JOURNEES ANNUELLES DES HYDROCARBURES 2014 DISCOURS DE CLOTURE Yves-Louis Darricarrère Mesdames, Messieurs, Cher Amis, Il se trouve que l année dernière m était déjà revenu l honneur et le plaisir de clôturer vos travaux. Je me réjouis d avoir à le faire de nouveau cette année et je trouve que ceux-ci font preuve d une grande continuité : l an passé, en effet, vos travaux avaient pour titre «Nos talents au service de l énergie» et cette année il me semble que c est assez logiquement que vous avez choisi cette année : «Energies un avenir sans frontières». Car précisément nous utilisons nos talents à repousser toujours plus loin les limites du monde de l énergie et nos terrains d action sont multiples comme l a montré la variété des thèmes que vous avez abordés au cours de ces deux jours, qu il s agisse de mobilité durable, de technologies mises en œuvre dans l exploration-production, d intégration de nos activités sur la chaine pétrolière et gazière ou encore de local content et de maîtrise des coûts. Nous tous, acteurs de l industrie pétrolière et parapétrolière, je pense que nous devons unir nos forces au cours des prochaines années pour être capables ensemble de répondre aux deux défis suivants : 1
Satisfaire à un prix abordable la demande croissante en énergie d une humanité toujours plus nombreuse ; Lutter efficacement contre le changement climatique et contribuer à ce que, à l horizon 2100, le réchauffement reste limité. Comme vous l avez constaté au cours de vos deux jours de travaux, il ne fait aucun doute que ces deux objectifs ne seront atteints que si collectivement nous sommes capables de faire tomber les frontières dans de nombreux domaines, économiques, technologiques, environnementaux ou sociétaux. Je voudrais donc, dans un premier temps, revenir sur les grandes tendances de l équilibre énergétique mondial au cours des prochaines années, puis, dans un second temps, passer en revue avec vous ces frontières qu il nous faut abolir. Sous le double impact de l accroissement de la population et du développement des économies émergentes, la consommation mondiale d énergie va continuer à croître au cours des prochaines décennies. Trois grandes tendances se dessinent : Une croissance annuelle moyenne de la demande en énergie que nous estimons à 1.1% entre 2010 et 2035 pour atteindre à cet horizon environ 345 Mboe/j 2
Dans le mix énergétique, même avec une multiplication par 6 de la part du solaire et de l éolien (qui passerait de 1 à 6%), la part des énergies fossiles en 2035 resterait prépondérante, à 74% contre 81% aujourd hui Le gaz deviendrait la deuxième source d énergie avec 25% (22 aujourd hui), au détriment du charbon (21% contre 27), le pétrole conservant la première place mais en recul à 28% contre 32 aujourd hui De ces grandes tendances découle une conséquence : la transition énergétique sera un processus long qui nécessitera des innovations technologiques et des investissements importants dans toutes les sources d énergie. Cela est vrai en particulier dans les énergies renouvelables avant qu elles n atteignent leur maturité technologique et deviennent compétitives. Cela est vrai également dans notre industrie pétrolière et parapétrolière. Parvenir à satisfaire la croissance de la demande en énergie de manière compétitive et durable représente un véritable défi pour nous tous. Compte tenu du déclin attendu des gisements de pétrole aujourd hui en production, cela suppose la construction d ici à 2035 de 55 Mb/j de nouvelles capacités, 3
En ce qui concerne le gaz, cela suppose la mise en service de nouvelles capacités de production quasiment équivalentes à celles existant aujourd hui. Pour mesurer pleinement ce défi adressé à notre industrie, il suffit de regarder comment ont évolué de 2000 à aujourd hui les niveaux de la production mondiale d huile et de gaz et les investissements qu il a fallu déployer pour y parvenir : De 2000 à 2013 la production d huile et de gaz n a progressé que de 1.7%/an (1.1 pour l huile, 2.8 pour le gaz) ; Dans le même temps, les investissements nécessaires à ces productions sont passés d un peu plus de 120Md$ en 2000 à plus de 700 Md$ en 2013 : une progression de 15%/an, qui reste encore de +8%/an sur la période 2008-2013 Bien sur, ceci est dû pour partie, au fait que les ressources que nous découvrons et que nous produisons sont de plus en plus complexes. Ce phénomène est destiné à durer : aujourd hui, plus du quart des réserves prouvées d huile sont non conventionnelles (huiles extra lourdes, huiles de schiste ) et cette proportion monte à 50% pour le gaz. Cette révolution des hydrocarbures non conventionnels, au-delà de l abondance de ressources qu elle procure, contribue à une nouvelle 4
répartition des réserves d hydrocarbures dans le monde, introduisant davantage de diversité géographique. Ainsi, en ce qui concerne le gaz, la prise en compte des ressources non conventionnelles aboutit à une répartition assez équilibrée entre Amérique du Nord, Amérique du Sud, CEI, Moyen Orient et Asie. C est un peu moins vrai pour les hydrocarbures liquides mais, dans ce cas, ce qui est spectaculaire c est l importance prise par l Amérique du Nord dont les réserves (y.c. bruts extra lourds et «tight oil») deviennent supérieures à celles du Moyen Orient. Dans un cas comme dans l autre, l Europe reste la moins bien dotée et, si l on s intéresse aux flux de produits à travers le monde, on voit qu à l horizon 2030 l Amérique du Nord va devenir autosuffisante en énergie et même, dès 2020, exportatrice de gaz, le Moyen Orient, la CEI, l Afrique et l Amérique du sud restant les grandes zones exportatrices pour les deux importateurs majeurs que constituent l Asie (de plus en plus) et l Europe. Un mot des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour finir de dresser le tableau : Aujourd hui, les émissions mondiales de GES liées à l utilisation d énergies fossiles s élèvent à environ 34 Gt de CO2eq/an 5
Depuis le milieu des années 2000, la part des pays non-ocde (au premier rang desquels la Chine) dans ces émissions est devenue majoritaire, pour atteindre à présent plus de 60% Pétrole et gaz comptent pour un tiers des émissions totales de GES, le charbon à lui seul pour près du quart. Il ne fait pas de doute par conséquent que toute l industrie pétrolière et parapétrolière est partie prenante de la question des émissions de gaz à effet de serre ainsi que des réponses à y apporter, et doit collectivement contribuer à leur limitation. Nos activités sont ainsi au cœur de deux des grands enjeux du monde actuel : l approvisionnement en énergie et la lutte contre le changement climatique. Notre responsabilité est de concilier au mieux ces deux impératifs, de façon rentable et durable. Si donc nous voulons faire face à cette responsabilité, dans le contexte général que je viens de décrire, quelles sont les frontières que nous devons abolir? 6
Il me semble que ces frontières portent au moins sur quatre domaines : La maîtrise des coûts, objet de votre dernière table ronde, qui est impérative pour assurer notre pérennité en offrant une énergie accessible en termes de coûts La technologie, qui concerne à la fois les techniques mises en œuvre dans nos métiers traditionnels mais aussi la mise au point de nouvelles formes d énergie de préférence renouvelables L intégration de la problématique du changement climatique à chacune de nos décisions stratégiques Et enfin le sociétal, qui concerne aussi bien la question du local content que, par exemple, les actions que nous pouvons mener pour donner accès à l énergie à ceux qui en sont privés. La maîtrise des coûts tout d abord Vous vous rappelez qu il y a un instant je vous ai indiqué combien les investissements annuels de l industrie pétrolière mondiale avait flambé entre 2000 et 2013 (multiplication par 7 à 700Md$) pour une progression beaucoup plus limitée de la production d hydrocarbures : dans cette dérive des investissements, seul un tiers est dû à un accroissement de l activité, les deux tiers étant liés à une inflation des coûts. Jusqu en 2008, cette inflation était plus que compensée par l augmentation des prix du 7
brut ; depuis quatre ans les prix du brut sont stables autour de 110$ (avec toutefois une tendance baissière qui s est accélérée ces dernières semaines) ; les coûts eux ont continué de croître. Cette situation n est tout simplement pas durable : elle met en péril la viabilité économique de certains projets et des reports ou annulations ont d ores et déjà été annoncés du fait d un manque de rentabilité. Si l industrie veut donc satisfaire la demande à l horizon 2035, il est impératif qu elle parvienne à maîtriser ses coûts, en particulier en challengeant les solutions techniques retenues, en privilégiant le good enough - sans jamais remettre en cause la sécurité-, et en étant capable de développer d autres types de partenariats avec nos diverses parties-prenantes. (fournisseurs, contractants, gouvernements ou encore ONG). Bref, nous devons changer en profondeur notre façon de travailler et nos comportements. Deuxième frontière, la technologie La complexité croissante des ressources à développer nous oblige à repousser toujours plus loin, par l innovation, les limites de nos techniques : ce sont des innovations technologiques qui nous ont permis, par exemple, de maîtriser les conditions extrêmes de l offshore profond. La récente mise en production de CLOV au large de l Angola a confirmé les remarquables réussites techniques de PAZFLOR deux ans plus tôt. 8
Demain, nous devrons être capables de développer des gisements audelà de 3000 mètres de profondeur et à plus de 300 km des côtes De même, il est fondamental de continuer à progresser dans l amélioration des rendements des énergies renouvelables ; chez Total, nous avons choisi d investir massivement dans le photovoltaïque en devenant actionnaire majoritaire de la société américaine SunPower, un des leaders mondiaux du secteur, proposant les panneaux à la fois les plus efficaces au monde avec 21.5% de rendement énergétique, mais également résistants à l usure, à la corrosion et aux variations de température. Troisièmement, le changement climatique Compte tenu de la part des hydrocarbures dans les émissions de GES, l industrie pétrolière et parapétrolière doit contribuer aux efforts qui sont faits en vue de les limiter. En tant qu acteur majeur de l énergie, Total a pris volontairement un certain nombre d engagements : réduction de 15% de nos émissions entre 2008 et 2015, réduction de 50% du flaring entre 2005 et 2014, amélioration de 1.5% par an de notre efficacité énergétique entre 2012 et 2017, maîtrise de la captation et du stockage du CO2, commercialisation de produits labellisés «Total écosolutions» 9
Au-delà et dans la suite de Davos 2014, avec un groupe d autres entreprises pétrolières nationales et internationales, nous avons lancé une initiative pour montrer la contribution de l industrie à la lutte contre le changement climatique : celle-ci n en est encore qu à ses débuts mais nous sommes persuadés de son importance pour contribuer à préserver notre licence to operate dans le futur. Le sociétal enfin, quatrième frontière Les frontières sociétales, ce sont entre autres nos rapports avec les Etats hôtes et les exigences toujours plus importantes en termes de local content qu il faut faire évoluer pour éviter la dérive des coûts et la désoptimisation qu il connaît actuellement. Il s agit de participer au développement économique des pays dans lesquels nous sommes présents tout en conservant la maîtrise des coûts et des délais. Ainsi, une part très significative du développement du projet CLOV a été conduite en Angola : 10 millions d heures de travail ont été effectuées dans le pays par des entreprises nationales pour la fabrication et l assemblage dans les chantiers angolais. Avec 64 000 tonnes de fabrication locale, le projet a franchi une nouvelle étape en termes de local content et grâce à une politique active de recrutement local et de formation, un nombre important d angolais a intégré les équipes des entreprises impliquées dans le projet. 10
Le sociétal, c est également contribuer à donner accès à l énergie aux plus démunis, comme nous le faisons, par exemple, dans le cadre du projet Awango de Total : aujourd hui, 1.3 milliard d individus n ont pas accès à l électricité ; avec Awango, nous avons déjà vendu plus de 600000 lampes à fonctionnement solaire à plus de 3 million de personnes dans plus de 16 pays d Afrique et d Asie. J ajouterai enfin que le dépassement de toutes ces frontières ne pourra se faire qu en parvenant à la nécessaire mise en place de nouveaux partenariats avec les sociétés nationales. Nous devons comprendre et accompagner l évolution des relations entre IOC et NOC, dont les compétences et les ambitions ne cessent de croitre. Il ne tient qu à nous d en faire une grande opportunité pour l ensemble de l industrie pétrolière et parapétrolière. Les compagnies nationales et les compagnies internationales doivent mettre en commun leurs moyens : l accès aux ressources ainsi que la connaissance des sphères économiques, politiques et sociales de leur pays en ce qui concerne les NOC, l expertise technique, l efficacité dans la gestion des grands projets complexes ou l engagement sociétal pour ce qui est des IOC. Dans ce cadre, proposer un modèle intégré est l une des forces des compagnies internationales, comme vous avez pu le voir dans les sessions 11
consacrées au raffinage et à la pétrochimie. Ainsi, en Arabie Saoudite, la raffinerie de Jubail permet de traiter des bruts lourds produits à proximité et est en outre intégrée avec des unités pétrochimiques. Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques points que je souhaitais aborder avec vous en conclusion de vos travaux. Comme vous, je sais que notre industrie pétrolière et parapétrolière continuera de jouer un rôle majeur dans la satisfaction des besoins énergétiques de la planète au cours des prochaines décennies. Elle le fera tout en limitant significativement l empreinte environnementale. Collectivement, nous avons su démontrer hier que nous étions capables de sans cesse repousser nos frontières en inventant des solutions nouvelles : cette capacité existe toujours aujourd hui, elle est là, intacte, et elle nous promet de magnifiques réussites face aux défis qui nous attendent. Je vous remercie de votre attention. 12