Alain Raimbault le ciel en face
le ciel en face
Alain Raimbault le ciel en face illustrations de Réjean Roy
Pour ses activités d édition, Bouton d or Acadie reconnaît l aide financière de la Direction des arts du Nouveau-Brunswick, du Conseil des Arts du Canada, du ministère du Patrimoine canadien par l entremise du Programme d aide au développement de l industrie de l édition (PADIÉ). Titre : Le ciel en face Texte : Alain Raimbault Illustrations : Réjean Roy Papier ISBN 2-922203-93-X PDF ISBN 978-2-89682-209-6 epub ISBN 978-2-89682-559-2 Dépôt légal : 3 e trimestre 2005 Bibliothèque nationale du Canada Bibliothèque nationale du Québec Distributeurs : Prologue et Bouton d or Acadie Bouton d or Acadie 204-236, rue Saint-Georges Moncton (N.-B.), E1C 1W1 Téléphone : (506) 382-1367 Télécopieur : (506) 854-7577 Courriel : boutondoracadie@nb.aibn.com Site Internet : www.boutondoracadie.com
À Yoann, Arianna et François
Mot de l auteur Cette histoire aborde un sujet bien grave, mais j ai éprouvé le besoin de la raconter car une amie, collègue de travail et mère d un jeune enfant, s est suicidée un dimanche soir. Ce fut le choc total. Le lendemain, j étais avec son époux très désemparé, on l imagine facilement, et je me suis occupé de son enfant. Ce récit s'inspire donc en partie de faits vécus. J y ai cherché à exprimer les états d âme d un enfant qui vivrait un tel événement 8
tragique. Oui, c est vrai, le sujet est grave, mais la douleur et l incompréhension face au suicide sont trop grandes pour pour qu on veuille les ignorer. Les témoignages de gens qui ont vécu des situations semblables peuvent aider à partager la peine qu on éprouve. On peut aussi écrire ses émotions dans un journal ou les transposer dans un récit fictif, car l écriture apporte parfois un soulagement 9
Lundi
Lorsque je me suis levé, ce matin-là, papa était assis en face d'un homme qui lui posait des questions. J'ai regardé par la fenêtre. J'ai aperçu deux voitures de police et deux ambulances devant la maison. Je ne savais pas ce qui se passait, mais je sentais que quelque chose de grave était arrivé. Quand le policier a remarqué ma présence, il a arrêté de parler. Papa s'est levé et m'a serré dans ses bras. Il ne me prend plus dans ses bras depuis 12
bien longtemps. Il était très pâle. Avant que j'aie pu lui demander quoi que ce soit, il m'a dit que maman s'était tuée dans la cave. Maman s'est tuée dans la cave. Je ne peux pas croire ce que j'écris. Elle est morte depuis deux semaines, et je ne crois toujours pas à ce cauchemar. J'attends qu'elle revienne. Les dessins que nous avons faits ensemble quand j'étais petit sont encore sur le mur dans le couloir. Il y a plein de photos de nous trois partout dans la maison. Papa ne les a pas enlevées. Il n'a touché à rien. Il n'a même pas vidé le frigo. Les plats cuisinés par maman moisissent 13
tranquillement au frais. Moi, je ne peux pas l'ouvrir, ce frigo. Mais je dois raconter la suite. Je ne comprenais pas les mots de mon père. «Maman s'est tuée» est une phrase qui n'a aucun sens pour moi. On ne meurt pas souvent dans la famille. Ou alors, très vieux. La seule fois où j'ai assisté à des funérailles, c'était à l'enterrement de mon grand-père. À part lui, nous sommes tous vivants chez nous. Je voyais bien les phares des ambulances qui clignotaient dehors, et le policier visiblement gêné qui essayait d'obtenir des réponses de papa. J'ai vu 14
partir la première ambulance. Puis la seconde. Pourquoi deux ambulances? Et pour qui? D'habitude, quand je me lève, je vais aux toilettes, et la salle de bain est toute chaude et humide après la douche de maman. Ce matin-là, elle était glacée, et je me suis demandé pourquoi je pouvais me voir dans le miroir, habituellement couvert de buée. La cuisine aussi était froide. La lumière n'y était même pas allumée et le café n'avait pas été fait. Pas de tartines non plus dans le grille-pain. Mais le sac de maman était à sa place, près de la porte de la terrasse. Maman sortait 15
toujours par en haut et papa, par le soussol. J'ai demandé à papa : Elle est où, maman? Je voyais que le policier était mal à l'aise. Dans les films, les policiers ne sont jamais mal à l'aise. Ils ont toujours l'air sûrs d'eux-mêmes, et sérieux. Les policiers de par ici sourient toujours. Je me souviens très bien de la réponse de papa. Je me souviens très bien de ces deux dernières semaines. De tous les détails. De toutes les conversations. C'est comme gravé dans la glace de mon cerveau. Quand un souvenir fond, je pleure mais mes larmes durcissent à la place, et ça fait très mal là-dedans. 16
Papa a dit : Maman s'est tuée dans la cave cette nuit. Les ambulanciers n'ont pas pu la réanimer. Ni moi, ni les médecins, ni personne. Je suis allé dans la chambre de mes parents. Les deux oreillers étaient encore tout froissés. Maman avait dormi là. J'aurais voulu savoir où elle était parce que sa voiture était garée dehors, juste à côté de celle de papa, devant celles des policiers. Elle n'était pas sortie. Je suis descendu à la cave. Toutes les lumières étaient allumées. Il y avait les chaussons de maman à côté de la 17
porte du grand débarras où l'on range les skis et les affaires d'hiver. J'ai poussé la porte. Le sol était mouillé. Ça sentait la lessive. Je suis ressorti. J'ai rangé les chaussons de maman à côté des autres chaussures. J'ai encore cherché maman, mais elle n'était pas là. J'ai commencé à ne plus rien comprendre. Maman n'était plus dans la cave J'ai demandé à papa si elle était partie dans une ambulance. Il a répondu que oui. Il m'a dit : Elle est morte. L'ambulance l'emmène à l'hôpital. Je ne comprenais toujours pas. Si elle allait à l'hôpital, c'était pour être 18
soignée, non? Non, a répondu papa. Personne ne va la soigner. Elle est morte. Elle s'est tuée cette nuit. Non, je ne comprenais pas. Je suis resté longtemps à la chercher dans la maison. À un moment donné, j'ai vu l'autobus scolaire passer dans la rue. J'avais oublié. On était lundi. J'avais l'impression que le temps s'était arrêté et qu'il ne se remettrait en mouvement qu'à partir de l'instant où j'aurais retrouvé maman. Papa parlait encore au policier. Il cherchait ses mots. Je le voyais perdu, lui aussi. Je me suis assis sur le canapé 19
et je les ai écoutés. Quelle sorte de bruit avez-vous entendu? Comme une portière de voiture qu'on claque. C'est ce qui m'a réveillé. Je ne dormais pas vraiment... Je dors très peu, d'habitude. Linda également. Elle se lève toujours la nuit. Je n'ai pas été surpris. Il arrive souvent qu'elle se lève. C'est vrai. Maman se levait toujours la nuit. Elle regardait la télévision ou elle écrivait son courrier. Le matin, il y avait souvent un tas de lettres sur la table. Toutes pour l'espagne et l'amérique du Sud. Maman avait une double vie : le jour, elle parlait en français, en anglais parfois, 20
Manuel se lève un lundi matin et découvre des ambulances dans la cour de sa maison. Dans la cuisine, son père est assis face à un policier. Passé le moment de surprise, Manuel apprend la terrible nouvelle : sa mère s est suicidée dans la nuit. Il ne peut y croire. Le journal qu il tient pendant la semaine qui suit décrit la préparation des funérailles et les douloureux états d âme par lesquels passe Manuel.