«Réviser la révision»



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Transcription:

LA SEMAINE DU DROIT APERÇUS RAPIDES PEINES 777 «Réviser la révision» À propos de la nouvelle procédure de révision et de réexamen des condamnations pénales POINTS-CLÉS La loi n 2014-640 du 20 juin 2014 a pour objectif de créer des conditions juridiques plus favorables à l ouverture des recours extraordinaires que sont la révision et le réexamen des condamnations pénales Elle prévoit la conservation des scellés criminels pour une durée de cinq ans renouvelable, et la systématisation de l enregistrement sonore des débats des cours d assises La création d une cour unique de révision et de réexamen, au sein de laquelle sera organisée une commission d instruction des demandes, est également envisagée François Fournié, docteur en droit, magistrat par le Parlement de la loi n 2014-640 du 20 juin 2014 L adoption relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d une condamnation pénale définitive (JO 21 juin 2014, p. 10209) fait suite aux travaux d une mission d information parlementaire conduite par deux députés, Alain Tourret (majorité, ancien avocat) et Georges Fenech (opposition, ancien magistrat. - Mission d information ayant pris le soin d entendre l ensemble des acteurs de la révision aboutissant à la publication d un riche Rapport d information n 1598 de la Commission des lois de l Assemblée nationale intitulé «Corriger les erreurs judiciaires : la révision des condamnations pénales», décembre 2013, auquel nous nous rapporterons pour les éléments statistiques fournis). À l origine de ce remarquable travail se trouve le constat que la procédure de révision, définie aux articles 622 à 626 du Code de procédure pénale, serait trop fermée. Les interrogations sur la procédure de révision sont l occasion privilégiée d une réflexion toujours anxieuse sur la question de l erreur judiciaire. En effet, ce n est que par une flatteuse imposture que l on pourrait considérer que le faible nombre d annulations de condamnation pénale définitive attesterait de l absence de telles erreurs. Depuis 1990, la cour de révision n a rendu que 51 décisions d annulation (dont 8 en matière criminelle et 43 en matière correctionnelle) sur les 84 demandes transmises par la commission de révision (à rapprocher des 1049 demandes recevables). S il n est pas dans notre propos de nier toute possibilité d erreur judiciaire ou tout dysfonctionnement du service public de la justice, il faut malgré tout prendre en compte que toute décision dommageable ne procède pas nécessairement d un manquement ni même d une faute. Ce n est pas faire outrage à notre système judiciaire que de considérer que des éléments nouveaux peuvent apparaître, inconnus au moment de la décision, qui sont susceptibles de renverser les éléments de preuve initialement retenus. C est, au contraire, lui rendre grâce que de souligner qu il a développé au fil du temps des instruments de correction de ses erreurs. La procédure de révision, existant depuis le Code d instruction criminelle de 1808, participe de ces correctifs. Par la suite, les exigences européennes ont conduit le législateur, par la loi n 2000-516 du 15 juin 2000, à instaurer une procédure de réexamen des décisions pénales définitives faisant suite à une condamnation par la Cour EDH de Strasbourg ( CPP, art. 626-1 à 626-7). Ainsi, le recours en révision permet-il de corriger une erreur de fait alors que le réexamen permet d effacer une erreur de droit relative à la violation d une disposition de la Convention EDH. Les deux recours ont donc bien des raisons d être distinctes : permettre de réexaminer une affaire lorsque survient un élément nouveau de nature à faire douter de la culpabilité de la personne condamnée, pour l une ; assurer l effectivité en droit interne de la décision de condamnation de la France par la Cour EDH, pour l autre. Malgré des différences marquées (tenant au type d erreurs à corriger, au délai pour agir, aux domaines d application), le législateur a néanmoins fait le choix de privilégier leur caractéristique commune permettre l annulation d une décision pénale définitive entachée d erreurs en uniformisant le régime juridique de ces deux voies procédurales d exception. Page 1326 LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N 27-7 JUILLET 2014

LA SEMAINE DU DROIT APERÇUS RAPIDES 777 Lors de ce travail, dont l objectif affiché était sinon de garantir la révision, du moins d en favoriser la possibilité, le législateur a dû concilier des exigences contradictoires : la préservation de l ordre juridique et la réparation d une erreur judiciaire, le respect de l autorité de la chose jugée et la nécessité de corriger une injustice, la volonté d ouvrir les recours en révision et réexamen tout en évitant qu ils ne deviennent une voie de recours ordinaire. L équilibre à trouver était délicat tant il est vrai que si la justice se dit dans l instant, elle s applique aussi dans la durée. Ainsi, le législateur a-t-il souhaité aller audelà de la simple modification marginale en procédant à une réécriture complète des dispositions du Titre II (désormais unique) du Livre III du Code de procédure pénale relatif aux deux voies de recours extraordinaires que sont la révision et le réexamen. 1. Les conditions préalables à la révision et au réexamen Les nouveaux articles 622 à 622-2 du Code de procédure pénale ( L. n 2014-640, art. 3 ) prévoient toujours une procédure de révision et de réexamen des décisions pénales selon trois critères de recevabilité. S agissant de la révision, la décision pénale doit en premier lieu être définitive, ce qui s explique très aisément par le caractère exceptionnel de la procédure de révision, laquelle ne saurait être mise en œuvre en présence d autres voies de recours. Il doit s agir en outre d une décision de culpabilité, ce qui exclut toute révision d une décision d acquittement ou de relaxe (et les arrêts de la Cour de cassation qui, par définition, ne sont porteurs d aucune condamnation). Seules les décisions correctionnelles ou criminelles entrent dans les prescriptions de l article 622 du Code de procédure pénale ; la révision pour contravention n est ainsi pas possible, sauf à ce que la contravention soit indivisible d un crime ou d un délit soumis à révision. Enfin, la demande peut être introduite sans condition de délai. Le réexamen concerne également les seules décisions pénales de culpabilité définitives, mais toutes les décisions pénales (en ce compris les condamnations contraventionnelles et les arrêts de la Cour de cassation). Il est enfermé dans le délai d un an suivant la décision de la Cour EDH. Il peut être demandé au bénéfice de toute personne reconnue coupable lorsqu il résulte d un arrêt de la Cour EDH que la condamnation a été prononcée en violation de la Convention EDH (qu il s agisse des garanties procédurales, telles que définies par l article 6, ou des garanties de fond énoncées par la Convention ou encore ses protocoles additionnels). L article 622-1 du Code de procédure pénale précise toutefois, conformément au texte antérieur, qu il doit s agir de violations présentant une certaine nature et gravité (ce qui exclut, selon la jurisprudence actuelle, la violation du principe du délai raisonnable) ayant entraîné des conséquences dommageables sur le condamné, que le principe de la satisfaction équitable ( Conv. EDH, art. 41 ) octroyée par la Cour EDH ne suffirait pas à réparer. Jusqu alors, la demande en révision pouvait être introduite dans quatre hypothèses faisant toutes intervenir la survenance d un nouvel élément depuis la condamnation. Les trois premières, qualifiées d «historiques», étaient rarissimes et étaient en réalité incluses dans la quatrième, le législateur en a tiré les conséquences en les supprimant : - après condamnation pour homicide, sont présentés des indices sur l existence de la prétendue victime de cet homicide (cas d école jamais utilisé) ; - après condamnation pour crime ou délit, une nouvelle condamnation est intervenue pour le même fait, les deux décisions étant dès lors inconciliables entre elles, «leur contradiction est la preuve de l innocence de l un ou de l autre condamné» ; - un des témoins entendus a été, postérieurement à la condamnation, à son tour poursuivi et condamné pour faux témoignage contre l accusé ou le prévenu ; Désormais, ne subsiste que l hypothèse la plus générale, qui permet donc au condamné d introduire sa demande dès lors que, postérieurement à la condamnation devenue définitive, «vient à se produire un fait nouveau ou à se révéler un élément inconnu de la juridiction au jour du procès de nature à établir l innocence du condamné ou à faire naître un doute sur sa culpabilité». Cette nouvelle formulation porte en elle l intention du législateur de permettre une plus grande ouverture du recours et partant un plus grand nombre de révisions. En «C est un message clair que le législateur envoie à la cour de révision en lui enjoignant de modifier son interprétation du doute.» effet, selon l ancienne formulation il devait apparaître «un fait nouveau ou un élément inconnu au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur [sa] culpabilité». L analyse de la pratique de la révision faite par la mission parlementaire a permis de mettre en lumière, spécialement en matière criminelle, que la commission et plus encore la cour de révision exigeaient des faits nouveaux qu ils ne laissent pas de place au doute sur l innocence du condamné. La formulation retenue permet de prendre en compte non seulement l hypothèse dans laquelle il n y aurait plus de doute sur l absence de culpabilité («établir l innocence») mais également de redonner au «doute sur la culpabilité» toute sa place afin d ouvrir le recours en révision. Cette voie a été préférée à celle qui avait un temps prévalu de qualifier le doute. L expression «moindre» doute, initialement proposée par les rapporteurs, et retenue en première lecture par l Assemblée nationale a finalement été écartée par le Sénat comme insuffisamment juridique. Les travaux parlementaires témoignent cependant de la volonté forte du législateur que le «moindre» doute suffise à justifier une procédure de révision. Par ce biais, c est un message clair que le législateur envoie à la cour de révision en lui enjoignant de modifier son interprétation du doute. En outre, le rétablissement de la mention de l innocence du condamné permet de justifier pleinement une décision d annulation sans renvoi. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N 27-7 JUILLET 2014 Page 1327

Par ailleurs, la mission d information parlementaire a mis en lumière que le premier écueil auquel se heurtaient les condamnés pour faire accéder leur requête tenait à la possibilité de faire émerger un fait nouveau ou un élément inconnu au jour du procès, mais aussi à la difficulté de déterminer si les faits ou les éléments allégués étaient bien nouveaux ou inconnus. Plusieurs dispositifs inédits sont mis en œuvre pour tenter d y remédier. D une part, le sort des scellés criminels a été pris en compte par le biais d un nouvel article 41-6 du Code de procédure pénale ( L. n 2014-640, art. 1 er ). Leur destruction légale, dans de nombreuses affaires, ne permet pas en effet de confronter les éléments matériels recueillis durant l enquête avec les progrès de l analyse (notamment dans le domaine génétique). Désormais, le procureur de la République ou le procureur général, avant d ordonner la remise à l Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) ou la destruction des objets placés sous main de justice devra en avertir par écrit le condamné. Ce dernier disposera alors d un délai de deux mois pour s y opposer et pourra faire appel de la décision devant la chambre de l instruction compétente. Le réexamen du sort des scellés aura lieu, dans les mêmes conditions, tous les cinq ans. D autre part, la commission et la cour de révision se heurtaient souvent à la difficulté d évaluer le caractère de «nouveauté» du fait et de sa portée réelle sur l équilibre du dossier. Alors qu avait été évoquée la possibilité d exiger une véritable motivation des arrêts d assises, le législateur a choisi d opter pour une autre formule. Désormais, aux termes de l article 308, alinéa 2, du Code de procédure pénale ( L. n 2014-640, art. 2 ), les débats de la cour d assises feront l objet d un enregistrement sonore, sous le contrôle du président. En outre, l audition ou la déposition de la victime ou de la partie civile pourront faire l objet, à leur demande, d un enregistrement audiovisuel. L article 622-2 du Code de procédure pénale détermine enfin une liste plus ouverte de personnes susceptibles d introduire la demande en révision ou en réexamen : - le ministre de la Justice ; - le condamné ou, en cas d incapacité, son représentant légal ; - après la mort du condamné ou son absence déclarée, son conjoint, ses enfants, ses parents, ses légataires universels ou à titre universel ; ont été ajoutés, pour tenir compte des évolutions juridiques et sociologiques du couple, le partenaire de PACS, le concubin, ainsi que les petits-enfants ou arrière-petits-enfants ; disparaît en revanche la mention de «ceux qui en ont reçu de lui la mission expresse» ; - la réforme ajoute également le procureur général près la Cour de cassation (préalablement compétent pour le seul réexamen) ; En outre, concernant la seule révision, sont également désormais compétents les procureurs généraux près les cours d appel, traduisant ici la volonté de favoriser les demandes émanant de l autorité judiciaire elle-même et de mettre cette faculté en adéquation avec les attributions du parquet en terme de représentation des intérêts de la société. Tout autre personne est donc irrecevable à introduire directement la demande, mais peut néanmoins toujours en saisir les autorités judiciaires. 2. La création d une cour unique de révision et de réexamen (CRR) Autant la composition de la commission de réexamen était précisée par le Code de procédure pénale, autant celle de la commission et de la cour de révision demeurait imprécise. Désormais, est créée au sein de la Cour de cassation une «cour de révision et de réexamen» (CRR) unique ( CPP, art. 623 mod. et art. 623-1 créé ; L. n 2014-640, art. 3 ). Elle est composée de dix-huit magistrats de chacune des six chambres de la Cour de cassation, et nécessairement présidée par le président de la chambre criminelle. Les dixsept autres membres sont désignés par l assemblée générale, pour une durée de trois ans, renouvelable une fois. Des suppléants sont désignés dans les mêmes conditions. Cette composition, volontairement plurielle, permet d éviter les critiques parfois formulées sur le monopole de la chambre criminelle en matière de révision. Au sein de cette cour sont désignés, pour une durée de trois ans, renouvelable une fois, cinq magistrats titulaires et cinq magistrats suppléants composant la «commission d instruction des demandes en révision et en réexamen». Elle désigne en son sein un président. Cette nouvelle dénomination, moins ambiguë que l ancienne («commission de révision»), présente l avantage de clairement définir son rôle en distinguant nettement phase d instruction et de jugement. La formation de jugement, présidée par le président de la chambre criminelle, est donc composée de treize magistrats statuant en révision ou en réexamen. Le parquet général près la Cour de cassation assure par ailleurs les fonctions du ministère public à la fois devant la commission d instruction et la formation de jugement. Au-delà de cette stricte séparation entre les fonctions d instruction et de jugement, sont également prévues des incompatibilités afin de donner au requérant des gages de garanties objectives d impartialité, de deux catégories : les membres de la commission ne peuvent siéger dans la formation de jugement de la CRR. Ne peuvent par ailleurs participer, en qualité de magistrats du siège ou du parquet, à l affaire soumise à la CRR, les magistrats qui, dans le passé, ont soit fait un acte de poursuite ou d instruction, soit participé à une décision sur le fond relative à la culpabilité du requérant. 3. La détermination de la procédure de révision et de réexamen La réforme renforce la juridictionnalisation de la procédure de révision selon deux phases, telle qu elle découlait déjà de la loi de 1989, le filtrage et l instruction (1 re phase) précédant la décision au fond (2 nde phase). Le filtrage des recours, antérieurement assuré par le ministre de la Justice, puis par la commission de révision, incombe désormais à la «commission d instruction des demandes en révision et en réexamen». Pour mémoire, depuis 1990, la commission de révision a rendu 3171 décisions, parmi lesquelles 2122 d irrecevabilité (67 %), 965 Page 1328 LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N 27-7 JUILLET 2014

LA SEMAINE DU DROIT APERÇUS RAPIDES 777 de rejet et 84 de transmission à la cour de révision (soit un taux de saisine de la cour de révision de 2,65 %). Elle a ainsi pour tâche d étudier la recevabilité des requêtes (celles qui sont «manifestement irrecevables» sont rejetées par ordonnance du président, non susceptible de recours) ; de procéder à leur instruction (directement ou par commission rogatoire en procédant à toutes recherches, auditions, confrontations et vérifications utiles selon les formes prévues au Code de procédure pénale en matière d information judiciaire, à l exception notable de l audition de toute personne pouvant être suspectée d avoir commis une infraction) et de saisir «la formation de jugement de la cour de révision et de réexamen si la demande lui paraît recevable». Elle n est plus chargée, comme c était antérieurement le cas, de saisir la cour de révision «des demandes qui lui paraissent pouvoir être admises». Cette nouvelle organisation est de nature à éviter les décisions contradictoires ayant pu exister entre la commission et la cour. S il apparaît qu un tiers pourrait être impliqué dans la commission des faits, la commission d instruction en avise le procureur de la République territorialement compétent afin qu il fasse diligenter les investigations nécessaires (le cas échéant en ouvrant une information judiciaire) ( CPP, art. 624-2, al. 2 créé ; L. n 2014-640, art. 3). En outre, pour palier une difficulté à laquelle pouvait se heurter un requérant quant aux investigations de nature à permettre la révélation de faits nouveaux (rappelons pour mémoire qu à ce stade la charge de la preuve est renversée et que c est au condamné qu il appartient d apporter les éléments nouveaux), le législateur a prévu que la commission pouvait être saisie par le requérant de toute demande d actes lui paraissant nécessaires (CPP, art. 624-5 créé ; L. n 2014-640, art. 3). C est la même logique qui prévaut, avant même la saisine de la CRR, puisque désormais le condamné (ou les personnes visées à CPP, art. 622-2, préc. ) peut saisir le procureur de la République de toute demande d investigations lui semblant être de nature à permettre la production d un fait nouveau ou la révélation d un élément inconnu au jour du procès. Le procureur dispose d un délai de deux mois pour statuer sur la demande par décision motivée. Un recours est possible, en cas de refus d acte, auprès du procureur général ( CPP, art. 626 mod. ; L. n 2014-640, art. 3 ). Ensuite, la commission d instruction statue après un véritable débat contradictoire au cours duquel sont entendus le représentant du ministère public, ainsi que la partie civile ou son conseil et, en dernier lieu, le requérant ou son conseil. Cette décision est motivée, mais insusceptible de recours. Partant du constat qu en pratique l ancienne commission de révision ne transmettait que très peu de requêtes, le législateur a souhaité minorer le rôle de la commission d instruction, pour éviter une double appréciation quant à la pertinence du fait nouveau invoqué sur la condamnation antérieure. Dès lors que la requête est recevable et qu un élément nouveau est effectivement produit, la commission n aurait pas d autre alternative que de saisir la formation de jugement. La situation est plus simple en matière de réexamen, dans la mesure où le président de la commission d instruction saisit la formation de jugement de la CRR dès lors que la demande est recevable et qu il constate l existence d un arrêt de la Cour EDH établissant une violation de la convention applicable au condamné ( CPP, art. 624-1 créé ; L. n 2014-640, art. 3 ). Pour mémoire, depuis 2000, la commission de réexamen a rendu 55 décisions, dont 16 d irrecevabilité, 7 de rejet et 31 de réexamen (soit un taux de saisine de 82 % des demandes recevables). Lorsqu elle est saisie, la formation de jugement de la CRR est libre de procéder ou de faire procéder, dans les mêmes conditions, aux investigations complémentaires qui lui paraîtraient nécessaires. Une fois le dossier en état, la cour l examine au fond et statue après l organisation d un nouveau débat contradictoire public au cours duquel sont entendus le représentant du ministère public, le requérant ou son conseil et, le cas échéant, la partie civile constituée au procès dont il est demandé la révision ou le réexamen. Le président de la CRR peut demander l audition de toute personne utile à l examen de la demande. Cette nouvelle prérogative tient à la volonté d assurer une plus grande oralité des débats et donner un tour plus concret à l audience. À l issue, la CRR rend un arrêt motivé insusceptible de recours. Soit elle estime la requête mal fondée et dans ce cas la rejette, soit elle estime la requête fondée «Dès lors que la requête est recevable et qu un élément nouveau est effectivement produit, la commission n aurait pas d autre alternative que de saisir la formation de jugement.» et annule en conséquence la condamnation prononcée (sauf lorsqu il est fait droit à une demande en réexamen du pourvoi du condamné) ( CPP, art. 624-7 créé ; L. n 2014-640, art. 3 ). Plusieurs hypothèses sont alors envisageables : - s il est possible de procéder à de nouveaux débats contradictoires, la CRR renvoie l affaire devant une juridiction de même ordre et de même nature, mais autre que celle initialement saisie. Toutefois, si le réexamen du pourvoi d un condamné est de nature à remédier à la violation constatée par la Cour EDH, c est devant l Assemblée plénière de la Cour de cassation qu est renvoyé le requérant ; - s il est impossible de procéder à de nouveaux débats (notamment en cas d amnistie, de décès, de contumace ou de défaut d un ou plusieurs condamnés, d irresponsabilité pénale, de prescription de l action ou de la peine), la CRR statue au fond et annule sans renvoi celles des condamnations lui paraissant non justifiées et décharge, s il y a lieu, la mémoire des morts ; mais si cette impossibilité ne se révèle qu après que la CRR a statué et a renvoyé l affaire au fond, elle rapporte la désignation de la juridiction de renvoi, sur LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N 27-7 JUILLET 2014 Page 1329

réquisition du ministère public, et procède comme il est dit précédemment ; - enfin, si l annulation de la décision à l égard d un condamné vivant ne laisse rien subsister à sa charge qui puisse être pénalement qualifié, aucun renvoi n est prononcé. Le requérant est, tout au long de la procédure, représenté et assisté au cours des débats, par un avocat choisi ou commis d office. Si la demande n est pas «manifestement irrecevable» et que le requérant n est pas représenté, le président de la commission d instruction lui désigne d office un avocat ( CPP, art. 624-4 créé ; L. n 2014-640, art. 3 ). Il est désormais expressément prévu que le requérant ou la partie civile peuvent se faire délivrer copie de la procédure ( CPP, art. 624-6 créé ; L. n 2014-640, art. 3 ). Par ailleurs, parce que la vérité judiciaire est potentiellement ébranlée lorsque la procédure est enclenchée, le législateur a attribué à la commission d instruction, comme à la formation de jugement, la possibilité de saisir la chambre criminelle de la Cour de cassation d une demande de suspension de l exécution de la condamnation ( CPP, art. 625 mod. ; L. n 2014-640, art. 3 ). Le condamné peut également saisir la CRR, aux deux stades de l instruction ou du jugement, de la même demande. Si le dispositif préexistait à la loi nouvelle, la saisine d une instance unique (chambre criminelle) permet d éviter les discordances d appréciation qui avaient pu intervenir entre commission et cour de révision. La chambre criminelle peut ainsi décider que la suspension de l exécution de la condamnation sera assortie de l obligation de respecter tout ou partie des conditions d une libération conditionnelle ( CPP, art. 731 ; art. 731-1 ), y compris celles résultant d un placement sous surveillance électronique mobile. Elle doit alors préciser dans sa décision les obligations et interdictions auxquelles le condamné sera assujetti. Par la même décision, elle désigne le juge d application des peines qui sera chargé de leur contrôle, et qui aura la possibilité de les modifier dans les conditions prévues à l article 712-6 du Code de procédure pénale. Ces obligations et interdictions s appliquent pendant une durée d un an, qui peut être prolongée d autant par une nouvelle décision de la chambre criminelle. La révocation de la suspension est possible dans les conditions fixées par l article 625, alinéa 5, du Code de procédure pénale. Enfin, si la formation de jugement de la CRR, statuant en réexamen, annule la condamnation sans ordonner la suspension de son exécution, la personne demeure détenue jusqu à la décision de la Cour de cassation statuant en assemblée plénière ou de la juridiction du fond saisie. Cette nouvelle décision doit intervenir dans le délai d un an sous peine de mise en liberté d office. Pendant ce délai, la personne détenue est considérée comme placée en détention provisoire et peut formuler des demandes de mise en liberté. 4. Les effets de la révision Il n y a pas lieu de distinguer les effets de la révision selon la nature de la juridiction ayant tranché. Ainsi, qu elle ait été prononcée par la CRR elle-même ou la juridiction de renvoi, l annulation de la condamnation entraînera effacement de la fiche correspondante du casier judiciaire ( CPP, art. 624-7, al. 6, préc. ) ainsi que de certains fichiers (fichiers de police judiciaire, FAED, FNAEG, FIJAIS). Aux termes de l article 626-1 du Code de procédure pénale ( L. n 2014-640, art. 3 ), un condamné innocenté en application de la procédure de révision ou de réexamen a par ailleurs droit à «réparation intégrale du préjudice matériel et moral que lui a causé la condamnation.» Il en va de même de toute personne qui peut justifier du préjudice causé par la condamnation. Une dérogation est cependant prévue, sorte de transposition de l adage selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, qui concerne l hypothèse dans laquelle le condamné l a été pour des faits dont il s est librement et volontairement accusé ou laissé accuser à tort dans le but de faire échapper l auteur des faits aux poursuites. La réparation peut être allouée soit par la décision d où résulte l innocence en cas de demande expresse, soit dans les conditions prévues par les articles 149-2 à 149-4 du Code de procédure pénale pour les personnes ayant fait l objet d une détention provisoire et terminée par une décision de «Qu elle ait été prononcée par la CRR ellemême ou la juridiction de renvoi, l annulation de la condamnation entraînera effacement de la fiche correspondante du casier judiciaire ainsi que de certains fichiers.» non-lieu, relaxe ou acquittement (compétence du premier président de la cour d appel du domicile de l intéressé). Son évaluation se fait, sur demande de l intéressé, par expertise contradictoire dans les conditions prévues aux articles 156 et suivants du Code de procédure pénale. Il va enfin de soi que la réparation est à la charge de l État, sauf à ce que ce dernier se retourne contre la partie civile, le dénonciateur ou le faux témoin par la faute desquels la condamnation a été prononcée. 5. Entrée en vigueur et dispositions transitoires La loi n 2014-640 du 20 juin 2014 entrera en vigueur le 1 er octobre 2014 ( L. n 2014-640, art. 9, I ). Les actes, formalités et décisions intervenus antérieurement à cette date demeurent valables. Les demandes en révision dont est saisie la commission de révision des condamnations pénales ou la chambre criminelle statuant comme cour de révision et sur lesquelles il n a pas encore été statué à cette date sont transmises, respectivement, à la commission d instruction des demandes en révision et en réexamen et à la formation de jugement de la CRR. Les demandes en réexamen dont est saisie la commission de réexamen et sur lesquelles il n a pas encore été statué sont transmises à la commission d instruction des demandes en révision et en réexamen ( L. n 2014-640, art. 9, II ). Page 1330 LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N 27-7 JUILLET 2014