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Le risque technologique majeur Politique, risque et processus de développement Patrick Lagadec docteur en science politique collection uturibles PERGAMON PRESS Paris Oxford New York Toronto Sydney Frankfurt

211 4. Des catastrophes liées à la grande industrie 1. L inflammation, l explosion de gaz dans une installation fixe Feyzin, 1966 - Explications techniques préalables La raffinerie de Feyzin fut mise en service en 1964 ; elle devait traiter 1,7 million de tonnes par an ; elle possédait des installations annexes comprenant notamment des dépôts aériens d'hydrocarbures liquides de 300000 m3 de.capacité et d'hydrocarbures liquéfiés de 4000 m3 de capacité. Ces stockages se trouvaient dans la zone B du terrain de la raffinerie. Il y avait, entre autres, deux réservoirs sphériques d'une contenance de 2 000 m3 pour le butane, et de 1200 m3 pour le propane (les quatre sphères de propane étaient numérotées de T. 61440 à T. 61443).Les éléments suivants sont relevés dans le texte du jugement rendu par la Cour d'appel de Grenoble en 1971 (27 ; 28). Pour éviter la surpression interne de la sphère, en cas d'incident ou d'incendie, chaque sphère est équipée d'un dispositif de sécurité constitué par deux soupapes placées à la partie supérieure de la calotte et débitant 73 tonnes/heure de produits gazeux. La nature des hydrocarbures gazeux liquéfiés nécessite en cours de Elle comporte par ailleurs un dispositif de refroidissement composé de trois couronnes de pulvérisateurs placées respectivement au sommet, à la partie médiane, et à la partie inférieure du réservoir. Ce dispositif est directement relié au réseau d'incendie par une vanne à volant ; son débit moyen est de 2200 litres/minute pour les sphères de propane. stockage de fréquentes opérations de purge pour éliminer l'eau et la soude mélangées au produit de coulée et qui, après décantation, s'accumulent dans la partie du réservoir. L'opération de purge des sphères s'effectue à l'aide de deux vannes placées à 5 centimètres l'une de l'autre, et se manœuvrent par une clé carrée, la vanne inférieure desservant un tube d'évacuation plongeant dans un puisard carré de 50 cm de côté et 1m de profondeur, relié au réseau des eaux usées de la raffinerie.. D'autre part, des échantillons de gaz sont prélevés de temps à autre pour analyse des produits fabriqués et vérification de leurs normes (28, pp. 38-39).

212 DES MENACES NOUVELLES - Les antécédents du sinistre du 4 janvier 1966 Les purges pratiquées dès le début du stockage sur place des produits fabriqués (12 juin 1964) avaient fait apparaître des difficultés qui seraient provenues du dispositif : les vannes étaient trop rapprochées l'une de l'autre, le passage du propane de la phase liquide à la phase gazeuse effectuée à la température de - 43 C. entraînant un givrage presque simultané des deux vannes; leur commande par clé mobile, au lieu de volant, présentait des risques de fuite de gaz en cas de chute d'une de ces clefs; leur diamètre (2 pouces) était trop important; le puisard étant situé au pied de l'opérateur, ce dernier était fréquemment éclaboussé et parfois brûlé au visage et aux mains par la projection du liquide dans cet orifice; les vannes étaient souvent difficiles à manœuvrer; enfin l'accès aux vannes était rendu difficile par la présence de nombreuses canalisations que les opérateurs devaient enjamber pour effectuer les purges commandées. Des employés avaient signalé à la Direction ces inconvénients; les choses étaient restées pratiquement en l'état. Deux graves incidents étaient venus matérialiser les appréhensions et les craintes exprimées : a) Le 6 août 1964, vers 23 h., le nommé Tinjod Robert, aide opérateur, devant procéder à la purge massive de la sphère de butane 462, avait ouvert en grand les deux vannes du réservoir, et laissant l'eau couler normalement dans le puisard, il était monté au sommet de la sphère pour contrôler la jauge s'y trouvant, croyant en avoir le temps avant la fin de l'opération. C'était alors que le gaz avait jailli en force de l'extérieur. Tinjod, voulant refermer les vannes givrées par le passage du gaz, s'était légèrement gelé la main droite et avait dû être soigné à l'hôpital. Les robinets de purge avaient pu être refermés par un ingénieur de fabrication et un des pompiers de service, aidés par un vent favorable. b) Le 26 février 1965, à 11h. 05, le nommé Bittoun Isaac, chimiste, avait été désigné, avec son camarade Godde, pour effectuer la purge de la sphère de propane 440 afin de prélever un échantillon de gaz. Dans ces circonstances mal définies, après l'émission habituelle d'eau et de soude, le propane jaillissait à l'extérieur, brûlant les deux hommes. Les agents de sécurité Leseurre et Rossit, alertés, intervenaient. Le premier était brûlé à son tour, mais le second parvenait à refermer la vanne. L'alerte avait été sérieuse.

LES CATASTROPHES : L'APRÈS-GUERRE 213 Ce dernier incident qui, si le vent n'avait pas été favorable, ici aussi, avait pu dégénérer en catastrophe, bien que l'autoroute ne fût pas encore ouverte à la circulation, avait entraîné la publication par Monsieur Ory, Chef des Services Techniques, d'une note de service sur la manière de purger les sphères (4 mars 1965). Il y était indiqué notamment qu'après avoir équipé de clé les deux robinets de purge, il fallait ouvrir en grand la Vanne côté sphère, puis ouvrir progressivement la vanne côté atmosphère sans jamais l'ouvrir en grand afin d'être sûr qu'elle assure toute la détente et, dès l'apparition du gaz, fermer la vanne de purge ou, en cas d'effort anormal, la vanne côté sphère, et ensuite fermer la deuxième vanne. Cette instruction signalait en outre pour les purges de contrôle sur le fond, la faculté d'utiliser la tuyauterie entre les deux robinets comme un sas, c'est-à-dire en ouvrant la vanne côté sphère, en la refermant aussitôt, puis en ouvrant la deuxième vanne à l'atmosphère pour vider le contenu de la ligne. Elle faisait enfin obligation de procéder aux échantillonnages du laboratoire en présence d un agent de sécurité et de faire pratiquer les purges par deux personnes. Cette note, inscrite sur le cahier de service et affichée dans les pomperies, était connue d'une façon générale du personnel mais n'avait pas toujours été accompagnée des démonstrations utiles. Aussi, certains opérateurs s'en tenaient-ils à leurs conceptions personnelles de la question et aux errements antérieurement suivis (28, pp. 39-41). - L incendie du 4 janvier 1966 Le 4 janvier 1966, une purge de la sphère de propane 433, aux fins de prise d'échantillons, avait donc été décidée. Y participaient: Dechaumet Robert, aide opérateur, Fossey Raymond, agent de sécurité, Duval Bertrand, aide de laboratoire. En violation des prescriptions de la note de service Ory, cette opération était effectuée à 6h.40; alors qu'il faisait nuit noire, le bas de la sphère étant éclairé par la lumière diffuse propagée par un lampadaire et des projecteurs horizontaux placés à une certaine distance. La température était de 4 à 5, et le vent à peu près nul. Contrairement aux ordres, Dechaumet ouvrait d'abord à demi la vanne inférieure, puis ouvrait en grand la vanne supérieure, ainsi qu'il résulte des constatations des experts sur les pièces saisies, comme d'ailleurs des déclarations de Fossey. Ce dernier, dont c'était le rôle de veiller au respect des consignes et d'intervenir immédiatement, le cas échéant, ne bougeait pas, observant la scène à quelques mètres de distance. Quelques impuretés s'écoulaient alors dans le puisard, puis brusquement, le gaz jaillissait avec violence à l'extérieur, atteignant l'opérateur au visage et sur le corps. Dechaumet, pris dans la nappe, perdait ses lunettes de protection et décrochait involontairement la clé de manœuvre de la vanne supérieure dont l'écrou de fixation n'avait d'ailleurs pas été préalablement serré sur le carré de manœuvre. Fossey s'écriait: "tu as ouvert trop grand". Dechaumet s'étant un peu ressaisi, tentait de refermer la vanne supérieure, mais ne parvenait pas à remettre la clé en place, en raison du givre produit par l'apparition du gaz. Il oubliait d'essayer de refermer la vanne inférieure sur laquelle la clé était restée fixée et renonçait à persévérer.

214 DES MENACES NOUVELLES Pendant ce temps, Fossey et Duval avaient donné l'alerte par téléphone et généphone. Les trois agents de sécurité de quart, Rossit, Roy et Fossey, tentaient à leur tour, sans plus de succès, d'arrêter la fuite. De la sphère qui, à 5h. du matin, contenait 693 m3 de propane, le gaz s'échappait à un débit de 3,3 m3 à la seconde environ, d'après les calculs des experts. Le mélange gazeux étant plus lourd que l'air et le vent insignifiant, le propane se répandait par gravité en direction de l'autoroute. Personne ne songeait à alerter les pompiers, la gendarmerie, et les C.R.S. La nappe, d'une hauteur approximative de 1m50, ayant atteint l'autoroute, plusieurs véhicules la traversaient entre 6 h.55 et 7 h.05 des employés de la raffinerie et du poste de garde de l'usine intervenaient alors sur l'autoroute et sur le C.D. 4 pour stopper la circulation. C'est alors, à 7h.15, que survenait Amouroux Robert, pilotant une 4 CV Renault lui appartenant; il se rendait de Serezin-du-Rhône (Isère) à Feyzin par le C.D. 4, pour y prendre ses fonctions dans une entreprise travaillant pour le compte de la raffinerie. Mais alors qu'il arrivait à la bretelle de raccordement du C.D.4 avec l'autoroute et qu'il traversait le gaz, ce dernier, sans doute sous l'effet d'une étincelle produite par le véhicule, s'enflammait aussitôt. Affolé, Amouroux arrêtait sa machine et en sortait; ses vêtements prenant feu à leur tour, il s'enfuyait et s'abattait dans un fossé quelques mètres plus loin. Il y était découvert gravement brûlé un quart d'heure plus tard et transporté à l'hôpital de Lyon où il décédait le 8 janvier 1966. La scène avait été vue du poste de douanes voisin qui téléphonait à la gendarmerie de Saint-Symphorien d'ozon, laquelle dépêchait immédiatement le personnel disponible sur les lieux. De leur côté, les C.R.S., agissant de leur propre chef, s'étaient informés de ce qui se passait et se partageaient dès lors, avec les gendarmes, les tâches qui s'imposaient: empêcher les véhicules de circuler sur les artères exposées, isoler la zone dangereuse, faire évacuer les habitations et l'école du quartier des Razes à Feyzin sur qui planait une grave menace. La sphère 443 s'était enflammée, c'est un débitant de boissons de Feyzin qui téléphonait aux sapeurs pompiers de Lyon à 7h. 12. Deux autres appels leur parvenaient de la raffinerie quelques instants plus tard; la ligne téléphonique directe n'avait pas été utilisée. Dans l'usine, l'alerte générale était donnée par une sirène, tandis que les trois pompiers professionnels de service, n'ayant pu colmater la fuite, tentaient à présent vainement d'éteindre la sphère de feu en l'attaquant au camio-poudre et mettaient en action le système de refroidissement fixe des huit sphères et des deux cigares d'hydrocarbures gazeux liquéfiés. La réserve de poudre (1500 kg) étant épuisée en quelques instants, Rossit, chef de quart, essayait sans succès d'utiliser le camio-mousse dont il disposait. Cet engin ne pouvait fonctionner faute d'eau à l'aspiration; une lance canon ne pouvait être utilisée en raison du manque de pression.

LES CATASTROPHES: L'APRÈS-GUERRE 215 En effet, alors que le réseau d'incendie de la raffinerie était conçu pour livrer au maximum 800 m3/heure d'eau, l'ouverture simultanée par les agents de la sécurité des systèmes de refroidissements des réservoirs de propane et de butane entraînait l'emploi de 1 128 m3/heure. Dès le début de la lutte contre le feu, l'eau manquait ainsi dangereusement. La situation était aggravée par le fait que la Société Rhône Gaz voisine, branchée également sur le réseau d'eau de la raffinerie, avait par précaution déclenché à son tour le système de refroidissement de ses deux sphères de propane et les arrosait avec une lance à incendie. Les sapeurs pompiers de Lyon arrivaient sur les lieux à partir de 7h.33 par piquets successifs, dirigés tour à tour par l'adjudant Prevost, le commandant Legras (à partir de 7h. 43) et le commandant Pierret (à partir de 7h.46). Ils unissaient, leurs efforts à ceux des pompiers professionnels et des auxiliaires de la raffinerie et étaient rejoints par les membres de l'équipe d'incendie de l'usine mitoyenne de Rhodiaceta, sise à Saint Fons (Rhône) en place à 8h. 20, et par les sapeurs pompiers de Vienne qui, alertés par le commandant de Lyon, survenaient à 8h. 28. Chef du premier piquet d'intervention lyonnais, l'adjudant Prevost s'attaquait immédiatement à la sphère 443 qu'il essayait à son tour d'éteindre à l'aide de deux lances à mousse. Ne pouvant y parvenir, il abandonnait le réservoir en flammes et concentrait ses efforts sur le réservoir de propane voisin 442. Les sauveteurs, renonçant à éteindre le feu, s'appliquaient exclusivement à refroidir les autres réservoirs pour les empêcher de s'enflammer à leur tour dans l'espoir que la sphère 443 allait se vider de son contenu qui brûlait à son entrée dans l'atmosphère. Cependant, devant la baisse de pression constatée, l'adjudant Prevost, imité par la suite par les commandants Legras et Pierret, décidait de mettre un engin spécial G.P.F.H. (Grande Puissance pour Feux d'hydrocarbures) en aspiration au canal du Rhône, mais, faute d'aménagements suffisants, le véhicule s'enlisait et ne pouvait être dépanné qu'après une vingtaine de minutes d'efforts. D'autre part, les sauveteurs se heurtaient à la clôture douanière dont les portes étaient cadenassées. Des employés de la raffinerie forçaient les cadenas~ puis abattaient la clôture avec une pelle mécanique. Dans l'intervalle, les renforts avaient continué à arriver, et le commandement était passé au commandant Legras, puis au commandant Pierret Mais à 7h45, l événement important signalé ci-dessus s était produit :le déclenchement de la soupape de sûreté de la sphère 443 ; le gaz s en échappant prenait immédiatement feu, formant une torchère d une dizaine de mères de hauteur. Cet incident était interprété par certains dirigeants de la raffinerie comme rassurant :

216 DES MENACES NOUVELLES Il indiquait, d après eux, que la sphère allait se vider entièrement de son contenu. Ils en faisaient part au commandant Pierret et à certains de ses collaborateurs. Cependant, certains de ces sauveteurs étaient gagnés par une sourde appréhension, née de l'importance croissante des flammes environnant la sphère 443 et du tumulte grandissant causé par l'incendie. Quant à la manière de combattre le sinistre, les commandants Legras puis Pierret avaient ratifié les dispositions prises par l'adjudant Prevost, se bornant à un rôle de prévention d'extension du sinistre en arrosant les réservoirs susceptibles de prendre feu à leur tour. Mais la baisse de pression contraignait les sauveteurs à s'approcher dangereusement des réservoirs, l'eau de leurs lances parvenant difficilement à atteindre le sommet. Cette situation périlleuse déterminait le commandant Legras à faire reculer ses hommes après leur avoir fait fixer leurs lances en position d'arrosage sur des points fixes. Près de 170 personnes se trouvaient alors que l aire B. 7/1 et sur les autres aires de la zone B. Il s agissait de pompiers professionnels et auxiliaires de la raffinerie et d'entreprises voisines ou travaillant pour son compte~ du Directeur~ de chefs de services et d'employés de l'usine~ de cadres et d'employés d'usines voisines et de simples spectateurs. Aussi, l'explosion de la sphère 443, survenant à 8h.45, atteignait-elle la plupart de ces personnes. Aux vagues de gaz enflammé provoquées par la déflagration, s'ajoutait la projection, parfois à plusieurs centaines de mètres, de morceaux d'acier, certains d'un poids considérable. Dix-sept sauveteurs succombaient sur le coup ou postérieurement à leurs graves brûlures. Parmi les 84 blessés (;..), 42 subissaient une incapacité totale de travail personnel supérieure à 3 mois. Cependant, l'explosion avait étendu l'incendie à l'ensemble des aires B. 7/1 et B. 7/2 et à la partie sud de l'aire B II. Les sauveteurs, dont le courage avait été au-dessus de tout éloge, et dont certains avaient secouru au péril de leur vie des camarades en danger, se repliaient alors, emmenant avec eux les blessés. De ce fait, l'explosion, à 9h.45, de la sphère 442, ne faisait pas de nouvelles victimes, mais causait, comme la précédente, de nombreux dégâts matériels constatés jusqu'à Vienne, sise à 16 kms. Entre les deux sphères volatilisées, s'était creusé un cratère de 35 m. de longueur sur 15m40 de largeur et 2m10 de profondeur. (28, pp. 41-45).