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Transcription:

Master linguistique générale et linguistique appliquée Spécialité Fonctionnements Linguistiques et Dysfonctionnements langagiers Parcours DIAPASON Mémoire de Recherche Acquisition du système consonantique et des mots fonctionnels chez des enfants implantés cochléaires Sous la direction de Anne Lacheret et Marie-Thérèse Le Normand Marie-Lorraine Michon année universitaire 2012-2013

REMERCIEMENTS 2

Je remercie Madame Anne Lacheret, ma maitre de stage, co-maitre de mémoire et directrice du master DIAPASON, pour sa présence attentive tout au long de l année. Merci de m avoir accompagnée sur tous les fronts! Un immense merci à Madame Marie-Thérèse Le Normand, ma maitre de mémoire, pour son soutien indéfectible, son enthousiasme, ses explications patientes et ses précieux conseils. Merci d avoir passé une partie de vos journées et même de vos nuits à corriger mon travail! Je tiens aussi à remercier Monsieur Lahoucine Boujaoud, responsable du bureau du master, pour sa disponibilité. Je remercie également les enfants qui se sont prêtés à ces enregistrements, sans eux ce mémoire n aurait jamais vu le jour! Enfin, un grand merci à toutes les personnes qui œuvrent chaque jour pour améliorer la qualité de vie des enfants sourds. Merci à tous ceux qui travaillent à améliorer la technologie de l implantation cochléaire, merci aux médecins, aux éducateurs, aux rééducateurs, aux professeurs de sourds, merci à tous ceux qui accompagnent les patients et leurs familles. 3

TABLE DES MATIERES REMERCIEMENTS... 2 INTRODUCTION... 6 PARTIE THEORIQUE... 8 I) Acquisition du langage chez l enfant tout-venant... 9 A - Emergence du langage : de la naissance aux premiers mots... 9 1) Les babillages et leur émergence... 9 2) Les premiers mots... 12 B - Le langage chez l enfant typique de 2-3 ans... 14 C- L ordre d acquisition des consonnes chez l enfant typique... 15 1) Définitions et concepts... 15 2) Perception et production des sons de la parole... 16 II) Les surdités... 18 A - Généralités... 18 1) La physiologie de l oreille... 18 2) Les types de surdité... 20 3) Les degrés de surdité et les prothèses proposées... 21 B - Impact du temps de privation sonore sur la prosodie et l acquisition du langage... 23 1) Un babillage atypique... 23 2) L absence d une boucle audio-phonatoire... 24 C - Le langage de l enfant sourd de 2 ans... 25 1) La parole chez l enfant sourd : émergence de la prosodie... 25 III) L implant cochléaire... 27 4

A - Qu est-ce que l implant... 27 B - Les apports de l implant dans la découverte du monde sonore... 29 C - Les apports de l implant dans la perception du langage... 31 1) La perception des sons de la parole... 33 2) La perception des mots... 34 3) La perception des phrases... 34 D - Les apports de l implant dans la production du langage... 35 1) Les caractéristiques de la voix... 35 2) La production des sons de la parole... 37 3) La production des mots... 38 4) La production des phrases... 39 PARTIE EXPERIMENTALE... 41 I) Objectifs... 42 II) Population... 43 A - Population étudiée... 43 B - La population contrôle... 44 III) Analyse... 44 A - Procédure de recueil des données... 44 B - Matériel et procédure d analyse... 45 V) Discussion et Perspectives... 56 CONCLUSION... 58 BIBLIOGRAPHIE... 60 ANNEXES... 68 5

INTRODUCTION 6

Dès la vie embryonnaire, l enfant est exposé au langage. Dans les premières années de la vie, la communication s affine et se développe, passant notamment par le langage oral qui évolue en interaction avec le développement psychomoteur. La surdité, en gênant la réception du signal sonore, entrave le développement du langage et l acquisition des phonèmes. Dans certains cas, un implant cochléaire permet de restaurer des fréquences auditives et d accéder au langage oral. Nous nous attacherons aux différences et similitudes du développement de la parole et du langage d enfants implantés cochléaires par rapport à des enfants typiques, principalement sur le plan des mots fonctions et de l acquisition des consonnes. Dans une première partie, théorique, nous aborderons l acquisition du langage chez l enfant tout-venant, la description des surdités et les apports de l implant cochléaire. Une deuxième partie, expérimentale, étudiera le répertoire consonantique et les mots fonction chez dix jeunes enfants sourds profonds implantés cochléaires âgés de 46 à 62 mois qui ont reçu leur prothèse électronique en moyenne avant 30 mois. 7

PARTIE THEORIQUE 8

I) Acquisition du langage chez l enfant tout-venant A - Emergence du langage : de la naissance aux premiers mots 1) Les babillages et leur émergence Selon Boysson-Bardies (1998), l enfant a besoin de deux modèles pour apprendre le langage : d une part un modèle de stimulations auditives, c'est-à-dire voir et entendre parler d'autres humains, et d autre part un modèle de l'organisation phonologique, syntaxique et lexicale d'une langue. C'est l'interaction entre ses capacités innées pour le langage et la réception de sa ou ses langue(s) maternelle(s) qui permet au bébé d'acquérir le langage [8]. La mise en place de la production de la parole se fait parallèlement à la mise en place des outils perceptifs, et commence au début de la vie. Dès la naissance, l enfant est sensible à la voix, en effet, l enfant est déjà familiarisé in-utero avec le monde sonore. L expérience auditive prénatale explique la sensibilité particulière pour certains stimuli acoustiques entendus dès le stade fœtal [15] : il aura ainsi tendance à préférer sa langue maternelle et la voix de sa mère [9], par sensibilité aux indices prosodiques et rythmiques de son environnement prénatal [36]. Il est également exposé à différentes musiques et intonations et a donc déjà un vécu sonore à la naissance [56], c est pourquoi il est déjà sensible à la prosodie et au rythme. Le sens de l ouïe traite la temporalité d une façon particulière : «l alternance silence-bruit permet d élaborer la notion de rythme et permet aussi la symbolisation de la discontinuité» [43] Les nourrissons sont aussi particulièrement sensibles aux variations de durée, d intonation et d'intensité. Cette sensibilité donne aux bébés leur capacité à segmenter le flux de parole qu'ils entendent. Progressivement, ils vont pouvoir repérer les formes organisées de leur langue telles que les propositions, puis isoler les mots [8]. Cependant à ce stade de son développement, la compréhension est encore indifférenciée : d après Boysson-Bardies (1999), la discrimination catégorielle des contrastes de la parole se fait avant l âge de 1 mois [7]. Le nourrisson a la capacité de valoriser certains stimuli par rapport à d'autres, afin d y mettre du sens [8]. 9

Le nouveau-né émet déjà des sons, appelés jasis [9]. Ce sont tout d abord des cris et pleurs ou vagissements qui manifestent un besoin, ainsi que des bruits végétatifs qui manifestent les sensations de confort ou d inconfort [7]. L enfant produit alors des énoncés suraigus et des craquements vocaux dont la fréquence fondamentale s élève à 40-50 Hz environ. On observe que «l enfant développe sa voix par imitation de celle de l adulte». En effet, si le bébé aime explorer tous les possibles que lui offre sa voix, il tend à imiter la prosodie de l adulte lors des échanges. [24] C'est en effet par la prosodie que le petit enfant exprime la nuance de ses émotions et tout ce que lui suggère le développement de son affectivité bien avant de se servir des mots [52]. Peu à peu, les cris se différencient pour devenir spécifiques à chaque besoin. De plus, vers 2 mois on observe que les vocalisations présentent un allongement final, caractéristique du langage adulte. Cette diversification est en partie due au changement de configuration du larynx qui se fait vers 3 mois : il descend en position cervicale et se coude, ce qui permet au voile de fermer le conduit nasal [7]. Bien que les nourrissons possèdent une compétence linguistique, leurs performance vocale n'est pas de la parole. En effet, alors que le système auditif est fonctionnel dès les deux derniers mois de la vie utérine, le système de production de la parole ne le devient que plus tard, à partir d environ 6 mois. Le nourrisson n'a pas le contrôle de sa respiration et son tractus vocal ne lui permet pas encore de produire de sons du langage [8]. De plus le larynx, la bouche et la langue s allongent, ce qui permet une plus grande variété de positions articulatoires [7]. La maturation des organes phonatoires se fait jusqu à l âge de 5-6 ans, auquel le système phonétique est complet et les mouvements les plus fins peuvent être contrôlés. Les vocalises apparaissent vers 2-3 mois. «En présence d un adulte, l enfant est dans le protolangage. Il imite certaines mimiques et produit des sourires intentionnels de réponse. Ses énoncés respectent la prosodie et comportent des sons stables, proches de ceux de notre langue.» [24]. C est le début des vocalisations et des vocalisations réponses. A cet âge, il réagit aux informations de son environnement et développe des capacités de catégorisation des sons [36]. 10

Entre 3 et 4 mois, apparaissent les réactions aux intonations de la voix maternelle. Le bébé s oriente spontanément vers la voix et émet ses premiers rires et cris de joie, mais aussi ses premiers «areu» et sons glottaux. Il faut toutefois attendre l âge de 4-5 mois pour qu émerge l attention conjointe. A cet âge, l enfant commence à pouvoir reconnaître une même syllabe dans des énoncés différents. Il commence parallèlement à contrôler sa phonation, produisant des gazouillis et des sons vocaliques qui peuvent être des imitations des vocalisations parentales [9]. La catégorisation des voyelles émerge entre 5 et 6 mois. Le bébé comprend les différences d intonation et réagit au «non». Il réagit également à son nom et semble reconnaître les mots «papa» et «maman» parallèlement, en production les vocalisations sont de mieux en mieux maîtrisées. Le bébé peut imiter des intonations et commence à rire aux éclats [9]. Le babillage canonique apparait vers 6-7 mois et dure jusqu à 10 mois environ et est caractérisé «par la production de syllabes simples de type consonne/voyelle : «ba ba ba». Le babillage est une étape déterminante de l'acquisition de la parole, ainsi qu une étape importante de la découverte des sons de sa langue maternelle [8]. Quoique des différences existent entre les productions des enfants, on retrouve le plus souvent des occlusives et des nasales /p/, /b/, /t/, /d/, /m/, des voyelles ouvertes /a/, /è/» [30]. En parallèle de l émergence du babillage canonique, le bébé commence à faire des correspondances entre les voyelles et les mouvements de bouche. A 7-8 mois, le développement du babillage canonique s accompagne de chantonnements et de rires adaptés. L enfant réagit bien au «non» et sait donner un objet sur demande verbale. C est vers cet âge que les bébés français commencent à allonger la durée de la prosodie pour marquer les frontières de phrases. [8] De 8 à 9 mois, le bébé comprend «non, bravo, au revoir» et détecte les frontières prosodiques des phrases et des syntagmes. Il imite des sons produits par l entourage et ses contours intonatoires sont de plus en plus influencés par la langue maternelle [9]. Selon Lacheret et Le Normand (2010), l enfant de 8-9 mois manifeste une préférence perceptive pour des formes de mots qui respectent le système accentuel de sa langue. Ainsi, «l enfant français préférera un rythme iambique (court-long) à un rythme trochaïque (long-court) qui aura à l inverse la préférence de l enfant anglais». Elles décrivent qu à 8-9 11

mois, l enfant utilise les paramètres prosodiques comme indices perceptifs de démarcation de syntagmes (ex. il va au bal # ce soir / il est sur le balconnet), bien qu il n ait pas encore au lexique et à la syntaxe [36].. Vers 9-10 mois émerge la compréhension lexicale en contexte. L enfant fait «non» de la tête et les gestes de «au revoir» et «bravo» apparaissent [9]. Dès cet âge les bébés produisent des voyelles dont les fréquences et les formes sont influencées par celles de la langue maternelle [8]. Vers 10 mois, l enfant commence déjà à élaborer un lexique de mots familiers : C est l émergence des premiers mots. 2) Les premiers mots Pour comprendre et produire des mots, l'enfant doit mettre en relation les conséquences de la parole qu'il entend avec des événements ou des objets extérieurs. A 10 mois, l enfant code les mots de façon globale. Il repère des mots qui font sens pour lui et y assimile les formes qui s'en rapprochent. Cela entraîne un changement important dans son traitement des sons de parole [8]. Par la suite, l'enfant connaissant de plus en plus de mots, il lui devient nécessaire d'en spécifier la structure, mais aussi l occurrence et le contexte d usage. C est ainsi que la grammaire se met en place : avant l âge de 1 an, l enfant reconnait déjà les mots grammaticaux (déterminants, pronoms, etc) de sa langue maternelle [12]. La construction des catégories linguistiques s effectue grâce aux généralisations réalisées par l enfant et grâce au développement de ses capacités cognitives et sociales. L acquisition par l enfant de la grammaire de la langue est guidée par la répétition des relations entre formes et fonctions dans le langage qu il entend. Cauvet (2012) décrit ainsi les propriétés phonologiques communes de ces morphèmes grammaticaux: «ils ne sont pas accentués, contrairement aux mots de contenu, la durée de leur voyelle est plus courte que celle des mots de contenu et ils sont plus courts. De plus, ils sont extrêmement fréquents et apparaissent en bordure d unité 12

prosodique». Le jeune enfant peut donc s appuyer sur les mots grammaticaux pour enrichir son lexique [12]. De 10 à 11 mois, les catégories perceptives se réorganisent en fonction de la structure phonologique de la langue maternelle. Conjointement s opère une sélection du répertoire de consonnes et syllabes de la langue maternelle. Le babillage se diversifie notamment sur le plan de l intonation, et la longueur des productions augmente. L enfant est capable de reconnaître des mots connus hors contexte et peut détecter des frontières des mots [36]. Entre 11 et 12 mois, l enfant comprend une trentaine de mots en contexte et commence à apprendre des mots en les associant avec leur référent. C est à cet âge qu il produit ses premiers mots, ses productions se stabilisent en fonction des situations [9]. A 12 mois, l enfant, qui auparavant discriminait tous les contrastes phonétiques, ne sait plus discriminer ceux qui n'appartiennent pas au répertoire de leur langue maternelle. Cela s accompagne d un affinement de ses possibilités de discrimination dans sa propre langue entre 10 et 12 mois [8]. De 12 à 18 mois, l acquisition de la marche entraine l explosion du vocabulaire. L enfant comprend 100 à 150 mots et vers 16 mois en produit environ 50, principalement des substantifs. Il comprend aussi les phrases courtes en situation et répond à des consignes simples. Autour de 16 mois, les productions se stabilisent de plus en plus. Les mots-phrases, aussi appelés holophrases, apparaissent, ainsi que les premières juxtapositions de deux mots [7]. Entre 18 et 24 mois, l enfant a un lexique passif de plus de 200 mots (250-300 mots à 16 mois), et un lexique actif comprenant entre 50 et 170 mots. A partir de 20 mois commence l acquisition du genre et nombre. L enfant est capable de dire son nom [9]. 13

De plus, avant l âge de deux ans, l enfant se sert des mots grammaticaux pour catégoriser les mots inconnus, ayant par exemple repéré qu un nom suit systématiquement un déterminant, un verbe suit un pronom, etc. [12]. Il fait des petites phrases par juxtaposition de 2 ou 3 mots. Il distingue certaines catégories de mots et comprend, en contexte, les relations syntaxiques entre les mots. A cet âge la sémantique et la prosodie sont cohérentes. L enfant peut désigner des objets réels puis des représentations imagées, et répète les mots. C est l âge du «non» en réponse. [9] B - Le langage chez l enfant typique de 2-3 ans L enfant de 2 à 3 ans a donc déjà assimilé certaines catégories grammaticales et son lexique augmente sans cesse. Ses phrases s allongent progressivement pour attendre entre 2 et 4 mots vers 2-3 ans, et s enrichissent de verbes et d adjectifs, parallèlement à un enrichissement de sa syntaxe : entre 2 et 3 ans, l enfant commence à pouvoir différencier les temps verbaux, à produire des articles, pronoms, prépositions et quelques adverbes. Il obéit aux ordres plus complexes et peut commencer à comprendre des locutions spatiales et temporelles [9]. La distinction des temps s accompagne de la capacité à répondre à la question «quand?». A cet âge, l enfant connaît les principales couleurs et parties du corps [7]. Cependant les enfants sont tous différents. Ils ne rentrent pas tous dans le langage de la même façon. En parallèle du rôle primordial de la structure de la langue, deux autres facteurs vont avoir une influence sur la diversité des modes d'entrée dans le langage: le milieu culturel et le tempérament de l enfant [8]. Il est donc essentiel de rester vigilant face aux généralités. De plus, ces mots et phrases s ils sont présents ne sont pas toujours bien prononcés. Quels sont les phonèmes acquis à cet âge? 14

C- L ordre d acquisition des consonnes chez l enfant typique 1) Définitions et concepts - Son et phonème: son et phonème sont deux notions différentes. Un son est un «ébranlement élastique se propageant de proche en proche (dans l air, à 344 mètres par seconde) et perceptible par l oreille humaine». Un phonème est un «son ou bruit de ka chaîne parlée, résultant de la combinaison de plusieurs traits articulatoires». [9] - Parole et langage : La distinction est ténue, mais importante dans le domaine des acquisitions. Si, d une manière générale, la parole est le fait de parler, la littérature reconnaît l opposition entre l articulation, la parole et le langage comme relevant de «différents niveaux d organisation du langage» : l articulation au niveau phonétique, la parole au niveau phonologique, le langage au niveau sémantique et syntaxique. [9] - Trait distinctif : les traits distinctifs permettent «d analyser un phonème et de l opposer fonctionnellement à d autres phonèmes», chaque phonème étant constitué d un ensemble de traits distinctifs. [9] - Point ou lieu d articulation : «lors de l articulation d un phonème, désigne là où les parties du canal vocal à l endroit où il est le plus rétréci. Pour les consonnes, les lieux d articulation sont décrit de manière assez précise, allant des lèvres en avant, jusqu au pharynx, voire au larynx en arrière, et passant par les différentes parties du palais ou de la langue, exemple : alvéolaire, coronaire. Pour les voyelles, sont déterminés deux lieux d articulation, antérieur et postérieur, selon la partie (antérieure ou postérieure) de la langue la plus rapprochée du palais». [9] - Mode d articulation : «mode de production d un phonème, décrit suivant les caractéristiques des mouvements articulatoires qui concourent à sa production». [9] - Voisement ou sonorité : «mode d articulation caractérisé par l émission d un son laryngé par vibration des cordes vocales, accompagnant l articulation des voyelles et des consonnes voisées». [9] 15

- Consonnes occlusives : aussi appelées plosives, elles sont produites «par fermeture brève et complète du canal vocal, suivie d une ouverture expulsant l air rapidement». [9] - Consonnes fricatives : aussi appelées constrictives, elles sont produites «par le passage de l air au travers d un resserrement du canal vocal, ce qui crée un bruit de friction». [9] - Consonnes liquides : ce sont les consonnes de type /l/ et /R/, qui sont caractérisées par une vibration. [9] 2) Perception et production des sons de la parole Les sons de parole sont des objets complexes. Entendre n est pas suffisant pour réellement percevoir : il faut également les segmenter, les organiser, les reconnaître. Pour cela, les bébés peuvent s appuyer sur deux aptitudes innées : la perception catégorielle et une grande sensibilité aux indices temporels et fréquentiels de rythme et de mélodie [7]. Les nouveau-nés possèdent la capacité à discriminer les contrastes phonétiques de façon catégorielle c'est-à-dire de traiter de façon identique des segments phonétiques physiquement différents mais appartenant à une même catégorie [8]. La perception catégorielle est essentielle pour l accès au langage oral et écrit. Elle se développe très tôt chez l enfant entendant [46]. Selon Boysson-Bardies, elle serait en place dès la naissance. Elle permet à l enfant de discriminer des sons, des phonèmes, segmenter les mots, reconnaitre les sons propres à sa langue maternelle. Ainsi, le nourrisson de quelques jours peut discriminer et catégoriser les sons de parole selon leurs dimensions phonétiques : la syllabe /bal/ est différenciée de la syllabe /pal/ selon la durée du voisement, la syllabe /pa/ de la syllabe /ta/ par le lieu d'articulation et les syllabes /ta/ et /sa/ selon le mode d articulation, etc. [8]. L ordre d acquisition des consonnes diffère peu d'un enfant à l'autre [34]. Les enfants français assimilent en premier les consonnes nasales, puis les occlusives, les semi-voyelles, puis les fricatives. Les voyelles sont acquises vers 3 ans [34]. 16

Rondal (2001) décrit ainsi l ordre d acquisition des phonèmes français [51] : - Les voyelles apparaissent selon l'ordre suivant : [a], puis [i] et [u] puis [o], [e], [è], [E] et [y]. Les voyelles nasales apparaissent après. - Les premières consonnes acquises sont des bilabiales, /p/, /b/ ou /m/. Suivent l'apico-dentale et la dorso-vélaire sourdes /t/ et /k/, et presque simultanément les sonores /d/ et /g/ ; puis émergent /n/ et /gn/. Sur ce point de vue il est en désaccord avec Stoel-Gammon, pour qui la première consonne observée est le /t/, et non le /p/ [30]. - Les consonnes fricatives et les liquides suivent l'apparition des occlusives. Ce sont le /z/, le /ch/ et le /J/ qui sont acquises le plus tardivement. Nécessitant la coordination de plusieurs dizaines de muscles, l'acquisition de l'articulation est lente et progressive: chez les enfants francophones on peut rencontrer des altérations des phonèmes /ch/ et /J/ jusqu'à 7ans [51]. Le répertoire consonantique et la structure des syllabes du babillage sont donc orientés par la physiologie, mais la structure phonétique et syllabique de la langue maternelle joue également un rôle [34]. Selon Yamaguchi (2012) et Bassano (2001), l acquisition isolée des contrastes opposant les consonnes se fait selon la robustesse des traits distinctifs: plus un trait est robuste, plus il sera acquis rapidement. Vient ensuite une seconde étape qui consiste en la diffusion, à l ensemble du système, d un trait acquis de façon isolée. Cette diffusion est guidée par le principe d économie des traits : plus un trait participe activement à l économie du système, plus il se diffusera rapidement [59]. Une étude de Bassano (2001) a ainsi montré que «les consonnes portant un trait plus robuste sont acquises avant les consonnes portant un trait moins robuste, les consonnes portant la valeur non-marquée d un trait sont acquises avant les consonnes portant la contrepartie marquée de ce trait, et les consonnes portant un trait plus productif sont acquises après les consonnes portant un trait moins productif». Les principes de diffusion et d économie des traits étaient également respectés chez les enfants de son étude [60]. Le jeune enfant ne prononce pas ou peu les fins de mots : il apparaît de fait dans la littérature que les consonnes codas sont acquises plus tardivement par l enfant que les consonnes d attaque [30]. 17

Dans la parole chez l enfant de 20 mois, on remarque ainsi une absence des finales des mots et une absence des groupes di-consonantiques en /R/ et /l/. Kehoe et Stoel-Gammon (2001) ont remarqué que les occlusives sourdes caractérisaient les premières codas produites par l enfant, rapidement suivies par les fricatives sourdes et nasales, puis par les occlusives et fricatives voisées et enfin par la liquide /R/ [33] : cela rejoint l ordre global d acquisition des consonnes décrit par Rondal [51]. Hilaire-Debove et Kehoe ont mis en évidence un effet de la longueur des mots non seulement sur la présence de coda, mais aussi sur les types d erreurs produites par les enfants. Ceci pourrait être attribué à une dimension articulatoire : les mots dissyllabiques représentant une plus grande difficulté pour les enfants dans la mesure où ils demandent une plus longue série de gestes articulatoires à coordonner temporellement [30]. L acquisition de la parole et du langage est donc un phénomène long, riche et complexe, qui se joue principalement dans les trois premières années de vie. Cependant, un handicap mental, moteur ou sensoriel peut entraver ce développement et ainsi entrainer des troubles. Qu en est-il de la surdité? II) Les surdités A - Généralités 1) La physiologie de l oreille L oreille est constituée de trois parties : l oreille externe, l oreille moyenne et l oreille interne. (Source : http://www.bionicear-europe.com/fr/how-doesthe-ear-work/comment-fonctione-audition.html) 18

-L oreille externe- Elle est formée par le pavillon, majoritairement constitué de cartilages, et le conduit auditif externe, fermé au fond par le tympan, qui appartient à l oreille moyenne [45]. Si sa fonction principale est de protéger l oreille moyenne, elle a également un rôle d amplificateur du son [39]. -L oreille moyenne- Elle est constituée par le tympan, la caisse du tympan et la mastoïde. [45] Le tympan est une structure membraneuse. La caisse du tympan est constituée de plusieurs éléments : - La chaine ossiculaire, constituée de trois osselets s articulant entre eux de façon à transmettre le son : le marteau, l enclume et l étrier (Bonfils P., Chevallier J-M, 2005) [5]. Les muscles qui entourent la chaine ossiculaire se contractent lors de l arrivée d un son trop fort, ce qui protège l oreille interne : c est le réflexe stapédien. - La fenêtre ronde ou fenêtre tympanique, et la fenêtre ovale ou fenêtre vestibulaire. - La trompe d Eustache qui est un conduit fibro-cartilagineux reliant l oreille - moyenne au rhinopharynx (Bonfils P., Chevallier J-M) [5]. Son rôle est d équilibrer les pressions d air de part et d autre du tympan, permettant ainsi l aération de la caisse du tympan. [24] Cet équilibre est essentiel à la bonne transmission des vibrations sonores. La fonction principale de l oreille moyenne, outre la protection de l oreille interne, est la transformation de vibrations aériennes arrivant sur le tympan en variation de pression dans les compartiments liquidiens de l oreille interne. Cette transformation s accompagne d une amplification globale du message sonore (Dulguerov P., Remacle M, 2005) [17]. -L oreille interne- Elle est constituée du vestibule dans sa partie postérieure et de la cochlée dans sa partie antérieure. (Dulguerov P., Remacle M, 2005) [17] Cochlée et vestibule constituent le labyrinthe osseux qui est creusé dans le rocher. A l intérieur du labyrinthe osseux se trouve un labyrinthe membraneux [45]. Le vestibule est la partie responsable de l équilibre. 19

La cochlée, ou limaçon, est un conduit osseux enroulé en spirale sur deux tours et demi. Elle est divisée à l intérieur en deux parties : une rampe vestibulaire supérieure (en regard de la fenêtre ovale) et une rampe tympanique inférieure (en regard de la fenêtre ronde) [24]. La séparation entre les deux rampes se fait par la lame spirale, osseuse, sur laquelle s insère la membrane basilaire qui contient les cellules ciliées internes et externes sur lesquelles repose la membrana tectoria (Bonfils P., Chevallier J-M, 2005) [17]. Elles traduisent l information mécanique (onde liquidienne) en informations électriques. Les pôles des cellules ciliées internes ont des prolongements nerveux dont l ensemble forme le nerf cochléaire. Chaque cellule ciliée interne code pour une fréquence donnée, et on retrouve cette tonotopie au niveau du nerf cochléaire. L énergie sonore arrive au niveau de la membrane basilaire, celle-ci vibre en fonction de la fréquence : Elle présente en effet une tonotopie fréquentielle baso-apicale [24]. Etant plus courte à la base et plus longue à l apex, les fréquences aigues seront codées à la base et les plus graves à l apex. La vibration de la membrane basilaire va provoquer la contraction des cellules ciliées externes et l application de la membrana tectoria sur les cellules cillées internes qui sont alors stimulées [39]. 2) Les types de surdité Il y a trois types de surdité : La surdité de transmission : atteinte de l oreille externe et de l oreille moyenne. La surdité de perception : atteinte de la cochlée et du nerf cochléaire. La surdité centrale : atteinte nerveuse. Nous ne nous y intéresserons pas. -La surdité de transmission- Elle concerne l oreille externe et l oreille moyenne [24]. La plupart des surdités de transmission sont curables, avec généralement peu de séquelles. La surdité de transmission est le plus fréquemment causée par un dysfonctionnement de l oreille moyenne mais peut aussi peut être due à une atteinte de l oreille externe [39]. 20

-La surdité de perception - Elle concerne l oreille interne ou le nerf auditif [24]. Les causes les plus nombreuses d atteinte génétique de l oreille interne sont des dysfonctionnements de la cochlée par atteinte de ses structures. L oreille interne peut être également atteinte par des causes externes. Les atteintes du nerf auditif peuvent aussi être acquises ou congénitales [39]. La population étudiée dans notre protocole présente une surdité de perception. -Les surdités mixtes- Une surdité de perception peut être transitoirement associée à une surdité de transmission, qui va la majorer [39]. C est par exemple le cas des otites séreuses qui s ajoutent à une surdité de perception. 3) Les degrés de surdité et les prothèses proposées On distingue six seuils d audition: le seuil d audibilité à 0 db, le seuil de reconnaissance à 10 db, le seuil d intelligibilité à 20 db, le seuil d apprentissage de 30 à 40 db, le seuil de confort de 40 à 60 db et le seuil d inconfort de 60 à 90 db. (Legent F, 2002) [40] Pour calculer un degré de surdité on fait l opération suivante : (perte à 500Hz + perte à 1000Hz + perte à 2000Hz + perte à 4000Hz)/4 [24] 21

Après un diagnostic de surdité, l équipe médicale peut proposer aux parents un appareillage pour leur enfant, associé à une prise en charge orthophonique. Selon l importance de la perte auditive il sera proposé soit des prothèses auditives, soit un implant cochléaire avec ou non une prothèse contro-latérale, soit une bi-implantation. Dans le cas d une perte auditive légère, le seuil d audition est à 20-40 db. Dans le cas d une perte auditive moyenne, le seuil d audition est à 40-70 db. Dans le cas d une perte auditive sévère, le seuil d audition est à 70-90 db. Dans le cas d une perte auditive profonde, le seuil d audition au-delà de 90 db. [40] Conséquences de la perte auditive profonde sur le développement du langage (Legent F., 2002) [40] Le déficient auditif sévère est stimulé en périphérie, mais ce n est pas le cas du déficient auditif profond qui n entend ni les bruits ni les sons de la parole. En l absence de stimulations, une surdité profonde provoque donc une mutité (Virole, 2009) [58]. L appareillage auditif est indispensable associé à une éducation spécialisée précoce. Quand le gain auditif avec prothèses est limité, une implantation cochléaire unilatérale ou bilatérale sera proposée. En l absence de remédiation auditive, les zones corticales de l audition ne sont pas stimulées et finissent par disparaître en raison de la plasticité cérébrale. Quel que soit le degré de surdité, le type d appareil proposé chez l enfant est un contour d oreille, dont le volume dépend de l importance de la perte auditive [40]. Les progrès techniques ont apporté miniaturisation et optimisation du traitement de signal. 22

B - Impact du temps de privation sonore sur la prosodie et l acquisition du langage 1) Un babillage atypique Quelle que soit l importance de la perte auditive, tous les enfants au cours des premiers mois suivant la naissance, produisent des vocalisations dans lesquelles on retrouve déjà les différents paramètres de la voix. Cependant, chez l enfant sourd, ces émissions sonores sont en général retardées et différentes qualitativement et quantitativement. (Elles ne signifient pas apparition du babillage canonique.) Si, pour les enfants entendants, ce dernier apparait entre trois et dix mois, âge où le babillage diminue au profit de l articulation des sons du système phonologique de leur environnement [11], il émerge chez les enfants sourds entre onze et vingt-quatre mois. [21] Il est très lié à l importance de la perte auditive. Plus la déficience est importante, plus le babillage canonique se met en place tardivement. Il peut même ne pas apparaitre si la perte auditive est supérieure à 110 db. [57] A l âge de six mois, un enfant entendant distingue deux sons éloignés d un ton. Nous savons également qu il est particulièrement sensible aux sons aigus. Il n e est pas de même pour le bébé sourd, la surdité atteignant d abord et avec un plus grand déficit les fréquences aiguës. [11] Une autre différence que l on peut relever chez les enfants sourds, par rapport à leurs pairs normo-entendants, est la privation de stimulation auditive in utéro. A la naissance, plus le temps de privation restera important, plus nombreuses seront les répercussions sur le développement de la voix et du langage oral. En l absence de toute remédiation, la privation sensorielle précoce aura de nombreuses conséquences sur la voix, le langage et la prosodie de l enfant sourd. Toutefois, il existe des différences interindividuelles importantes concernant l accès au langage et l absence de babillage n entraine pas forcément une absence de langage. [57] En outre, les bébés sourds ne sont pas dépourvus d habiletés de communication. Il semble que ceux-ci développent un «système de communication gestuel», en suivant les mêmes étapes que les enfants normo-entendants. [6] 23

Pourtant, l absence de réponses vocales peut modifier les interactions qu ont les parents avec leur enfant, soit en n apportant pas assez de stimulations, soit en exerçant une pression trop forte [53]. Or, la bonne qualité de ces interactions est fondamentale dans le développement du langage oral. 2) L absence d une boucle audio-phonatoire Un enfant sourd présentant une surdité acquise aura des qualités prosodiques et un langage oral meilleurs que le sourd dont le cerveau n a jamais reçu d informations sonores. [11] En effet, dans le premier cas, les enfants auront déjà mis en place un contrôle audiophonatoire, qui se met en place chez l enfant entendant vers sept mois. Ils auront donc déjà entendu leur voix. Alors qu une surdité congénitale va perturber, voire supprimer cette boucle audio-phonatoire [47], dans laquelle deux voies interviennent : - La voie auditive, par laquelle le sujet régule sa voix, son articulation et les éléments musicaux de sa parole. Elle permet de s autocorriger en cas de prononciation inadéquate des phonèmes. - La voie corporelle, qui permet au sujet de «contrôler, par les sensations proprioceptives et kinesthésiques, les mouvements de ses organes phonateurs et la tension de son corps, afin d harmoniser l émission de la parole.» [27] Ainsi, grâce à cette boucle audio-phonatoire, l enfant peut rapidement développer son intonation et son système phonologique. [3] En l absence de ce contrôle audio-phonatoire, la qualité du langage oral de l enfant sera donc perturbée, si aucune prise en charge n est mise en œuvre. Comme nous l avons vu précédemment, le degré de cette perturbation va dépendre du niveau de surdité : alors qu une déficience auditive moyenne entrainera un retard de langage, une déficience auditive sévère ou profonde pourra entrainer une absence de développement du langage oral. [47] 24

C - Le langage de l enfant sourd de 2 ans 1) La parole chez l enfant sourd : émergence de la prosodie Même en cas de surdité profonde, l enfant sourd ne vit pas dans le silence. Des informations prosodiques qui font partie de la «musique de la langue» peuvent lui parvenir, tels que le rythme, et l intonation, à travers les fréquences graves principalement. [19] Parmi les informations sonores dont il dispose, les mieux transmises, même en cas de surdité profonde, sont d abord les sons musicaux, puis la voix chantée, la voix parlée et enfin les bruits, qui sont le plus difficilement perçus. En effet, entre la voix chantée et parlée, on a deux systèmes acoustiques différents. La voix du chant est un système continu, qui se caractérise au niveau acoustique par une courbe régulière et une richesse en harmoniques, alors que l impulsion laryngée dans la voix parlée est discontinue et la courbe acoustique irrégulière. [35] Ainsi, la voix chantée demande moins d analyse et de mesures effectuées par le cerveau que d autres structures sonores irrégulières qui, à l inverse, requièrent beaucoup de mesures pour être identifiées. [11] Les enfants sourds ont également une sensibilité vibratoire qui passe par le corps. 2) Le langage de l enfant sourd : mots et phrases L accès au langage oral et particulièrement la parole, même en cas d appareillage, est un phénomène complexe. Parler nécessite la coordination de quatre systèmes : la respiration, la phonation, la résonnance, l articulation. La parole des enfants sourds est perturbée à ces quatre niveaux. Ainsi on relève chez ces enfants, une respiration parfois atypique, une phonation lente, saccadée, et une résonnance nasale surabondante, un contrôle des articulateurs non maitrisé. C est ce dernier aspect qui affecte sans doute le plus l intelligibilité. [25] 25

En effet, «la privation auditive force le jeune enfant à développer son système articulatoire par l'entremise d'informations visuelles qu'il va chercher par la lecture labiale» [25] Or ces informations sont limitées et longues à maitriser. Même un très bon labiolecteur n arrive à capter que 30 à 40% du message, du fait du rythme de la parole trop rapide, du nombre important de phonèmes invisibles et de sosies labiaux. Lorsqu il y a des déformations, une étude sur l acquisition de la parole d enfants sourds (Bouchard et al, 2007) [25] rapporte des difficultés au niveau des voyelles, principalement reliées à une mauvaise position linguale et à une complexité d acquisition du timbre. Les voyelles sont ainsi peu distinctes. Cependant, avec une rééducation spécifique, les enfants peuvent acquérir les extrémités du triangle vocalique : /i/, /a/, /u/. Selon ces auteurs, les consonnes sont elles aussi affectées par la surdité car elles requièrent une bonne coordination respiratoire. Leur inventaire est plus restreint, on relève des phénomènes de nasalisation et de voisement. Plus la surdité est sévère, plus ces phénomènes s accentuent. [25] En outre les accentuations sont mal respectées. La mise en place de l allongement final, constante du français, n est pas toujours présente. Le débit est souvent lent, ponctué de cassures, ce qui perturbe le rythme de la parole. La respiration a souvent un rythme irrégulier et n est pas coordonnée avec les mots de la phrase. Les enfants sourds s expriment généralement sur l inspiration qui est donc voisée et souvent composée de bruits parasites. Par ailleurs, on observe souvent un comportement d effort vocal. [27]. En revanche, en termes de perception, ce sont les traits prosodiques qui possèdent une plus grande valeur informationnelle chez les enfants déficients auditifs. [11] L enfant sourd, démuni de son contrôle audio-phonatoire, a donc des troubles de la parole et de la voix sur le plan suprasegmental, entraîinant des erreurs segmentales et entravant son intelligibilité. Ces troubles varient en fonction du degré de surdité et l âge de survenue de la perte auditive. [27] 26

Contrairement à l enfant normo-entendant qui possède l essentiel de sa langue à six ans, sans un enseignement explicite de la part de son entourage, l enfant sourd, lui, n a pas accès à un apprentissage indirect de la langue, ni aux informations linguistiques complètes. [54] Sa perception de la langue est altérée en quantité et qualité. [11] Quant à son expression, elle peut paraitre «artificielle» et parfois inintelligible pour des interlocuteurs non familiers. L appareillage apporte donc une réelle amélioration pour les enfants sourds. Pour les surdités les moins sévères, la perception de l environnement sonore est possible. Pourtant, de nombreuses informations ne sont pas perçues. L apport de l implant cochléaire constitue une avancée importante dans le domaine de la surdité puisqu il permet une certaine réhabilitation de l audition. III) L implant cochléaire A - Qu est-ce que l implant L implant cochléaire est un dispositif électro-acoustique, permettant de rétablir un canal auditif efficace chez des sujets atteints de surdité profonde ou sévère. [22] Tout implant cochléaire est composé de deux parties : - Une partie externe, comprenant un microphone, un microprocesseur vocal et une antenne émettrice. - Une partie interne, comprenant une antenne réceptrice, un stimulateur, des électrodes [16] (Source : http://www.bioniceareurope.com/fr/how-implantworks/fonctionnement-de-implant.html) 27

A l inverse de la prothèse auditive, basée uniquement sur l amplification des sons, l implant permet de stimuler directement et électriquement le nerf cochléaire par des électrodes implantées chirurgicalement dans la rampe tympanique de la cochlée (jusqu à environ 22 électrodes). Cette technique a pour but de remplacer l organe de Corti défaillant et de restaurer la «résolution spectrale» [28] ou «tonotopie» [20] qui permet la «discrimination fréquentielle» [28], c est-à-dire la capacité de différencier les sons selon leur fréquence. C est une capacité essentielle pour la compréhension de la parole. L implant est préconisé pour des patients sourds qui ne retirent que peu de bénéfices des prothèses conventionnelles. Il est donc systématiquement précédé d un essai prothétique. Ainsi, seules quelques électrodes vont remplacer les 3500 cellules ciliées internes absentes ou défaillantes. L implant permet donc de rétablir une audition efficace mais la perception demeure toujours imprécise, la qualité et la précision des informations sonores s en trouvent réduites [26]. Dès lors, pour compléter les apports de l implant, l utilisation d informations visuelles (lecture labiale, LPC, français signé ) sera nécessaire pour permettre un bon développement linguistique. [29] Jusqu à présent, une bi-implantation pouvait être proposée dans deux cas : une surdité postméningite ou dans le cas d un syndrome de Usher. [20] Aujourd hui, avec les indications de la Haute Autorité de Santé (janvier 2011), la France étend progressivement les indications d une bi-implantation. Avec ce type d implantation, les personnes accèdent à la stéréophonie c est-à-dire à une meilleure audition dans le bruit et une meilleure localisation spatiale. Grâce à l activation des électrodes, l implant cochléaire donne accès à toutes les fréquences et permet à l enfant d accéder à la communication orale. Pour cela, la notion de précocité est fondamentale. [29] Dans le cas d une surdité congénitale, l idéal est une implantation avant l âge de deux ans, voire avant l âge de dix-huit mois, et jusqu à l âge de quatre ans puisque c est la période pendant laquelle se met en place le langage. Au-delà, si l enfant n a pas développé une appétence à la communication orale, les résultats resteront généralement limités à la détection de bruits environnementaux [54]. Pendant cette période (appelée «28

période critique» ou «sensible» du développement du langage, dans la littérature), on constate encore les bienfaits de la plasticité cérébrale [41]. En exposant l enfant au monde sonore le plus tôt possible, les effets de la privation sensorielle n ont pas encore un impact trop important sur la constitution des réseaux neuronaux, à la base du développement du langage, et on assiste à une réactivation des voies centrales. Dans ces conditions, le développement linguistique des enfants sourds peut, progressivement, rejoindre celui des enfants entendants du même âge [29], dont le canal auditif est stimulé dès la vie intra-utérine. [23] Certains conservent un retard de langage mais l implant leur permet de limiter l accroissement de leur retard. [54] Le cas est différent pour les enfants présentant une surdité évolutive. L implantation peut être plus tardive, puisque ces enfants profitent d une mémoire auditive et qu ils ont déjà connu un développement neurologique et linguistique. A condition pourtant qu ils aient bénéficié, au préalable, de l amplification par prothèses auditives classiques. Ainsi, tout en tenant compte des différences inter-individuelles entre les enfants (expliquées par l âge d implantation, l audition résiduelle, la précocité de la prise en charge ), personne ne remet en cause les bienfaits de l implant cochléaire sur le développement de la perception et de la production du langage, même si les bénéfices apparaissent progressivement et nécessitent plusieurs années avant d atteindre «leur niveau maximal». [41] B - Les apports de l implant dans la découverte du monde sonore Le monde sonore est une découverte ou une redécouverte, en fonction du type de surdité. Dans le cas d une surdité acquise (comme la méningite), les enfants bénéficient d une mémoire auditive. Pour eux, il s agit donc d un réapprentissage des informations sonores, grâce à l implant. A l inverse, pour les enfants sourds congénitaux, la mise en place d un implant cochléaire nécessite un apprentissage, une «éducation» plus qu une «rééducation» [23]. 29

En effet, même si de nombreux bruits sont perçus par l enfant, plus ou moins rapidement après l activation des électrodes (le bruit du vent, de l ordinateur, la sonnerie du téléphone, le chant des oiseaux ), il ne suffit pas de porter un implant pour entrer dans le monde sonore. Ce dernier est rendu accessible, [19] mais les nouvelles informations acoustiques qui parviennent à l enfant ne sont pas porteuses de sens. Un entrainement auditif, appelé «éducation auditive» est nécessaire, pour permettre au sujet implanté cochléaire de prendre conscience des informations fournies par l implant, de les décoder, de mettre du sens sur les bruits de l environnement, de faire des liens et de pouvoir ainsi traiter les sons et la voix. [44] Un travail préalable sur les bruits est nécessaire car il permet à l enfant de se créer des représentations mentales qui lui seront utiles pour analyser le flux sonore et faire des liens entre les différentes perceptions. [19] Plus ce travail perceptif autour des «paysages sonores» [21] sera repris par l entourage de l enfant au quotidien, plus il sera efficace puisque c est en multipliant les situations que les sons vont prendre toute leur valeur. Ainsi, avec un travail spécifique, les enfants ont accès, grâce à l implant, à l alerte, la détection, la discrimination puis l identification. Ils accèdent également aux différents paramètres vocaux (les éléments suprasegmentaux) qui leur permettront de différencier deux voix différentes : le timbre, l intensité, le rythme la durée, la hauteur. Dès lors, rapidement après l activation des électrodes, l enfant peut différencier une voix de femme d une voix d homme. [14] C est un apprentissage plus ou moins long, répétitif, progressif, qui permet, à terme, la perception et la compréhension du monde sonore environnant et de ses différentes composantes (bruit, parole, voix, musique), l accès au lexique ainsi que la compréhension du langage, par la voie auditive, et non plus seulement qu à travers leur vibration. [14] A partir du moment où il entend, l enfant est peu à peu considéré comme un locuteur potentiel par son entourage qui interagit alors avec lui de façon naturelle et spontanée, avec des énoncés plus riches. Il bénéficie d un bain de langage qui lui permet de s imprégner de la langue et d entrer dans la communication. [14] C est une période, pour lui, «d imprégnation sensorielle» [29]. 30

Pendant cette période, deux approches pourront être proposées à l enfant pour l aider au mieux à s approprier son implant : une approche didactique (avec l orthophoniste qui proposera un apprentissage dirigé) et une approche naturelle (avec l entourage du patient, qui se fera au quotidien, en attirant l attention de l enfant sur les bruits entendus au cours de la journée) [24]. Cette double approche permet à l enfant de généraliser les acquis de la rééducation à la vie quotidienne. C - Les apports de l implant dans la perception du langage Si l implant constitue un véritable apport dans la découverte du monde sonore, l enfant sourd implanté ne devient pas entendant pour autant. L implant peut faire oublier la surdité de l enfant, ce dernier donnant l impression d être à l aise dans la communication orale. Or, s il présente une certaine aisance, il reste un malentendant. Il n entend pas tout, doit palier toutes les confusions auditives, doit fournir des efforts pour décoder et analyser les informations auditives qui lui parviennent, la perception est diminuée dans le bruit, lorsqu une trop grande distance le sépare de la source sonore ou face à un interlocuteur qui articule mal. [21] En outre, ses habiletés auditives dépendent d un appareil (changement de piles, recharge de batterie, fragilité ) dont la présence rend l enfant différent aux yeux de son entourage et aux siens. [32] Mais on observe des améliorations majeures et rapides, en réception d abord puis en production ; la perception étant toujours antérieure, même chez un enfant entendant, à la production. De nombreuses études rendent compte du développement de la perception chez l enfant sourd implanté. Elles relèvent toujours un écart entre le niveau de perception des enfants sourds implantés et celui des enfants normo-entendants. Mais plus l enfant est implanté tôt, plus le gain pour lui est optimal et moins cette différence est importante. [2] L audition résiduelle constitue un autre facteur prédictif d une bonne évolution du langage de l enfant sourd implanté. En effet, grâce au port préalable d un appareillage classique, l enfant aura déjà pu développer une «organisation de sa perception auditive», sur laquelle il pourra s appuyer. [29] 31