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Points de repère Opéra et mise en scène L Avant-Scène Opéra a déjà consacré son n 241 (2007) à cette problématique toujours actuelle. Or le sujet est loin d être épuisé Voici donc le premier numéro d une déclinaison du thème : un volume entièrement consacré à l un des grands noms de la mise en scène lyrique aujourd hui: Robert Carsen. Robert Carsen à Zurich en 1990, lors des répétitions de Lucia di Lammermoor. D.R. Robert Carsen Toutes les capitales lyriques le sollicitent depuis vingt ans. Paris et la France lui sont peut-être plus encore attachées, qui ont accueilli quelquesuns des spectacles les plus magiques de ce Canadien francophile et francophone. A Midsummer s Night Dream (Aix 1991), Alcina (Palais Garnier 1999), Rusalka (Opéra Bastille 2002), Capriccio (Palais Garnier 2004), Candide (Théâtre du Châtelet 2006) et L Affaire Makropoulos (Opéra national du Rhin 2011) en sont les jalons les plus mémorables. L Avant-Scène Opéra a donc choisi d ouvrir avec lui sa nouvelle série, et le remercie pour sa disponibilité sans laquelle ce numéro n aurait pu voir le jour ainsi. À la rencontre de l artiste Des Repères biographiques, un Grand entretien et plusieurs Témoignages En couverture : de ceux qui ont fréquemment collaboré avec lui chef d orchestre, interprètes, directeurs de théâtre, scénographe... permettront de cerner Robert Night Dream, reprise A Midsummer s Carsen dans son métier de metteur en scène, sa personnalité et sa démarche à Barcelone en 2005 : Emil Wolk (Puck). artistique. A. Bofill. Des Jalons rythmeront ensuite 25 années de mise en scène, sous la forme de 25 regards analytiques d auteurs, portés sur les grandes productions réalisées par Robert Carsen entre 1988 et 2012. Tannhäuser, Opéra Robert Carsen. D.R. Bastille, Paris 2011 : Christopher Ventris (Tannhäuser). OnP / Elisa Haberer. Esthétique d un univers Pour approfondir l étude de son univers, nous avons réuni plusieurs Notes de mise en scène de Robert Carsen, ainsi que quatre Études spécifiques portant sur le travail dramaturgique (Ian Burton), la vision carsénienne de la féminité (Thierry Santurenne), son rapport au temps (Guy Cogeval) et sa grammaire scénographique (Alain Perroux). La documentation de l ASO Enfin le lecteur de L Avant-Scène Opéra retrouvera les outils documentaires habituels de notre revue : une Vidéographie ainsi que la section Robert Carsen à l Affiche, avec sa chronologie de productions depuis 1978. Bâtir ce projet fut passionnant, car il constitue le parfait complément du travail habituel de l ASO axé sur l œuvre et son interprétation. Nous espérons qu il trouvera son écho parmi les lecteurs, connaisseurs ou pas de Carsen, amateurs ou pas de son travail mais que nous savons curieux, assurément. Chantal Cazaux Der Rosenkavalier, Festival de Salzburg 2004 : Franz Hawlata (le Baron Ochs) et Miah Persson (Sophie). Hans Jörg Michel. page de gauche : Robert Carsen (sur la scène), William Christie et le Premier violon Hiro Kurosaki en répétition au Festival d Aix-en-Provence 1993. Martine Franck / Magnum Photos. L Avant-Scène Opéra n 269 3

Robert Carsen : repères biographiques 1954-1975: une jeunesse tournée vers le théâtre Robert Carsen naît à Toronto en 1954 et grandit dans une famille pour laquelle le théâtre et les beaux-arts ont une grande importance. Dès son enfance et plus encore pendant son adolescence, il assiste à des spectacles, voit des expositions. Il entame ensuite des études à la York University (Toronto) mais décide finalement qu il veut être comédien. Il part en 1974 pour la Grande-Bretagne et entre à l Old Vic Theater School de Bristol. Rapidement, Rudi Shelley, un de ses professeurs, repère ses prédispositions pour la mise en scène. Bristol 1979 : répétitions de L incoronazione di Poppea. Cedric Barker. à droite : Glyndebourne 1982 : Sir Tom Stoppard, traducteur de L Amour des trois oranges en anglais, et Robert Carsen, alors assistant de Frank Corsaro. Guy Gravett. 1976-1986: de l assistant au metteur en scène En 1976, Robert Carsen fait la connaissance du compositeur Gian Carlo Menotti, qui a fondé en 1958 à Spoleto le Festival des Deux Mondes. Menotti lui propose d y être l assistant de Filippo Sanjust, metteur en scène et décorateur de La Dame de pique parmi la distribution, rien moins que Magda Olivero. Si Robert Carsen fait ses débuts de metteur en scène à partir de 1978 avec The Bear puis L incoronazione di Poppea au Bristol Intimate Opera, il n en continue pas moins à parfaire son expérience d assistant, notamment avec Ken Russell, Frank Corsaro ou Trevor Nunn, travaillant ainsi au début des années 1980 à plusieurs éditions du Festival de Glyndebourne. 1987-1994: la conquête du continent Après dix années difficiles les contrats se font rares, émergeant surtout en Grande-Bretagne et en Amérique du Nord, Robert Carsen se fait découvrir en Europe continentale. Sa première commande est initiée par Hugues 4 L Avant-Scène Opéra n 269

Gall, alors directeur du Grand Théâtre de Genève : en 1988, Mefistofele signe aussi la première collaboration de Robert Carsen avec le décorateur Michael Levine. Suivent une série de réalisations aussi marquantes que diversifiées: à partir de 1990, un cycle Puccini à l Opéra des Flandres d Anvers sept titres produits jusqu en 1996; en 1991, le coup d éclat de A Midsummer s Night Dream au Festival d Aix-en-Provence. C est le début d une belle histoire avec Aix, où Robert Carsen montera en l espace de quatre éditions ses premiers Haendel (Orlando en 1993, Semele en 1996) et Die Zauberflöte (1994). La France lyrique est amoureuse. Orlando (reprise à Anvers 2004). Annemie Augustijns. ci-dessous : Mefistofele (reprise à New York 2000). Winnie Klotz.

Repères biographiques 1995-2004: la reconnaissance internationale L année 1995 est une date-clé. L une des «Big Five» de l opéra les cinq scènes lyriques internationales les plus importantes invite Robert Carsen: il met en scène Jérusalem de Verdi à la Staatsoper de Vienne. Parallèlement, 1995 est aussi le début de l «ère Gall» à l Opéra de Paris: Hugues Gall, nouveau directeur de l institution, ouvre ainsi sa première saison avec le Nabucco de Carsen. Nouvelle étape en 1997, avec la production marquante des Dialogues des Carmélites à Amsterdam, Eugène Onéguine au Metropolitan Opera (New York 1997) et le début d un cycle Verdi / Shakespeare à Cologne. Robert Carsen élargit de plus en plus son champ de travail et son répertoire: en 1999, il signe ses premières lumières (Jenufa, Anvers) en débutant un nouveau cycle consacré à Janáček; en 2000, il met en scène son premier musical (The Beautiful Game, Lloyd Webber). Et la même année, la prestigieuse Scala de Milan reprend ses Dialogues des Carmélites. Au cœur de cette décennie de l épanouissement, Robert Carsen s attaque au monument sacré du répertoire : le Ring de Wagner. Monté à Cologne de 1999 à 2004, il est ensuite repris à Venise, Shanghai et le sera au Liceu de Barcelone à partir de 2013. L année 2004 enfin est marquée de lieux chargés d histoire et de productions hautement symboliques : Capriccio de Richard Strauss au Palais Garnier, avec Renée Fleming, sera le dernier spectacle du mandat d Hugues Gall; le Festival de Salzburg invite Robert Carsen pour Der Rosenkavalier; et La Traviata inaugure la réouverture de La Fenice de Venise entièrement restaurée. 2005-2012: mille e tre Robert Carsen Depuis longtemps intéressé par la création d ouvrages contemporains, Robert Carsen a monté The Rocking Stone de Selwyn en 1980 ou Mario and the Magician de Somers en 1992. Mais Richard III de Giorgio Battistelli a, en 2005, une toute autre résonance, produit sur la scène de l Opéra des Flandres à Anvers. Le tourbillon des genres, des scènes et des expériences se poursuit : le musical Candide au Théâtre du Châtelet (2006), un premier Covent Garden en 2007 avec la coproduction d Iphigénie en Tauride, une première scénographie d exposition en 2008 (Marie-Antoinette, Grand-Palais) et, la même année, le retour au 6 L Avant-Scène Opéra n 269

Festival de Glyndebourne par la «grande porte» avec une nouvelle Incoronazione di Poppea. La saison écoulée (2011-2012) poursuit sur la même voie, avec les premiers pas de Robert Carsen dans le rôle de scénographe lyrique (The Turn of the Screw, Theater an der Wien), sa première nouvelle production au Teatro alla Scala (Don Giovanni en ouverture de saison) ainsi qu au Royal Opera House (Falstaff). Sans compter un mois de septembre à venir en forme de feu d artifices, alignant deux des expositions les plus attendues de la rentrée artistique parisienne (L Impressionnisme et la Mode au musée d Orsay et Bohèmes au Grand Palais) et une nouvelle création mondiale à Genève JJR (Citoyen de Genève) de Philippe Fénelon, dans le cadre du tricentenaire de la naissance de Jean- Jacques Rousseau. Distinctions Robert Carsen est Docteur honoraire de l Université de York (Toronto, 2005), Officier dans l Ordre du Canada (2006) et Officier dans l Ordre des Arts et Lettres (2011). Il a reçu le Carl Ebert Award (Glyndebourne 1982), le Grand prix du Syndicat de la presse musicale internationale pour l ensemble de ses mises en scène (1996), le Prix Samuel de Champlain et l Opera Canada «Ruby» Award (2009). Récompenses 4 Prix Abiati (Italie): Dialogues des Carmélites (Milan 2000), Fidelio (Florence 2003), Katia Kabanova (Milan 2006), Götterdämmerung (Venise 2009) 3 Prix de la Critique (France): A Midsummer Night s Dream (Aix-en-Provence 1992), Candide (Paris 2006), Dialogues des Carmélites (Nice 2010) Prix Campoamor 2007 (Espagne): Dialogues des Carmélites (Madrid 2006) Prix de la Critique Japonaise 2001 : Jenufa Dora Award 2011 (Toronto, Canada): Orfeo ed Euridice de haut en bas et de gauche à droite : Dialogues des Carmélites (reprise Anvers 2008). Annemie Augustijns. Siegfried (reprise Venise 2007). Michele Crosera. Capriccio (Palais Garnier 2004). É. Mahoudeau. Richard III (reprise Genève 2012). GTG / Yunus Durukan. L Avant-Scène Opéra n 269 7

A Midsummer s Night Dream Britten Festival d Aix-en-Provence, 1991 par Christian Merlin Il suffira d avoir dit que, sur 900 soirées lyriques fréquentées à ce jour, le Songe d une nuit d été par Robert Carsen, dans la nuit aixoise de juillet 1991, reste le plus beau spectacle d opéra que j aie jamais vu. Un moment de pure magie, de ceux que l on passe en lévitation, à quelques centimètres au-dessus du sol, et que l on quitte sous l effet d un enchantement qui agit encore longtemps. Tous les relais ont fonctionné: Britten a su traduire la magie de Shakespeare et Carsen a miraculeusement restitué celle des deux à la fois. On a tout de suite su qu on assistait à un moment privilégié dont on pourrait dire plus tard: «j y étais». En outre, on trouvait déjà chez le jeune Carsen ce qui allait faire l essentiel de son langage scénique. Comprenant qu un trop grand souci illustratif risquait de tomber dans la naïveté redondante, il remplace la forêt enchantée par un lit démesuré, puis par plusieurs de taille normale, où se feront et déferont les couples Lilian Watson (Titania) et Roderick Kennedy (Bottom), Aix-en-Provence 1991. G. Amsellem. 38 L Avant-Scène Opéra n 269

David Daniels (Oberon) et Emil Wolk (Puck), reprise à Barcelone en 2005. A. Bofill. ensorcelés par les erreurs d un lutin maladroit. Les draps sont verts, les oreillers blancs, le ciel bleu foncé, fixant les trois couleurs qui détermineront lieux, personnages et costumes selon leur appartenance au monde des fées, des elfes ou des hommes. Les éclairages sont tous plus féeriques les uns que les autres, le dispositif scénique d une réjouissante astuce : à chaque représentation qu on a vue, la salle n a pu réprimer ses applaudissements en voyant, au deuxième acte, les trois lits suspendus en l air sur fond d une lune toute proche. Quant à la mise en scène proprement dite, elle est réglée au cordeau, d une subtilité et d une inventivité constantes, et chaque personnage, mis en valeur par de ravissants costumes, vit et agit avec justesse, naturel et un sens consommé du comique. Les rois ont une classe folle, leurs domestiques enfants ont tout le mépris possible pour les humains qu ils ne touchent qu avec des gants, les rustiques sont d une balourdise hilarante. C est le travail d équipe plus que les individualités qui s impose: la distribution a changé de nombreuses fois (avec pour constante le Puck irremplaçable du comédien Emil Wolk), sans la moindre déperdition, de Londres à Barcelone en passant par Paris, Lyon et Strasbourg. L Avant-Scène Opéra n 269 39

Der Rosenkavalier R. Strauss Festival de Salzbourg, VIII.2004 par Didier van Moere Salzbourg et Le Chevalier: l histoire d un couple indissociable, depuis la première confiée à Clemens Krauss en 1929. Après la guerre, les splendeurs rococo du très classiques Hartmann, guère remises en question par Karajan, avaient dominé jusqu en 1995. Appelé par Gérard Mortier, Herbert Wernicke avait alors créé un monde de rêve et d illusion, qui semblait vaciller dans un jeu de miroirs. Un espace démultiplié Confronté lui aussi au gigantesque plateau du Festspielhaus, qui flatte naturellement la dimension spectaculaire du Chevalier, Carsen prend un autre parti. Au lieu de déployer la profondeur, il démultiplie l espace entre cour et jardin, donnant l impression d une longueur sans fin, écho de l immensité de l Empire. Au premier acte, il le divise par des portes imposantes, la chambre de la Maréchale semblant presque perdue au milieu de couloirs et d antichambres, comme si l intimité, dans ce monde, ne pouvait que se dérober. Le tout dans le rouge opulent de la richesse étalée. Au deuxième, rien qu une salle à manger, meublée d une table sur toute sa longueur. La technique est quasi cinématographique, avec des couleurs vives et contrastées, des effets d un réalisme assumé: porteur d une rutilante rose en argent, Octavian déboule chez Faninal sur un cheval de parade. Carsen voit grand, ressuscitant à sa manière la profusion néobaroque de la Vienne de Marie-Thérèse. L amour et la guerre On ne pense guère ici qu à deux choses: faire l amour et la guerre. La femme est un objet, qu on prend au bordel comme on prend une place. Toujours en tenue, Octavian et Ochs appartiennent à une armée sûre d elle-même, que Faninal fournit en fusils et masques à gaz. Il reçoit tout le complexe militaro-industriel et commande à un peintre en vue une toile murale représentant Waterloo. Les orphelines ellesmêmes portent un uniforme. On passe son temps à défiler: chez la Maréchale ou le bourgeois parvenu, les laquais marchent comme un bataillon. Haut gradé et non plus hobereau, entouré d une soldatesque bruyante et vulgaire, le baron, monocle à l œil, cigarette au bec, a d abord le sang chaud, moins truculent qu obsédé, plus jeune et moins bedonnant que de coutume. Inquiétant aussi: on se demande s il n irait pas jusqu à prêter Sophie à ses hommes. Aussi exigeante pour les ensembles que pour les scènes 72 L Avant-Scène Opéra n 269

intimistes, la direction d acteurs impose d ailleurs, sans l éluder, des limites au comique: il reste peu de la farce qu on nous a si longtemps servie. L envers et l endroit Cette grandeur a son envers, ses coulisses: plutôt que sur la mise en abyme qu il pratique souvent, Carsen joue sur les correspondances. Même couleur rouge, même enfilade de pièces vue en coupe dans le palais Werdenberg et au bordel, tenu par une drag-queen réplique putassière de la grande dame de l aristocratie. Comme la chambre de la maréchale, celle où Ochs croit s approprier Mariandel occupe le centre du plateau ; le lit rouge qui tombe du mur reproduit celui du premier acte; Octavian y semble réitérer les mêmes gestes d amour, apprendre à Sophie ce que lui a enseigné sa maîtresse d hier. Le rituel distingué de la matinée de la Maréchale se dégrade en quotidien sordide des toilettes intimes. Comme si le Schnitzler de La Ronde avait entaché les délicatesses de Hofmannsthal. Comme si les grâces mozartiennes disparaissaient sous le soufre de Salomé. Tout ce monde a perdu son innocence. On ne croit qu à demi à celle de Sophie, la Maréchale paraît plus femme libre que cœur délicat, Octavian, plus grave, plus mûr que son âge, a l air fort expert en prostituée dont la perruque ressemble étrangement à la coiffure de la Maréchale. Le petit Mohammed lui-même s est mué en adolescent voyeur vidant au lupanar les bouteilles de champagne. Apocalypse joyeuse Cet univers court à sa perte : Carsen nous montre l effondrement d un empire. Peinture d une décadence plus que fin d une liaison. Oubliée la Vienne de Marie-Thérèse: nous voici à la veille de la grande guerre, à l époque de la composition du Chevalier. Un empire malade, au fond, de l excès de son immensité: c est le docteur Freud qui vient soigner Ochs blessé par Octavian. Le tableau du deuxième acte devient à la fin réalité cruelle : sur le champ de bataille, tous s effondrent, commandés par un Feldmarschall dérisoire. On valsait sur les tranchées, le bel Octavian n était que de la chair à canon. L image idyllique du couple lumineux, promesse d un monde nouveau, se transforme brusquement en vision de cauchemar ténébreux. Dès le début, d ailleurs, la lumière a paru artificielle, comme si la vérité se tapissait dans le crépuscule ou la nuit : la fin du premier acte, loin de baigner dans l éclat du matin, s estompait au milieu de lueurs crépusculaires, qu on retrouverait au bordel. Splendeur et misère. Apocalypse joyeuse. Les actes I (à gauche) et II. en haut : Franz Hawlata (le Baron Ochs) et Angelika Kirchschlager (Octavian). Hans Jörg Michel. L Avant-Scène Opéra n 269 73

Falstaff Verdi Londres, Royal Opera House Covent Garden, 14.V.2012 par Chantal Cazaux Une mise en scène gourmande Manger et boire, aimer et désirer, rire et gronder, rêver et déchanter, se disputer et se réconcilier: que de «tranches de vie» dans Falstaff! Pour sa troisième nouvelle production de l année 2012 (après The Turn of the Screw au Theater an der Wien et Don Giovanni à La Scala), le prolifique Robert Carsen boucle sa saison lyrique sur un éclat de rire franc et joyeux. Les appétits sans cesse renouvelés de Falstaff, ceux des Commères espiègles et du mari vengeur prennent, dans les décors spacieux de Paul Steinberg, mi-austères mi-déréglés, une (dis-)proportion qui sied bien au Gros Ventre de Verdi. Et de bout en bout, on y mange, on y boit, on y cuisine, on y pâtisse, on y met le couvert, on y dessert la table. L auberge de la Jarretière est un hôtel cossu, l intérieur des Ford, un royaume de desperate housewife des années cinquante où l on prépare le bourgeois dîner du soir, et le rendez-vous forestier aura des airs de banquet de noces, masquées entre rêve et réalité. Traité en mondain pique-assiette plus qu en hâbleur pathétique, le Falstaff de Robert Carsen possède une indéniable classe dans son costume de chasseur à courre. 104 L Avant-Scène Opéra n 269

Ses mésaventures sont narrées sur un mode de comédie tendre, sans cruauté ni amertume son grand monologue de solitude est écouté religieusement par un observateur cocasse (Rupert-the-horse, guest star de la soirée), et son «passage à tabac» dans la forêt le transforme en gigot géant destiné aux fourchettes et couteaux d une foule gentiment inoffensive. Le charme du vintage Face à lui, les Commères sont un impayable quatuor de gossip girls: si autrefois l on bavardait autour du lavoir, désormais on refait le monde à défaut de vivre sa vie depuis sa cuisine ultra-équipée. Les costumes de Brigitte Reiffenstuel les habillent d un New Look singularisé avec justesse: jupe corolle pour une Alice «idéale ménagère», jupe crayon pour une Meg active, toujours hors de chez elle, aube des sixties pour la jeune Nanetta. Monsieur Fontaine affiche, lui, une prospérité vulgaire de riche Texan, presque trop exotique dans ce tableau so British. Ana María Martínez (Alice), Kai Rüütel (Meg) et Marie-Nicole Lemieux (Mrs Quickly). en haut : Ambrogio Maestri (Falstaff) entre Meg et Alice. ROH 2012 / Catherine Ashmore. L Avant-Scène Opéra n 269 105

Falstaff Onirisme et épicurisme Si la comédie est assumée franchement, la poésie n est pas en reste, Carsen usant de son art des éclairages (qu il co-signe avec Peter van Praet) et de la mobilité des décors pour ouvrir soudain l espace du rêve nocturne au beau milieu d écuries bourgeoises aux boiseries de chêne. Car il ne s agit pas, bien sûr, de se priver du Chasseur noir et de son rayon de lune, d un ciel étoilé et de ses vapeurs fantomatiques, bref: du mystère et de sa grâce. De la même manière, Robert Carsen fait du premier duo Nanette / Fenton un écho de la rencontre cinématographique de Tony-Roméo et Maria-Juliette action arrêtée, lumière lunaire, focalisation sur les deux amoureux seuls au monde. De fait, West Side Story croisait déjà Shakespeare et les années cinquante Mais, tandis que Carsen se plaît si souvent à nous emporter, au moment final, au-delà de l affreux pragmatisme du drame et de la mort, il laisse ici régner un épicurisme joyeux qui tranche avec les morales et les enchantements que des lectures strictement intellectuelles pourraient faire dominer. La scène de la forêt bouclera ainsi la boucle en revenant à une auberge de la Jarretière en plein festin de noces: le jeu de miroir des deux tableaux (attitude de Falstaff sur la table, toast porté par l assistance) accentuant ce «retour du bon côté du miroir». On est prêt alors à parier que les pâtisseries picorées par les Commères, le poulet dévoré par Falstaff, la pâte à gâteaux vérifiée par Mrs Quickly ou le vin qui coule à flots, sont bel et bien délicieux. Et même l avoine de Rupert. 106 L Avant-Scène Opéra n 269

sur la double page : Ambrogio Maestri (Falstaff) au début de l acte III (à gauche), pendant la scène du Chasseur Noir (ci-dessous) puis lors du finale de l opéra (ci-dessus). ROH 2012 / Catherine Ashmore. L Avant-Scène Opéra n 269 107

Alain Perroux Petit précis de grammaire carsénienne Tous les témoignages concordent: le talent de Robert Carsen, c est de réinventer à chaque mise en scène son rapport à l œuvre. Et pourtant: de spectacle en spectacle, il est des repères que l on retrouve, comme le langage d un auteur que l on reconnaît de livre en livre, même lorsqu il nous surprend et se surprend lui-même à chaque sujet nouveau. Alain Perroux a donc tracé pour nous les premiers éléments d une «grammaire carsénienne». De quoi Carsen est-il le nom? De spectacles inventifs, ingénieusement pensés, brillamment mis en image, méticuleusement réalisés. L'homme est prolifique: rien qu'en 2011-2012, il a mis en scène six nouvelles productions, sans compter des reprises innombrables aux quatre coins du globe (Munich, Strasbourg, Vienne, Toronto, Paris, Venise ). De cette foisonnante activité, il est inévitable qu'émergent des traits caractéristiques, des images apparentées, des objets récurrents, une direction d'acteur personnelle. En un mot: un «style». Il est toutefois remarquable que ces traits singuliers ne tournent jamais à la recette, aux «ficelles» trop systématiquement activées, mais que Robert Carsen parvienne sans cesse à les réinventer et à surprendre ses spectateurs. C'est que le metteur en scène canadien s'est toujours efforcé de trouver un chemin propre pour (re)visiter chaque œuvre. Cette manière de réinterroger chaque ouvrage lorsque l'on s'y confronte, sans a priori, sans système de lecture préexistant, lui a même permis de concevoir deux productions totalement renouvelées de Salomé, de Manon Lescaut et de La Petite renarde rusée, ou de proposer, comme il se doit, des visions radicalement différentes de deux ouvrages puisant à la même source littéraire (Mefistofele de Boito et Faust de Gounod). Voici donc les accessoires, éléments de décor ou de dramaturgie qui constituent la «grammaire» de Robert Carsen. On pourra observer ensuite comment tout ou partie de ces éléments sont déclinés et réinventés dans chaque nouvelle production. Le lit On pourrait presque parler d'une «signature»: le lit double est un accessoire quasi-incontournable des mises en scène de Robert Carsen. Emblème du couple, lieu de l'imaginaire onirique et de la sensualité érotique, le lit double a pour propriété d'être polysémique. De par sa forme, il s'apparente à une petite scène, lieu éminemment théâtral qui s'étend d'ailleurs à toute la largeur du plateau dans le spectacle fondateur que fut Le Songe d'une nuit d'été créé à Aix-en-Provence. Dans la scénographie de Michael Levine, ce lit était d'autant plus central qu'il se démultipliait au deuxième acte afin de raconter le chassé-croisé amoureux de la scène nocturne, puis qu'il engendrait une image ô combien onirique: trois lits suspendus en lévitation à l'aube naissante du troisième acte. Mais le lit est aussi l'endroit de convergence de sa Rusalka, véritable «lieu commun» où l'ondine finira par être unie à son prince, et de La Femme sans ombre, qui raconte le même mythe de la créature spirituelle désireuse de devenir humaine, en mettant la notion de couple au centre de la fable. Il faudrait encore parler de son 124 L Avant-Scène Opéra n 269

Otello (où le lit double devient frêle esquif emporté par la tempête du premier acte) et de son Lohengrin (où le lit de la nuit de noces est prescrit par les didascalies). Quant au lit versaillais d'armide et à celui d'alcina, ils sont aussi apparentés en tant que lieux de la séduction ensorceleuse. Celui du Tour d'écrou est plus ambigu: simple endroit de repos, il devient espace érotisé par les rêves troubles de la Gouvernante. Et l'on y retrouve une image utilisée déjà dans La Femme sans ombre et Rusalka, celle de la chambre vue en plongée, effet de théâtre inspiré du cinéma et d'autant plus impressionnant qu'il se double d'un effet de «zoom arrière» dans Le Tour d'écrou, où le réveil de la Gouvernante s'accompagne d'un prodigieux mouvement de machinerie: le lit vu d'en-haut pivote pour se retrouver en position horizontale «normale». Le lit géant de A Midsummer s Night Dream lors de la reprise à Barcelone en 2005. A. Bofill. ci-dessous : La nuisette ici provocante de Salomé, Turin 2008. Ramella and Giannese / Piva. La nuisette On sait la prégnance de certains archétypes féminins sur la scène lyrique. La mère ou la fille, l'épouse ou la maîtresse, la vierge ou la putain, toutes ont donné lieu aux plus extraordinaires créatures d'opéra. Comme pour mieux mettre leur âme à nu, Robert Carsen les déshabille. Ses héroïnes se retrouvent donc souvent en nuisette, vêtement adapté à l'intimité de la chambre à coucher, simple tissu avec lequel on ne peut plus rien cacher, à la fois virginal et érotisé, propre à signifier le début de l'initiation de Rusalka ou de l'impératrice, la sensualité d'alcina, L Avant-Scène Opéra n 269 125