La famille, image de l Église (Ép 5,31-32)



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Transcription:

CEP Gaspar Mora La famille, image de l Église (Ép 5,31-32) 1. Le mystère salvifique de Jésus-Christ, centre de la pensée de saint Paul 1.1. Le centre de l expérience mystique de Paul et de toute sa pensée théologique est le mystère de Jésus-Christ, Fils de Dieu, «livré à la mort pour le pardon de nos péchés et ressuscité pour nous rendre justes» (Rm 4-5). C est tout à fait surprenant que dans l œuvre immense de Paul, la mort et la résurrection de Jésus-Christ en constituent le noyau central de manière pratiquement exclusive ; mis à part l accent sur l une ou l autre chose, Paul ne dit rien d autre sur Jésus! Tout Paul s exprime dans le cri suivant : «quant à moi, Dieu me garde de me glorifier d autre chose que de la croix de notre Seigneur Jésus-Christ» (Ga 6,14). Plus encore : «Maintenant, nous ne connaissons plus personne d une façon humaine ; si nous avons connu le Christ de cette façon, maintenant, ce n est plus ainsi que nous le connaissons» (2 Co 5,16). 1.2. La centralité de Jésus-Christ s inscrit dans la foulée d une autre dimension fondamentale de la pensée paulinienne : la lecture et la compréhension christologique de l Ancien Testament. Paul vit dans sa chair ce que l Évangile de Luc dit de l enseignement de Jésus ressuscité aux disciples d Emmaüs : «Alors, en commençant par Moïse et les prophètes, il leur explique ce que les Écritures disaient à son propos» (Lc 24,27). Paul voit dans les deux épouses d Abraham une typologie des deux alliances : Agar, l esclave, correspond au mont Sinaï et enfante des fils esclaves. Sara, en revanche, représente la Jérusalem du ciel, qui est libre et qui est notre mère (cf. Ga 4,21-26). Paul voit dans le rocher qui désaltéra des fils d Israël dans le désert, le type c est-à-dire l anticipation du Christ qui donne une boisson spirituelle : «ce rocher, c est le Christ» (1 Co 10,4-4). 1.3. Le texte d Ép 5,31-32 dit de façon explicite : «Voici donc que l homme quittera son père et sa mère pour s attacher à sa femme, et les deux ne feront plus qu une seule chair : ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu il s applique au Christ et à l Église» (Ép 5,31-32). Il ne s agit pas ici des événements historiques du peuple d Israël, mais du fait ancestral et constitutif du couple humain, la communion de l homme et de la femme qui passe au-dessus des liens familiaux et inaugure une réalité nouvelle. Paul n y voit pas seulement une annonce anticipatrice mais un «grand mystère» parce qu il le voit dans le cadre du Christ et de l Église, le cadre salvifique de l amour salvifique de Dieu en Jésus-Christ. 1.4. Ce texte se situe à deux niveaux : un niveau théologique, quasiment mystique et un niveau anthropologique et éthique. Le premier considère le couple humain comme participation et signe de l amour sacrificiel (ou oblatif) du Christ pour l Église ; le second l application pratique aux relations entre les époux pour lesquelles Paul est probablement influencé par son monde culturel. Dans notre exposé, nous nous arrêterons sur l intuition géniale de Paul relative à la dimension salvifique du couple humain qui participe à l amour entre le Christ et l Église. Ce niveau du couple et de la famille en tant qu image de l Église, aimée du Christ et sauvée par son don 1

d amour qui la nourrit, la vêt et la sanctifie ; il la présente ainsi sans taches, ni rides, sainte et immaculée (cf. Ép 5,25-27). D où, les deux parties de mon exposé : d un côté, l Église purifiée et sanctifiée par le Seigneur Jésus-Christ ; de l autre, la famille qui en est l image. 2. L Église, communauté nouvelle dans l Esprit de Jésus-Christ Le concile Vatican II nous a placés devant la question suivante : «Église, qui dis-tu de toimême?». Comme toute l œuvre de Dieu parmi nous, l Église est toujours un mystère de grande portée, un mystère tellement grand que nous ne parvenons pas à le comprendre de fond en comble. C est un mystère qu il nous revient de contempler dans le silence, l admiration et la souffrance. En ce qui concerne notre sujet, je propose une approche du mystère de l Église en quatre étapes. 2.1. L Église communauté des disciples de Jésus L Évangile de Marc explique la vocation des douze apôtres en ces termes : «Puis Jésus gravit la montagne et il appelle à lui ceux qu il voulait. Ils vinrent à lui et in en institua Douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher avec pouvoir de chasser les démons» (Mc 3,13-15). Dès le début, Marc décrit le projet de Jésus. Il en appelle douze, avant tout pour qu ils soient avec lui, et ensuite il les envoie. Cet «être avec lui» reprend le premier appel aux deux paires de frères et à Levi : «venez avec moi» (Mc 1,17) et «suismoi» (Mc 2,14). Être avec lui et le suivre, cela montre dès le départ un aspect radical et original du christianisme. Il ne s agit pas seulement d aller avec le maître ou d apprendre des choses pour les enseigner. Il s agit de participer à l Esprit de Jésus, de l expérience qui a mis en branle toute sa vie. Il s agit de prendre part à sa connaissance intime de l amour sauveur de Dieu, qui est Père de toute l humanité, accueille les pécheurs ; c est prendre part à cette expérience radicale de la vie humaine enracinée dans le Dieu vivant vie qui trouve sa plénitude dans l amour, la désappropriation de soi, la liberté, l engagement humble et simple. Les Évangiles nous apprennent que toute la vie des disciples aux côtés de Jésus fut pleine de tensions et d incompréhensions. Ils soulignent souvent qu «ils ne comprenaient pas ce qu ils voulaient dire, mais qu ils avaient peur de lui poser des questions» (Mc 9,32). Dès le début, Jésus s efforce non sans difficulté, et souvent par des échecs, de les amener à comprendre l Esprit qui le traverse et le met en mouvement : un Esprit d amour de simplicité, de don de soi et de pardon. Il a tenté de leur faire comprendre le sens ultime de sa vie qui, au fond, était le sens de sa mort et de sa résurrection. La réaction sévère de Jésus ressuscité à l encontre des pèlerins d Emmaüs est la preuve de sa relation difficile avec les disciples : «Alors il leur dit : ô cœurs sans intelligence, lents à croire tout ce qu ont annoncé les Prophètes» (Lc 24,25). La tradition chrétienne nous apprend que cinquante jours après la résurrection de Jésus, par don de Dieu, ces disciples comprirent et commencèrent à prendre personnellement part à son Esprit. C est alors que se réalisa ce que Jésus avait annoncé dès le début : ils commencèrent à «être avec lui» et partirent annoncer la Bonne Nouvelle du salut. 2.2. La mission de l Église La participation à l Esprit de Jésus ne s achève pas dans la vie personnelle de chaque chrétien. La vie dans l Esprit de Dieu crée des relations d amour, de service, de sollicitude mutuelle, de simplicité, de recherche de justice et de paix. L œuvre de Dieu est la construction 2

de communauté selon l Esprit de Jésus, communautés de personnes qui s aiment, renouent les liens brisés, se pardonnent, dialoguent, cherchent le bien, la justice et la paix. Dès ses premiers pas, le christianisme formula ce projet par une frappante ouverture universelle aux «gens de toute race, langue, peuple et nation» (Ap 5,9). Le récit de Pentecôte traduit bien cette conscience de soi d un peuple constitué de tous les peuples : «Parthes, mèdes, élamites, gens de la Mésopotamie, de Judée, de Cappadoce, du Pont et d Asie, [ ] nous les entendons proclamer dans notre propre langue les merveilles de Dieu» (Ac 2,7-11). Tel est le projet «Église» qui a débuté il y a deux mille ans. Et aujourd hui : des communautés chrétiennes européennes qui se savent sœurs des communautés chrétiennes africaines ou asiatiques ; et qui sont, par conséquent, en relation non de domination, d exploitation, de dédain ou d indifférence, mais de justice, de coopération et de service. Tel est donc le projet «Église». Si grand et tellement noble qu on n en a pas fini tous seuls de le comprendre! On dit souvent que la première mission de l Église est l évangélisation, l annonce et la promotion de l Évangile. L Église a une mission préalable et fondamentale, celle d être vraiment communauté de disciples de Jésus et, par conséquent d engendrer d autres communautés chrétiennes façonnées par son Esprit, se déployant dans l expérience de la foi et de l amour personnels et libres des chrétiens. 2.3. La communauté chrétienne inculturée L Apocalypse dit : «gens de toute race, langue, peuple et nation» (Ap 5,9). Nous disons : «de toute langue». Chaque communauté chrétienne est appelée à réaliser l Église et l Esprit de Jésus-Christ dans sa propre culture. Aucune communauté chrétienne n est à elle seule toute l Église parce qu il n y a pas de culture qui épuise à elle seule le sens et la vie de l humanité. L Église est appelée à s incarner dans chaque culture, à «s inculturer». L inculturation comporte une double tâche. D une part, comprendre, formuler, célébrer et vivre la foi chrétienne dans les coordonnées de chaque culture : langue, coutumes, traditions, art, etc. C est une tâche lente, difficile mais nécessaire pour que la foi chrétienne parvienne à chaque culture. Il s agit de s approprier l Évangile, de le comprendre et de le vivre dans les dimensions de sa propre culture. D autre part, l inculturation comporte une autre tâche, celle d éclairer sa propre culture par la lumière de l amour et du pardon de la justice et de la paix, de la pauvreté et de la confiance en Dieu. Assumer ce qui peut être assumé et corriger ce qui ne correspond pas à l Esprit de l Évangile. C est également indispensable, mais aussi très difficile! Aucune culture n est «neutre» : elles tendent toutes à se perpétuer, également dans leurs dimensions moins humaines, moins humanisantes. Il s agit de baptiser sa propre culture avec l eau de l amour, de la paix, du respect d autrui ; en d autres termes, il s agit de la purifier de ses violences, de son orgueil, de son égoïsme. Ce travail de purification de la culture par l Évangile et, à la fois, de reprise de celle-ci dans ce qu elle a de profondément humanisant est le fait de l Esprit Saint. Celui-ci œuvre dans l Église au cœur de ce monde où elle est offerte comme le sacrement signe et instrument de l union intime de Dieu avec l humanité (cf. LG1 ; GS 42). Ce que l Esprit entreprend dans la communauté des disciples est tout autant ce qu il entend réaliser dans toute l humanité. La grâce invisible agit, d une manière que Dieu seul connait, dans le cœur de tous les êtres humains (cf. GS 22 5). Il y a là un défi pour les communautés chrétiennes à reconnaître que l amour de Dieu déborde largement le cadre de l Église et que, par la puissance de son Esprit, c est toute l humanité qui est appelée à être réconciliée. Depuis la Pâque du Christ et la Pentecôte de son Esprit, la communauté des disciples est témoin et artisan à la fois d «un ciel nouveau, d une terre nouvelle» (Ap 21,1). 3

3. La famille, image et signe de l Église Pour Paul, l «Évangile» c est le Christ, en personne. Celui-ci est le «grand mystère» de la rencontre de Dieu avec notre humanité pour la sauver. Mon insistance sur la communauté des disciples a voulu souligner que nous ne sommes pas seulement des «propagandistes», mais des messagers témoins d une Bonne Nouvelle qui nous transforme autant qu elle est appelée à transformer tout être humain, s il se laisse travailler par l action de l Esprit, par la grâce invisible de Dieu qui œuvre dans nos cœurs et dans l histoire humaine. L Église en est comme le sacrement. C est dans ce cadre que nous devons traiter le couple et la famille : ils s inscrivent à la fois dans le projet «Église» de la communauté des disciples et, par leur nature même, ne cessent de participer au climat socio-culturel du monde d aujourd hui. 3.1. La famille, caisse de résonance du climat socio-culturel La famille est le groupe humain de base, le premier cadre de socialisation. De nos jours, nous sommes très sensibles aux «différents modèles de famille» qui en sont venus à émerger dans nos sociétés. Au regard de l ensemble des sociétés et des cultures humaines l histoire elle-même nous montre une variété énorme de modèles familiaux. Dans cette perspective, il faut d emblée dire que la famille est une caisse de résonance privilégiée de son propre environnement social culturel. Chaque famille vit en son sein toute la richesse et la complexité de la culture : elle est le lieu où se vivent les convictions personnelles, mais aussi les conflits de relations entre personnes ; le lien de l homme et de la femme ; le rôle des uns et des autres, enfants, adolescents, parents, etc. Ces relations évoluent en permanence parce que la famille vit et c est très important les courants culturels, les convictions, les valeurs qui définissent une société et une culture. Dans notre cas, elle vit la liberté, l autonomie personnelle, la sécularisation et la post chrétienté, la consommation, le pluralisme, la valorisation du corps, de sa santé et de sa beauté, les valeurs humanistes, etc. La société façonne indéniablement la famille et celle-ci devient un moyen de cohésion et de stabilité au sein de son environnement social. 3.2. La famille, petite communauté chrétienne Du point de vue de la «communauté des disciples», la famille est appelée à devenir le premier milieu d incarnation culturelle de l Esprit évangélique. Au sein d une société complexe dont la famille demeure le premier lieu de socialisation, celle-ci n est-elle destinée à être une petite communauté chrétienne (Vatican II AA 11d). Il lui revient la double tâche d inscrire l Évangile dans la culture (inculturation) et de purifier celle-ci par l Évangile (purification). Le microcosme familial assume la culture de la société ambiante, le style de relations et de rapports sociaux, les évidences culturelles du moment, les valeurs et contrevaleurs, etc. en même temps qu il y incarne et inculture, dans toutes ces dimensions de la culture ambiante l Esprit évangélique d amour, de respect, de dévouement, de paix, de confiance en Dieu, etc. À cet effet, il revient à la famille la tâche douloureuse du discernement et de purification de ce qui en elle se répercute du monde environnant. A l encontre de l autoaffirmation de l individu, de la liberté égoïste, de la fièvre de consommation, de l épanouissement personnel pour survivre au détriment des autres, la petite communauté 4

chrétienne qu est la famille vit une dynamique pascale d amour et de pardon, de liberté et de pauvreté. Son esprit son «style» évangélique en fait une image de l Église où chacun apprend à écouter la Parole de Dieu et à vivre de l Esprit de Jésus. 3.3. La famille, milieu privilégié de communion chrétienne Cette mission de vivre selon l Évangile n est pas facile pour nos familles comme d ailleurs pour toutes nos communautés chrétiennes! Mais il y a peut-être quelque chose de tout à fait original dans la réalité familiale, c est qu on en fait forcément partie. Dans les communautés chrétiennes, on constate que très souvent les gens qui s y se retrouvent pour la célébration de l eucharistie et d autres initiatives et activités participent d un même milieu social. Ce n est pas seulement la foi chrétienne qui les rassemble, mais un style partagé, des affinités communes et corrélativement, les personnes qui n y sont pas à l aise, s en écartent. Elles vont voir ailleurs! Autrement dit, nos communautés ne sont pas aussi pluralistes que notre société! En revanche, les familles vivent une forte diversité entre elles et dans leur sein ; leurs membres peuvent même vivre des situations très conflictuelles. Et, en principe, les personnes continuent néanmoins à cohabiter rarement le conflit aboutit à la rupture. C est finalement dans le milieu familial plus que dans nos réalités paroissiales, très curieusement! qu on apprend à vivre le pluralisme, parfois très marqué, et cela dans l accueil et le dialogue. C est notamment dans nos familles qu il s agit d apprendre à vivre le pluralisme religieux ; à vrai dire, ce n est pas le cas dans la communauté chrétienne! Ce pluralisme au sein des familles se manifeste par la confession de foi des uns, l indifférence religieuse des autres ou pour d autres encore le rejet de la religion. Sous cet angle, la famille est comme une caisse de résonance de la réalité de notre monde. C est au sein des familles que l Église par ceux qui s en réclament! apprend à dialoguer et à collaborer avec les personnes que l on dit «éloignées» d elle, comme peuvent l être des beaux-frères ou des belles-sœurs, des cousins, les frères et sœurs et les parents. 4. Conclusion Saint Paul voit l amour entre un homme et une femme comme la participation au mystère salvifique de l amour du Christ pour l Eglise. Dans cette vision mystique, Paul a intégré le monde humain de l amour conjugal dans le monde divin de l amour du Christ. Cette perspective correspond à l accentuation chrétienne de l incarnation. L Esprit de Dieu fait naître dans le cœur humain une plénitude de vie, participation à la vie éternelle de Dieu. L incarnation contient toute la grandeur et la tension inhérentes à l inculturation moyennant laquelle se déploie le salut de chaque culture humaine. L Église est le germe et la réalisation de cette inculturation dans nos réalités humaines. Mon propos a tenté de montrer que cette tension entre la réalité culturelle humaine et sa plénitude dans l Esprit se joue dans le premier groupe culturel, la famille. Je rappellerai pour finir que les relations et les conflits vécus dans la société peuvent aboutir à des situations-limite, à des affrontements sociaux graves. En revanche, ces mêmes tensions et conflits vécus en famille acquièrent une tonalité humaine caractérisée par l amour mutuel qui amortit ces conflits en les humanisant. C est probablement l apport primordial de la famille à la mission ecclésiale d habiter chrétiennement le monde où nous vivons. Gaspar Mora 5