Agriculture Biologique et Indications Géographiques Protégées : Le potentiel de signes de qualité pour valoriser les produits locaux au Cambodge



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Transcription:

Agriculture Biologique et Indications Géographiques Protégées : Le potentiel de signes de qualité pour valoriser les produits locaux au Cambodge François Martine (GRET), Prak Seyrevath (CEDAC), Jean-Marie Brun (GRET) Nées dans des contextes différents, les deux signes de qualité que sont l Agriculture Biologique et les Indications Géographiques Protégées (IGP) sont actuellement mis en place au Cambodge, dans l objectif de permettre aux producteurs et aux acteurs des filières de mieux valoriser leurs produits. Les modes de production biologique et les IGP jouent ainsi un double rôle sociétal : d'une part, ils approvisionnent des marchés spécifiques répondant à la demande des consommateurs et, d'autre part, ils peuvent fournir des biens publics contribuant à la protection de l'environnement, de la biodiversité et du développement rural. Ces deux concepts sont nés à l origine dans les pays développés, et l Europe a eu un rôle très actif pour les promouvoir, en particulier pour le système des Indications Géographiques Protégées. 1. Agriculture biologique et Indications Géographiques au Cambodge L agriculture écologique, en particulier l agriculture biologique a été promue par le Cedac (Centre de Développement de l Agriculture Cambodgienne) au Cambodge depuis sa création en 1997. Le Cedac a assuré la promotion des techniques d agriculture biologique, notamment la technique SRI pour la culture du riz biologique, mais aussi la culture de légumes, en association avec le petit élevage qui contribue à fournir la matière organique. Depuis 1997, les agriculteurs encadrés par le Cedac ont commencé à s organiser en associations de producteurs, pour apporter un appui aux paysans les plus pauvres, organiser le plaidoyer auprès des autorités, assurer la formation sur l agriculture écologique, Aujourd hui, le réseau comprend 1120 associations de paysans, dans 1114 villages, représentant 34 294 membres. Les agriculteurs membres de ce réseau FNN (Farmers Nature Network) utilisent tous une partie des techniques d agriculture biologique, mais tous ne sont pas forcément en agriculture biologique. A fortiori, très peu sont certifiés. Les produits développés en Agriculture Biologique sont d abord le riz, mais aussi le sucre de palme, les légumes, et les produits de l élevage (poulet, pintade, porc, ). En regard du développement de ce réseau, le Cedac a développé une identification des produits par un logo «NAP» (Natural Agricultural Product). Cette reconnaissance locale des produits ne correspond pas à une certification «biologique» et permet aux agriculteurs du réseau de valoriser l agriculture «écologique» pratiquée au sein du réseau. C est à l instigation du gouvernement, et notamment du Ministère du Commerce du Cambodge, que les Indications Géographiques se développent au Cambodge. Le Ministère du Commerce a mis en place un projet de développement des Indications Géographiques en lien avec l adhésion du Cambodge à l OMC, en 2004. En 2005, une étude de faisabilité a permis de montrer qu il existe de nombreux produits qui, au Cambodge, pourraient bénéficier de la certification en Indication Géographique : le sucre de palme de Kampong Speu, le prahoc de Siem Reap, le poivre de Kampot, le durian de Kampot, le riz de Battambang, la saucisse de Siem Reap, le miel sauvage de Mondolkiri ou de Rattanakiri Colloque «Localiser les produits» 1

sont quelques exemples de produits possibles. Le projet développé par le Ministère du Commerce du Cambodge, avec le financement de l AFD (Agence Française de Développement), et l appui technique du GRET (Groupe de Recherche et d Echanges Technologiques) et du CEDAC repose sur le développement de deux Indications Géographiques «pilotes» : le sucre de palme de Kampong Speu et le poivre de Kampot. Le sucre de palme est produit à partir de la sève du palmier à sucre (Borassus flabellifer L.), emblème du royaume du Cambodge. Les producteurs récoltent la sève deux fois par jour, puis celle-ci est cuite pour évaporer l eau. Le sucre brun produit est particulièrement aromatique. Il est utilisé pour la confection de desserts traditionnels. Le sucre de Kampong Speu est réputé pour son arôme et sa couleur relativement claire par rapport au sucre d autres régions. La culture du poivre est ancienne au Cambodge, elle est déjà attestée au XIIIème siècle, mais c est au début du XXème siècle que le pays a connu une véritable «fièvre du poivre». La culture du poivre est concentrée dans la province de Kampot. Le poivre de Kampot bénéficie d une renommée sur les marchés nationaux et même à l étranger. Cette renommée du poivre de Kampot pourrait être valorisée par une Indication géographique. 2. L organisation de la production : de nombreux petits producteurs et quelques acteurs importants dans les filières Pour les produits biologiques, comme pour les produits susceptibles de bénéficier des premières IG, le secteur de production se répartit entre de nombreux petits producteurs, et quelques acteurs importants mettant en jeu des quantités significatives de produit. Par exemple, pour le secteur de l agriculture biologique, on dénombre des milliers de petits producteurs, certfiés ou non certifiés, et quelques fermes ou organisations de producteurs connectées aux marchés d exportation. Le sucre de palme est produit par des milliers de petits producteurs dans la région de Kampong Speu. Actuellement, seuls 142 producteurs sont enregistrés dans l association interprofessionnelle (Association de promotion du sucre de Kampong Speu). En dehors des marchés traditionnels tenus par les collecteurs et les grossistes, il existe deux organisations traitant des quantités significatives. La société Confirel, société industrielle cambodgienne, exporte le sucre de palme et le commercialise dans les circuits de distribution «modernes» (grandes surfaces, hôtels, ) au Cambodge. L ONG DATe organise les petits producteurs pour commercialiser elle aussi les produits dans ces mêmes circuits. Pour le poivre de Kampot, on dénombre 153 producteurs dont environ 120 enregistrés au niveau de l association de promotion du poivre de Kampot, mais ce sont uniquement quelques acteurs d aval qui valorisent les contacts avec les marchés d exportation rémunérateurs et les circuits de distribution destinés aux touristes. 3. Les marchés : des marchés «modernes» et des marchés traditionnels encore très actifs Pour les produits en IG comme pour les produits biologiques, on constate la coexistence de deux types de marchés. Les marchés d exportation vers les pays développés et les circuits «modernes» de distribution cambodgiens (supermarchés, hôtels, ) sont accessi- Colloque «Localiser les produits» 2

bles à un petit nombre d acteurs organisés : Confirel, pour le sucre de palme, ou des organisations de producteurs soutenus par des ONG (pour les produits biologiques), la société Farmlink (pour le poivre de kampot). La grande majorité des petits producteurs n a pas accès directement à ces circuits. Ils commercialisent les produits sur les marchés traditionnels, par l intermédiaire de collecteurs et de grossistes (sucre de palme). Ils tentent de valoriser le caractère spécifique de leur production auprès du consommateur, mais le font le plus souvent oralement, sans recours à l étiquetage. Pour l agriculture biologique comme pour certains produits en Indication Géographique, comme le sucre de palme, il s agit d organiser un marché comprenant de nombreux petits producteurs qui s adressent essentiellement au marché local, et quelques gros producteurs, commerçants ou industriels qui peuvent viser les marchés d exportation ou les circuits de distribution «modernes» comme les supermarchés, dans les pays en développement. Les petits producteurs peuvent aussi s associer pour accéder ensemble à des marchés d exportation, notamment en associant une certification pour l agriculture biologique ou les IG et la certification «commerce équitable». La situation est différente pour le poivre de Kampot où les producteurs sont relativement peu nombreux, et les quantités produites relativement faibles. La production de poivre de Kampot est aujourd hui d environ 20 tonnes, ce qui veut dire que si l IG se développe bien, les producteurs pourraient rapidement être en position de force pour négocier les prix avec les sociétés connectées aux marchés internationaux. Le tableau 2 résume les principales caractéristiques des deux modes de certification «Agriculture Biologique» et «Indication Géographique». Tableau 2 : Comparaison des deux modes de certification : Agriculture Biologique et Indication Géographique au Cambodge Agricuture Biologique Référence à la réglementation du pays de destination où les produits sont vendus au consommateur : exemple réglementation européenne pour les produits exportés en Europe. Réseau national de producteurs au Cambodge : Réseau Farmers Nature Network Organisation internationale des producteurs : IFOAM Indication Géographique Référence combinée au règlement national (Loi sur les IG en préparation au Cambodge) et du pays de destination des exportations si on veut utiliser le logo «IG» de ce pays sur les produits. Il est nécessaire d être enregistré comme IG au Cambodge pour être reconnu comme une IG au niveau européen. Associations interprofessionnelles en cours de création pour deux produits (sucre de palme de Kampong Speu et poivre de Kampot) Organisation internationale des producteurs : ORIGIN Colloque «Localiser les produits» 3

Cahier des charges «bio» prédéfini (normes nationales variant d un pays à l autre). Organisme de certification basé en Europe ou dans les pays développés (pour les marchés d export) Possibilité d adhésion au concept pour un agriculteur individuellement Commercialisation sur les circuits locaux et à l exportation Modes de production naturels, sans utilisation d engrais ni de pesticides chimiques Prix plus élevés que les produits conventionnels uniquement sur certains circuits de distribution Cahier des charges IGP défini au cas par cas par les producteurs et opérateurs de la filière, et validé par les autorités nationales (et européennes si demande de reconnaissance de l IG en Europe). Organismes de certification basés en Europe (pour les marchés européens) Création d une association interprofessionnelle à laquelle le producteur doit adhérer : démarche collective Commercialisation sur les circuits locaux et à l exportation Produit dont les caractéristiques spécifiques sont liées au territoire Prix du produit portant le nom de l IG plus élevé, en lien avec la réputation du produit 4. Le contrôle et la certification : Un enjeu pour le développement des produits en IG et des produits biologiques Un des enjeux importants dans le développement de l agriculture biologique comme des produits en Indication Géographique est le contrôle et la certification. A l origine, pour les produits biologiques comme pour les produits en Indication Géographique, il y avait une certaine proximité (géographique, culturelle), entre les producteurs et les consommateurs. Les consommateurs se procuraient les produits directement auprès du producteur qu ils connaissaient. Si on reprend la classification de Thévenot et Boltanski, ceci correspondrait au monde «domestique». Ici, les réseaux sociaux des producteurs, collecteurs, grossistes, assuraient le maintien de certains niveaux de qualité sur le marché. C est dans ce contexte que sont nées les réputations des produits en Indication Géographiques. L urbanisation produit un éloignement entre producteur et consommateur, de même l exportation relie un producteur et un consommateur très éloignés. Dans ce nouveau contexte, il devient nécessaire d assurer la transparence et la loyauté des marchés par un label. Ce label rassure le consommateur sur le fait que le produit qu il achète est bien conforme à ses attentes. Mais ce label suppose la mise en place d un système permettant d assurer la traçabilité des produits, et un système de contrôle. Ce système de contrôle s applique à tous les producteurs qui veulent utiliser le label dans leurs transactions commerciales. Colloque «Localiser les produits» 4

Le contrôle a un coût. Dans le cas des produits biologiques et des produits en indication géographique, le contrôle est généralement effectué par des organismes certificateurs basés dans les pays développés, s il s agit de fournir les marchés des pays développés. Les organismes certificateurs doivent respecter la norme ISO 65 qui atteste notamment l indépendance, la transparence et la qualité des procédures de l organisme de contrôle. Ce sont essentiellement les organismes des pays développés ou émergents sont accrédités selon cette norme. Dès lors, le coût du contrôle n est supportable par les producteurs que si les produits sont effectivement commercialisés dans les circuits «modernes» des capitales et des grandes villes, ou à l exportation. Comment faire en sorte que les produits vendus sur les marchés de proximité puissent eux aussi bénéficier de l IG? Comment faire en sorte que les produits d agriculture biologique puissent aussi valoriser ce mode de production sur les marchés locaux? Les producteurs européens ont eu plusieurs décennies pour peaufiner un système de contrôle qui donne toute garantie au consommateur, dans un espace mondialisé. Aujourd hui, pour bénéficier d une reconnaissance européenne de l IG, la législation exige que les producteurs des pays en développement mettent au point des systèmes aussi complexes pour assurer une parité entre produits européens et autres produits. Mais les prix ne sont pas aussi élevés sur ces marchés que sur les marchés européens, ce qui peut rendre le coût du contrôle prohibitif. Les signes de qualité que sont l IG et l agriculture biologique se déclinent donc dans deux des «mondes» décrits par Thévenot et Boltanski : le monde domestique et le monde industriel. La notion de contrôle formalisé fait partie du monde «industriel» et ne se décline pas dans le monde «domestique». La coexistence des deux «mondes» dans les villes cambodgiennes, avec la subsistance des marchés traditionnels, et l apparition de grandes surfaces faisant partie du monde industriel, forcent les acteurs du développement à inventer des modalités de contrôle adaptées à ces nouveaux enjeux. Cette coexistence dans le même espace, de marchés «domestiques», où les circuits traditionnels demeurent, tandis que se développent des marchés industriels qui cherchent aussi à trouver leur place produit à la rencontre des deux systèmes, une série de dysfonctionnements du marché avec l introduction de méthodes de production nouvelles dans les procédés traditionnels. Par exemple certains producteurs de sucre utilisent des agents de blanchiment chimique pour blanchir artificiellement le sucre de palme. Ces pratiques sont dangereuses pour la santé du consommateur, d autant plus que les producteurs ne savent pas utiliser les additifs chimiques correctement. Au total, ces méthodes désorganisent les marchés traditionnels et sapent la confiance du consommateur. Il devient nécessaire d introduire de nouvelles formes de contrôle plus formalisées, pour protéger le consommateur contre ces pratiques, même sur les marchés locaux. 5. Les modalités du contrôle pour les produits bio et en IG La reconnaissance en Indication Géographique suppose que les producteurs décrivent les méthodes de contrôle qu ils mettent en place pour assurer la traçabilité du produit. Ces contrôles supposent des modalités relativement complexes pour des petits producteurs : Colloque «Localiser les produits» 5

déclaration de production, comptabilité matière, La mise en place de cette documentation ne se justifie que si les producteurs parviennent à obtenir un meilleur prix pour leur produit s ils ont l Indication Géographique, que pour le produit standard. Dans le cas où une grande partie de la production pourrait à terme être valorisée sur les marchés d export, comme dans le cas du poivre de Kampot, les coûts de contrôle peuvent être soutenables par les producteurs si les prix obtenus sur ces marchés sont suffisamment rémunérateurs. Dans le cas du sucre de palme de Kampong Speu, la situation du marché est sensiblement différente. Le marché d exportation et vers les grandes surfaces et les hôtels atteint aujourd hui environ 50 tonnes. Même si on peut espérer une augmentation des quantités vendues sur ces marchés, il reste que ces quantités restent modestes au regard de la production des producteurs enregistrés dans l association interprofessionnelle qui sont 142 aujourd hui, pour une production potentielle de plus de 300 tonnes. La production totale de la zone de production atteint, elle, plusieurs milliers de tonnes. A terme, la tendance serait dans ce cas de construire une IG à «deux vitesses» : Les producteurs les plus dynamiques ou les plus encadrés, par l industrie ou par les projets, mettent en œuvre un système de contrôle et de traçabilité complexe. En retour, ils obtiennent un prix plus rémunérateur pour leur produit, ce qui leur permet notamment de financer le contrôle. Ces producteurs ont accès aux circuits de distribution «modernes» au Cambodge, et à l exportation. Les petits producteurs, ou les producteurs les moins encadrés par l industrie ou par un projet, continuent leurs pratiques traditionnelles, pour écouler les produits sur les marchés locaux. Ils n entrent pas dans l IG et ne se soumettent pas aux procédures de contrôle, mais bénéficient tout de même de la notoriété du produit que l IG permet de conserver. Dans leurs transactions orales, ils utilisent le nom de l IG pour faire valoir la qualité de leurs produits. C est ce que l on constate dans le cas de la valorisation de la viande de la pampa au Brésil. L IG sert à conquérir un marché mondial pour un petit club d éleveurs. Mais le dossier de demande d IG a mis en relief la valeur patrimoniale de cette production, réinterrogeant les dimensions historique et identitaire de la production. La revendication de l ancrage passe aussi par la mise en valeur du territoire. Cela amène les acteurs à prendre conscience du rôle local de leur production, des effets de leurs pratiques sur l environnement et les enjeux que représente la préservation de l écosystème. On retrouve la coexistence entre ces deux logiques, la logique domestique et la logique industrielle, dans le secteur de l agriculture biologique. De nombreux petits producteurs produisent des produits biologiques, mais leur production est trop petite pour justifier économiquement le coût d une certification individuelle par un organisme certificateur accrédité selon la norme ISO 65. 6. La certification par groupes et la certification participative : Des modalités à adapter pour les IG? Le mouvement mondial IFOAM accorde une grande importance à ce que les petits producteurs des pays en développement puissent trouver leur place dans le développement de Colloque «Localiser les produits» 6

l agriculture biologique, et puissent tirer parti des marchés qui se développent, à l exportation, mais aussi dans les grandes villes des pays en développement. Deux systèmes de certification sont ainsi constamment à l étude au sein d IFOAM, la certification par groupes et la certification participative. Ces deux systèmes de certification pourraient inspirer les promoteurs du secteur des IG dans leur recherche de systèmes de certification accessibles aux petits producteurs. Cette certification participative a été particulièrement développée par le réseau ECOVIDA au Brésil. Elle permet de mobiliser les réseaux sociaux des producteurs et de les relier aux consommateurs dans des systèmes de garantie où l organisation des échanges entre producteurs et consommateurs remplace le recours aux organismes de certification, pour les marchés locaux. Il existe également une organisation mondiale des producteurs en IG. Le réseau OriGIn regroupe plus de deux millions de producteurs, issus de plus de 30 pays différents. Ce réseau a pour objectif d assurer la promotion du concept d IG à travers le monde, et pourrait également engager une réflexion sur la place des petits producteurs dans les systèmes d IG dans le monde. 7. Conclusion Le développement de l agriculture biologique et des produits en Indication Géographique au Cambodge peut être un outil de développement rural et de préservation de la biodiversité. Ces deux règlementations, nées à l origine dans les pays développés, et dont le développement est soutenu par l Europe, doivent cependant être adaptées au contexte cambodgien, notamment au fait que coexistent un secteur traditionnel avec, pour l agriculture biologique et pour certaines IG, de très nombreux petits producteurs commercialisant sur les marchés locaux, et un secteur «moderne», où quelques acteurs ont accès à l exportation et aux supermarchés locaux. Dans cette adaptation, celle des outils de contrôle est une question cruciale. Les producteurs peuvent soutenir le coût du contrôle par un organisme tiers agrée à la norme ISO 65, si les produits sont valorisés à un prix nettement plus rémunérateur que sans la mention de l IG, ou du caractère bio du produit, c'est-à-dire à l exportation ou dans les circuits de distribution «modernes». C est plus difficile ou impossible pour les plus petits producteurs lorsque les produits sont valorisés sur les marchés traditionnels. Cette question, qui concerne les producteurs «bio» comme certains producteurs de produits en Indications géographiques, devrait amener les organisations internationales (IFOAM, OriGIn), à travailler sur des formes de certification «alternatives», comme la certification participative, qui permettrait d éviter d exclure de fait les plus petits producteurs des démarches d IG ou d agriculture biologique. L exemple du Brésil montre que des avancées dans ce domaine sont possibles. Références bibliographiques Colloque «Localiser les produits» 7

Bertoncello (B) and Bellon (S) : Construction and implementation of an organic agriculture legislation : the Brazilian case, Communication to the 16 th IFOAM world congress, Modena, 2008 Dankers (C) et Liu (P) : Normes environnementales et sociales, certification et labellisation des cultures commerciales, Ed. FAO, Rome, 2003 Cerdan (C) et Vitrolles (D) : Valorisation des produits d'origine : contribution pour penser le développement durable dans la Pampa Gaúcha au Brésil, in Geocarrefour, n 83, 2008 IFOAM : Position sur la diversité de la notion d agriculture biologique et la diversité de sa réalisation, consultation sur internet : http://www.ifoam.org/press/positions/pdfs/full_diversity_organic_french.pdf le 10/5/09 FAO : Coûts et compétences en gestion pour les produits certifiés biologiques, consultation sur internet : http://www.fao.org/ag/ags/subjects/fr/agribusiness/foodquality.html Thevenot (L) et Boltanski (L) : De la justification : Les économies de la grandeur, Ed. Gallimard, Paris, 1991 Colloque «Localiser les produits» 8