Le recours à la comparaison ÉDUCATION À L IMAGE ET AUX MÉDIAS 6 e 5 e 4 e 3 e Dans l éducation aux médias, l utilisation de la comparaison est fréquente jusqu à en devenir parfois compulsive et automatique. Une réflexion didactique sur ce sujet paraît intéressante. On abordera d abord la question de l intérêt et des limites des comparaisons. Puis, on proposera un ensemble d activités se basant sur ce principe comparatiste 1. La présence quasi systématique des tableaux d analyse peut laisser l enseignant sceptique. En effet, ces grilles semblent diriger et enfermer la réflexion des élèves 2. Ce sera l occasion ici de dépasser cette réticence. Ce peut être d autant plus utile que le thème de la Semaine de la presse et des médias dans l école, «Une info, des médias», nous invitait clairement à comparer, à mettre en évidence le pluralisme, la polysémie et la spécificité de chaque média. Compare-t-on pour mettre en évidence les ressemblances ou plutôt les différences? Et, surtout, ce travail est-il fait à titre exploratoire afin de trier des éléments ou pour apporter une preuve de ce que l on sait ou devine? Comme en science, il s agit d être attentif aux biais méthodologiques. On fera attention à la volonté inconsciente de démonstration. Lorsque le professeur repère une différence entre deux articles qui lui semble significative, les élèves s en rendent souvent compte et résistent de façon instinctive à l analyse. 1. Cf. Cécile Vigour, La Comparaison dans les sciences sociales, La Découverte, 2005. 2. Cf. Michel Mouillet, «Étude des médias: ouvrir la grille d analyse», Inter-CDI, juillet-août 2007, n o 208, pp.37 à 39. L École des lettres des collèges 2007-2008, n 7 1
Deux pistes sont en fait possibles: soit on demande aux élèves de classer de façon préparatoire et on reste discret sur le résultat envisagé ou attendu afin d éviter tout «effet de contrat» qui les amènerait à «satisfaire» à des attentes ou, comme on vient de le voir, à s y opposer de façon systématique; soit on construit en collaboration avec les élèves, en toute transparence, un dispositif expérimental destiné à vérifier une hypothèse qu ils ont proposée. Ces deux méthodes peuvent coexister dans une même séance mais il est nécessaire de bien savoir dans quelle approche on se situe. Les comparaisons peuvent être classiques ou plus inhabituelles, mais il convient à chaque fois de se poser la question de l intérêt didactique et des inévitables limites. 1. Comparer le traitement d un même sujet dans deux quotidiens Cela permet bien évidemment de voir quel angle a été choisi et d illustrer la notion de pluralisme, essentielle à faire percevoir aux élèves. Mais si on veut en tirer des conclusions, il faut absolument observer les deux quotidiens sur une période assez longue pour confirmer ou relativiser le résultat des premières analyses. 2. Comparer les unes de deux quotidiens Cette comparaison, qui a la même finalité que la précédente, permet de plus de mettre en évidence des lignes éditoriales différentes. La précaution évoquée dans la première activité s impose aussi, mais une autre difficulté apparaît lorsque l on étudie la presse nationale. En effet, ses journalistes choisissent de mettre en valeur un fait et il est parfois difficile de voir qu il s agit des journaux du même jour. Il faut encore identifier ce qui relève de la charte graphique (invariants du journal) et ce qui est un véritable choix dans la mise en scène de la une choisie. 2 L École des lettres des collèges 2007-2008, n 7
ÉDUCATION AUX MÉDIAS Dans ces deux activités, la notion de diversité apparaît. Une présentation strictement identique ferait des journaux et des unes de simples clones qui mettraient en évidence l absence de pluralisme réel. Dans la proposition suivante, la situation est différente. 3. Comparer l usage d une même photographie dans plusieurs journaux C est l action que propose Daniel Salles dans le numéro 3-4 de L École des lettres de cette année 3. Il s agit d abord d analyser une photographie originale produite par l AFP (effets de réel, codes culturels, rhétoriques et symboliques employés) puis d observer comment elle est utilisée dans différentes publications (cadrage, couleur, légende, etc.). Dans le même esprit, Alain Rémond compare sur le mode ironique deux photographies prises par le même journaliste de l AFP à quelques secondes d écart et publiées dans Libération et Le Figaro 4. Dans le cadre du projet «classes-presse», nous avons également expérimenté des comparaisons délicates. 4. Comparer le (ou les) JT d un soir et la presse régionale du lendemain matin Deux options d analyse sont possibles: les élèves travaillent sur le contenu réel des journaux télévisés en s appuyant sur les conducteurs, ce qui les amène à les regarder plusieurs fois et donc à s éloigner des conditions ordinaires de visionnement du journal; les élèves se basent sur le souvenir qu ils ont du journal télévisé. Nous avons choisi cette dernière option. Elle a abouti à la mise en évidence de l opposition entre le flux de la télévision (on ne voit une image que parce que la précédente a disparu) et le journal que l on peut reprendre et relire selon ses intérêts. 3. «L image d information», pp.141 à 147, article disponible pour les abonnés dans le sommaire du numéro 3-4 sur www.ecoledeslettres.fr. 4. «Vladimir et Nicolas sont dans un 4X4», Marianne, 13-19 octobre 2007, p. 98. L École des lettres des collèges 2007-2008, n 7 3
Fallait-il choisir un seul journal télévisé ou plusieurs, au risque de trop compliquer les choses? Quel premier terme de la comparaison choisir pour découvrir les informations du jour? On voit bien que, quel que soit le choix opéré, le type de montage didactique est à interroger. Trop axé sur l administration de la preuve, le dispositif peut perdre sa crédibilité et donc son efficacité. De ce point de vue, l émission Arrêt sur images, disparue des écrans de télévision 5, faisait parfois fausse route quand les journalistes s évertuaient à démontrer une thèse préconstruite. Celle-ci étant souvent mise à mal par l ensemble des invités. Dans cette émission ou en classe, la question est finalement la même : est-ce que l on compare pour explorer une réalité complexe et dans ce cas quels critères retenir a priori? ou est-ce que l on compare pour vérifier une intuition, une conviction, une hypothèse? La première solution est aventureuse et la deuxième est périlleuse car on court toujours le danger de «tordre» les données pour qu elles confirment nos attentes. Olivier Dhilly propose des définitions utiles dans la dernière édition de la brochure «L éducation aux médias, ça s apprend! 6» destinée aux professeursstagiaires. Il y distingue déduction et induction et explique la subtile mais importante différence entre persuader et convaincre. Ces catégories ne devant pas être perçues comme disjointes ou exclusives. Cet aspect méthodologique gagne d ailleurs à être abordé avec les élèves. Cela peut être fait en fin de projet si on veut garder le bénéfice de l incertitude didactique (but ouvert et non dévoilé) ou au début si l on préfère donner au projet une réelle dimension expérimentale, après que les élèves ont fait part de leurs représentations divergentes sur tel ou tel journal, par exemple. 5. Cette émission se trouve maintenant sur Internet: http://www.arretsurimages.net/. Le site propose une partie de ses contenus en libre accès et une autre sur abonnement. 6. 2007, pp. 38-39, distribuée dans les IUFM. 4 L École des lettres des collèges 2007-2008, n 7
ÉDUCATION AUX MÉDIAS 5. Comparer des dessins de presse On mettra en pratique les conseils précédents en comparant des dessins de presse sur le thème de l homme et du sport réalisés par des dessinateurs professionnels et offerts au Clemi Bretagne en vue d une utilisation dans les classes et de la réalisation d expositions. Nous remercions les dessinateurs pour leurs contributions 7. On proposera les activités suivantes. Une recherche des similitudes entre les dessins de presse qui présentent le même sport : le vélo, par exemple, avec ce qu il peut porter comme représentations ou stéréotypes (le dopage, la loi du silence, la médiatisation, etc.). Un relevé des différences entre les dessins de presse: noir et blanc/couleur; avec ou sans bulles; absence ou présence d une impression de mouvement; respect ou non des règles du sport; sens propre et sens figuré; absence ou présence des femmes; personne(s) qui parle(nt) dans le dessin. On entre alors dans un processus d explication (descriptions/interprétations) qui donne lieu à une pluralité d hypothèses amenant chacun à argumenter. 7. Il s agit pour les dessins reproduits ici de Nono, Ougen, Mainguy, Pichon, Schvartz et Bélom, mais d autres dessinateurs ont aussi participé à ce projet: Messager et Luc Rockenbauer. On trouvera ces dessins à l adresse suivante: http://back.ac-rennes.fr/ culture/clemi/outils.htm (rubrique «Expositions»). L École des lettres des collèges 2007-2008, n 7 5
On peut également identifier plusieurs strates de lecture: dessin, texte, appel au contexte (évènement, article illustré). Ces dessins peuvent aussi servir à mettre en évidence les différents angles de traitement d un sujet: le dessinateur choisira de traiter de la pratique sportive et des effets qu elle peut produire sur le comportement; ou alors il mettra l accent sur la médiatisation d un sport et le rôle des spectateurs; il peut aussi montrer le sport comme une activité sociale ordinaire qui s accompagne de stéréotypes. Les personnages mis en scène sont rarement à leur avantage. Qu il s agisse des sportifs ou de leurs supporters, la dénonciation et la dérision sont plus présentes que l éloge, ce qui révèle les dérives du sport moderne et de sa médiatisation de plus en plus importante. La figure du sportif peut être ridiculisée. Les oppositions corps/ esprit, action/discours, effort/plaisir servent le plus souvent à faire passer une idée qui nécessite des références culturelles qui ne sont pas données explicitement dans le dessin. Alors, faut-il chercher l intrus? Comparer les dessins deux par deux? Demander aux élèves celui qu ils préfèrent? Toutes les pistes sont ouvertes en fonction des objectifs que l on poursuit et de la méthodologie la plus adaptée pour les atteindre. 6 L École des lettres des collèges 2007-2008, n 7
ÉDUCATION AUX MÉDIAS SITOGRAPHIE Ouest-France et Le Télégramme lors des élections de 1965: http://back.ac-rennes.fr/culture/clemi/outils/presidentiel1965.pdf Des ressources pour débattre en classe et comparer: http://back.ac-rennes.fr/culture/clemi/outils/spe56ressourcesdebat.pdf «JT de l été. Comparaison fragmentaire entre TF1 et France 2»: http://www.acrimed.org/article2711.html «Repos dominical: trois télévisions pour une même copie»: http://www.acrimed.org/article2646.html «TF1 et France 2: regarder les différences? (1). Premières comparaisons»: http://www.acrimed.org/article2724.html Comparer deux articles: l un contient une information fausse, l autre une fiable. Une activité proposée par le Clemi Bretagne: http://back.ac-rennes.fr/culture/clemi/outils/themedocs.pdf Clemi. «Semaine de la presse. Exploiter le kiosque»: http://www.crdp.ac-grenoble.fr/clemi/articles.php?ing=fr&pg=267 JACQUES KERNEIS IUFM de Bretagne, site de Brest L École des lettres des collèges 2007-2008, n 7 7