Le Personnage de Puck



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Transcription:

Mathias Lehn Le Personnage de Puck Du modèle shakespearien à l opéra contemporain (Britten, Vreuls, Delannoy, Gerber) Publibook

Retrouvez notre catalogue sur le site des Éditions Publibook : http://www.publibook.com Ce texte publié par les Éditions Publibook est protégé par les lois et traités internationaux relatifs aux droits d auteur. Son impression sur papier est strictement réservée à l acquéreur et limitée à son usage personnel. Toute autre reproduction ou copie, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon et serait passible des sanctions prévues par les textes susvisés et notamment le Code français de la propriété intellectuelle et les conventions internationales en vigueur sur la protection des droits d auteur. Éditions Publibook 14, rue des Volontaires 75015 PARIS France Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55 IDDN.FR.010.0116656.000.R.P.2011.030.31500 Cet ouvrage a fait l objet d une première publication aux Éditions Publibook en 2012

Remerciements Je remercie Mme le Professeur Marie-Claire Beltrando-Patier et M. le Professeur Paul Prévost d avoir dirigé une partie de mes recherches. Ma reconnaissance la plus absolue doit aller à Mme le Professeur Danièle Pistone qui a accepté de diriger l achèvement de ma thèse et m a constamment encouragé à la terminer. Mme le Professeur Arlette Sancery, qui a bien voulu traduire pour moi des textes anglais du Moyen Âge et M. le Professeur Pierre Iselin, qui a accepté de superviser la partie littéraire, ont apporté un soutien sans failles à mon travail. Je les en remercie chaleureusement. Ma reconnaissance doit aller au compositeur suisse René Gerber qui m a accueilli à Neuchâtel et m a permis de consulter son manuscrit, à M. Claude Delley (fondation René Gerber) et à Fabio Maffei qui m ont facilité la préparation et l organisation de mon séjour en Suisse. Je tiens à exprimer ma gratitude à l ensemble de l équipe de la Britten-Pears Library à Aldeburgh, principalement à Keiron Cooke et Jenny Doctor, pour leur accueil et leur disponibilité durant mes deux séjours dans le Suffolk, ainsi qu à Rosemary Jones, ma logeuse, toujours prête à discuter de mes recherches et dont les archives personnelles ont été mises à profit. L équipe de l Opéra du Rhin s est accommodée de ma présence lors des répétitions de l opéra de Britten en mai et juin 1998. Mesdames Monique Herzog et Bernadette Springer m ont permis de consulter à plusieurs reprises les archives relatives à l opéra de Marcel Delannoy. Je les en remercie grandement. Les compositeurs Neely Bruce (Middletown, Connecticut), Robert Convery (Folly Beach, Caroline du Sud), Wilfrid Mellers (York), Luca Mosca (Venise), Randolph Peters (Winnipeg, Canada) et David Francis Urrows (San Mateo, Californie) ont gracieusement répondu à mes questions et m ont parfois communiqué d importants documents, inédits pour la plupart, sur leurs œuvres (articles, partitions, enregistrements, etc.). Qu ils en soient ici chaleureusement remerciés. Parmi les nombreux bibliothécaires mis à contribution dans cette étude, il faut citer Nick Chadwick et Robert Parker (British Library à Londres) et Georgianna Ziegler (Folger Shakespeare Library à Washington) dont l aide m a été précieuse, ainsi que celle de Judy Kennedy (St Thomas University à Fredericton, Canada). Qu ils trouvent ici l expression de ma profonde gratitude. Je remercie Cyrille pour ses conseils en matière d analyse. Les extraits de la partition de Benjamin Britten sont reproduits avec l autorisation de Boosey & Hawkes Music Publishers Ltd. Les extraits de la partition de Victor Vreuls sont reproduits avec l autorisation de Hebra Records pour les éditions Cranz. Les extraits de la partition de Marcel Delannoy sont reproduits avec l autorisation de M. Christophe Bouvet. Les extraits de la partition de René Gerber sont reproduits avec l autorisation de M. Jean-Jacques Perrenoud, de la fondation René Gerber. 9

Avant-propos Shakespeare et l opéra : le rapprochement n est pas nouveau. De son vivant déjà, des extraits de ses pièces ont inspiré les compositeurs : Thomas Morley (1557-1602, «It Was a Lover and his Lass» extrait de As You Like It), Robert Jones (1570-1615, «Farewell Dear Love» extrait de Twelfth Night), Robert Johnson («Hark, hark! The Lark» extrait de Cymbeline ou «Full Fathom Five» tiré de The Tempest) par exemple 1. Mais ce n est qu à partir de la fin du XIX e siècle que les musicologues commencent à étudier ces œuvres musicales et leurs relations étroites avec leurs sources littéraires et leurs nombreuses indications musicales. Une partie des études (la plus importante) était alors consacrée à la musique interprétée à son époque, dans le cadre des représentations de ses œuvres et aux références musicales incluses dans celles-ci, les prenant pour une importante source d informations sur la musique élisabéthaine. D autres travaux considéraient les pièces comme le point de départ d un nouveau corpus et cherchaient à déterminer quelles compositions instrumentales ou vocales elles avaient pu inspirer ou susciter, privilégiant la postérité de Shakespeare, et non son passé. C est principalement d elles qu il sera question ici. Consacrée à Puck, personnage clé du Songe d une nuit d été, cette thèse s attache à dégager les lignes directrices de l écriture de ce rôle dans chacun des quatre opéras. Réalisée aussi bien au niveau littéraire et au niveau musical qu au niveau de la confrontation de ces deux éléments, indissociables à l opéra, cette étude a pour but de dégager de ces composantes une conception globale du personnage de Puck, puis d en souligner les différences ou les points communs. 1 Arthur Graham, Shakespeare in Opera, Ballet, Orchestral Music and Song, Lewiston, The Edwin Mellen Press, 1997, p. 187-188. 11

Avertissement Les références à l œuvre de Shakespeare, ainsi que les citations, sont empruntées à l édition Arden pour la version anglaise 2 et à la traduction de Jean-Michel Déprats, publiée par Actes Sud collection «Papiers» pour la version française 3. Le livret de Britten et Pears étant entièrement construit avec le texte de Shakespeare, à l exception d une phrase de Lysandre au début de l acte I, la traduction des extraits de ce livret sera également celle de Déprats. Pour la phrase supplémentaire de Lysandre, j ai eu recours à la version française de Denis Collin établie d après celle de François- Victor Hugo pour la revue L Avant-Scène Opéra 4. Les citations issues d une pièce de théâtre ou d un livret d opéra sont repérées de la façon suivante : titre de l œuvre en italique, acte en chiffres romains majuscules (I, II, III, etc.), scène en chiffres romains minuscules (i, ii, etc.), vers ou ligne en chiffres arabes. Cette numérotation a été adoptée en raison de l absence de découpage en plusieurs scènes de l acte V de la pièce, afin de ne pas prêter à confusion entre le numéro de scène et le numéro de ligne. Cependant, si le terme «scène» est utilisé, celle-ci est désignée par un chiffre arabe. En note infrapaginale, la séparation entre deux vers successifs est indiquée par le signe «/.» Les références à la pièce originale et aux livrets s achèvent par la mention de la situation dramaturgique, dont la définition figure aux pages 102 à 105. Les références à d autres œuvres littéraires sont citées par rapport aux éditions portées en bibliographie. Les personnages principaux sont désignés par l orthographe française de leurs noms (Obéron avec un accent, Lysandre, Hélène) sauf bien sûr dans les citations originales en anglais. Les noms des artisans et des fées, qu il est également possible de traduire, sont conservés dans leurs formes originales, facilitant ainsi la distinction entre les textes anglais et les textes français. Lorsqu aucune source n est indiquée pour la traduction française d un extrait d un ouvrage en langue étrangère, la traduction est de l auteur. Enfin, les différentes parties des deux pièces de Shakespeare qui sont usuellement découpées en plusieurs sous-ensembles (Henry IV et Henry VI) sont désignées par un chiffre arabe précédant le titre (2 Henry VI désigne la deuxième partie de Henry VI par exemple.) Dernier point, les dates antérieures à l ère chrétienne sont précédées du signe «~» afin de faciliter la lecture des dates de naissance et de mort de certains écrivains, principalement dans les notes infrapaginales. Dans l analyse musicale, l utilisation d un jeu de caractère nommé «Bach» disponible gratuitement sur internet 5 a permis d inclure certaines indications de mesure ou de rythme dans le texte. Pourtant, il reste des notations pour lesquelles il a fallu adopter un autre équivalent, dans lequel devient 3/8. 2 William Shakespeare, A Midsummer Night s Dream, Londres, Methuen, 1979 ; Routledge, 2/1993, CXLIII 164 p., «The Arden Shakespeare.» 3 William Shakespeare, Le Songe d une nuit d été, Arles, Actes Sud, 1990, 83 p., «Papiers.» 4 Michel Pazdro (dir.), «Le Songe d une nuit d été,» L Avant-Scène Opéra, n 146, Paris, Premières Loges, 1992, 132 p. 5 Sur le site www.music.qub.ac.uk/~tomita/bach_r4.html (valide au 27 juillet 2007). 13

Introduction Durant l été 1991, le festival d Aix-en-Provence présentait une nouvelle production de l opéra Le Songe d une nuit d été de Benjamin Britten, sous la direction musicale de Steuart Bedford et dans une mise en scène de Robert Carsen. Trois ans plus tard, ce spectacle était programmé à l Opéra-Comique, salle Favart, à Paris et à l Opéra de Lyon. Dans le numéro deux de son journal, l Opéra de Lyon proposait un entretien avec Robert Carsen au cours duquel l interlocuteur du metteur en scène indique que «vingt-huit pièces de Shakespeare ont donné lieu à quelque 300 opéras. On compte 17 opéras à partir du Songe d une nuit d été 6.» Cette précision numérique m a décidé à m intéresser à la pièce de Shakespeare et à rechercher les compositeurs auxquels elle a inspiré des opéras. J ai cependant souhaité ne travailler que sur les opéras achevés du vivant du compositeur ou complétés peu après sa mort en respectant l esprit de son œuvre. J exclus les musiques de scène, les comédies musicales, les mélodrames 7 et les œuvres qui, bien que contenant certains passages du Songe d une nuit d été, n en sont pas de véritables adaptations : soit d autres pièces entrent également dans l écriture du livret, soit des personnages étrangers à l œuvre de Shakespeare y sont introduits, soit elles sont inspirées par les sources mêmes de la pièce de Shakespeare. Les résultats de cette première étude 8 ont permis le choix du corpus de la thèse et la mise en évidence d un traitement particulier du personnage de Puck, aussi bien dans la pièce originale de Shakespeare que dans les livrets d opéra. L attitude des librettistes et des compositeurs face au personnage de Puck est particulièrement frappante. Le serviteur d Obéron semble, plus que les autres, déjouer les conventions de l opéra, notamment en matière de tessiture, et être ainsi placé au centre des œuvres. Alors qu il paraît n être, à la première lecture de la pièce de Shakespeare, qu un esprit frivole et subissant comme les autres la volonté supérieure exprimée par Obéron, il se révèle être l un des personnages les plus influents et les plus importants des opéras. Il devient alors légitime de s interroger sur la justification apportée par les compositeurs à un tel choix. L analyse des partitions et des livrets montre des concordances d idées ainsi que de fortes divergences d adaptation. La variété des conceptions, s éclairant l une l autre, permet d établir un portrait détaillé du personnage. Une première partie, illustrée de multiples références musicales, est consacrée à l étude des antécédents littéraires de Puck, puis à l analyse de son rôle dans la pièce de Shakespeare 9. Une deuxième partie analyse les livrets en comparaison avec la pièce originale et s intéresse aux portraits de Puck qui y sont dressés 10. La partie suivante présente les opéras et leurs caractéristiques musicales générales 11. La quatrième partie est consacrée à l analyse musicale du rôle de Puck dans les quatre opéras 12. Enfin, la conclusion montre que ce personnage est véritablement l acteur principal des cinq ouvrages traités. L étude comparative du serviteur d Obéron dans quatre œuvres musicales différentes, destinée à établir un portrait modèle de celui-ci, doit se fonder sur les données objectives fournies par la partition d origine : le texte et la musique. Le texte du livret se répartit lui-même en deux groupes : 6 Robert Carsen, Une chance pour les jeunes chanteurs, «Opéra de Lyon,» n 2, [Lyon, Opéra de Lyon], mai 1994, p. 9. 7 Œuvre dramatique où un texte déclamé s unit à un accompagnement musical. 8 Cf. «Shakespeare et l opéra,» infra, p. 19-41. 9 Cf. «Évocation littéraire et musicale de Puck des origines à Shakespeare,» infra, p. 43-99. 10 Cf. «De la pièce aux livrets : étapes d une métamorphose littéraire,» infra, p. 101-141. 11 Cf. «Les quatre compositeurs et le surnaturel à l opéra : aspects techniques et historiques,» infra, p. 143-173. 12 Cf. «Analyse mélodico-harmonique comparative,» infra, p. 175-248. 15

les paroles prononcées (chantées ou récitées) par les personnages et les didascalies, indications scéniques plus ou moins précises, qu il convient de connaître car elles font partie intégrante de la partition. La partie musicale peut, elle aussi, être subdivisée selon qu elle accompagne (dans le sens premier du verbe, «aller de compagnie avec,» sans idée de prédominance de l une ou de l autre) ou non le texte prononcé par les chanteurs. 1) Le texte prononcé peut être réparti en deux catégories : - le texte destiné directement au public, réflexion à voix haute du personnage et que les autres personnages, même présents sur scène, n entendent pas ; - le texte adressé, sous forme de dialogue ou non, aux autres protagonistes. Dans ce cas, il faut déterminer lesquels des personnages, présents sur scène, entendent ce texte. 2) Les didascalies, selon la précision des indications qu elles fournissent sur les décors, les costumes, les éclairages, la position ou le mouvement des personnages, voire leurs expressions, permettent de concevoir une vision spatiale globale de l œuvre. 3) La musique, partie intégrante d un rôle d opéra, peut, selon qu elle accompagne des paroles ou non, selon qu elle répète ou non des sections musicales déjà présentées, contredire ou confirmer les paroles ou la situation et donner un nouvel éclairage à telle action ou à telle réplique. Ces trois éléments, constitutifs de l œuvre par leur juxtaposition, doivent être interprétés à leurs propres niveaux de signification et dans leurs interactions, afin de proposer une vision de l œuvre pertinente à un public qui doit se sentir captivé par les événements qu il voit sur la scène. La mise en scène doit proposer au public plusieurs possibilités de lecture de l œuvre, suivant la connaissance que ce public a de l ouvrage : elle doit satisfaire aussi bien les néophytes intéressés par les rapports entre les personnages, que les connaisseurs y cherchant une nouvelle signification particulière de la pièce. Le texte original de Shakespeare apparaît sous les deux formes possibles de la prose et de la poésie, selon la situation et le personnage qui s exprime. Seuls les artisans parlent en prose alors que les esprits et les nobles parlent en vers. Les artisans utilisent cependant les vers, mais uniquement pour la représentation de Pyrame et Thisbé au mariage de Thésée et Hippolyte, c est-àdire lorsque, par le déguisement, ils ne sont plus eux-mêmes. Cette distinction prose / poésie constitue un premier niveau de différenciation. Le second se trouve dans les mots eux-mêmes et dans les tournures de phrase utilisées : les artisans utilisent un langage simple, proche des préoccupations pratiques et artisanales qui sont les leurs, les nobles et les esprits ont un vocabulaire et un style plus recherchés par la tournure des phrases et l élévation (réelle ou artificielle) de leurs propos 13. Les didascalies peuvent être plus ou moins nombreuses suivant l importance que le compositeur attache à l aspect visuel de son œuvre. Elles peuvent décrire le moment du jour où se déroule l action, le décor, la lumière, les objets disposés sur scène, les accessoires dont ont besoin les chanteurs, les mouvements de ceux-ci, leurs sentiments, leurs expressions, leurs costumes, et également les ouvertures et fermetures du rideau de scène (moment, vitesse et direction), ainsi que certains effets spéciaux, comme le brouillard qui doit envahir la scène à la fin de l acte III. Sous ses aspects mélodique et rythmique d une part, orchestral d autre part, la musique a également une signification plus ou moins évidente dans l interprétation des développements du livret. Elle est le moteur temporel de l action, susceptible de ralentir ou d accélérer pour augmenter ou diminuer l importance d une scène, d un personnage ou d une phrase, en accord ou en contradiction avec le texte chanté : les rôles mêmes des personnages peuvent en effet se trouver modifiés par la partie musicale, éventuellement silencieuse, qui leur est accolée. Le débit plus ou 13 Voir «Registres littéraires suivant les personnages,» infra, p. 77-78. 16

moins rapide, la présence ou l absence de mélismes, le rythme plus ou moins proche de la prosodie du théâtre parlé, sont des éléments purement musicaux qui peuvent enrichir le message délivré par le compositeur dans son œuvre. Lorsque le personnage ne chante pas, mais parle avec accompagnement orchestral (mélodrame), celui-ci prend une grande importance. L orchestration, selon qu elle obéit à des formules récurrentes dans l œuvre, y sert véritablement de toile de fond dramatique, chaque thème reliant entre elles les différentes scènes où il apparaît. L étude distincte puis conjointe de ces trois constituants pour les apparitions de Puck permet d établir une conception globale du personnage, éventuellement distincte de celle du dramaturge anglais et expliquant l interprétation qu en donnent les compositeurs et les librettistes. Parmi la multitude d études consacrées à Shakespeare, seules cinq s intéressent plus particulièrement à Puck, de l ouvrage de William Bell 14 en 1852 à celui de Gillian Mary Edwards 15 en 1974 : elles ont été réalisées par Hazlitt 16 en 1908, Latham 17 en 1930 et Briggs 18 qui le replace dans le folklore élisabéthain, parmi les personnages des autres pièces de Shakespeare. Un seul article (Braddy 19, 1956) le compare à un autre personnage, en l occurrence Orthon dans la traduction anglaise par Lord Berners des Chroniques de Jean Froissart. Ces études permettent de remonter, dans une certaine mesure, aux origines du serviteur d Obéron en suivant les noms dont il a été affublé et les pouvoirs qui lui ont été conférés. Seulement deux ouvrages ont été consacrés à Benjamin Britten en français : de Gaulle 20 en 1996 et Clary 21 dix ans plus tard, sans qu aucun des deux ne s attache à une véritable analyse des œuvres. Heureusement la revue L Avant-Scène Opéra a consacré plusieurs numéros à Britten, dont un au Songe d une nuit d été. En langue anglaise, alors que la publication de la correspondance se poursuit lentement 22, de nombreux ouvrages ont été consacrés au maître d Aldeburgh et à ses opéras, juxtaposant souvent la biographie au commentaire analytique des œuvres, dès avant sa mort : White 23 en 1971, puis Kennedy 24 (1981), Palmer 25 (1984), Evans 26 (1989), Herbert 27 (1989) et Carpenter 28 (1992). Trois études universitaires ont été consacrées plus particulièrement au Songe d une nuit d été, mais de manière isolée : Bach 29 (1971), Kishinami 30 (1990) et Godsalve 31. Les autres compositeurs n ont pas, à eux trois, suscité autant d écrits que Britten. Seul Delannoy a eu l honneur de voir un livre publié sur sa vie et son œuvre et, honneur encore plus grand, de son vivant (Boll 32, 1957). Quant à Vreuls et Gerber, leur vie et leur œuvre ne sont évoquées que dans le 14 William Bell, Shakespeare s Puck and his Folklore, Londres, C. Richards, 1852, VIII 332 p. 15 Gillian Mary Edwards, Hobgoblin and Sweet Puck, Fairy Names and Natures, Londres, Geoffrey Bles, 1974, X 229 p. 16 William Hazlitt, Characters of Shakespeare s Plays, Cambridge, Cambridge University Press, 1908, XXIII 280 p. 17 Minor White Latham, The Elizabethan Fairies, New York, Columbia University Press, 1930, 313 p. 18 Katharine Mary Briggs, The Anatomy of Puck : An Examination of Fairy Beliefs among Shakespeare s Contemporaries and Successors, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1/1959, 2/1977, XI 284 p. 19 Haldeen Braddy, Shakespeare s Puck and Froissart s Orthon, «Shakespeare Quarterly,» vol. VII, printemps 1956, n 2, p. 276-280. 20 Xavier de Gaulle, Benjamin Britten ou l impossible quiétude, Arles, Actes Sud, 1996, 576 p. 21 Mildred Clary, Benjamin Britten ou le mythe de l enfance, Paris, Buchet / Chastel, 2006, 456 p. 22 Le troisième volume, s achevant en 1951, est paru en 2004. 23 Eric Walter White, Benjamin Britten : His Life and Operas, Londres, Faber & Faber, 1971, 256 p. 24 Michael Kennedy, Britten, Londres, J. M. Dent & Sons Ltd, 1981, XI 356 p., «The Master Musicians Series.» 25 Christopher Palmer (éd.), The Britten Companion, New York, Cambridge University Press, 1984, 485 p. 26 Peter Evans, The Music of Benjamin Britten, Londres, J. M. Dent & Sons Ltd, 1989, VII 564 p. 27 David Herbert (éd.), The Operas of Benjamin Britten, Londres, The Herbert Press, 1989, XXXI 384 p. 28 Humphrey Carpenter, Benjamin Britten : A Biography, Londres, Faber & Faber, 1992, X 680 p. 29 Jan Morris Bach, An Analysis of Britten s Midsummer Night s Dream, Urbana, University of Illinois, 1971, 230 p. 30 Yukiko Kishinami, The Operatic Treatment of Supernatural Characters in Britten s Midsummer Night s Dream, Londres, Goldsmith College, 1990, 59 p. 31 William Herbert Louis Godsalve, Britten s A Midsummer Night s Dream : Making an Opera from Shakespeare s Comedy, Madison, Fairleigh Dickinson University Press, 1995, 237 p. 32 André Boll, Marcel Delannoy, Paris, Ventadour, 1957, 46 p., «Musiciens d aujourd hui.» 17

cadre d études sur la musique de leur pays (Lyr 33, 1911 et de Gers 34, 1926) ou à l occasion de leur disparition. Enfin, les études sur un personnage héros de plusieurs opéras sont assez rares et concernent la plupart du temps seulement deux opéras alors que certains (Faust, Don Juan, Manon, Orphée) ont parfois connu de très nombreuses adaptations musicales. De plus, ces études traitent plus des opéras dans leur totalité que des personnages eux-mêmes : James Aldrich-Moodie 35 compare les opéras que Verdi et Rossini ont composés d après Othello de Shakespeare, comme Roberta Montemorra Marvin 36 et Martha Tuck Rozett 37. Le personnage de Manon a suscité des études comparatives sur plus de deux opéras, mais toujours en comparaison générale avec l œuvre de l abbé Prévost et non centrées sur le personnage central : Dietrich Kaemper et Peter-Eckhard Knabe 38 s intéressent surtout aux scènes finales dans les opéras de Henze, Auber, Massenet et Puccini qu ils comparent à la source littéraire, Jean Sgard 39 étudie les liens entre Prévost et trois opéras seulement, ceux d Auber, Puccini et Massenet. Aucune étude n a encore été consacrée à l adaptation musicale d un personnage littéraire dans quatre opéras différents. 33 René Lyr, «Les Musiciens Belges. Victor Vreuls,» Société Internationale de Musique, 1911, p. 99-106. 34 Arthur de Gers, Le vade-mecum de l amateur d opéras, Bruxelles, Dykmans, 1928, 240 p. 35 James Aldrich-Moodie, «False Fidelity : Othello, Otello, and their Critics,» Comparative Drama, vol. 28 (n 3), 1994, p. 324-347. 36 Roberta Montemorra Marvin, Rossini s Otello and Verdi s : A Reappraisal of two Nineteenth Century Operas, Medford, Tufts University, 1986, 140 p. 37 Martha Tuck Rozett, Othello, Otello and the Comic Tradition, Bulletin of Research in the Humanities, vol. LXXXV, n 4, 1982, p. 386-411. 38 Dietrich Kaemper, Peter-Eckhard Knabe, «Un Requiem pour Manon,» in Les Écrivains français et l opéra, Cologne, DME, 1986, p. 185-195. 39 Jean Sgard, «Manon avec ou sans camélias,» in Kurt Ringger, Philippe Berthier (éd.), Littérature et opéra, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1987, p. 81-91. 18