L EMERGENCE D UN DROIT D INDEMNISATION SYSTEMATIQUE DES DOMMAGES CORPORELS

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L EMERGENCE D UN DROIT D INDEMNISATION SYSTEMATIQUE DES DOMMAGES CORPORELS 1

2 ميدقت هنا ةبسانمب ىركذلا نيسمخلا للاقتسلال يفو راطا لدابتلا نواعتلاو نيب ةذتاسلا ا نييعماجلا تماق ةعومجم نم ةذتاسا نييري ازج نورخا و نييسنرف زاجنا ب اذه ثحبلا يملعلا يذلا دعي ةلواحم ءاسرلا ملاعم ماظن ضيوعت ديدج رهظ ىلا بناج ماظن ضيوعتلا ررقملا يف ةيلوو سملا ةيندملا في ) نوناقلا صاخلا وا نوناقلا ماعلا.( رهظيو نا ةرذبلا ىلولا ا اذهل ماظنلا دوعت ىلا ةياهن نرقلا 19 ردص ثيح ل وا نوناق ضيوعتل ثداوح لمعلا دقو دعاس ماظن تانيما تلا يذلا رهظ يف ةيادب نرقلا نيرشعلا ىلع زورب اذه ماظنلا ديدجلا لا اميس نم للاخ هلفكت ضيوعتب ضعب راطخلا ا ةيعامتجلاا ةمجانلا نع ثداوح تارايسلا ثراوكلاو ةيعيبطلا.اهريغو يفو تاونسلا ةريخلا ا عستا لاجم اذه ماظنلا لمشيل تلااجم ةديدج اهنم اياحض ضيوعت ثادحلا ا ةق لعتملا ماظنلاب ماعلا اياحضو رطاخملا ةيبطلا.اهريغو لواحو ءلاو ه نوثحابلا نم للاخ مهتسارد فلتخمل نيناوقلا صلاختسا رصانعلا ةيرهوجلا اذهل ماظنلا ديدجلا يذلا ز يمتي اي لك نع ماظن ةيلوو سملا.ةيندملا لاو انعسي لاا نا هجون انتاركشت ةصلاخلا ءلاو هل نيثحابلا مهعجشنو ىلع ةلصاوم اذه نواعتلا يعماجلا يذلا لا رفم هنم ذا لا م دقت لاا نم للاخ ةبراقم.براجتلا ديسلا بي ان سيي ر ةعماجلا فلكملا ثحبلاب يملعلا

AVANT PROPOS Le hasard des rencontres est une chance. Et s il est soutenu par un peu de persévérance, il produit parfois des résultats surprenants. Voilà résumée en deux phrases la genèse des pages qui suivent et que rien ne laissait deviner il y a seulement quelques mois. A la faveur d un échange entre la Faculté de Droit d Alger et le Centre de Recherche et d Analyse Juridiques de la Faculté de Droit de Pau, il est apparu qu une réflexion commune pouvait être envisagée sur différentes problématiques, dont celle de l évolution du droit de la responsabilité et de la poussée, en Algérie comme en France, des régimes d indemnisation. Dans ce domaine, les similitudes sont flagrantes et elles doivent évidemment beaucoup à l histoire. Le droit algérien a été largement inspiré par le droit français, au-delà même de l indépendance du pays en 1962 puisque la législation française a été reconduite à ce moment, «sauf dans ses dispositions contraires à la souveraineté nationale». Le droit français de la responsabilité civile a donc été inclus dans le droit algérien, donnant aux deux législations une grande ressemblance. L Algérie aurait pu, à cette époque, minimiser le rôle de la faute en faisant siens les débats et les interrogations sur la place de cette dernière dans le droit de la responsabilité. Mais elle ne l a pas fait. Il était donc prévisible que la suite serait aussi très ressemblante. L Algérie s est trouvée confrontée, comme la France, à une montée en puissance d accidents inhérents à la vie en société pour lesquels la responsabilité pour faute n était plus en mesure d apporter une réponse satisfaisante à ceux qui en étaient victimes. Sont ainsi apparus, par vagues successives, des régimes d indemnisation pour couvrir des risques dont le législateur a estimé qu ils devaient être pris en charge par les assurances ou par la collectivité. Le mimétisme entre le droit algérien et le droit français, de ce point de vue, est également incontestable. Même si les termes employés ne sont pas toujours identiques et si les domaines couverts ne sont pas exactement les mêmes, la comparaison est aisée. Les articles qui suivent offrent ainsi un regard croisé très instructif et très édifiant sur les avancées réalisées de part et d autre dans la mise en œuvre de ces régimes d indemnisation : accidents du travail, accidents de la circulation, victimes de terrorisme, aléa thérapeutique. 3

Ces régimes d indemnisation traduisent globalement l émergence d un système original qui s est progressivement mis en place à côté du système classique de la responsabilité civile ; un système en rupture avec celui de la responsabilité civile dont il évince les conditions ; un système qui se veut plus rapide et plus efficace quant aux modalités de réparation. Pour autant, la lecture des différentes contributions révèle aussi de part et d autre les difficultés rencontrées et l incapacité des régimes d indemnisation à évincer complètement la responsabilité pour faute, non seulement à la périphérie mais au cœur même de ces régimes. En dépit des retouches légales et des apports réalisés au fil de la jurisprudence, des espaces subsistent pour la responsabilité et celle-ci resurgit parfois, de façon surprenante, au sein même des régimes d indemnisation pour permettre une meilleure réparation. Cela conduit à cet autre constat partagé qu il s agit là d un droit mouvant dont l évolution n est certainement pas achevée. Il devrait donc y avoir un espace à venir pour d autres études comparatives sur ce sujet ou sur d autres, tant il est évident que de telles études constituent un enrichissement respectif. Le mérite exclusif en revient à tous ceux qui ont accepté avec beaucoup de spontanéité et d enthousiasme d apporter leur contribution à cette publication, parce qu ils sont convaincus qu en s ouvrant aux autres, on s enrichit soi-même. Jean-Jacques LEMOULAND Professeur à l Université de Pau et des Pays de l Adour Doyen de la Faculté de droit 4

PREFACE Faut-il pour mettre en relief l intérêt des contributions ici réunies se limiter au constat qu une société sans responsabilité, c'est-à-dire sans obligation pour ses différentes composantes de répondre de leurs actes, est inconcevable, alors même qu elle constitue une limite sensible aux libertés des personnes. Pas de «société civile» en effet, sans responsabilité qu on la qualifie de pénale, d administrative ou de civile, sans responsabilité professionnelle et même, devrait on dire, sans responsabilité politique. La responsabilité irrigue tout le droit, celle du conducteur de voiture comme celle du capitaine d un navire, celle d un fabricant de produits alimentaires comme celle des médecins ou des notaires, celle d une association sportive autant que celle d une banque ou d un Etat, celle d un pollueur autant que celle de l artisan. Elle le fait parce que l éthique dont elle voudrait être la transposition ne suffit pas à gouverner le monde, et ce alors même qu il ne semble pas ou plus que la faute occupe une place de premier plan. A mesure que les sociétés évoluent, le droit de la responsabilité tente d étendre au mieux ses ramifications, y compris dans sa dimension internationale 1, en sollicitant ses concepts originels. Ainsi en est-il, pour s en tenir à l exemple le plus éclairant, de la «chose» visée par l article 138 du code civil algérien. Sans doute, dans son acception commune, ce mot évoque-t-il simplement un objet. Mais son appropriation par le langage juridique permet d en faire une notion qui englobe meubles et immeubles au point que les rochers d une montagne constituent des choses au même titre qu un ascenseur ou un tracteur, un concept qui prend en considération autant des choses dangereuses 1 En témoigne la résolution 40/34 du 29 novembre 1984 de l assemblée générale de l ONU portant «Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d abus de pouvoir». 5

que celles qui ne le sont pas, au point qu il n y a pas lieu de distinguer sur le terrain de la responsabilité civile entre un avion et une poupée de collection. Le droit de la responsabilité accompagne inexorablement la marche des sociétés, quand ce ne serait le progrès, en prescrivant des comportements, positifs ou négatifs, depuis ceux qui concernent le chasseur «primitif» jusqu à celui qui exploite un élevage industriel, depuis ceux qui concernent le conducteur d animaux jusqu au dirigeant d une entreprise. Il se veut facteur de régulation sociale parce qu aucune personne n est censée nuire à une autre, à fortiori nuire à un groupe de personnes et, pour parler juridiquement, causer un dommage à autrui. Il est, ce faisant, facteur de développement social. Concevrait-on, en effet, un développement des transports modernes sans responsabilité des transporteurs? Admettrait-on réellement un développement de la démocratie sans responsabilité de gouvernants? Envisagerait-on un développement de la santé sans responsabilité des médecins et des chirurgiens? Et comment ne pas voir aussi que le droit de la responsabilité est un levier économique? Par les adaptations et recherches qu il peut stimuler. Par la remise en cause d opérateurs économiques qui entendent se distinguer de leurs concurrents et ainsi, sinon acquérir, en tous cas préserver des parts de marché, tant il est vrai qu un consommateur ou un simple client aura une tendance naturelle à s adresser à l opérateur responsable plutôt qu à celui qui fuit ou ignore ses responsabilités, à tout le moins les limite de manière outrancière. Si le droit de la responsabilité occupe une place aussi essentielle dans le jeu social, s il se distingue des règles simplement morales et accompagne énergiquement la bonne conscience des femmes et des hommes, c est en vérité parce que son efficacité est assurée par un droit à la réparation ouvert à 6

la victime de l acte commis par la personne en responsabilité, du moins si l on se situe sur le terrain de la seule responsabilité civile. Il reste que l on dit trop vite, au point que l on pourrait croire que le juriste est toujours un être pressé, que la réparation n est rien d autre qu une prestation servie pour compenser le préjudice subi par la victime. Pour le dire autrement, si le droit de la responsabilité a un caractère réellement social, si les règles comportementales qu il imprime ont un sens dans (et pour) l évolution de l espèce humaine ou dans (et pour celle) de l humanité entière, c est parce qu il ouvre un droit à réparation, sans lequel il ne présenterait aucun des traits propres à l idée de Justice. L observation vaut dès lors que la seule transgression d une règle est dommageable, qu elle crée un préjudice, l esprit de Justice étant convoqué pour permettre une réparation, à défaut de pouvoir anéantir l acte de transgression lui-même. Autant dire d abord que le droit à réparation est aussi central que le droit à la vie ou le droit à l honneur, que cette réparation se rattache à un dommage patrimonial ou à un dommage extrapatrimonial, qu elle concerne le dommage à un bien ou celui causé à une personne, spécialement lorsque l intégrité corporelle de cette personne est atteinte. Autant dire également que l étendue de la réparation allouée à la victime est loin de constituer, derrière ses aspects purement et inévitablement techniques comme celui de son adaptation au temps, une question marginale s il est vrai que la responsabilité civile doit assurer les fonctions qui sont les siennes dans le jeu social. Elle pose alors de redoutables problèmes de politique législative voire de politique judiciaire, par exemple celui de savoir si la réparation doit être contractualisée par recours aux techniques de l assurance ou socialisée et, dans cette dernière hypothèse, conduire à une solution telle que l équité apparente qui lui sert de fondement ne s écarte pas, malgré sur le plan pratique des difficultés certaines de preuve, de la Justice qui exige une réparation intégrale 2. 2 En résulte ainsi un effort particulier de motivation des décisions de justice ou des décisions administratives d allocation d une réparation à des fins pédagogiques, si 7

Si, dans l ordre des principes, la protection efficace d une victime est admise, on peut aussi escompter que la réparation ait un impact positif sur le sens de la responsabilité, plus précisément sur sa perception et donc sa compréhension du moins si l auteur du dommage est un professionnel assurant des prestations de service public ou privé- ou une autre fonction économique. Derrière la protection de la victime et au-delà de l intérêt légitime qu elle a d agir pour faire valoir un droit à réparation, le calcul de sa créance garde un rapport avec des droits aussi fondamentaux que l égalité et la dignité des personnes. Et si le droit de créance mis en place par un droit de la responsabilité général ou par des droits de la réparation particuliers plutôt fondés sur l idée de solidarité traduit un lien de dépendance entre l auteur du dommage ou une entité à elle substituée d une part et la victime d autre part, en bref s il compense de manière proportionnée plus qu il ne répare, il participe ce faisant, incontestablement malgré les imperfections liés à son évaluation et les questionnements qu il suscite, de la cohésion sociale. C est tout le mérite de l ensemble des contributions qui suivent, expression par ailleurs appréciable et, on l espère, appréciée d une coopération universitaire transfrontières, que d interroger finalement les entrailles de la justice «corrective». Ali BENCHENEB Professeur des Universités (CREDIMI) Ancien Recteur d académie l on s autorise ce terme qui tend à être galvaudé. Mais le réalisme commande de ne voir dans le principe de la réparation intégrale pas davantage qu un idéal à atteindre et d ailleurs remis en cause dès lors que l appréciation de la réparation échappe au contrôle d un juge suprême et à supposer même que certains préjudices comme ceux tirés de la souffrance, physique ou morale ou du deuil soient objectivement évaluables? 8

INTRODUCTION GENERALE ALI FILALI, Professeur -Université d Alger1 Le Code civil algérien promulgué en 1975, sous l ère de l édification de la société socialiste 1 et au moment où l objectivation du droit est à l ordre du jour, est resté très proche du Code civil français, marqué pourtant par un individualisme excessif. Il en est ainsi, notamment, en matière de droit des obligations et spécialement les règles de la responsabilité civile. En effet, L article 124 du Code civil algérien énonçait dans sa version originale : «Tout fait quelconque de l homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à la réparer». N est ce pas là une reprise fidèle de l article 1382 du Code civil français. S il est vrai, qu au plan de la forme, le législateur Algérien s est démarqué du législateur français, il n en n est rien quant au fond. Au plan formel, les dispositions relatives à la responsabilité civile, objet du chapitre III 2 intitulé «De l acte dommageable», ont été réparties en trois sections comme suit : Section 1- De la responsabilité de l acte personnel, Section II De la responsabilité de l acte d autrui, Section III- De la responsabilité du fait des choses. Or, les dispositions régissant la matière en droit français, figurent dans un chapitre 2 sans aucune subdivision, intitulé : «Des délits et des quasi-délits». Cette démarche du législateur algérien dans le choix notamment de l intitulé du chapitre «De l acte dommageable» s entend comme une rupture avec le code civil français, quant au fondement du système de la responsabilité civile 3. La distinction 1 - L Algérie avait opté dés son accession à l indépendance pour le socialisme et elle est restée fidèle à cette doctrine jusqu en 1989. 2 - Titre I «Des sources de l obligation», Livre II «Des obligations et des contrats» du Code civil. 3 - Feu le Président Boumediene disait dans l un de ses discours à l adresse des membres de la commission consultative du ministère de la justice chargée de la refonte des textes dont le code civil: «L Algérie est parfaitement consciente du fait que ses lois actuelles lui sont étrangères, qu elles sont en contradiction avec ce qu il y a de meilleur dans notre législation musulmane traditionnelle.il est donc nécessaire de procéder à une refonte totale de notre législation, à la fois par un retour aux sources du droit musulman et par une adaptation aux besoins et aux 9

formelle des différents types de la responsabilité civile pourrait s analyser comme l affirmation de leur autonomie, contrairement au droit français. L examen, au fond de ces règles de la responsabilité civile montre, par contre, que le législateur algérien a été très fortement influencé par la législation française 4. L article 124 du Code civil algérien constitue à l instar de l article 1382 du Code civil français, l assise fondamentale du système de la responsabilité civile, alors que les articles 134, 135, 136 et 138 correspondant respectivement aux articles 1384, 1385, 1386 du Code civil français, sont des règles de cas de figure. La non intégration, d ailleurs, des dispositions de l ordonnance n 74-15 du 30 janvier 1974 relative à l obligation d assurance des véhicules automobiles et au régime d indemnisation des dommages 5 dans le Code civil, pourrait s expliquer par le désir du législateur algérien de préserver l harmonie de cet ensemble de règles régissant la responsabilité civile 6. Ainsi, dans sa conception générale, notre système de responsabilité civile est identique à celui du droit français, de sorte que les observations formulées à l égard de l un le sont également pour l autre. Cela étant, le système de la responsabilité civile est basé sur une conception subjective individualiste, privilégiant les intérêts de l auteur du dommage sur ceux de la victime. Celle-ci ne devrait pas se contenter d arguer du préjudice subi pour prétendre à une réparation, mais elle doit administrer la preuve de la faute du prétendu responsable. objectifs de la révolution socialiste». Discours du 13 mars 1971, Paul Balta & Claudine Rulleau, La stratégie de Boumediene, La bibliothèque arabe, Sindhab, p 134. 4 - Le Code civil algérien a été élaboré a partir du texte du Code civil égyptien, luimême élaboré sur la base du Code civil français. Par ailleurs le Code civil algérien a été l œuvre d une commission de magistrats ayant une culture juridique française. 5 - JORA, 1974, n 15 du 19 /2/ 1974, p 190. 6 - Faut- il rappeler que l exposé des motifs du projet d ordonnance portant code civil, précisait que code devait prendre en compte : «la législation intervenue depuis l indépendance». 10

Cette conception conforme aux idées de la révolution française et qui correspondait également à l état des rapports sociaux de l époque 7, a montré ses limites dés les premiers changements intervenus dans la société. L activité industrielle s est substituée progressivement à l activité artisanale et c est ainsi que les dommages qui ne sont plus le fait de l homme, mais plutôt celui des machines sont devenus beaucoup plus importants. L activité collective a remplacé l activité individuelle, d où un développement considérable des activités menées par des groupes de personnes organisés selon diverses modalités, telles les associations, les syndicats, les sociétés, les équipes médicales, les équipes de recherche, les associations en participation. Ce nouveau mode d organisation des activités s est traduit par l intervention de plusieurs personnes à différents titres : préposé, gérant, fondé de pouvoir, collaborateur et qu ainsi la responsabilité n est par forcément imputable à l auteur matériel du dommage. Elle serait supportée plutôt par le répondant de cet auteur, à raison des pouvoirs exercés sur celui-ci, ou en contrepartie des profits retirés de cette activité, ou tout simplement en compensation des risques crées. Faut-il rappeler enfin, que la preuve d une faute imputable relève parfois de cas d impossibilité absolue, en raison de l état de minorité de l auteur du dommage ou de son état mental. Ces phénomènes parmi d autres sont à l origine de nouvelles difficultés pour les victimes pour obtenir une réparation des dommages subis. Les victimes d accidents causés par les machines éprouvaient, en effet, de grandes difficultés pour prouver la faute humaine qui engagerait la responsabilité de son auteur et qu ainsi le droit à réparation est devenu très aléatoire. Les victimes de dommages du fait d autrui rencontraient également les mêmes difficultés, comment prouveraient elles la faute du répondant du fait d autrui, voir même celle de l auteur? A ces difficultés s ajoute, celle liée à la solvabilité du débiteur de la réparation compte tenu de l importance des dommages subis. L institution de la responsabilité civile, en tant qu instrument de réparation des dommages, est devenue infructueuse du fait de son caractère individualiste et en tout cas inadaptée aux changements intervenus dans les rapports sociaux. C est là une situation de crise qu il faudra résoudre en 7 - L activité était principalement artisanale, les dommages étaient généralement le fait des personnes et qu ainsi le patrimoine individuel permettait dans la plupart des cas de désintéresser les victimes. 11

améliorant, notamment, la situation des victimes. Il s agit pour l essentiel de faciliter la réparation des victimes en atténuant notamment les conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile. Le mérite de cet assouplissement des conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile revient principalement à la jurisprudence; ce sont, en effet, les magistrats qui sont venus au secours des victimes. Sous la pression des nouvelles données socio-économiques, les juges ont fait preuve de grands efforts d interprétation des textes, de génie et d imagination pour améliorer la situation des victimes qui ne pouvaient- dans tous les cas- être abandonnées à leur sort. Cette amélioration a été rendue possible grâce aux efforts d objectivation de la responsabilité civile, il fallait trouver un moyen pour dispenser la victime de la preuve de la faute du présumé responsable ou de l auteur du dommage. Schématiquement, l objectivation de la responsabilité civile s est concrétisée à travers la découverte de la responsabilité du fait des choses (I), l abandon de la faute comme du fondement de la responsabilité du commettant (II), l émergence d une responsabilité générale du fait d autrui (III), et l apparition de la technique de l assurance (IV). I- La découverte de la responsabilité du fait des choses C est à la fin du 19é siècle, à l occasion de l affaire dite Teffaine, que la Cour de Cassation a découvert pour la première fois, dans son arrêt du 16 juin 1986 8, la portée réelle de l article 1384 /1 conçu comme suit : «On est responsable non seulement du dommage que l on cause par son propre fait mais encore de celui causé par les personnes dont on doit répondre, ou des choses que l on a sous sa garde». Les dispositions de cet article considérées depuis pratiquement près d un siècle comme étant une simple annonce des textes suivants, ont donné lieu, sous la pression des conséquences catastrophiques engendrées par le machinisme, à une nouvelle interprétation par les magistrats. L article 1384/1 est considéré dorénavant comme une règle principale énonçant une responsabilité générale du fait des choses inanimées ayant un fondement plutôt objectif : le fait dommageable et les victimes ne sont plus astreintes à la preuve de la faute du responsable. Par ailleurs, cette responsabilité n est plus regardée comme 8 - DP, 1897, 1, 433. 12

étant simplement subsidiaire, pouvant être évoquée seulement dans les cas où la responsabilité pour faute ne pourrait pas satisfaire la victime, elle est devenue plutôt la responsabilité de droit commun en matière de réparation de dommages causés par le fait de la chose 9. La jurisprudence, animée toujours par le même souci de procurer davantage de protection aux victimes du machinisme 10, a interprété à l avantage, également, des victimes aussi bien la portée de la présomption, que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité du fait des choses. Après avoir affirmé dans un premier temps que la présomption déduite de la nouvelle interprétation de l article 1384/1 était une simple présomption de faute 11, la Cour de Cassation toutes chambres réunies a décidé dans l arrêt Jand heur du 13 février 1930 12 que : «la présomption de responsabilité édictée par l article 1384, al 1, C Civ., à l encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui, ne peut être détruite que par la preuve d un cas fortuit ou de force majeure ou d'une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable ; qu il se suffit pas de prouver qu il n a pas commis de faute ou que la cause du fait dommageable est demeurée inconnue.», il s agit donc d une présomption de responsabilité. Mieux encore l on fait état aujourd hui de responsabilité de plein droit 13. Quant aux conditions de mise en œuvre de ce type de responsabilité et après quelques hésitations des juridictions inférieures, eu égard aux autres dispositions du code civil, la jurisprudence ne fait plus de distinction pour l application de l article 1384 / 1, entre la chose mobilière de celle immobilière, la chose indemne de tout vice de celle qui ne l est pas 14, la chose inoffensive de la chose dangereuse 15 ou encore entre la chose inerte de celle qui ne l est pas, qu elle soit actionnée de la main de l homme ou non. Ainsi la jurisprudence a étendu considérablement le champ 9 - Civ. 2, 14/10/1970, JCP 1971, 16912, Civ. 2,13/2/ 1980, B II n 32. 10 - Palliant par la même à l inertie du législateur. 11 - Rêq. 30/3/1897 S 1898. 1. 65; Civ. 31/7/1905, S 1909. 1. 143; Req. 29 /4/1913, D 1913.1.128. 1212 -D.1930. 1. 57. 13 -Civ. 2, 15/2/ 1967, Bull civ. 1967 II n 72, p 51; Civ. 2, 25 /11/1992, B II 280. 14 - Civ. 16/11/ 1920, D 1922 1 25. 15 - Voir décisions contraires Seine, 19/12/1929, Gaz. Pal. 1930. 1. 431; Seine, 2/01/1930, Gaz. Pal. 1930.1.431. 13

d application de la responsabilité du fait des choses au profit bien évidemment des victimes. Enfin, pour ce qui est de la notion du gardien responsable des dommages causés par la chose, la jurisprudence a pris en considération l évolution des données socio-économiques. En effet, après avoir retenu successivement la garde matérielle et la garde juridique, la jurisprudence considère depuis l arrêt Franck 16 comme gardien responsable, la personne qui a un pouvoir d usage, de direction et de contrôle sur la chose. Le Code civil algérien a traité de la responsabilité du fait des choses dans ses articles 138 à 140. L article 138 considère comme étant l équivalent de l article 1384/1 du Code civil français dispose : «Toute personne qui a la garde d une chose et qui exerce sur elle un pouvoir d usage, de direction et de contrôle, est présumée responsable du dommage qu elle a occasionné Le gardien de la chose est exonéré de cette responsabilité s il administre la preuve que le dommage est dû à une cause qu il ne pouvait normalement prévoir, tels le fait de la victime, le fait du tiers, le cas fortuit ou la force majeure.». Il ressort clairement de ces dispositions que le législateur algérien a repris les dernières solutions auxquelles est parvenue la jurisprudence française. Le premier alinéa de l article 138 identifie la garde de la chose aux pouvoirs d usage, de direction et de contrôle ainsi que l a précisé l arrêt Frank précité. L alinéa 2 consacré aux causes exonératoires est très claire quant à la nature de la responsabilité du gardien, il s agit bel est bien d une présomption de responsabilité, dés lors que le gardien ne peut être exonéré qu autant qu il administre la preuve de la cause étrangère. La clarté de ce texte n a pas empêché pour autant des divergences quant à son interprétation et son application, non seulement par les juridictions inférieures, mais aussi par la Cour Suprême, dont le rôle habituel est de contrôler la conformité des décisions rendues par les juridictions inférieures à la loi et de veiller à l'harmonisation de la jurisprudence. La Cour Suprême n a pas, en effet, de position constante à propos des deux questions essentielles précitées à savoir : la notion de garde et le fondement juridique de la responsabilité du gardien. Concernant la première question, certaines décisions confirment que la responsabilité du gardien ne peut être retenue 16 - Cass. Ch. réunies 2/12/1941 S 1941 1 217 JCP 1942 II 1766. 14

qu'à l'égard de la personne jouissant d'un pouvoir d'usage de direction et de contrôle sur la chose (Cour Suprême 29/01/1992, dossier 79579, Cour Suprême 28/04.2004, dossier 282438), alors que dans d'autres décisions, il est question plutôt de garde juridique (responsabilité à la charge du propriétaire Cour Suprême, 08/03/1989, dossier 58450; Cour Suprême, 10/02/1992; dossier 7631; Cour Suprême, 18/02/2009, dossier 460901) 17. En ce qui concerne la question relative au fondement de la responsabilité du gardien de la chose; il est relevé également des hésitations à travers les nombreuses décisions rendues ; alors que certaines décisions évoquent l'idée de faute prouvée à la charge du gardien (Cour Suprême, 20/04/1994); d'autres font référence tantôt à la présomption de faute du gardien (Cour Suprême, 03/11/1999, dossier 211835) et tantôt à la présomption de responsabilité qui pèse sur le gardien (Cour Suprême, 23/07/2000 dossier 423028; Cour Suprême, 22/06/1996 dossier 134475). II- L abandon de la faute comme du fondement de la responsabilité du commettant Sous l influence des facteurs précités, la jurisprudence a été amenée à donner une nouvelle interprétation aux dispositions de l article 1384/5 et lui donner, ainsi, une nouvelle portée. Le lien de préposition n est plus assujetti à la double condition du choix du préposé par le commettant et l existence d un lien de subordination 18 ; le préposé est défini plutôt comme : «celui qui agit pour le compte d une autre personne, laquelle exerce à son égard un pouvoir de direction, de surveillance et de contrôle» 19. C est la participation du préposé à l activité du commettant qui en conserve d ailleurs la maitrise- qui caractérise le lien ou le rapport de préposition 20. Le fait d agir pour compte s est substitué au lien de subordination et c est pourquoi, la responsabilité du commettant sera engagée à l occasion des actes dommageables des cadres dirigeants et ceux des techniciens sur lesquels le commettant n exerce en réalité aucun pouvoir. La Cour de Cassation 17 - Faut-il préciser que les arrêts de la Cour Suprême ne font pas l objet de publication. 18 - La responsabilité du commettant était alors fondée sur la faute dans le choix du préposé, ( culpa in eligendo), selon Pothier «Ceci a été établi pour rendre les maitres attentifs à ne se servir que de bons domestiques», J Mazeaud & A Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile, Montchrestien, 6éme éd, T 1 er, p 952. 19 - G Viney,Traité de droit civil, Les obligations, La responsabilité LGDJ 1982 p 878. 20 -Philipe le Tourneau Loic Cadiet, Droit de la responsabilité civile, Dalloz 1976, p 727. 15