PRATIQUE MÉDICALE ET IDENTITÉ CULTURELLE



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Transcription:

Rapport de la Commission nationale permanente adopté lors des Assises du Conseil national de l Ordre des médecins du 18 juin 2005 Dr Xavier DEAU (Rapporteur) Drs Patrick Bouet, François-Régis CERRUTI, Gérard LAGARDE, Bertrand LERICHE, Jean POUILLARD PRATIQUE MÉDICALE ET IDENTITÉ CULTURELLE Introduction Dr Xavier Deau Fondements historiques de notre pratique médicale et des courants culturels qui les inspirent Dr Jean Pouillard Les aspects identitaires et normatifs de l exercice médical Dr François-Régis Cerruti Identité culturelle et rôle du médecin dans la pratique quotidienne Dr Gérard Lagarde Le patient Dr Patrick Bouet Le patient Dr Bernard Leriche Pratique médicale et identité culturelle : expérience réunionnaise Dr Bernard Leriche Conclusion - Dr Xavier Deau 1

PRATIQUE MÉDICALE ET IDENTITÉ CULTURELLE Xavier DEAU INTRODUCTION Ce sujet de réflexion apparaît sans doute ambitieux mais suscite de nombreuses interrogations du corps médical et mérite un regard déontologique en ce début du XXI ème siècle. Le pratique médicale doit s adapter en permanence à nos différentes civilisations. Seule la confrontation éclairée de la pratique médicale à la pluralité des valeurs et des choix culturels de nos civilisations peut amener un enrichissement du colloque singulier médecinmalade, conforme à la déontologie médicale. Ainsi, sur le territoire européen, trois grands items nous interpellent : 1. Le multiculturalisme au sein de notre société, 2. L actualité médicale, politique et religieuse, 3. L émergence des médecines parallèles. 1. LE MULTICULTURALISME AU SEIN DE NOTRE SOCIÉTÉ. Notre société n est plus monoculturelle. Elle est devenue MULTICULTURELLE. Les mouvements de population se sont multipliés au gré des conflits et des difficultés économiques, facilités par des moyens de transport et de communication rapides et réversibles. Dans nos pays européens, nous devons faire coexister plusieurs cultures sur un même territoire et dans une même société. Au sein même de nos familles, nous connaissons des recompositions fréquentes, des changements géographiques imposés par les conditions professionnelles, ce qui nécessite une adaptation permanente de nos cultures dites familiales. Ainsi, notre société est confrontée au problème de mixité sociale. Sans succomber au débat quelque peu stérile de la discrimination positive ou négative, nous nous devons de respecter ces différentes cultures dans un ENRICHISSEMENT MUTUEL, bannissant un UNIVERSALISME BÉAT. Une simple tolérance ne suffit pas et seul le RESPECT éclairé de la CONNAISSANCE de chaque culture, de l identité de chaque individu et ainsi de chaque malade, doit prévaloir à toute autre considération. Ce RESPECT mutuel éclairé par la connaissance est un des principes fondamentaux du colloque singulier médecin-malade et ainsi, une des valeurs essentielles de notre déontologie. 2

2. L ACTUALITÉ MÉDICALE, POLITIQUE ET RELIGIEUSE a) L actualité médicale La loi d Août 2004 sur l assurance maladie interpelle le médecin comme le patient, car il est explicitement demandé une coordination des soins. Face à l extrême spécialisation des techniques d investigation et des traitements médicaux, garantissant une médecine de haute technologie et de qualité, il est demandé aux médecins une approche attentive, globale et coordonnée de la maladie. Cette approche ne peut se faire que dans le respect de l entité du CORPS et de l ESPRIT. L Être Humain est constitué d un CORPS, mosaïque complexe et unique de tissus, de cellules, d atomes, issue de son patrimoine génétique et quotidiennement recomposée par son vécu. Cette mosaïque répond à des lois scientifiques fondamentales que la médecine s est largement appropriée - étiologie, sémiologie, physiopathologie, diagnostic, traitement - Ce CORPS est animé et orchestré par l ESPRIT. Gardons-nous de reprendre l éternel débat de l existence de l Esprit car chaque Philosophe, chaque Être Humain confronté à la maladie ou à la mort, voit l existence de l Esprit s imposer, décodée de toute loi scientifique habituelle. Selon nos cultures, cet esprit est appelé âme anima souffle psychisme verbe et se doit d aider l homme à répondre aux éternelles questions : «Pourquoi je suis malade? Pourquoi je souffre? Pourquoi je vais mourir?». L ESPRIT cherche éperdument dans le SACRÉ des explications, sans pour autant trouver de réponses évidentes. Pour certains, la maladie apparaît alors comme une malédiction divine, la souffrance comme une rédemption du mal, et la mort comme le sacrifice ultime Pour d autres, l ESPRIT trouve des semblants de réponse dans un oméga hypothétique Mais, si la science peut donner une explication rationnelle et exiger la certitude d une guérison de la maladie, seuls l ESPRIT et le SACRÉ inspirent une valeur constante à toutes nos civilisations, nommée par certains ESPOIR et par d autres ESPÉRANCE. ESPOIR d une guérison ESPÉRANCE d une vie éternelle. b) Actualité politique Le centenaire d une des lois majeures de notre République moderne, la loi sur la laïcité de 1905, rappelle avec insistance le rôle de chacun des intervenants : le patient, le médecin et l État. La LAÏCITÉ est l indispensable outil qui permet aux uns et aux autres de parler le même langage et de se respecter en dehors de toutes considérations religieuses. Le respect de cette loi doit bannir tout intégrisme, en particulier au cœur de la relation médecin-malade. 3

La circulaire du 2 février 2005 sur la LAÏCITÉ À L HÔPITAL confirme que l appartenance religieuse ne doit pas troubler la bonne marche des services hospitaliers, mais que le personnel doit faire preuve d une neutralité exemplaire : «Liberté religieuse, neutralité de l État et principe de non-discrimination» : tous les patients sont traités de la même façon, quelles que puissent être leurs croyances religieuses. Les patients ne doivent pas pouvoir douter de la neutralité des personnels soignants. «Liberté du choix du praticien» : Sauf en cas d urgence, le malade a le libre choix de son praticien. Il ne peut récuser un praticien en raison de la religion effective ou supposée de celui-ci. Ainsi, la déontologie doit veiller à ce que la NEUTRALITÉ du soignant soit garantie, quelle que soit son identité culturelle. De même, le malade doit accepter tout médecin diplômé quelle que soit l identité culturelle de ce médecin. Ce RESPECT et cette NEUTRALITÉ vont de pair avec la CONNAISSANCE et l ENSEIGNEMENT des cultures et de l histoire des religions. Ainsi, un amendement sur l enseignement du fait religieux a été adopté par l Assemblée Nationale à l unanimité moins une voix le 18 février 2005 : «Dans le respect de la liberté de conscience et des principes de laïcité et de neutralité [ ], il convient d organiser dans l enseignement public la transmission de connaissances et de références sur le fait religieux et son histoire» (Amendement P. BRARD). Peut-on parler, en ce début du XXI ème siècle, d un HUMANISME LAÏC, enrichi par la CONNAISSANCE et le RESPECT de l IDENTITÉ CULTURELLE de chacun?... c) Actualité religieuse L histoire nous enseigne le CHOC DES RELIGIONS révélé par les guerres de religion, les croisades et autres Jihad et tout cela peut-être au nom d un même et unique Dieu. La pratique de la médecine n admet ni frontière, ni racisme, ni conflit Ni extériorisation outrancière de caractères religieux. Les convictions tout comme la religion du patient ne doivent pas influencer l attitude des médecins. La pratique médicale doit être NEUTRE en toute circonstance et, en temps de guerre, le médecin doit soigner les blessés ennemis de la même manière que les blessés de son propre camp. Mais existe-t-il une NORME qui exclurait certaines pratiques dites culturelles ou religieuses (circoncision, excision, piercing, transfusion )? Où sont les limites de la tolérance et du RESPECT? 3. ÉMERGENCE DES MÉDECINES PARALLÈLES L attrait pour le mystérieux, l irrationnel, semble trouver des réponses dans des MÉDECINES PARALLÈLES. Ces médecines sont décodées de toute loi scientifique. 4

De même, la montée en puissance de l ÉSOTERISME nous interpelle. Et que dire des SECTES où les profits financiers «font figure de tables de loi»? Tout ceci évolue comme si l homme se contentait d un doux mélange de rationnel, d irrationnel et de sacré, organisé par quelques gourous, eux-mêmes inspirés par l attrait d un business ô combien lucratif. Alors, le malade devient une proie facile. Et dans ce schéma réducteur, le médecin est quelquefois instrumentalisé à ses dépens. Nous venons de décrypter les trois items qui ont conduit notre réflexion. Déjà, des valeurs essentielles sont mises en exergue : La CONNAISSANCE DE LA CULTURE du patient comme de la culture du médecin. Le RESPECT ÉCLAIRÉ des identités culturelles dans un enrichissement mutuel et non dans une uniformisation béate. L ÉCOUTE puis la PAROLE, outils fondamentaux de l expression du malade comme du médecin. Ces outils sont les éléments moteurs de l ESPOIR voire de l ESPÉRANCE. Ces VALEURS sont de véritables valeurs déontologiques, déclinées dans notre Code de Déontologie dès l ARTICLE 7 : «Le médecin doit écouter, examiner ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu il peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. Il ne doit jamais se départir d une attitude correcte et attentive envers la personne examinée.» Afin de nous aider à mieux appréhender notre sujet «PRATIQUE MÉDICALE ET IDENTITÉ CULTURELLE», cinq médecins de la Commission Nationale Permanente ont collaboré à cette réflexion. Le Docteur Jean POUILLARD a étudié les racines HISTORIQUES de notre pratique médicale et des courants culturels qui les inspirent. Le Docteur François-Régis CERRUTI a développé les ASPECTS IDENTITAIRES ET NORMATIFS DE L EXERCICE MÉDICAL ainsi que le rôle du praticien face au multiculturalisme. Le Docteur Gérard LAGARDE a étudié le RÔLE DU MÉDECIN face à l identité culturelle de son patient dans la PRATIQUE MÉDICALE QUOTIDIENNE, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Le Docteur Patrick BOUET a étudié les FLUX MIGRATOIRES sur le territoire français afin d aborder d une manière éclairée l ANTHROPOLOGIE de la maladie et de trouver une explication rationnelle dans le «PARADOXE SCHWEITZERIEN». Le Docteur Bertrand LERICHE s est intéressé à la connaissance des RITES ET TRADITIONS de nos communautés et à l importance de nos TRADUCTEURS INTERPRÈTES, véhicules de la parole. 5

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FONDEMENTS HISTORIQUES DE NOTRE PRATIQUE MÉDICALE ET DES COURANTS CULTURELS QUI LES INSPIRENT Jean Pouillard «La sauvegarde de notre monde humain n est nulle part ailleurs que dans le cœur humain, la pensée humaine, l humilité humaine, la responsabilité humaine» Vaclav Havel «Il est bien des merveilles en ce monde, il n en est pas de plus grande que l homme» «Antigone», Sophocle En 1996, la commission nationale consultative des droits de l homme a créé un comité de liaison pour l éducation et la formation aux droits de l Homme qui a permis d élaborer une «Charte d éthique commune aux professions s exerçant en relation directe avec la personne humaine». Le Conseil National de l Ordre des Médecins a contribué à l élaboration de cette charte et, en y adhérant, reconnaît dans les obligations professionnelles médicales la dignité et les droits inaliénables de la personne humaine. L histoire de l humanité demeure intimement liée à l histoire de la médecine : la succession des événements de la vie, de la naissance à la mort, n a pas été sans que «l homo sapiens» ait ressenti la maladie comme une agression «funeste», (du latin «funestus») et en conséquence «désespérante». Cette intuition occulte et non moins insaisissable de ce «mal à comprendre et du mal à subir» (P. Teillard de Chardin), justifie que les toutes premières civilisations, leur regard éploré tourné vers les constellations de l univers céleste, aient considéré comme une malédiction divine, ce «mal que le ciel en sa fureur, inventa pour punir les crimes de la terre» Dans de telles conditions d existence, il n y avait rien d étonnant à ce que toute personne malade ait songé, dans un instinct de conservation, à s interroger sur son avenir. dans l espoir bien compréhensible de pouvoir être soulagée et, pourquoi pas, de guérir. Le sinistre bruit des crécelles des «ladres» dans l Europe du Moyen âge était bien l écho de leur solitude et de leur désespoir. La souffrance, la maladie, la mort : la réflexion déiste C est en Mésopotamie à Summer, au IVème millénaire av J.C., que commence l histoire de la médecine (S. Kramer) dans l espace géographique du «Croissant fertile» compris entre les monts Zagros et les montagnes d Arménie. En effet, 3 000 à 4 000 ans avant l ère chrétienne, apparaissent les premiers caractères «cunéiformes» à l origine de l écriture qui, se substituant à la tradition orale, permettra la constitution de milliers de tablettes d argile cuite. Celles-ci, vieilles de 1 800 ans av J.C. constituent les premiers documents médicaux découverts à Ninive et à Mari en provenance de la bibliothèque d Assurbanipal d Assyrie. Leur traduction, toujours en cours, a commencé avec prudence en 1953. Lors de la civilisation babylonienne et celle chaldéo-assyrienne qui lui succède en Mésopotamie, la thérapeutique est limitée aux plantes (plus de 250 répertoriées) et au miel utilisés par les prêtres pour combattre les «mauvais esprits». La maladie chez les Babyloniens (2100 av J.C.) est considérée comme la conséquence d une offense envers les dieux médecins : Sin, le dieu guérisseur, Nabu, Damu, citons encore Shamash, le dieu solaire, Adad, le dieu de la foudre mais c est le dieu Mardouk qui 7

s impose à Babylone Toute offense est vécue légitimement comme une malédiction divine et la maladie apparaît alors comme un châtiment, le seul recours étant d apaiser les dieux par la prière, les formules incantatoires, magiques ou religieuses, ou encore par exorcisme, implorant le dieu Ea : «au nom du ciel, au nom de la terre, qu il soit exorcisé!» Ces pratiques sont renforcées par un rituel, celui d éliminer la maladie au moyen d un sacrifice de substitution, celui d un animal. D autre part, la divination était courante, observation des volutes de fumée, des vols d oiseaux, interprétation des rêves. La médecine égyptienne, à l instar de la médecine sumérienne, avait une relation assez étroite avec le déisme, «les Egyptiens étaient les plus scrupuleusement religieux des hommes (Hérodote). Imhotep, 2 800 av J.C, fut à Héliopolis «le grand médecin des dieux et des hommes», vénéré comme un héros guérisseur puis divinisé : «le dieu qui guérit les humains». Les Egyptiens soutenaient que la personne malade était la proie d une divinité hostile ou d un démon et que certains dieux avaient un rôle important avec la santé. Les médecins, «médecins-magiciens ou médecins-prêtres», pratiquaient des formules incantatoires destinées aux dieux «les incantations sont excellentes pour prendre les remèdes et les remèdes sont en rapport avec les incantations» Il ne faut pas négliger non plus combien les dieux annonçaient une félicité post mortem, justifiant les rites funéraires et l embaumement qui devaient permettre au sujet de «survivre» à la vie qu il avait avant la mort, l éternité s ouvrant pour le défunt momifié : «Tu revis pour toujours, tu es de nouveau jeune à jamais» En résumé, tout phénomène obéit à une loi fixée par les dieux, loi à laquelle les hommes ne peuvent que se soumettre. La médecine des peuples nomades de la Bible ( 1 300 av J.C.) les peuples nomades dont la bible nous entretient sont les premiers Hébreux pour qui les maladies sont considérées également comme un châtiment divin ; si le Dieu unique dispense la souffrance comme épreuve, il dispense aussi la guérison comme pardon, «c est moi Iahvé, moi seul qui guérit», Si tu écoutes la voix de l Eternel il t évitera les maux infligés à l Egypte», la maladie n est plus expiatoire, elle est épreuve. (Eccle, 38, 1-5). Le rôle du médecin est prépondérant : «honore le médecin, avant d en avoir besoin, car aussi Dieu l a créé» : la médecine reste dominée alors (ou déjà) par la prière «prie Dieu, c est du très haut en effet que vient la guérison» Place doit être faite au monothéisme juif, l ancien testament enseigne à tous l histoire du peuple hébreu. Le talmud de Jérusalem traduit la vision du monde du peuple juif, exprimée par une religion, une philosophie, une histoire, une morale, et un mode de vie. Cette vision se fonde sur la croyance en un dieu unique, dont l homme ne peut enfreindre la loi «nul ne souffre sans que cela vienne du ciel» dit la bible. Ainsi, toute maladie, toute épidémie découle de la volonté divine, soit comme épreuve, soit comme sanction, parce que «l homme a péché». Toutefois, «le Seigneur a créé les remèdes issus de la terre et l homme sensé ne les repousse pas» (Eccle) et il est écrit dans le livre de Job : «Dieu blesse et il panse ; il déchire et ses mains guérissent». La captivité du peuple juif en Mésopotamie explique les parentés culturelles et linguistiques entre les peuples sémites. En résumé, Dieu étant juste agit avec sagesse et si l homme est malheureux, c est qu il le mérite Les médecins juifs seront en tout point les propagateurs de leur foi, de leur science, de leurs coutumes et de leur religion. Pour des raisons religieuses les Hébreux respectaient l hygiène et la prévention des maladies contagieuses : isolement, désinfection et éviction des rats et des mouches, considérés comme vecteurs de maladies épidémiques, étaient des mesures qui s imposaient mais qui ne résumaient pas toute la médecine hébraïque Les Grecs fondent Notre Médecine : Asclépios, est le Dieu, Médecin de l Olympe, fils d Apollon ; dans les métamorphoses, Ovide fait dire à Apollon : «Médecine est mon invention», ses filles, Hygie est gardienne de la santé, Panacée, «celle qui guérit tout».! Le culte d Esculape persiste de nos jours dans notre caducée emblématique, le plus ancien des 8

symboles évoquant la médecine et datant de 3 000 ans av J.C. Le Bâton d Esculape, symbole de magie, de paix et d autorité, autour duquel s enroulent deux serpents, représentant à la fois la prudence, la force et le partage des deux mondes : la vie et la mort, auquel s ajoute le miroir, symbolisant la vérité, la sagesse et à travers lui le secret.rappelant à tout médecin sa responsabilité, son art et sa déontologie. Insigne également du service de santé des armées depuis 1796, il est entouré des symboles végétaux d Apollon et de Zeus : feuilles de laurier de Delphes à gauche, immortalité et gloire!, feuilles de chêne de Dodone à droite, majesté et sagesse!. La pratique médicale est en effet étroitement liée à la magie, aux oracles (Delphes), les consultations sont assurées par les prêtres médecins dans les Asclépiades. A titre d exemple, la peste qui, à un moment donné, ravage l armée hellène est attribuée à la colère d Apollon et aucun traitement rationnel n est envisageable si l on n apaise pas les dieux. Les sanctuaires regorgeaient ainsi de «patients» désespérés allant dormir dans ces temples et, soumis à une incubation rituelle, voyaient en rêve leur guérison L Iliade et l Odyssée résument les rudiments de cette pratique empirique : les maladies sont l expression d une punition divine due à la colère des dieux, les moyens d accéder à la guérison sont seuls connus des dieux, les hommes connaissent l anatomie pour soigner certaines blessures, les hommes connaissent les plantes qui guérissent et calment la douleur, mais aussi celles qui empoisonnent les flèches et donnent la mort aux hommes. De toutes façons, c est le même personnage qui incarne le pouvoir religieux et qui est consulté en cas de maladie. Du VIIème siècle au Vème siècle avant J.C. s opère le passage du mythos, c est à dire de la pensée archaïque au «logos, c est à dire à la pensée logique, fondement de la philosophie et de la science de l Occident et profitant à ces philosophes qui tranchent entre la magie et une médecine rationnelle. Si celle-ci apparaît un peu trop conceptuelle, elle permet de réagir contre le charlatanisme, la magie, contre la sacralisation des prêtres, contre l empirisme, les spéculations trop théoriques, surtout elle ouvre enfin la voie à une médecine scientifique d un type nouveau. Et survient Hippocrate (460-377 avant J.C) l âge d or de la Grèce! car également le siècle de Périclès, Platon, Thucydide, Sophocle, Hérodote! Hippocrate, avec l école de Cos, sépare les maladies de leur appartenance religieuse, se dégage de l influence magique des prêtres et des dieux, substitue à la colère divine un ordre de l univers divin et naturel, prenant en compte toutes les maladies, sans qu aucune intervention divine soit sollicitée. Sont considérés comme divins les éléments de l univers ayant une incidence sur la santé, la douleur par exemple qui n est pas du ressort de la médecine «soulager la douleur est une chose divine» (Hippocrate) et sont considérés comme humains les éléments où l homme peut intervenir sur eux. Hippocrate s en tient à la notion de divin dans la régularité des lois naturelles : la santé de l homme dépend ainsi des rythmes de la nature, «c est dans les changements des saisons que se produisent surtout les maladies des hommes» et non plus dépendante des caprices des dieux, précédant en cela «la théorie des climats» exposée dans L esprit des lois de Montesquieu au 18 ème siècle : «la physique du climat peut produire diverses dispositions dans les esprits, ces dispositions peuvent influer sur les actions humaines». Hippocrate soutient que la partie de la science médicale la plus avantageuse à l Homme est l hygiène «la nature sans instruction et sans savoir, fait ce qui convient», il s agit de restaurer les capacités de la nature à se réparer elle-même, «les natures sont les médecins des maladies» (Epidémies, VI.), heureuse et bénéfique «natura medicatrix». Il faut aussi 9

que la propre activité du médecin soit l objet et l attention de réflexions, qu il en définisse les contours, c est le sens du serment d Hippocrate et de sa méthode déclarée conforme à «la droite raison» par Platon. La pénétration de la médecine grecque à Rome a lieu à l apogée de l Empire romain au IIIème siècle avant J.C, au moment où Rome va dominer le monde méditerranéen, méritant le nom de Mare nostrum. L introduction du culte d Asclépios (Esculape en latin), (295 av J.C.), avait déjà précédé l arrivée à Rome des premiers médecins grecs qui se sont heurtés vivement à la population romaine avec des adversaires acharnés comme Caton l ancien. Ceci explique qu à Rome, on faisait peu de cas du métier de médecin, les esclaves reconnus compétents faisaient alors office de médecin, même si l Empire romain possédait déjà des valetudinaria, sorte d établissements proches de l hospice. La situation se modifia avec les médecins venus d Asie mineure et d Alexandrie Au début de l Empire, toute personne s exprimant en grec avait la possibilité de se déclarer médecin. Celse, un des plus grands médecins de la Rome antique, connu par son «De Artibus» est un de ceux qui déjà «pensent que la médecine doit être rationnelle». Galien est considéré avec Hippocrate comme le plus grand médecin de l Antiquité : l époque de Galien est le début d une politique de santé publique : aqueducs, égouts, fontaines publiques, distribution d eau propre. Galien laisse transparaître sa croyance en un Dieu unique dans un acte de foi célèbre : «Il faut connaître et révérer la sagesse, la toute puissance, l amour infini et la bonté du créateur de l Être». Si Dieu est l artisan suprême qui détient la puissance spirituelle absolue, il faut néanmoins reconnaître également que les Romains n abandonnent pas pour autant les dieux guérisseurs : le Tibre dans lequel on jette des ex-voto, sans parler de Mephitis, de Fébris, de Lucine et de divinités qui veillent sur la vie génitale et le développement du nourrisson. En Gaule, maladies et guérisons, fatalités du ciel puisque imprévisibles, sont attribuées aux «forces de la nature» : divinités de forêts, des lacs, des sources, des astres les druides sont les intercesseurs des Dieux et des déesses et le gui du chêne le protecteur des maladies. La médecine au premier millénaire Le christianisme naissant est prêché en Gaule au II ème siècle : les premières églises apparaissent au III ème siècle, au IV ème siècle, l Empereur Constantin met fin aux persécutions romaines contre les chrétiens (édit de Milan en 313) et à Byzance la religion est proclamée culte officiel en 391, alors que Saint Jean Chrysostome ose encore écrire au III ème siècle qu il est hors de doute que «les péchés sont les premières causes des maladies corporelles». Les évêques réunis au concile de Nicée en 325 demandent aux églises d assurer «un devoir d assistance aux pauvres» : premier acte de naissance des institutions d aide sociale, des hôpitaux et asiles. La notion de «caritas», induite par les évangiles et les actes des apôtres, confirment l importance de la notion chrétienne de l amour du prochain et de la compassion. A dater de 38O la sollicitude particulière à l égard des pauvres et des vieillards, des déshérités, les «pauperes dei», se manifeste par la création de lieux d accueil (xenodochia, nosokomia ) tout comme pour les étrangers, les malades, les voyageurs. Dès le IV ème siècle, Saint-Jérôme rappelait également que le devoir du clergé était de visiter les malades. 486 : chute de l Empire romain d Occident «Rome n est plus dans Rome» Ce qui subsiste de la culture latine en Gaule sont les œuvres religieuses chrétiennes, mises à l ombre des cloîtres dans les abbayes, tandis que la culture grecque est en déclin. Depuis le début du V ème siècle, le christianisme constitue la religion unique en Europe : en 529, St Benoît ouvre au mont Cassin un monastère qui, comme de nombreux lieux d accueil 10

religieux, est créé à l intention des malades et des pèlerins allant à Rome, Jérusalem, Compostelle et en 962, fondation des hospices du Grand et Petit St Bernard, du monastère de la grande Chartreuse. En 644, première mesure de santé publique : isolement des lépreux et création des maladreries. A partir du VIII ème siècle, de petits hôpitaux (du latin «hospe») appelés «Maisons Dieu» (Arles, Lyon, Paris) apparaissent (l Empire romain en disposait déjà) : les soins par les ecclésiastiques étaient limités (pansements, tisanes), le pouvoir de guérir est laissé à l indulgence des très nombreux saints guérisseurs dont le culte des reliques et des nombreux sanctuaires, entretenant malgré tout d anciennes dévotions d allure païennes, sont source de vénération et d espoirs médicaux miraculeux L église s approprie alors l exercice de la médecine au cours de la période dite monastique de 600 à 1100, la médecine s apprenant et s exerçant au contact des moines qui savent lire le latin, donnent des soins, vendent des «simples». Par contre, dans un contexte social, historique et religieux, la période dite scolastique qui va suivre de 1100 à 1400 (conciles de Clermont en 1120 et de Reims, en 1131) interdit aux clercs réguliers (les moines) de sortir de leur couvent pour exercer la médecine sous prétexte que ces derniers étaient pervertis par une activité extra-spirituelle (réformes du pape Grégoire II en 1074). A chacun sa compétence, à chacun sa vocation. Cette disposition entraîne le développement des écoles et des universités (Monte Cassino et Salerne en 750) - de même, l autorisation est donnée aux barbiers de pratiquer des interventions chirurgicales (Edit de Tours en 1163), les ecclésiastiques ne devant pas répandre le sang (Ecclesia abhorret a sanguine), les chirurgiens se constituent alors en corporations en 1360. L empire romain d Orient subsiste, devenant l Empire Byzantin avec Constantinople (Istanbul aujourd hui) comme capitale et c est dans ces territoires (jadis latins) que se trouve Jérusalem, ville sainte pour les Juifs et que s est développé le Christianisme (313, édit de Milan) La médecine à Byzance est dominée par Paul d Egine et Alexandre de Tralles. La doctrine musulmane est contenue dans le Coran qui est pour les musulmans ce qu était pour les Israélites la Loi de Moïse : un code et un livre religieux. Le Musulman se soumet à la volonté de Dieu (Allah), le seul Dieu qui fait connaître sa volonté aux hommes par les prophètes. Le Coran contient un certain nombre de préceptes concernant l hygiène corporelle et alimentaire, l abstinence sexuelle, notion différente de celle de l Occident dominé par l image du péché que le christianisme attribuait à cet acte. La médecine arabe aux siècles d or : VIIIème-XIIIème siècles En 100 ans, de 632 (mort du prophète Mahomet) à 732 ( Poitiers), avec l arabe comme langue, l Islam, jusqu alors cantonné dans le désert d Arabie, commence son expansion : après avoir conquis la Syrie, la Mésopotamie (640), l Egypte, la Perse (642), parvient aux confins de l Indus (661) puis de la Chine (751), atteint à l Ouest Kairouan en 670, le Maroc en 698, Séville, Cordoue, Tolède (712) et Saragosse en 714, les Pyrénées franchies en 721, jusqu aux bords de la Garonne et du Rhône en 725. L expansion de ce vaste empire constitue un contexte non seulement historique, confronté aux savoirs gréco-romains. mais également médical dont il faut souligner l importance, et dans une langue, l arabe, unissant juifs, musulmans, persans et chrétiens. Pour l Islam, fort de ses conquêtes, il est incontestable que le legs grec, cette «pars orientalis», de ce qui fut l empire romain «d Orient», va constituer la base fondamentale de la médecine arabe, même si les invasions barbares (Burgondes, Huns, Alamans, Francs, Lombards, déferlant sur l Europe) qui se sont succédées tant en Orient qu en Occident ont contribué malheureusement à la disparition de nombreux ouvrages grecs et latins. 11

L apogée : IXème, Xème et XIème -XIIéme siècles 1 L ère des traductions : elle est dominée par Johannitius, né en Perse en 808, médecin, qui se rend à Byzance sur ordre du calife pour recueillir des manuscrits en langue grecque et syriaque et commence les travaux de traduction, entouré de collaborateurs compétents dans ces langues. Il traduit Galien, Hippocrate en arabe, accompagnant ses textes de commentaires mais n écrit aucune œuvre originale en dehors de «l usage du vin dans les festins». Le monde judéo-arabe traduisant les textes latins et grecs en arabe a permis de prendre connaissance de la science médicale de l antiquité gréco-latine. Lors du déclin de la civilisation arabe, au XIIIème siècle, l œuvre condensée de ces traductions a été alors retransposée en grec au contact des cultures musulmanes et chrétiennes d Espagne. Les médecins juifs participant à la traduction de l acquis des cultures grecques et romaines ont publié ces textes (l imprimerie date de 1436) permettant à l Occident d accéder à la médecine gréco-latine et d évoquer Hippocrate et Galien, sans oublier Dioscoride, médecin grec, à Alexandrie, Athènes et Rome, médecin des légions de Néron, auteur du fondamental «De univers medica». Les œuvres d Hippocrate et de Galien alors traduites garderont leur retentissement jusqu à la Renaissance et même au-delà. On peut regretter à ce sujet qu au XIVème et XVème siècle, une persécution menée par la France en 1394, par l Espagne en 1492, contre les juifs qui représentaient une communauté particulièrement cultivée, ait aboutit à chasser une classe médicale influente qui ne pouvait de ce fait qu émigrer dans l ensemble du bassin méditerranéen. Le travail de traduction se poursuivit jusqu en 1300 pour s éteindre au XIVème siècle, il avait contribué à rassembler les œuvres de Maïmonide, Avenzoar, Rhazès et Galien. 2 C est donc au legs grec que le monde arabe sera en premier lieu confronté et dont la traduction favorisera la diffusion de ce savoir médical à l Occident par deux voies : la voie italienne : Kairouan, fondée en 670, devient en Afrique du Nord l un des grands foyers intellectuels de l Islam grâce à Constantin l Africain, «le maître de l Orient et de l Occident». Secondairement l invasion musulmane de la Sicile byzantine (de 827 à 902) puis de l Italie contribua à la création de l école de Salerne (1076) dont la renommée pédagogique attira de nombreux médecins comme Avicenne, «le prince des médecins» qui écrit le «Canon de la médecine» expliquant que la médecine est une science à laquelle on doit adapter un raisonnement fondé sur la raison et l expérience. la voie espagnole andalouse : la conquête musulmane de l Espagne date de 711, mais les communautés juives et chrétiennes conservent la liberté de pratiquer leur religion et de garder leurs coutumes. Cordoue est fondé en 929. Avec le XIème siècle, l Espagne musulmane connaît une ère nouvelle, la médecine est dominée par Averroès, né à Cordoue, en 1126, médecin, philosophe qui a écrit le «Colliget», généralités sur la médecine, professant que la médecine n est pas une science, mais un «art opératoire» ; ainsi en médecine : théorie et pratique ne peuvent être séparées. Citons également Rhazés, Albulcassis, Avenzoar et Maïmomide, «l aigle de la synagogue», médecin, philosophe, théologien, chef spirituel du judaïsme qui a été l un des représentants ayant maintenu d importants foyers de culture judaïque dans l Espagne musulmane. Ces médecins sont parmi les plus célèbres ayant vécu plus ou moins à Cordoue, siège d une importante transmission des cultures musulmane et chrétienne, entre 1037 et 1204, sans ignorer la notable participation des médecins juifs aux échanges culturels arabes scientifiques et médicaux en Occident. 12

Tolède fut un centre culturel de traduction intense, de 1125 à 1300 : les ouvrages en arabe et les traductions en arabe faites à partir du grec, concernant Rhazès, Galien, Avicenne furent traduits en latin par Gérard de Crémone ce qui favorisa également leur pénétration en Occident. L enseignement : la transmission à l Occident médiéval de la philosophie et des sciences grecques est due au chaînon que constitue la civilisation arabe mais il n existe pas d école de médecine avant le IVème siècle. La médecine toutefois a été enseignée en Orient grâce aux livres grecs et latins préservés de la destruction et transmis à Bagdad, Kairouan.. et Cordoue. Dès le IXème siècle, Bagdad devient un très grand centre de savoir médical où sont rassemblés et traduits avec les juifs vivants dans le monde arabe, les ouvrages de l antiquité grecque et romaine, de l Inde et de l Iran ; ce legs de la civilisation arabe a constitué un approfondissement des connaissances médicales en raison de son installation déjà en 750, en Italie à Salerne, cité hippocratique par excellence. Au XIIème siècle, ce creuset des influences arabes, grecques et latines brille par son enseignement pratiqué par des laïques exerçant aussi la médecine et sanctionné, pour la première fois!, par un diplôme. Ce creuset brille également par son hôpital bénédictin, au Mont Cassin dont l abbaye très proche est le siège d un très haut niveau culturel, où avaient lieu les études pratiques, préfigurant un premier centre médico-universitaire. Constantin l Africain, déjà cité, médecin venu de Carthage, devient la plus grande autorité médicale avec Guy de Chauliac (1295-1351) célèbre théoricien de la chirurgie ; des savants venus d Europe chrétienne, d Espagne, juive et musulmane, accourent à Salerne, de même que des étudiants de tout le pourtour du bassin méditerranéen. Une grande tolérance y régnait où se côtoyaient chrétiens, musulmans et juifs, où surtout fut reconnue la qualité de l enseignement dispensé à l université que fréquentaient des femmes. L enseignement ne faisant pas appel à des arguments théologiques pouvait être considéré comme un enseignement laïc et Salerne, «Cité Hippocratique» par excellence, devient alors la plaque tournante privilégiée à l origine de la création de la plupart des universités médicales européennes, Padoue 1228, Bologne 1188, Rome 1245, Montpellier 1289, Pavie 1261, Naples 1224, Paris 1270.. On pouvait affirmer alors qu à partir de l an 1000, la médecine antique a survécu à Salerne, la médecine arabe y a pénétré, la médecine laïque, au sens où elle n a pas de charge sacerdotale, y est née et son influence s est étendue à l Europe (Dr R.Teyssou), la première université européenne était-elle déjà envisageable? 13

Document aimablement communiqué par le médecin G.I. H. Bourgeois, Pr agrégé du Val de Grâce La médecine arabe témoin privilégié par son rayonnement de la pensée médicale au Moyen- Age deviendra ainsi la charnière culturelle et philosophique évidente entre le monde grécoromain et celui de la Renaissance. La pratique médicale ne manquera pas alors de s insérer étroitement dans l histoire de l humanité, selon les dimensions culturelles, religieuses et spirituelles de l époque. Faut-il prétendre pour autant avec M. Sandrail que «la médecine est née avec la religion»? Médecine hésitante certes, entre le magique, le divinatoire et le spirituel figure non moins hésitante également du médecin, entre le mage, le sorcier ou le prêtre aux fonctions aussi multiples que contradictoires. Force est de constater que l ardente nécessité de venir au secours d une humanité victime de sinistres fléaux comme «l Apocalypse des pestes» en 430 avant J.C. à Athènes, décrite par Thucydide, (sans parler de la peste parmi toutes les plaies que le Dieu de Moïse infligea à l Egypte) a considérablement contribué à ce que la médecine fasse preuve d attention, de prudence et de sagesse, pour prendre en charge la souffrance humaine. L organisation de la médecine, la sémiologie, la déontologie 1 Le médecin a perçu très tôt que sa mission était complexe au point qu il lui fallait s organiser : le code d Hammurabi édicté à Babylone vers 1700 avant J.C. est le premier code, sans doute plus civil que médical, mais dont les articles 215 à 227 gravés au verso de la stèle en basalte noir (visible au musée du Louvre à Paris) fixent les premières dispositions déontologiques des devoirs et de la responsabilité auxquels le médecin était tenu, comme celui de devoir prêter serment devant les autorités, un Ordre était-il en train de naître? Ces dispositions laissaient entrevoir aussi les sanctions exposant le médecin en cas de faute 14

professionnelle ou d accident thérapeutique et prévoyaient la délivrance de certificats d incapacité ou d indisponibilité, première ébauche d une législation médico-légale, l échec du médecin étant considéré comme un délit de droit commun. Elles étaient également une façon de dissuader les charlatans et de veiller à la compétence des médecins. Il en est de même en Egypte où la responsabilité des médecins répondaient à certaines règles déontologiques précises :«les médecins établissent le traitement des malades d après les préceptes écrits et transmis par d anciens médecins célèbres, ils sont innocentés s ils sauvent leur malade, accusés ou condamnés à mort s ils agissent contrairement aux préceptes écrits» : en résumé, le médecin doit de soumettre «aux règles de l art», à celles aussi qui commandent la prudence, en s abstenant ou évitant toute responsabilité, dans les termes des papyrus retrouvés qui se terminent en concluant : «c est un mal que je ne soignerai pas..» Imaginer déjà le «CORPUS HIPPOCRATICUM» n était pas une utopie Hippocrate au Vème siècle avant J.C a donné en effet naissance à la sémiologie, à l observation raisonnée, à tout ce qui est un art et une science essentiellement humains «Celui qui sait se montrer humain avec les hommes démontre dans quelle mesure il aime son art» Tout est dit concernant la responsabilité du médecin : «Si le mal ne cède pas aux soins du médecin, seule sa compétence est en cause, et non plus la volonté d un dieu.» Seule parmi les signes de la maladie, la douleur est du ressort des dieux : certes «soulager la douleur est une chose divine» et c est là qu apparaît une frontière entre l homme et le divin, repoussant la douleur hors du champ de la médecine. Dans le Serment, Hippocrate a fixé définitivement les règles imprescriptibles de la déontologie : «la médecine a deux buts, soulager le malade et ne pas lui nuire», toute la responsabilité du médecin repose sur cette prudence hippocratique : «primum non nocere», codifiée pour les siècles à venir. Platon dans «les lois» exposait déjà «tout médecin étant cause involontairement du décès de celui qu il soigne sera exempté légalement de souillure» Chez les Romains, il faut s en tenir à la formulation du juriste Ulpien : «l éventualité de la mort ne doit pas être imputée au médecin sauf en cas de faute grave» (lex Aquilia,) laissant planer déjà une jurisprudence médicale disciplinaire, encore que les critères d appréciation des fautes sont assez surprenantes : «responsable de la mort d un esclave, le médecin devra payer une indemnité, responsable de la mort d un homme libre, il risque sa tête!». A noter que l empereur Julien a promulgué une loi imposant l obligation d être approuvé par un collège de médecins pour exercer la médecine un Ordre? La médecine islamique est l héritière de la médecine grecque et perse si l on tient compte des œuvres grecques traduites du syriaque en arabe et secondairement au Xème et au XIème siècle par la traduction de ces œuvres arabes en latin. C est dans ces circonstances que la déontologie apparut dans la médecine islamique : «quiconque pratique la médecine sans être qualifié en ce domaine est responsable des dommages qu il cause à la personne traitée, de même s il traite un patient sans son consentement». C est la raison pour laquelle dès l an 309-320 à Bagdad, est institué un examen obligatoire à tous ceux qui désiraient exercer la médecine et qui prêtaient ensuite le serment d Hippocrate avant de devenir diplômé. 2 L exercice de la médecine devait répondre à des principes pédagogiques concernant tant l individu que la santé publique 15

Entre le Tigre et l Euphrate : au hasard des fouilles archéologiques et de la lecture des milliers de tablettes d argile (Parrot et Dossin), on dispose maintenant de témoignages précisant que les médecins, les «asû», établissaient des comptes rendus épidémiologiques et que dans les cas graves, il était recommandé de consulter des spécialistes de renom, médecine naissante en voie de laïcisation. L enseignement des prêtres médecins avait lieu sur les tablettes d argile décrivant la sémiologie (du grec semios «signe») des maladies, invitant le médecin à prendre le pouls, à apprécier la température du patient, à vérifier l odeur de l haleine, à inspecter les urines : «si un homme a des douleurs au cœur, si son estomac est en feu, si sa poitrine est comme déchirée, cet homme souffre de la chaleur du jour».ou d angor? dirons-nous à présent! La pratique chirurgicale était relativement élaborée (chirurgie esthétique du visage principalement), les arrêts de travail et l isolement des malades étaient rendus nécessaires afin que la malédiction divine ne soit pas transmise à un proche, prémices d une législation médico-sociale et médico-légale. Restaient tout de même les procédés divinatoires, orinomancie, empyromancie, hépatoscopie, divination majeure et rigoureuse, et l examen des entrailles d animaux sacrifiés. Sur les rives du Nil : l aventure devait se poursuivre en Egypte : le médecin est le «sounou», «celui de ceux qui sont malades, qui ont mal, qui s intéresse aux individus souffrants». Progressivement, le corps médical fut révélé par les savants égyptologues contemporains grâce aux nombreuses inscriptions, funéraires, des temples et des papyrus datant du 3 ème millénaire av J. C. C est du reste à Memphis qu Hippocrate est venu se perfectionner! De même les pathologies de l époque nous sont révélées dans le détail par le travail considérable de l étude des momies, disséquées, analysées, radiographiées, scannérisées et même endoscopées de nos jours. Tous les médecins sont spécialisés, entretenus aux frais de la société, selon Diodore de Sicile et Hérodote, y compris les médecins du travail et de l armée. «La médecine est divisée de telle sorte que chaque médecin ne soigne qu une maladie» ( Hérodote). Les papyrus, tel le papyrus d Ebers, premier traité connu de cardiologie, ou celui d Ewin Smith datant de 3 000 ans av J.C. traitent de la pathologie externe, les observations apparaissant selon un ordre anatomique, préfigurant notre nomenclature des actes professionnels! avec des descriptions connues, telle la fracture «en bâton», dite de nos jours en «bois vert». Ils représentent également une rigueur d examen du malade qui préfigure notre raisonnement médical, énoncé en quatre termes : clinique, fonctionnel, diagnostique, et pronostique, soit en résumant : «si tu examines un homme ayant.» suivi des classiques inspection, palpation, percussion, ( «mets ta main sur le malade et frappe») auscultation («l oreille entend ce qui est au-dessous» ) la réponse sera : «tu diras à son sujet : c est quelqu un ayant.»). Il s en suit que l art du médecin était qualifié en «habile dans l examen de la main» Le système vasculaire est comparé au Nil et à ses canaux d irrigation. Quant à l air qui entre dans le nez, il pénètre dans le cœur et les poumons, et ce sont eux qui le distribuent à tout le corps. L enseignement de la médecine se transmettait de père en fils et dans les «maisons de Vie» centres de culture et de documentation. Ainsi, abandonnant la magie, les médecins innovent dans les premières données concernant le diagnostic de la grossesse, la contraception, les premières circoncisions dont témoigne le bas-relief retrouvé à Saqqarah (VIème dynastie 2345-2181) A noter enfin qu une femme médecin «Peseshet» (IIIème millénaire av J.C.) exerçait à la cour du Pharaon. 16

3 l exercice de la médecine exige également l observation clinique et une démarche diagnostique : rien ne remplace ni l interrogatoire ni l examen du malade qui reposent sur la reconnaissance des antécédents du malade, la reconnaissance des signes généraux, des signes locaux, tout ceci dans le célèbre triangle hippocratique qui «contribue à notre art : la maladie, le malade et le médecin» La naissance de la médecine d observation se retrouve dans les aphorismes d Hippocrate, considérés comme un bréviaire ( au sens donné, en latin médiéval, à un recueil de prescriptions) : «Le médecin est le ministre de l art et le malade doit s opposer à la maladie avec lui» (ce qui n est guère différent de l article 1111-4 de la loi Kouchner (2002) sur «les droits du malade» : toute personne prend, avec le personnel de santé, des décisions concernant sa santé! ). «Qui veut savoir interroger, répondre ou réfuter à propos des maladies, doit au préalable connaître leur origine», «Chaque maladie a une cause naturelle, et sans cause naturelle aucune ne se produit» «Je dis que le raisonnement est louable mais qu il doit toujours être fondé au départ sur un phénomène naturel» «Tout notre diagnostic repose sur ce que nous pouvons percevoir avec nos yeux, nos oreilles, nos doigts, notre odorat, notre langue et notre esprit» «Examinez soigneusement le malade ; soyez attentifs à toute modification survenue dans son état, il vous sera plus facile de faire un diagnostic et d éviter les erreurs» Le «iatros», celui qui guérit a remplacé l Asclépiade Rhazès, médecin persan ( 850-930) ne dit-il pas également «bien interroger le malade est l une des choses les plus utiles dont on a besoin dans le traitement des maladies?», ce qui n est guère différent des aphorismes médicaux de Jean Mésué ( 777-857 ) né à Bagdad: «il importe au médecin qu il n omette pas d interroger le malade sur toute chose, intérieure ou extérieure, d où a pu naître la maladie ; puis qu il juge laquelle est la plus forte» On peut avancer que l observation minutieuse de la personne malade, telle qu elle est préconisée par Hippocrate, a fourni des notions cliniques qui sont toujours d actualité si on s en réfère à la description de «l hippocratisme digital» dans les malformations cardiaques, la dilatation des bronches, sans oublier la succussion hippocratique de l hydro-pneumothorax ni le «faciès hippocratique» du malade à l agonie ; «les propositions sur la doctrine d Hippocrate» ont été du reste le sujet de la thèse de Laennec en 1804. 4 Le secret médical : «la discrétion qui s impose au médecin devrait aller de soi» écrivait en 1986 le Pr Raymond Villey (Président d honneur du Conseil National de l Ordre des Médecins ) L objet du serment d Hippocrate : «Quoi que je voie ou entende dans la société pendant l exercice ou même hors de ma profession, je tairai ce qui n a jamais besoin d être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas» consacrait l admission des médecins parmi les Asclépiades. Les Grecs, encore une fois ont tout prévu même si «la vie est courte, l art est long, l occasion fugitive, l expérience trompeuse, le jugement difficile» Si le secret médical ne figure pas dans le droit romain, par contre, dans le «De officiis», Cicéron écrit «les médecins qui pénètrent sous le toit et dans les chambres à coucher d autrui doivent cacher beaucoup de choses, même sous l offense : quamvis sit difficile 17

tacere cum doléas : quoiqu il soit difficile de se taire quand on en pâtit». Autrement dit, se taire même s il leur en cuit! rien n a changé depuis la formulation saisissante du Doyen Paul Brouardel : «Silence quand même et toujours»!. Citons également Assaph médecin juif de Tibériade du VIIème siècle dont le serment déontologique est de facture très hippocratique : «Vous ne divulguerez aucun des secrets qu on vous a confiés», sans oublier non plus le Persan Rhazès au Xème siècle qui a disserté sur le climat de confiance entre le médecin, le malade et ses proches, cette confiance qui tient aussi à la «discrétion» du médecin dont il est question dans son «traité sur le secret de l art médical» ultérieurement traduit en latin au XIIIéme siècle. S il faut considérer que la notion de serment concerne au Moyen-Age la justice, les baillis et échevins etc le secret médical n a pas lui d existence juridique, alors même que la tradition du serment prononcée par les médecins est maintenue. Retenons qu en 1598, ce qui n est plus à proprement parler le Moyen-Age, les nouveaux statuts de la faculté de médecine de Paris obligent de mentionner sur les thèses en médecine cet aphorisme : «Que personne ne divulgue les secrets des malades ni ce qu il a vu, entendu ou compris».un exemple à méditer de la part de Messieurs des Doyens de nos facultés de médecine. Nous sommes encore bien loin de l article 378 du code pénal de 1810! et de l actuel article 4326-13 de 1992. 5 Le principe d humanité et de non-discrimination Dans le monde grec, le monument de Sarapion à Athènes rappelle les devoirs du médecin afin qu il «prodigue ses soins à tous comme un frère» Dans le monde romain, Scibonius Largus, 45 après J. C., écrit «Parce que le mal doit être haï de tous les êtres vivants et particulièrement des médecins, dont l âme ne peut qu être remplie de compassion et d humanité, selon les exigences de la profession ellemême, ceux qui se retranchent criminellement méritent d être haïs de tous les dieux et des hommes». «Pour cette raison il ne donnera pas même à des ennemis un médicament nocif, celui qui est lié par le serment de la médecine mais il les poursuivra pas moins de toutes les manières, en soldat et en bon citoyen, comme les circonstances l exigent, les ennemis même de la patrie ont droit à sa sollicitude. Parce qu elle n estime pas la valeur des hommes à leur fortune ni à leur situation, la Médecine se doit d apporter son aide de façon égale à tous ceux qui l implorent, d être bienfaisante et miséricordieuse et elle s engage à ne jamais nuire à personne». «Si la médecine ne se dévoue tout entière au service des malades, la médecine trahit la promesse qu elle a faite aux hommes : celle d être bienfaisante et miséricordieuse». Isaac l Hébreu «le grand prince de la médecine» installé à Kairouan, contemporain de Rhazès, auteur du «guide du médecin» précis de déontologie rappelant les devoirs et les droits du médecin, écrit : «ne néglige pas de visiter et de soigner les pauvres, il n est pas de plus noble travail.réconforte le patient par une promesse de guérison, même si tu n y crois pas» paroles qui n ont d égales que celles de la prière de Maïmonide, acte professionnel de foi : «Dieu, soutiens la force de mon cœur pour qu il soit toujours prêt à servir le pauvre et le riche, l ami et l ennemi le bon et le mauvais, éloigne de leur lit les charlatans, l armée des parents et des gardes qui savent toujours tout». Brûlante actualité. Dans les pays d Islam, Johannitius exerçant à Damas et à Bagdad, refusant au Calife un poison homicide, lui réplique : «ma religion m enseigne que nous devons faire du bien 18

même à nos ennemis et à plus forte raison à nos amis, quant à ma profession elle a été instituée pour le plus grand bien de l humanité» Ces documents attestent de l honneur qui revient à la civilisation grecque d avoir révélé combien le souffle de l humanisme et la réflexion antique ont pénétré la conscience des médecins : devoirs et responsabilité, compétence, respect de la vie et dévouement aux malades, dignité et discrétion, rejet de toute discrimination, principes pédagogiques concernant l individu et la santé publique ont contribué à bâtir les fondements harmonieux des dispositions de la déontologie médicale et donner naissance à la médecine occidentale moderne. Plus encore : «Hippocrate a offert le modèle d une science appliquée aux choses humaines» (Jacqueline de Romilly, de l Académie Française ). «Puisqu il n est point d amour de la médecine sans amour des hommes» (Hippocrate) SPIRITUALITÉ ET ÉTHIQUE «Fais que je ne vois que l homme dans celui qui souffre» Maïmonide La souffrance, la maladie, la mort sont des événements humains fondamentaux, De tels événements doivent être abordés avec la plus grande humanité en aidant le malade à vaincre ses propres épreuves et avec les exigences qui découlent du respect de sa dignité, sans recourir à un langage ésotérique ou à plus forte raison à un langage théologique. Chacun est libre de pouvoir s interroger ou non sur l idée qu il se fait de l exaltation de la vie, du bonheur, de la mort. Mais si, à l évidence, la maladie renvoie à la mort, cela signifie qu elle confronte l homme à l inconnu, au «pourquoi», à l incertitude, à la finitude, incontestablement source d une rude angoisse existentielle. Ce malaise n est pas non plus étranger à ce que de nos jours la science apparaisse isolée de tout ce qui concerne la spiritualité et le religieux : peut-être cela explique-t-il la sensibilité exacerbée de notre monde moderne, confronté à l angoisse métaphysique avec le risque de ne pouvoir trouver un sens spirituel personnel à l existence,.à plus forte raison si, comme l écrit Régis Debray, «la religion n est pas l opium du peuple (K. Marx) mais la vitamine du faible», remarque qui ne convertira pas les plus agnostiques à y recourir, compte tenu de leur incertitude fondamentale Restent que les stations thermales d antique mémoire (Homère, Pindare, Hérodote) ou d origine sacrée (Epidaure, Delphes), et les colonnes votives de l époque gallo-romaine, (Bourbonne-les-bains), témoignent de la reconnaissance des malades envers les divinités tutélaires des sources et envers les seuls dieux «guérisseurs» ; on le comprend facilement à une époque où la thérapeutique se résumait à la seule thériaque. À l heure actuelle, l ouvrage de G. Cosson «guérir avec les saints», semblerait perpétuer le recours au saint le plus «approprié» à chaque déficience médicale. Certains donnent encore lieu à des invocations, particulièrement St Luc le 18 octobre dans les hôpitaux militaires, St Côme et St Damien médecins et martyrs, St Roch vénéré en Corse, Ariège, Calvados et en Europe. Reconnaissons que nos certitudes médicales n ont pas totalement infléchi la confiance accordée à des «saints» guérisseurs, tradition d une certaine mystique qui incite sans doute à la prière, aux pèlerinages, aux Pardons et à ne pas douter d une 19

guérison, pourquoi pas? La fréquentation de ces circuits ne peut que favoriser un tourisme médico-historique, architectural où le spirituel se confond avec le culturel. Si dans l antiquité, on peut comprendre l attirance des foules vers les sanctuaires des seuls dieux «guérisseurs», si l ordre mineur «d exorciste», dévolu aux clercs, réglementé en 398 par le 4 ème concile de Carthage, n a été supprimé qu en 1972 par le pape Paul VI, la prolifération actuelle des médecines «parallèles, douces, naturelles» ou d allure scientifique (naturopathie, auriculopathie ) ne peuvent que nous surprendre. Il est vrai qu il s agit de «dévotions» où la crédulité le dispute à l imagination inépuisable des charlatans, dont on peut tout de même regretter le piège dans lequel tombent d innocentes victimes. Ces pratiques n en constituent pas moins des entorses coupables au regard du respect de la dignité de la personne humaine qui est un principe absolu d essence kantienne : «Agis de telle sorte que tu traites l humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre comme une fin et jamais comme un moyen» ; elle avait déjà été évoquée par Hippocrate dans son traité «De la bienséance», soulignant la conscience professionnelle qui impose le dévouement et la considération que mérite le malade comme les marques d estime indispensable à lui témoigner. C est aussi devoir reconnaître que la dignité de la personne humaine dépend de notre volonté à la reconnaître et surtout à la faire respecter, qu elle offre à chacun d entre nous la liberté du choix de son mode de vie, de ses pratiques religieuses, de ses aspirations culturelles, spirituelles, psycho-affectives, témoins de son présent comme de son avenir. Se voir privé de ces choix serait insupportable et pourrait être considéré comme une des formes de maltraitance morale, psychologique, tant culturelle que spirituelle. Reconnaissons que l enseignement officiel sur ce sujet est d une tiédeur relative d un CHU à l autre dans le cursus universitaire des études médicales, qu il n existe aucune formation spécifique des médecins et des soignants alors qu une totale neutralité religieuse doit être respectée dans leur tenue, leurs actes, leurs réflexions, leurs propos : l art médical demeurant une vocation du soignant, ses convictions personnelles, spirituelles ou religieuses, doivent s effacer devant la personne malade. Il est non moins important que le médecin connaisse les différents concepts des rites et des traditions d ordre religieux pour comprendre l état d esprit des patients et de leur famille dans les situations de la vie courante, le vécu de la fin de vie, et de la mort en particulier afin d éviter des actes et des maladresses qui pourraient choquer l entourage. L exercice de la médecine au service de la vie doit s exercer dans des relations qui respectent toute dimension spirituelle, au-delà d une perception confessionnelle et non sans exclure tout prosélytisme fondamentaliste ou dominateur. La reconnaissance de la spiritualité renvoyant à l intimité de chacun ne saurait être ignorée dans nos relations professionnelles de sorte que l ésotérisme et les milieux sectaires ne se développent au détriment de la santé physique, morale et mentale de nos concitoyens. La maladie : considérée inconsciemment comme une punition : «pourquoi moi? qu ai-je fait pour mériter ça?», n est pas étrangère à cette notion moderne de responsabilité des «comportements à risques» : sida, alcoolisme, toxicomanie, tabagisme Certes, la douleur qui surgit dans la maladie est une atteinte physique localisée du corps, parfois intolérable ; or apaiser la douleur est l une des missions essentielles du médecin (articles R 4127-37, du CSP et charte du malade hospitalisé ( 1995). 20