Ntombi, mère mentor séropositive de l association humanitaire Philani, visite au moins six familles par jour dans le township de Khayelitsha.



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2 Ntombi, mère mentor séropositive de l association humanitaire Philani, visite au moins six familles par jour dans le township de Khayelitsha.

afrique du sud Des mères unies contre le sida Jour après jour, elles arpentent les quartiers pauvres du Cap et des environs. La mission de ces mères séropositives? Faire reculer la transmission du virus de la mère à l enfant. Et au-delà, enrayer la pandémie à force d information et de prévention. Un travail de fourmi déjà porteur d espoir. Par Catherine Castro. Photos Julien Chatelin. 3

L orphelinat Emasithandane, à Nyanga, près du Cap, a été fondé par Mama Maposela. Il accueille 39 orphelins, dont 40 % sont séropositifs sous traitement. 4 La transmission du virus de la mère à l enfant n est pas une fatalité : Asanda tient dans ses bras son bébé de quatre semaines, né séronégatif d une maman séropositive.

Evelyn est sous antirétroviraux. Elle fait du porte-à-porte pour casser le tabou et inciter les familles à se faire dépister. Solidarité féminine : Mavis, mère mentor pour l ONG Mothers to Mothers, et Siphokazi, une mère qu elle suit à la clinique de Worcester. 5

C est à Khayelitsha qu ont démarré, en 2000, les premières campagnes pour l accès aux antirétroviraux génériques et les premiers programmes de lutte contre la transmission du virus de la mère à l enfant. L«Le sida ne tue pas, et quand on prend son traitement pendant la grossesse, nos bébés ont toutes les chances de naître en bonne santé.» Inlassablement, Ntombi Mesame, mère mentor de l association humanitaire Philani, délivre son message auprès des familles qu elle visite chaque jour. Cette mère de trois enfants sait de quoi elle parle, elle qui a été testée séropositive en 2004. «J étais sûre que j allais mourir», se souvient-elle. A cette époque, l Afrique du Sud comptait ses morts du sida, 600 par jour, victimes du déni gouvernemental et des procès des lobbys pharmaceutiques occidentaux pour interdire l accès aux médicaments génériques. Mais en moins de dix ans, grâce au travail de fourmi de femmes comme Ntombi pour prévenir la transmission du VIH de la mère à son enfant, l espérance de vie des Sud-Africains remontait de 51 ans à 57 ans. Et si un tiers des parturientes sud-africaines sont encore porteuses du virus (rapport Onusida 2011), la transmission du VIH de la mère à l enfant n est plus que de 3,5 %. Avec une moyenne de six visites par jour, parfois plus, les mères mentors de Philani rencontrent 900 familles au Cap et dans la province reculée du Cap-Oriental, soit 18 000 par mois. Un travail de fourmi qui autorise enfin l espoir. porte-à-porte thérapeutique Les sandales de Ntombi foulent d un pas ferme les rues sableuses du quartier C de Khayelitsha, le plus grand township*, à 35 km du Cap, le San Francisco sudafricain. Chaque jour, cette énergique quadra fait des dizaines de kilomètres dans ce quartier dont elle connaît chaque famille. Au pied de quelques habitations en dur construites par le gouvernement, s agglutinent des milliers de cabanes de tôle et de contreplaqué, métaphores de la nouvelle Afrique du Sud, où l émergence des classes moyennes noires ne peut masquer que près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Ntombi connaît sa zone d intervention par cœur, et chaque habitant par son prénom : «Nous visitons chaque maison, aucune n y échappe.» Le job des mères mentors? Repérer qui est malade, qui n a (littéralement) rien à manger, qui a un traitement à prendre, qui est enceinte, qui perd du poids, pour ensuite en référer aux infirmières de l association qui les supervise. Dans le renfoncement d une rangée de cahutes, Ntombi s annonce joyeusement devant une porte bleue fermée. Un couple et trois enfants vivent dans une pièce de 4 m 2. De son sac à dos, elle extrait un pèse-personne, un mètre et le dossier médical de la famille. Après avoir écouté, pris des notes et conseillé la jeune maman qui tient dans ses bras son nouveau-né séronégatif, Ntombi range son matériel, le sourire aux lèvres : «Tout va bien dans cette maison.» Aujourd hui, la nation arc-en-ciel recense près de 6 millions de personnes infectées, dont 1,3 million sous ARV Grâce à l accès aux traitements et à la prévention, l espérance de vie est passée de 51 ans à 57 ans. 6

(traitements antirétroviraux). «C est à Khayelitsha qu ont été expérimentés les premiers programmes de prévention systématique de la transmission du virus de la mère à l enfant. Et ici qu a démarré le combat pour l accès aux traitements antirétroviraux, explique Ingrid le Roux, médecin suédoise qui a fondé Philani en 1979, aux heures sombres de l apartheid, sous le patronage de l archevêque Desmond Tutu. Nous avons formé cent cinquante mères mentors qui interviennent à Khayelitsha et dans la province rurale du Cap-Oriental. Ces femmes, issues de la même communauté, ayant traversé les mêmes épreuves, représentent un modèle dans lequel les autres mères peuvent se reconnaître.» Ce concept, appelé «déviance positive», s appuie sur l idée que, même pauvres, les parents peuvent élever des enfants en bonne santé. «Le moyen d atteindre ce but est d identifier les solutions que les communautés trouveraient elles-mêmes pour résoudre leurs problèmes», résume le docteur le Roux. «Mon travail de mère mentor a fait de moi une vraie personne.» Ntombi Mesame, employée de Philani «Mon travail à Philani a fait de moi une vraie personne», confie Ntombi, une femme rayonnante dont le salaire mensuel de 3 000 rands (environ 285 euros) fait vivre onze personnes. sensibiliser encore et toujours Il est 9 heures du matin. Les taxis collectifs déversent des dizaines de patients à la clinique publique Kuyasa. Dans une salle du rez-de-chaussée, les représentantes d ONG attendent leur tour pour orchestrer des sessions de sensibilisation et de prévention devant un parterre attentif. Des mères et leurs enfants, quelques hommes, tentent de comprendre, planches illustrées à l appui, comment agit le virus sur le système immunitaire, pourquoi il faut faire les tests de dépistage et utiliser des préservatifs, féminins ou masculins. Une femme questionne : «Comment le virus peut-il être transmis dans le ventre?» Un jeune homme lève la main. Il se serait «piqué avec une aiguille» et n a pas encore fait le test. La panique déchire ses yeux sombres. Au bout d un couloir, dans le bureau de l ONG Mothers to Mothers (M2M), Nosipho, 23 ans, est à l heure pour son rendez-vous hebdomadaire avec Nokuthula, mère mentor, dans l organisation depuis un an. Nosipho est séropositive, son partenaire, Asanda, est séronégatif, et leur bébé de quatre semaines aussi. Elle raconte son histoire les larmes aux yeux. «J ai été dépistée en 2007. Quand j ai rencontré Asanda, je ne voulais pas sortir avec lui pour ne pas l infecter, je ne savais pas comment le lui dire. Pourtant, il 8 Mavis, mère mentor coordinatrice de Mothers to Mothers, anime un groupe de soutien.

L aîné des enfants de Nokuthula, mère mentor, est né séropositif et sa petite sœur, séronégative. était différent des autres, très doux. Mais j avais peur qu il ne me quitte. J ai fait une tentative de suicide. J avais peur de le contaminer, je me sentais tellement coupable.» Le jeune homme se souvient combien il a été choqué quand Nosipho, trois mois après l avoir rencontrée, a fini par se confier. «J étais perdu. Je suis allé à la clinique, j ai discuté avec des mères mentors. Elles m ont dit : Tu peux la quitter, le risque, c est que tu tombes sur une autre fille qui, elle, fera l amour avec toi sans te prévenir. Elles ont défendu Nosipho, soulignant combien elle avait été courageuse. Dévoiler son statut, c était une preuve de respect envers moi.» des mères leaders de leur communauté Lors de la consultation, Nokuthula sait trouver les mots. Le douloureux chemin de cette maman n a rien d étranger pour elle. Elle aussi est sous traitement ARV, mais son fils de 5 ans, né séropositif, prend son traitement deux fois par jour : «Quand je suis tombée enceinte, en 2002, j ai été testée positive. A l hôpital, j ai demandé à être traitée à l AZT (médicament antirétroviral) pour ne pas «Réduire à zéro le nombre d enfants séropositifs d ici 2015 paraît réaliste.» Ingrid le Roux, docteure à Philani. contaminer mon fils, mais ils n en avaient pas. Ma fille de 15 mois, elle, est née en bonne santé. Les deux pères m ont quittée quand j étais enceinte.» Nokuthula, même si elle ne fait plus confiance aux hommes, a retrouvé l estime de soi. Elle envoie son fils aux groupes de soutien, et son travail de mère mentor lui donne un statut qu elle n aurait jamais espéré conquérir : «Je gagne 500 rands par semaine (environ 47,60 euros), et je n ai plus honte de ma maladie, j ai appris que l on pouvait vivre avec.» Les gens du quartier viennent la voir à la maison, sûrs de trouver une oreille qui sait écouter. «Alors que la honte et la stigmatisation des malades restent la norme en Afrique du Sud, ces femmes sont devenues des leaders dans leur communauté», affirme le docteur américain Mitch Besser, fondateur de M2M, qui a démarré le mentoring en 1999. «Ni moi ni les infirmières n avions plus de temps à consacrer aux patientes» Quand, en 2001, il propose à l une de ses patientes enceintes de venir l aider à parler aux femmes malades une fois qu elle aura accouché, il ne mesure pas combien ce mode de prévention sera efficace. Le combat de ces centaines de femmes pour lutter contre la transmission de la maladie à leurs bébés pourrait bien signer la fin de la pandémie. «Il est trop tôt pour parler de la naissance d une génération sans sida», nuance la docteure Ingrid le Roux. Mais l objectif, signé à l ONU par l Afrique du Sud, de réduire à zéro les nouvelles infections d enfants d ici 2015 paraît réaliste. Reste aux hommes qui, contrairement aux femmes enceintes n ont pas de dépistage systématique, de suivre la voie de leurs compagnes, celle du courage. (*) Zones où les non-blancs étaient circonscrits sous le régime de l apartheid, et où beaucoup, classe moyenne et pauvres, continuent de vivre. 10 Réagissez à cet article sur les forums de www.marieclaire.fr