonté et de la malice de l acte intérieur de volonté ARTICLE 5: La raison erronée oblige-t-elle? 1. Il semble que la volonté qui se sépare de la raison erronée ne soit pas mauvaise. En effet, la raison, nous venons de le dire, règle la volonté humaine en tant qu'elle découle de la loi éternelle. Or, la raison qui se trompe ne découle pas de la loi éternelle, et, par suite, ne peut être la règle de la volonté humaine. Donc la volonté n'est pas mauvaise lorsqu'elle est en opposition avec la raison qui se trompe. 2. D'après S. Augustin, le précepte d'un pouvoir inférieur n'oblige pas s'il est contraire au précepte d'un pouvoir supérieur; lorsque, par exemple, un proconsul ordonne ce que défend l'empereur. Or la raison qui se trompe propose une action interdite par le précepte d'un supérieur, qui est Dieu, le Maître suprême. Donc le commandement de la raison n'oblige pas lorsqu'elle se trompe. La volonté n'est donc pas mauvaise lorsqu'elle refuse de suivre la raison erronée. 3. Toute volonté mauvaise appartient à une espèce de malice. Or, la volonté qui ne suit pas une raison erronée ne peut être rangée dans une espèce de malice. Par exemple, si l'erreur de la raison consiste à commander la fornication, la volonté de celui qui s'y refuse ne peut être rangée dans aucune espèce de malice. Donc la volonté qui n'obéit pas à la raison erronée n'est pas mauvaise. Comme on l'a vu dans la première Partie, la conscience n'est que l'application de la science aux actes. Or, la science appartient à la raison. Donc la volonté qui s'écarte de la raison erronée va contre la conscience. Mais une volonté de ce genre est mauvaise; car il est dit dans l'épître aux Romains (14, 23): "Tout ce qui ne vient pas de la bonne foi est péché", 2

c'est-à-dire ce qui est contre la conscience. Donc la volonté en opposition avec la raison erronée est mauvaise. La conscience étant en quelque manière le décret de la raison, puisque l'on a vu dans la première Partie qu'elle est l'application de la science à l'acte, cela revient au même de chercher si la volonté qui s'écarte de la raison erronée est mauvaise, ou de chercher si la conscience oblige lorsqu'elle se trompe. A ce propos, certains auteurs ont distingué trois genres d'actes: les actes bons en soi, les actes indifférents, et les actes mauvais en soi. Ils disent donc que, lorsque la raison ou la conscience commande de faire une chose bonne en soi, il n'y a point là d'erreur. Il en est de même si elle commande de ne pas faire une chose mauvaise en soi, car c'est en vertu d'un même principe que le bien est commandé et le mal interdit. Mais si la raison ou la conscience dit à quelqu'un qu'il est tenu de faire, en vertu d'un précepte, ce qui est mauvais en soi, ou qu'il lui est défendu de faire ce qui est bon en soi, cette raison ou cette conscience sera erronée. Il en sera de même si la raison suggère à quelqu'un qu'il lui est enjoint ou défendu de faire un acte indifférent par nature, comme de ramasser par terre un brin de paille. Ces auteurs disent donc que la raison ou la conscience, qui se trompe en ordonnant ou interdisant des choses indifférentes, oblige; en sorte que la volonté qui ne lui obéit pas est mauvaise et tombe dans le péché. Mais elle n'oblige pas, si elle se trompe en ordonnant des choses mauvaises en soi, ou en prohibant celles qui sont bonnes en soi et nécessaires au salut; d'où il suit que dans ce cas la volonté en opposition avec la raison n'est pas mauvaise. Mais cette opinion n'est pas fondée en raison. En effet, dans les matières indifférentes, la volonté qui refuse d'obéir à la raison ou à la conscience qui se trompe, devient mauvaise à cause de l'objet dont dépend sa bonté ou sa malice; non à cause de l'objet pris en lui-même, mais tel qu'il est saisi accidentellement par la raison, comme un mal à faire ou à éviter. Or, comme l'objet de la volonté, nous l'avons vu, est ce que lui propose la raison, dès que celle-ci présente un objet comme mauvais, la volonté devient elle-même mauvaise si elle se porte vers lui. Ceci n'a pas seulement lieu pour les choses indifférentes, mais également lorsqu'il s'agit de choses bonnes ou mauvaises en soi. Car les choses indifférentes ne sont pas les seules qui peuvent devenir bonnes ou mauvaises par accident; les choses bonnes peuvent devenir mauvaises et les choses mauvaises bonnes, selon la façon dont la raison les envisage. Par exemple, éviter la fornication est un bien; cependant la volonté ne l'accepte pour un bien que si la raison le lui propose comme tel. Donc si la raison erronée lui représente cette abstention comme un mal, elle l'adoptera sous la raison de mal. Aussi deviendra-t-elle mauvaise, parce qu'elle veut le mal; non ce qui est mal en soi, mais ce qui est mal par accident, à cause du jugement de la raison. De même, croire en Jésus Christ est bon par soi et nécessaire au salut; mais la volonté ne s'y porte que sur la proposition de la raison. Donc, si cette foi est présentée comme un mal par la raison, la volonté s'y portera comme vers un mal, non qu'elle soit mauvaise par soi, mais seulement par accident, d'après l'idée que la raison s'en est faite. De là cette parole du Philosophe: "A proprement parler, celui-là est incontinent qui ne suit pas la raison droite; mais, par accident, celui-là l'est aussi, qui ne suit pas une raison fausse." Il résulte donc de tout cela que, de soi, toute volonté qui n'obéit pas à la raison, que celle-ci soit droite ou dans l'erreur, est toujours mauvaise. 3

1. Sans doute, lorsque la raison se trompe, son jugement ne dérive pas de Dieu; néanmoins elle le propose comme vrai, et, par suite, comme dérivé de Dieu, source de toute vérité. 2. La parole de S. Augustin est vraie quand on sait que le pouvoir inférieur ordonne une chose défendue par un pouvoir supérieur. Mais si quelqu'un croyait que le commandement du proconsul est celui de l'empereur, en méprisant ce commandement il mépriserait celui de l'empereur lui-même. Pareillement, si un homme croyait que la raison humaine enjoint une chose contraire à l'ordre de Dieu, il ne devrait pas suivre sa raison; dans ce cas d'ailleurs, la raison ne serait pas complètement dans l'erreur. Mais lorsque par erreur elle propose quelque chose comme prescrit par Dieu, le mépriser serait mépriser Dieu lui-même. 3. Lorsque la raison saisit une chose comme mauvaise, elle voit toujours en elle un côté mauvais, soit parce qu'elle s'oppose à un commandement de Dieu, soit à cause du scandale, ou pour tout autre motif semblable. Et alors cette volonté mauvaise se ramène à l'espèce de malice perçue par la raison. ARTICLE 6: La volonté qui, suivant la raison erronée, va contre la loi de Dieu, est-elle mauvaise? 1. Il semble que la volonté qui se conforme à la raison erronée, soit bonne. En effet, de même que la volonté qui n'obéit pas à la raison se porte vers un objet que celle-ci juge mauvais, de même la volonté qui obéit se porte vers un objet que la raison juge bon. Or, la volonté qui n'obéit pas à la raison, même lorsqu'elle se trompe, est mauvaise. Donc celle qui lui obéit, même lorsqu'elle se trompe, est bonne. 2. La volonté qui est conforme au commandement de Dieu et à la loi éternelle, est toujours bonne. Or la loi éternelle et les commandements de Dieu nous sont proposés par la raison, même quand celle-ci se trompe. Donc la volonté qui suit la raison quand celle-ci se trompe, est bonne. 3. La volonté qui ne suit pas la raison erronée est mauvaise. Si la volonté qui la suit est mauvaise aussi, toute volonté de l'homme ayant une raison erronée sera donc mauvaise. Un tel homme sera dans l'impasse et péchera nécessairement, ce qui est inadmissible. Donc la volonté qui suit la raison erronée, est bonne. La volonté de ceux qui tuaient les Apôtres était mauvaise. Néanmoins, elle s'accordait avec leur raison erronée, selon cette parole en S. Jean (16, 2): "L'heure vient où quiconque vous mettra à mort, croira obéir à Dieu." Donc la volonté qui suit la raison lorsqu'elle se trompe, peut être mauvaise. 4

De même que la question précédente revenait à celle-ci: la conscience erronée oblige-t-elle? - ainsi la question présente revient à dire: la conscience erronée excuse-t-elle? Cette question dépend de ce que nous avons dit sur l'ignorance. Car nous avons vu que l'ignorance produit parfois l'involontaire, et parfois ne le produit pas. Et parce que le bien et le mal moral dépendent du caractère volontaire de l'acte, comme nous l'avons montré, il est évident que l'ignorance qui rend un acte involontaire lui enlève sa valeur de bien et de mal moral, mais non l'ignorance qui ne le rend pas involontaire. Nous avons vu aussi que l'ignorance voulue dans une certaine mesure, directement ou indirectement, ne rend pas l'acte involontaire. J'appelle ignorance directement volontaire, celle sur laquelle porte l'acte de volonté; et ignorance indirectement volontaire, celle qui résulte d'une négligence, si l'on ne veut pas apprendre ce que l'on est tenu de savoir, comme on l'a vu plus haut. Donc, si la raison ou la conscience se trompe volontairement, soit directement, soit indirectement, par une erreur portant sur ce qu'on est tenu de savoir, une telle erreur n'excuse pas du mal la volonté qui agit conformément à cette raison ou conscience erronée. Mais, si l'erreur qui cause l'involontaire provient de l'ignorance d'une circonstance quelconque, sans qu'il y ait eu négligence, cette erreur excuse du mal. Par exemple, si la raison erronée disait à un homme qu'il est tenu de s'approcher de la femme de son prochain, la volonté qui se conforme à cette raison erronée est mauvaise parce que l'erreur provient de l'ignorance de la loi de Dieu, qu'on est tenu de connaître. Mais si l'erreur consiste en ce que cet homme prend pour son épouse une femme qui ne l'est pas, et veut s'approcher d'elle lorsqu'elle le sollicite, sa volonté est excusée du mal, parce que l'erreur provient de l'ignorance d'une circonstance, qui excuse et cause l'involontaire. 1. Comme dit Denys: "Le bien est produit par une cause parfaite, tandis que le mal résulte de n'importe quel défaut." Par suite, pour qu'on dise que l'objet vers lequel se porte la volonté est mauvais, il suffit qu'il soit tel de sa nature, ou que la raison le considère comme tel; mais pour être bon, il est nécessaire qu'il soit bon sous ce double rapport. 2. La loi éternelle ne peut se tromper, mais la raison humaine le peut. C'est pourquoi la volonté qui suit la raison humaine n'est pas toujours droite ni conforme à la loi éternelle. 3. De même que, dans un raisonnement, une proposition fausse étant donnée, des conclusions fausses en résultent nécessairement, de même, en morale, une faute étant admise, d'autres s'ensuivent inévitablement. Ainsi, lorsque quelqu'un cherche la vaine gloire, soit qu'il écrit par ce motif ce qu'il est tenu de faire, soit qu'il y renonce, il péchera toujours. Il n'est pas toutefois dans l'impasse, car il peut renoncer à sa mauvaise intention. Pareillement, si l'on suppose une erreur de la raison ou de la conscience procédant d'une ignorance coupable, il doit s'ensuivre nécessairement un mal pour la volonté. Dans ce cas, néanmoins, on n'est pas dans l'impasse, car on peut s'éloigner de l'erreur, puisque l'ignorance reste corrigible et volontaire. 5