ACTIONS ET POLITIQUES SUR L'INVESTISSEMENT DANS L'AGRICULTURE 1. Les investissements doivent contribuer à et être compatibles avec la réalisation progressive du droit à une alimentation suffisante et nutritive pour tous. Les investissements doivent renforcer les systèmes alimentaires locaux et les systèmes locaux de production et donner la priorité aux marchés locaux ainsi qu'à la distribution de produits alimentaires locaux (par exemple, les réseaux de commercialisation directe du producteur au consommateur, l'agriculture communautaire, etc). Les États doivent veiller à ce que les communautés locales et les environnements locaux soient les premiers bénéficiaires des investissements agricoles non- alimentaires 2. Les investissements dans l'alimentation et l'agriculture doivent garantir la protection des écosystèmes et des environnements. Les investissements doivent éviter la dégradation ou la destruction des biens communs, qui comprennent les terres, les forêts, les zones humides, les rivières, les autres plans d'eau, les semences et autres ressources communes. Tous les investissements dans les systèmes agricoles et alimentaires doivent promouvoir l'utilisation durable et la régénération des ressources naturelles ainsi que des cycles de l'eau grâce à une gestion communautaire des écosystèmes. [Les agro- toxines et les produits agro- chimiques qui sont au coeur de l'agriculture industrielle attaquent la biodiversité naturelle et agricole, polluent les nappes phréatiques et les plans d'eau et mettent en danger la santé humaine et le bien- être des animaux. Les Etats doivent mettre en place des politiques et des programmes appropriés qui facilitent la transition de l'agriculture industrielle vers des modèles de production durables... L'agro- écologie est l'un des moyens les plus efficaces pour lutter contre la faim, la pauvreté, l'insécurité alimentaire et hydrique et pour faire face à la crise climatique. La valeur environnementale, sociale, culturelle et économique de l'agro- écologie doit être reconnue. Les États doivent soutenir l'agro- écologie à travers la promotion publique des savoirs, des techniques et des pratiques agro- écologiques, adaptées au différentes régions biogéographiques, en mettant l'accent sur des processus menés depuis la base par les agriculteurs. Les investissements devraient contribuer à l'atténuation et l'adaptation au changement climatique, avec une priorité clairement accordée au renforcement de la résilience des producteurs d'aliments à petite échelle dans le contexte des changements climatiques et des autres chocs. En outre, ils doivent contribuer à la
réduction des émissions de gaz à effet de serre résultant principalement de l'agriculture industrielle et de la déforestation. 3. Tous les investissements dans l'alimentation et l'agriculture doivent garantir des emplois décents, respecter les droits des travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole et respecter les normes et les obligations fondamentales du travail, telles que définies par l'organisation internationale du Travail (OIT). L'agriculture est le secteur employant le plus de personnes à travers le monde, les travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole y constituant 40% de la force de travail agricole. L'agriculture compte également parmi les lieux de travail les plus dangereux, avec le plus fort taux d'accidents du travail et d'exposition aux produits chimiques toxiques. Les travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole se voient souvent refuser l'accès aux droits de base tels que définis par les conventions fondamentales de l'oit et se retrouvent piégés dans des situations de travail forcé et de servitude. Les États doivent veiller à ce que les investisseurs soient légalement tenus de payer des salaires décents et de respecter les droits des travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole, y compris les travailleurs migrants et saisonniers, tels que définis dans les conventions de l'oit N 184, 183 et 129. Les travailleurs agricoles doivent être protégés par la législation du travail appropriée qui assure le respect de leur droit d'association et de réunion, de négociation collective, de salaires décents, de santé et de sécurité au travail, de bénéficier de systèmes de protection sociale ainsi que le droit de faire appel à l'inspection du travail. Le travail des enfants dans le travail agricole salarié doit être interdit. Les femmes travaillant dans le secteur agroalimentaire et agricole devraient avoir la garantie de bénéficier de l'égalité des droits dans le travail (y compris l'égalité de rémunération), d'une protection légale en matière de maternité, de protection de la famille et de l'enfance. Les employeurs doivent veiller à la mise en œuvre et l'application de règles de tolérance zéro vis- à- vis du harcèlement sexuel. 4. Tous les investissements dans les systèmes agricoles et alimentaires doivent assurer des revenus décents et des moyens de subsistance ainsi que des opportunités de développement pour les communautés locales, en particulier pour les jeunes ruraux, les femmes et les peuples autochtones. Les investissements et les politiques publiques devraient renforcer les capacités organisationnelles des producteurs à petite échelle par exemple en aidant à la création de structures collectives, de coopératives et de groupes de production, qui leur donnent les moyens de négocier des prix équitables.
Les partenariats public- privé (PPP) et l'agriculture contractuelle devraient être réglementées et régies par la loi. Ils ne doivent pas conduire à la privatisation des biens communs ni mettre en danger les réserves écologiques et / ou saper les capacités politiques et économiques des producteurs à petite échelle, des travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole, des peuples autochtones et des communautés locales 5. Les investissements doivent respecter et faire respecter les droits des producteurs d'aliments à petite échelle, des peuples autochtones et des communautés locales en matière d'accès, d'utilisation et de contrôle sur la terre, l'eau et autres ressources naturelles. La diversité des systèmes de tenure doit être reconnue et respectée par les Etats et les investisseurs, et tous les droits fonciers légitimes [Note de bas de page] doivent être protégés. Les Etats devraient soutenir les systèmes et les pratiques locales de sélection des semences autochtones / traditionnelles ainsi que des espèces végétales, animales et variétés de poissons par les agriculteurs et les pêcheurs, et les protéger de la bio- piraterie ainsi que de l'appropriation et de l'exploitation commerciales. Les accaparements de terres, d'eau et de ressources sous quelque forme que ce soit doivent être interdits et annulés si déjà existants. Des garanties juridiques contre l'accaparement de terres, d'eau et de ressources doivent être mises en place. Les droits des producteurs à petite échelle, des travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole, des peuples autochtones et des communautés locales sur la terre, les forêts, l'eau et les autres ressources naturelles et productives doivent être garantis et protégés par une véritable réforme agraire et aquatique axée sur la redistribution des terres et des accès à l'eau. Une attention particulière doit être accordée en vue de garantir les droits des femmes. 6. Tous les investissements doivent respecter les droits des peuples autochtones sur leurs territoires et leurs domaines ancestraux, leur patrimoine culturel et leurs paysages ainsi que sur leurs connaissances et pratiques traditionnelles. Les États doivent veiller à ce que toutes leurs politiques, actions et investissements sont conformes à leurs obligations au titre de la Convention 169 de l'oit et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. 7. Tous les investissements doivent repecter les droits des femmes et accorder la priorité aux femmes dans le partage des bénéfices
Les États doivent respecter, protéger et renforcer l'accès et le contrôle des femmes dans le domaine social et économique ainsi que sur les ressources productives. Les Etats doivent s'acquitter de leurs obligations en vertu de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW). 8. Les États doivent mobiliser les investissements publics et les politiques publiques en faveur des petits exploitants et des travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole. Les producteurs d'aliments à petite échelle, les travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole ainsi que leurs organisations représentatives doivent être impliqués de manière significative dans la formulation, la mise en œuvre, le suivi et l'évaluation de ces investissements et de ces politiques. Ces investissements et ces politiques incluent : Développer les capacités d'investissement des producteurs d'aliments à petite échelle à travers, par exemple, la mise en place de systèmes d'irrigation, d'installations de traitement et de stockage post- récolte, l'acquisition d'équipements lourds et de machines agricoles, la mise en place de structures de marketing et d'information sur les prix, la définition de systèmes de commande publique et d'achats institutionnels etc.; Protéger et valoriser la biodiversité naturelle et l'agro- biodiversité ainsi que les modes agricoles traditionnels, par exemple, les banques de semences et les initiatives de sélection de semences à la ferme, via des subventions accordées aux producteurs à petite échelle, mais aussi le développement des routes rurales, l'électrification et d'autres biens et services essentiels ou encore des projets de recherche agricole publique et adaptée aux besoins locaux et le soutien au bien- être animal à travers la fourniture de services vétérinaires publics, etc.; Aider les producteurs d'aliments dans la mise en place de mesures de réduction des risques face aux catastrophes naturelles et humaines mais aussi la mise en œuvre de méthodes d'adaptation et de régimes de sécurité sociale favorisant le renforcement de la résilience face aux crises. Définir des budgets agricoles et une allocation des ressources qui soit sensible aux besoins et aux conditions des producteurs à petite échelle, des travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole ainsi que des femmes; 9. Les États doivent protéger les producteurs à petite échelle ainsi que les travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole des fluctuations du marché et de la volatilité des prix à travers la régulation des marchés alimentaires locaux, nationaux, régionaux et internationaux, mais aussi en prenant des mesures pour freiner la spéculation sur les prix alimentaires. Les États doivent veiller à ce que les producteurs à petite échelle puissent obtenir des prix rémunérateurs équitables pour leur travail et leurs produits et ils doivent prendre des mesures pour renforcer leur capacité à négocier des prix équitables pour leurs production.
Les États doivent créer des conditions favorables afin de parvenir à la souveraineté alimentaire, entre autres, à travers la constitution des stocks alimentaires nationaux qui s'appuient sur des systèmes alimentaires locaux et la passation de marchés publics, mais aussi la mise en œuvre de réseaux de commercialisation et de distribution des aliments produits localement. Les États doivent mettre en place des mécanismes de protection sociale robustes et adaptés, qui protègent les producteurs à petite échelle, les travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole ainsi que les communautés vulnérables contre les chocs des prix. 10. Les États doivent respecter et soutenir un accès rapide et non discriminatoire par les producteurs à petite échelle, les travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole, les communautés autochtones, les communautés locales et le public à la justice, à des mécanismes de règlement des griefs, à des structures de médiation qui soient équitables, efficaces et accessibles en temps opportun, à des recours administratifs et judiciaires ainsi qu'au droit d'appel. 11. Les accords commerciaux et les traités d'investissement ne doivent pas saper ou compromettre les droits des producteurs d'aliments à petite échelle, des travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole ou des peuples autochtones ni mettre en danger la souveraineté alimentaire. Les États doivent mettre en place des mécanismes d'évaluation et de suivi afin d'analyser les effets de ces accords sur la réalisation du droit à l'alimentation et prendre, le cas échéant, les mesures appropriées, y compris par la renégociation ou l'annulation des accords / traités. 12. Les États devraient adopter des législations nationales appropriées pour réglementer et contrôler les investissements extraterritoriaux ainsi que les investisseurs. Ce faisant, ils devraient s'orienter aux Principes de Maastricht sur les obligations extraterritoriales des Etats dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels. 13. La participation effective, significative et démocratique des producteurs d'aliments à petite échelle, des travailleurs du secteur agroalimentaire et agricole et des peuples autochtones, en particulier les femmes, doit être garantie dans la planification et la prise de décision autour des investissements agricoles, du développement territorial et de la gestion de l'utilisation des terres et ressources.
Le principe de consentement libre, préalable et éclairé (FPIC) doit être appliqué dans le cas de tous les investissements (publics et privés) et doit inclure les droits des communautés affectées à refuser des projets d'investissement. Les États doivent définir et mettre en oeuvre des législations, des structures et des processus qui soient appropriées et suffisantes afin de pouvoir mener à bien des études d'impact indépendantes, participatives et détaillées sur les grands projets d'investissement (publics et privés) dans le domaine environnemental, social, économique et des droits humains. Ces études devraient inclure des garanties quand à la possibilité d'annuler ou de modifier les accords d'investissement ou la conception des projets et elles doivent veiller à ce que les mesures d'atténuation, de compensation et de réparation appropriés soient entreprises et mises en œuvre de manière effective.