Sophie Dutérail À la folie
Sophie Dutérail, 2018 ISBN numérique : 979-10-262-2309-2 Courriel : contact@librinova.com Internet : www.librinova.com Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
ANNA
Nicolas mon amour mon fils mon grand garçon Tu ne viens pas souvent me voir depuis que je suis ici Je m ennuie tellement si tu savais Les journées s étirent et me semblent être des semaines Je fais bien sûr quelques rencontres Mais le plus clair de mon temps je le passe à attendre Je regarde un peu la télévision le soir L après-midi je vais marcher dans le parc Les arbres commencent à fleurir, c est beau Nous n avons pas vraiment choisi cet endroit C est sûrement pour cette raison Que je l apprécie si peu C est triste et vieux, abîmé, défraichi Ma maison me manque Toi aussi tu me manques beaucoup Tu sais j ai parlé de toi à Lila ma petite infirmière Elle est belle, gentille et si douce Je l aime bien Elle me conseille de t écrire comme on se voit peu Elle dit que je dois te parler Lorsque je suis nostalgique je me confie à elle Elle m écoute tu sais Elle est attentive à mes mots et semble touchée C est rassurant d avoir quelqu un qui écoute Tu ne viens plus très souvent me voir ici Nicolas mon amour Alors je vais t écrire.
Tu sais mon ange lorsque tu es né j avais trente-six ans C était en janvier 1981 C est loin maintenant et pourtant je me souviens de tout Je me souviens du temps qu il faisait C était un hiver très froid et venteux Je me souviens que Paris était paralysée sous la neige Le monde s était peut-être arrêté pour t accueillir Je me souviens des yeux de ton père De la douceur des soignants qui s agitaient Tu étais tellement beau lorsqu on t a posé sur moi Je ne t ai pas regardé immédiatement, trop émue D abord je t ai serré contre mon corps Mes deux bras entourés autour de toi Pour que tu n aies pas froid Pour que tu n aies pas peur J ai demandé impatiente, fille ou garçon Et ton père en larmes a dit «c est Nicolas, c est Nicolas» J étais heureuse Au fond de moi je sentais que tu serais un garçon Ensuite lorsque tu as levé tes yeux noirs vers moi En un regard je t ai aimé C était si fou de t avoir dans mes bras Alors que tu étais dans mon ventre Tu verras lorsque tu auras un enfant Je te le souhaite vivement car il n y a rien de plus beau C est plus fort que tout ce que j ai connu Dans ma vie.
Apres le court séjour à la maternité Nous avons retrouvé notre maison Ton père avait tout préparé en mon absence Il faut dire que tu es arrivé avec un peu d avance Il avait construit ton petit berceau en bois Et mis de jolis draps blancs dentelés pour l orner Nous t avons installé tout endormi dans ce lit Avons penché chacun notre tête au-dessus Pour ne pas te perdre des yeux une seule seconde Et t avons regardé de très longs moments Aucun de nous ne parlait Nous n avions d attention que pour toi Nous fixions ton visage si fin et si bien dessiné En lui cherchant des ressemblances Mais tu étais tellement unique et tellement toi Tes petits poings serrés gagnaient en amplitude Et du allongeais tes longs doigts pour t étirer Tu nous offrais de drôles de moues Et nous cessions de respirer redoutant un pleur Mais tu te rendormais dans une autre position Le visage à nouveau apaisé Déjà tu esquissais de furtifs sourires Qui nous rendaient complètement fous de toi C était si soudain et tellement fort Nous n étions pas encore prêts à t accueillir Tu as forcé le destin Peut-être trop pressé de nous rencontrer.
Ma vie mon amour est passée si vite Je te parle de mes souvenirs comme si c était hier C est étonnant comme je me souviens de tout J ai eu une enfance joyeuse auprès de mes parents J ai grandi dans un foyer harmonieux Je n ai manqué de rien C est une chance certaine d être aimée Comme je l ai été par ma propre famille J ai eu de beaux jours et d autres plus sombres J ai eu de grandes joies et des épreuves La vie est faite ainsi pour chacun de nous Chaque homme sur terre Vit de beaux et de terribles moments Il faut l accepter car elle est telle J espère que tu es heureux dans ta vie mon Nicolas Que tu es une belle personne Que tu parviens à faire le bien autour de toi Parce qu il faut aimer tu sais Il faut donner beaucoup, être généreux et pardonner Être présent autant que possible pour les autres Être bienveillant envers ceux qu on aime Prendre soin des gens, du monde aussi Je t ai élevé du mieux possible mon garçon J espère que tu gardes de nous de belles valeurs Je n ai pas toujours été une bonne mère Et je m en excuse Mais j ai vraiment fait de mon mieux.
Lorsque tu étais petit dans l appartement de Paris J aimais passer du temps à te regarder Je m allongeais souvent sur le canapé sous un plaid Et je t observais à ton insu Tandis que tu faisais tes premières découvertes Tu jouais sur le tapis du salon Tu parlais dans un langage que toi seul comprenais Tu regardais des livres et mimais la lecture Tu faisais rouler des petites voitures sur la table basse Tout attisait ta curiosité à ce moment J aimais ça de toi Cette autonomie, rare pour cet âge Tu pouvais rester de longs moments seul J avais lu qu il fallait laisser les enfants s ennuyer Afin qu ils s inventent des histoires Qu ils développent leur imaginaire Tu le faisais parfaitement Et lorsque tu en avais assez de jouer Tu m apportais un livre Tu montais t installer contre moi sur le canapé Et je te lisais une histoire Tu tournais les pages à l endroit ou à l envers Tu t amusais de me voir te dire «mais non mon bébé» Tu me faisais répéter des mots avec une grosse voix Pour te faire peur et rire à la fois Lorsque j y repense je me dis que ces instants Font partie des plus beaux de ma vie.
Ton père n était pas souvent là à cette période Nous nous éloignions déjà alors que tu étais si petit Tu sais Nicolas mon amour La vie donne des défis qu on ne relève pas toujours Elle n est pas fidèle à ce qu on imagine Ton père t aimait passionnément j en suis certaine Mais il ne le montrait que très peu au début Il a appris à le faire avec le temps Ce n est pas toujours inné pour un homme De prendre soin d un petit enfant Le soir je tenais à ce qu il te couche pour profiter de toi Je restais au salon et espérais qu il t embrasse fort Avant de te border pour que tes rêves soient beaux Je t entendais rire parfois et j adorais ça Savoir qu il te faisait des chatouilles ou des grimaces Me rassurait au plus profond de moi Je l entendais te dire «bonne nuit mon grand» Tu n étais qu un tout petit garçon Quel enfant n a pas besoin de ses parents Pour le rassurer, lui chanter des chansons L aimer tout simplement Ton père t aimait à sa manière Mais nous nous sommes malgré nous éloignés Et ne parvenions plus à communiquer Alors lorsque j allais me coucher chaque soir Avant de rejoindre ma chambre Je venais dans la tienne t embrasser pour deux.