LA PROCEDURE DISCIPLINAIRE Rapport de Monsieur le Bâtonnier Armand Marx Membre de la Conférence des Bâtonniers Séminaire des Dauphins Les 11 et 12 décembre 2015
Préambule L essence même de la profession de l avocat est son INDEPENDANCE. L indépendance de l avocat est assurée par la loi et la jurisprudence, y compris la jurisprudence européenne. La Profession veut être indépendante. Si elle veut le rester, il faut qu elle assure son AUTOREGULATION. Un des outils puissants de cette autorégulation est le pouvoir disciplinaire. Ce pouvoir disciplinaire est accordé par la loi au Bâtonnier. Il faut que les Bâtonniers l utilisent pour assurer la pérennité des Ordres. En effet, le pouvoir disciplinaire appartient au Bâtonnier, chef de l Ordre. Si ce pouvoir disciplinaire échappe au Bâtonnier, l Ordre ne pourra plus exercer son pouvoir de régulation, et s il n y a plus de pouvoir de régulation, les Ordres sont en danger. Le Bâtonnier, autorité de poursuite * * * Le Bâtonnier est chargé du respect de la déontologie. Il veille à ce que les principes énoncés dans le serment soient appliqués. Il doit s assurer que les règles professionnelles soient respectées. Il a la mission de faire appliquer la discipline. La loi le définit comme AUTORITE DE POURSUITE. A ce titre, il initie la procédure disciplinaire et suit la procédure devant le Conseil Régional de Discipline. La Conférence vient de rééditer le guide de la procédure disciplinaire rédigé par Monsieur le Bâtonnier Yves AVRIL, spécialiste en la matière. Le Bâtonnier AVRIL commente la plupart des décisions rendues par les Cours d Appel, surtout par la Cour de Cassation concernant la discipline des avocats. Je ne peux que vous renvoyer à ce document à jour des dernières décisions et qui apporte des réponses concrètes aux questions très pratiques que le Bâtonnier peut se poser lorsqu il envisage une poursuite disciplinaire. 1
Il convient de rappeler : LES TEXTES - la loi du 11 février 2004 modifiant la loi du 31 décembre 1971 (art. 17-2 art 22 et suivants art 53 2 ) - le Décret du 24 mai 2005 modifiant le Décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d avocat et relatif à la discipline (Art. 180 et suivants). Lorsque le Bâtonnier a connaissance de faits graves nécessitant des poursuites disciplinaires, avant de saisir le CRD, il peut ouvrir une enquête déontologique. L ENQUETE DEONTOLOGIQUE Je me réfère ici à un rapport que Monsieur le Bâtonnier FARAUD a rédigé pour la journée de formation des Présidents des Conseils Régionaux de Discipline. L enquête déontologique est définie à la section 1 du chapitre 3 intitulée «procédure disciplinaire» contenu dans le Décret du 27 novembre 1991, même si cette enquête déontologique ne fait pas stricto sensu partie de la procédure disciplinaire. Le Bâtonnier doit faire respecter l ensemble des règles déontologiques aux membres du Barreau, avocats en exercice et avocats honoraires, dans le cadre de l exercice professionnel mais aussi dans le cadre de la vie privée. L article 187 du Décret du 27 novembre 1991 dispose : «Le bâtonnier peut, soit de sa propre initiative, soit à la demande du procureur général, soit sur la plainte de toute personne intéressée, procéder à une enquête sur le comportement d'un avocat de son barreau. Il peut désigner à cette fin un délégué, parmi les membres ou anciens membres du conseil de l'ordre. Lorsqu'il décide de ne pas procéder à une enquête, il en avise l'auteur de la demande ou de la plainte. Au vu des éléments recueillis au cours de l'enquête déontologique, il établit un rapport et décide s'il y a lieu d'exercer l'action disciplinaire. Il avise de sa décision le procureur général et, le cas échéant, le plaignant. Lorsque l'enquête a été demandée par le procureur général, le bâtonnier lui communique le rapport. Le bâtonnier le plus ancien dans l'ordre du tableau, membre du conseil de l'ordre, met en œuvre les dispositions du présent article lorsque des informations portées à sa connaissance mettent en cause le bâtonnier en exercice.» Cette enquête n est soumise à aucune formalité. Elle n est enfermée dans aucun délai. 2
Le Bâtonnier agit dans le cadre de son imperium. Il peut déléguer cette mission à un Conseiller de l Ordre ou à un ancien Bâtonnier. Il faut cependant se rappeler que cette enquête peut être le préalable à la saisine du CRD. Dès lors, il convient d être vigilants dans l application des principes de la défense et du contradictoire dans le déroulement de cette enquête déontologique. Si ces principes ne sont pas respectés, les Cours d Appel et la Cour de Cassation ne manqueront pas de censurer toute la procédure disciplinaire qui peut suivre une enquête déontologique. A la fin de l enquête déontologique, le Bâtonnier peut soit en rester là, soit saisir le CRD. Si l enquête a été demandée par le Parquet Général, il doit informer le Procureur Général de sa décision. Il peut aussi initier une procédure disciplinaire. LA SAISINE DU CONSEIL REGIONAL DE DISCIPLINE Avant d aborder la saisine elle-même, je rappelle qu il appartient au Conseil de l Ordre de désigner chaque année, avant le début de l exercice suivant, les membres des Conseils Régionaux de Discipline. Si ces membres n ont pas été désignés par le Conseil de l Ordre avant le 1 er janvier, il y a de fortes chances que la composition du CRD risque d être invalidée. L article 188 du Décret du 27 novembre 1991 dispose : «Dans les cas prévus à l'article 183, directement ou après enquête déontologique, le bâtonnier dont relève l'avocat mis en cause ou le procureur général saisit l'instance disciplinaire par un acte motivé. Il en informe au préalable l'autorité qui n'est pas à l'initiative de l'action disciplinaire. L'acte de saisine est notifié à l'avocat poursuivi par l'autorité qui a pris l'initiative de l'action disciplinaire, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.» Le renvoi à l article 183 donne une première indication très complète sur la façon dont l acte de saisine doit être motivé puisque le texte dispose : «Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, expose l'avocat qui en est l'auteur aux sanctions disciplinaires énumérées à l'article 184.» Le texte donne très clairement la liste des faits qui peuvent être reprochés à l avocat et peuvent faire l objet de poursuites. 3
Il est extrêmement important que l acte de saisine, conformément à l article 188 soit notifié à l avocat poursuivi par l autorité qui en a pris l initiative, par lettre recommandée avec demande d avis de réception. Il est même prudent de notifier cette saisine par voie d huissier. Cette notification s impose également à la deuxième autorité de poursuite. Si c est le Bâtonnier qui poursuit, il est impératif de notifier la saisine au Procureur Général et réciproquement. A ce sujet, un Arrêt du 17 février 2011 a annulé une procédure dès lors que le Procureur Général avait informé le Bâtonnier de la saisine qu un jour après avoir saisi directement le Conseil Régional de Discipline. La Cour de Cassation a estimé que «l inobservation de cette formalité avait privé le représentant de l Ordre de toute marche de manœuvre et ainsi fait perdre à l avocat une chance d échapper aux poursuites». A ce stade, il convient également de rappeler que la procédure disciplinaire a un caractère civil, même si l ensemble des principes du droit pénal trouve application. Le cas échéant, je vous renvoie aux discussions qui ont donné lieu à cette conclusion et que vous trouverez dans le guide disciplinaire ou dans l ouvrage «responsabilité des avocats» de Monsieur le Bâtonnier Yves AVRIL. Je ne reviens pas sur le fait que l acte de saisine devra viser les faits reprochés. L ENQUETE DISCIPLINAIRE Dès que le Bâtonnier est informé de la saisine du Conseil Régional de Discipline, le Conseil de l Ordre doit dans les 15 jours désigner un Rapporteur, membre du Conseil de l Ordre du Barreau dont relève l avocat poursuivi. Il s agit pour le Rapporteur de mener l instruction du dossier disciplinaire. L article 189 du Décret, dans son alinéa 4 indique «Dans les 15 jours de la notification, le Conseil de l Ordre dont relève l avocat poursuivi désigne l un de ses membres pour procéder à l instruction de l affaire». La mission de ce Rapporteur est définie par l article 189 du même Décret qui dispose : «Le Rapporteur procède à toute mesure d'instruction nécessaire. Toute personne susceptible d'éclairer l'instruction peut être entendue contradictoirement. L'avocat poursuivi peut demander à être entendu. Il peut se faire assister d'un confrère. Il est dressé procès-verbal de toute audition. Les procès-verbaux sont signés par la personne entendue. Toute convocation est adressée à l'avocat poursuivi par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.» 4
L article 190 du même Décret précise : «Toutes les pièces constitutives du dossier disciplinaire, et notamment les rapports d'enquête et d'instruction, sont cotées et paraphées. Copie en est délivrée à l'avocat poursuivi sur sa demande». Comme vous pouvez le constater, le rapport disciplinaire est totalement et entièrement codifié. La lourdeur du respect de ces textes peut présenter un certain nombre de difficultés mais la Cour de Cassation est très vigilante quant aux respects de ces règles. Par ailleurs, il est important de noter que le Rapporteur a au plus quatre mois à compter de sa désignation pour transmettre son rapport d instruction au Président du Conseil Régional de Discipline. A la demande de ce Rapporteur, ce délai peut être prorogé dans la limite de deux mois par décision motivée du Président du Conseil de discipline. Le Rapporteur a donc au maximum six mois, sachant que l ensemble de la procédure est enfermée dans un délai de huit mois. D où l importance de l enquête déontologique qui peut parfois préparer et faciliter le travail du Rapporteur, mais comme cela a été expliqué, l enquête déontologique elle-même n est enfermée dans aucun formalisme. S il est fait référence à l enquête déontologique, il faut que les éléments et la procédure suivie durant l enquête déontologique respectent les principes du contradictoire et les principes du respect de la défense. Une difficulté se posera au Rapporteur si le Conseil Régional de Discipline est saisi en même temps que la procédure pénale est en cours. Le Rapporteur se devra d obtenir communication du dossier pénal par le Parquet ou le Juge d Instruction dans le cas où la procédure disciplinaire est en liaison avec la procédure pénale en cours. Sachant que l instruction est secrète, cela pose un certain nombre de difficultés. Une fois cette enquête transmise au CRD, il convient de citer l avocat poursuivi devant le Conseil Régional de Discipline. LA CITATION L article 192 du Décret du 27 novembre 1991 se suffit à lui-même : «Aucune peine disciplinaire ne peut être prononcée sans que l'avocat mis en cause ait été entendu ou appelé au moins huit jours à l'avance. L'avocat est convoqué par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par citation d'huissier de justice. 5
La convocation ou la citation comporte, à peine de nullité, l'indication précise des faits à l'origine des poursuites ainsi que la référence aux dispositions législatives ou réglementaires précisant les obligations auxquelles il est reproché à l'avocat poursuivi d'avoir contrevenu, et, le cas échéant, une mention relative à la révocation du sursis.» Il s agit là d une citation devant le Conseil Régional de Discipline qui le plus souvent est faite par le secrétariat du CRD. L AUDIENCE DISCIPLINAIRE Le Conseil de Discipline, régulièrement convoqué, siège en formation d au moins cinq membres délibérants en nombre impair. Les débats sont publics. L instance disciplinaire peut cependant décider que les débats auront lieu, ou se poursuivront en chambre des conseils à la demande de l une des parties, ou s il doit résulter de leur publicité une atteinte de l intimité de la vie privée. Lors de l audience, le Bâtonnier, étant autorité poursuivante, après l instruction orale, interviendra pour prendre ses réquisitions en fait et en droit. Le Bâtonnier n est pas autorité de poursuite si le Procureur Général a pris l initiative de la poursuite. Le CRD donne au Bâtonnier la parole au cours des débats et avant les réquisitions du Procureur Général. Une fois la décision prise, elle est doit être notifiée dans un délai de huit jours à l avocat poursuivi, au Procureur Général ou au Bâtonnier par lettre recommandée avec demande d avis de réception. Le plaignant est informé du dispositif de la décision lorsque celle-ci est passée en force de chose jugée. Le délai de recours contre la décision du CRD est de un mois et doit être formé par lettre recommandée avec demande d avis de réception adressée au secrétariat greffe de la Cour d Appel. LA SUSPENSION PROVISOIRE Parallèlement à cette procédure disciplinaire, une mesure de suspension provisoire est prévue à l article 24 de la loi et elle relève du Conseil de l Ordre qui peut, à la demande du Procureur Général ou du Bâtonnier, ou du Juge d Instruction, suspendre provisoirement de ses fonctions un avocat lorsque celui-ci fait l objet d une procédure pénale ou disciplinaire. Cette mesure ne peut excéder une durée de quatre mois renouvelable. L avocat doit bien sûr être entendu et elle doit intervenir dans le délai d un mois de la saisine. A défaut, elle est réputée rejetée. 6
Elle est bien évidemment susceptible de recours. CONCLUSIONS Voilà rapidement brossé les principes concernant la procédure disciplinaire. En conclusion, je voudrais vous soumettre deux réflexions : - la procédure disciplinaire est peu utilisée. Selon l observatoire du CNB, il y a eu en 2014, 154 saisines de CRD dont 90 concernent le Barreau de PARIS. C est peu. C est sans doute la raison pour laquelle la Chancellerie avait initié en 2012 une consultation de la Profession sur une réforme de la procédure, essentiellement sur deux points : la composition des CRD en proposant un échevinage et en proposant une place du plaignant dans la procédure. Cette réforme n a pas abouti. Elle est toujours en discussion et semble-t-il devrait réapparaître en 2016. La Profession doit être prête pour formuler des propositions concrètes. - le rôle du Bâtonnier, organe de poursuite. Il y a incontestablement une réflexion à mener sur ce rôle. En effet, il est difficile de concevoir le Bâtonnier, confident, protecteur d un avocat en difficultés qui doit ensuite agir comme Procureur contre cet avocat. * ** Ce rapport a pu être établi suite à la journée de formation pour les Présidents de Conseils Régionaux de Discipline sur la base des rapports du Bâtonnier FERAUD, du Bâtonnier MOUCHAN, du Bâtonnier Yves AVRIL et du rapport de Monsieur le Bâtonnier Yves MAHIU, Président Elu de la Conférence des Bâtonniers. 7