Rivières. de Seine-et-Marne. Christian de Bartillat



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Transcription:

Rivières de Seine-et-Marne Christian de Bartillat

Les rivières sont, peut-être, le principal fil conducteur de l Histoire, et si rois ou empereurs en décidèrent bien des fois, c est l Etat qui s en trouva finalement doté, du moins pour celles où l on pouvait naviguer. Après les incessantes disputes de meuniers et mariniers, de riverains entre eux, détournant l eau à leur profit, puis des pêcheurs avec des entreprises aux rejets dévastateurs, il fallut bien de grands projets pour décider des modes de naviguer, et de nombreuses règles pour dire le droit d usage, de pêche, de passage, et les obligations d entretien ou enfin de qualité des rejets. Préface Le droit de l eau fait partie des plus anciens et des plus complexes, et plusieurs Services de l Etat ont la charge de son explication, et de son application, qu il s agisse de navigation sur les plus grandes, ou de l instruction et de la surveil - lance de toute demande de travaux, de prélèvement ou de rejet sur quelque cours d eau que ce soit. Selon les lieux, et la nature de l usage requis ou constaté, peuvent ainsi intervenir le Service de la Navigation, la Direction Départementale de l Agriculture et de la Forêt prochainement réunie à celle de l Equipement mais aussi la Direction Régionale de l Industrie de la Recherche et de l Environnement, la Direction Régionale de l Environnement, elles aussi bientôt fusionnées, ou encore la Direction des Services Vétérinaires. Le droit de l eau comprenant un volet particulier consacré à la pêche, d autres acteurs ont aussi compétence pour veiller à son respect... C est en raison de cette multiplicité que, dans chaque département, une mission Inter Services de l Eau coordonne le tout. Mais l amélioration de la qualité des rivières, évoquée ici ou là dans le présent ouvrage, n est que la résultante de bien plus de forces conjuguées : celles des riverains, communes, entreprises industrielles, compagnies gestionnaires de l eau, syndicats de rivière, associations, Département, Région, et enfin de l Agence de l Eau, moteur indispensable, mutualisant et redistribuant ressources et compétences. Pour qui ne les connaît pas, les rivières de Seine-et-Marne révèlent ici leur diversité, illustrée d agréable façon par la photographie. Et si ce bel ouvrage ressemble fort à un hymne, il se révèle aussi, parfois, sans complaisance, moyen probable d y faire foi. Michel Guillot, Préfet de Seine-et-Marne L Aubetin à Saint-Augustin. III

Alors que la qualité de l eau des rivières, l équilibre de leurs écoulements, et leur rapport au paysage sont principalement affaire de riverains, de communes, ou de l Etat, le Conseil général veille depuis fort longtemps au destin des cours d eau de Seine-et-Marne. D abord engagé dans la lutte contre les pollutions, puis dans l aide à l assainissement et au bon fonctionnement des ouvrages d épuration, il fut parmi les premiers à contribuer à l entretien des rivières. De la protection contre les inondations à l étude des potentialités piscicoles, de la restauration des rivières et de leur patrimoine, aux équipements favorisant le tourisme fluvial, ou de la gestion des espaces naturels aux itinéraires de randonnée bordant les rivières, le Département agit quotidiennement, en maître d ouvrage, en conseiller, et par le biais de multiples subventions ; c est donc très légitimement, que l an dernier, il a inscrit l eau parmi les thèmes majeurs de son Agenda 21. Préface Autour du Département, plusieurs de ses proches partenaires apportent aussi leur concours pour un mieux-être des rivières : Services d Incendie et de Secours à la moindre alerte, Maison de l environnement en pédagogie constante auprès des jeunes seine-et-marnais, Initiatives 77 par l accompagnement de chantiers d insertion, enfin AQUI Brie en veille et formation là où les cours d eau gagnent la nappe souterraine. C est aujourd hui le Conseil d Architecture, d Urbanisme et de l Environnement qui, par la forme originale de l ouvrage signé avec les Presses du Village, enrichit à son tour ces multiples apports. Les rivières du plus vaste département d Ile-de-France s y racontent, mêlant passé et présent, facilitant leur compréhension, et les inscrivant aussi bien dans les paysages de Seine-et-Marne que dans le grand cycle de l eau : anecdotes et pédagogie y flirtent, avec amusement et un rien de poésie. Le Conseil général se réjouit de la publication de «Rivières de Seine-et-Marne», dont les deux auteurs nous font partager leurs savoirs, si différents, dans une passion commune. Vincent Eblé, Président du Conseil général de Seine-et-Marne Péniche sur la Seine. V

S il fallait identifier, parmi les forces primordiales, celle qui a le plus façonné les paysages, nul doute que ce serait l eau, formée en rivières innombrables. Après avoir contribué à la conception et à la réalisation de l atlas des paysages du département, c est vers elles que le Conseil d Architecture, d Urbanisme et de l Environnement de Seine-et-Marne porte son regard. Préface La rivière est lieu de convergence, par le réseau affluent tissé dans son bassin, et par ses franchissements, moments d échanges, de mélanges, de conflits, et de créativité. Les rivières ont creusé les plateaux et laissé leurs méandres : chaque rive, tour à tour, est maîtresse ou soumise, et pour peu qu entre elles émergent des îles, villages et villes y naissent et s y étendent. Les plus modestes rus ont fait parcs et châteaux ; d autres, recréés, deviennent trame urbaine. Et tandis que chaque année d éphémères ruisseaux s en reviennent, entre des terres qui se ressuient, les plus grandes rivières portent voiles et lourds bateaux. Par ces divers cours, l eau se révèle fondatrice de paysages, initiatrice d urbanisme, reflet d architecture, révélatrice d environnement. Dérivée, canalisée, retenue ou libérée, elle raconte l histoire du temps, celui d avant les hommes, puis des premiers humains et des siècles passés, jusqu à notre quotidienne empreinte, en défi pour demain. Chaque rivière est une unique histoire, toute en nuances pour celle-ci, en contrastes pour celle-là. L une s auréole de passé, l autre s enivre d avenir. Ici on sauvegarde, là on produit, ailleurs on construit ; ici ou là, là ou ailleurs, presque toujours, heureusement, se mélangent. Tout au long des cours d eau, et aidé par ceux qui les connaissent, les gèrent ou les protègent, le CAUE partage, ici, ses réflexions. De chaque rivière alors, vient une pensée qui n a de sens que mêlée à toutes les autres, comme le font, chaque jour, de multiples ruisseaux, donnant une rivière, puis une autre encore, jusqu à devenir fleuve, pour nous dire de les regarder plus, afin de mieux nous voir. Dominique Satiat, Président du Conseil d Architecture, d Urbanisme et de l Environnement de Seine-et-Marne Le Grand Morin à Pommeuse. VII

Christian de Bartillat Les Presses du Village Michel Billecocq Conseil d Architecture, d Urbanisme et de l Environnement de Seine-et-Marne Rivières de Seine-et-Marne

A Gabriel En ce mois de mars 2065, Igor venait d avoir 15 ans ; dans un coin du grand écran devant lequel son professeur d Histoire du Monde commentait les résultats du dernier contrôle, la sonde murale externe affichait déjà 29 degrés, alors qu il n était pas 11 heures. A l intérieur il faisait bon, 26 degrés, valeur au-dessous de laquelle on ne cherchait plus à descendre, car même si le dispositif de rafraîchissement fonctionnait à l énergie solaire, on évitait d accentuer les écarts entre températures du dehors et de l intérieur ; et cela depuis la grande crise, mondiale, de l énergie. C était son grand-père, Antonin, qui lui avait tout raconté, et Igor apprenait plus vite en l écoutant que lorsqu il était en classe. Pourtant, le I-Tout qu il portait au poignet, lui permettait de tout savoir, de tout écouter ou filmer, de joindre n importe qui à l autre bout du monde, d ouvrir la porte du logement familial ou de payer ses achats ; il pouvait aussi reconnaître sa voix pour la traduire en n importe quelle langue, et même, comble du bonheur, enregistrer les cours à sa place ce contre quoi luttaient toujours les professeurs, pour qui l effort individuel restait la clef de l apprentissage et de la compréhension future. Préambule Quand Antonin avait eu l âge qu Igor avait aujourd hui, il avait connu les crises successives de l économie mondiale engendrées par la raréfaction progressive du pétrole, la spéculation, et l envolée de ses coûts : elles avaient accru le fossé existant entre les différentes parties de la planète et les diverses couches des sociétés, fossé que ce siècle n avait, hélas, toujours pas réussi à combler. Au moins, le rapport entre transports collectifs et déplacements individuels s en était-il trouvé considérablement modifié. La recherche, la production et la construction avaient, quant à elles, rapidement progressé, à la fois dans le champ des énergies nouvelles, et dans leur gestion, de plus en plus économe. Etangs de pêche à Episy. Quand ils en parlaient, Antonin montrait à Igor en quoi toutes les mesures prises n avaient pas suffi, malheureusement, à enrayer les phénomènes de dérive climatique d une part, et d appauvrissement de la biodiversité de l autre. Progressivement, et parmi de nombreuses autres conséquences, il avait bien fallu se rendre à l évidence : le régime pluviométrique de l Ile de France, par exemple, n avait plus grand chose à voir avec celui des statistiques sur lesquelles s étaient appuyés ingénieurs, géomètres, et autres bureaux d études, pendant tout le XX e siècle et le début du suivant. Si l on avait longtemps réussi à dire que dans le passé il y avait déjà eu un phénomène de même ampleur que celui que l on venait de connaître, il était venu un jour où tous durent admettre que presque chaque année, désormais, il se produisait un événement à caractère exceptionnel, tantôt tempête, tantôt orage, inondation, ou encore sécheresse. En fait, c était l année moyenne qui avait disparu, comme la température de référence qui, comme on l avait craint, mais trop tard, ne cessait de progresser. La répartition mondiale de l eau douce, quant à elle, restait une préoccupation majeure, malgré le dessalement de l eau de mer ; malgré aussi les immenses 5

aqueducs, parfois intercontinentaux, que l on avait construits au milieu du XXI e siècle. Depuis cette même époque, une large part de la population humaine se redistribuait, non sans douleur, sur les terres émergées, à plus grande distance des océans dont le niveau montait inexorablement, de cyclones en tsunamis, tandis qu aux pôles les glaces finissaient de fondre. Dans ce monde régi par les plus hautes technologies, et où la science avait repoussé, jour après jour, les limites du savoir, l Eau était redevenue une sorte de déesse mère, toujours auréolée de mystères, malgré la simplicité de sa formule chimique deux atomes d hydrogène pour un d oxygène et des principes physiques auxquels elle avait toujours fidèlement répondu : passer par trois états, solide, liquide et gazeux, en l espace de 100 C. Ce jour-là, pour illustrer ses propos, Antonin avait choisi de parler des rivières : il y avait de moins en moins de régularité dans leurs périodes de crue et, inversement, de plus en plus d endroits où des inondations brutales se produisaient, y compris là où, de mémoire d homme, on n en avait jamais connues. D où le besoin de prendre du recul par rapport à leurs rives, et de réserver des espaces, pour absorber ces sautes d humeur ; la Seine dans la Bassée, l Yerres, le Grand Morin ou encore plusieurs de leurs petits affluents avaient nécessité la délimitation et l aménagement de ces prudentes réserves. On avait, malgré tout, gagné sur quelques plans : comme tous ceux de sa génération, Antonin avait suivi le retour des saumons, filmés alors qu ils franchissaient les habiles ouvrages leur permettant de rejoindre ces ruisseaux où ils retrouvaient les gestes initiaux de la vie. Mais, malgré tous les progrès en la matière, le souci de la qualité de l eau demeurait. Cela remontait à deux siècles plus tôt, quand Paris était venu chercher en Seine-et-Marne les sources qui l alimenteraient : l insidieuse pollution qui y avait été découverte, bien plus tard, s était poursuivie longtemps après que l on eut cessé d employer certains herbicides aussi bien en agricul ture, que sur les voies ferrées, au bord des routes, ou dans les jardins des particuliers. A tel point que le laboratoire départemental avait été intégralement reconverti à l unique et constante surveillance des rivières, des rejets qui s y produisaient, des nappes d eau souterraine, et de toutes les zones humides. Ainsi, à chaque fois que d obscurs chemins souterrains faisaient réapparaître l eau, en source vive ou en vasque lentement débordante, il avait été jugé indispensable d en repérer le lieu, et de l analyser à un rythme soutenu ; car il fallait savoir si les pratiques de gestion de l espace agricole ou forestier, industriel, privatif ou public n hypothéquaient pas, encore, les chances de sauvegarde et de progression du vivant que l eau, seule, pouvait continuer de générer. Tout en faisant défiler sur le panneau mural, ses photos, conservées, des rivières de Seine-et-Marne, Antonin montra à Igor que dans leur lit et sur leurs berges, on avait retrouvé de multiples traces et ouvrages témoignant du génie humain. Leurs cours eux-mêmes n étaient que le résultat d incessants travaux de correction, stabilisation, retenue ou dérivation, travaux dont certains avaient, 6

plus tard, été jugés malencontreux. A force d observer certains cours d eau, de plus en plus contraints et enserrés dans de maigres couloirs végétaux, on avait finalement décidé de les reconsidérer, dans leur globalité. Plus personne ne contestait que leur entretien, régulier et précis, soit devenu d intérêt général. Qu ils soient espaces de détente, corridors écologiques, cadre de vie recherché, ruisselets ayant créé des châteaux, émissaires drainant d interminables villes et des champs immenses, ou encore longs chenaux de transport, canaux, rivières, fleuves et ruisseaux avaient enfin été «reconnus». Cela avait commencé par le simple fait qu à chaque fois qu une route croisait l un d eux, on en voyait systématiquement le nom, même pour ces affluents qui restaient secs une grande partie de l année. Il en était avec les rivières comme pour les hommes entre eux : on les respectait d autant plus que l on avait appris à les connaître. Des rivières trop longtemps cachées avaient été rendues à l air libre ; des rus ignorés s étaient révélés le jour où des élus, soucieux de paysage, en avaient écarté toute forme de publicité et nombre d édifices utilitaires mais disgracieux. Au milieu des paysages de la Brie que certains avaient pu trouver monotones, on avait redécouvert les lignes arborées et les denses lisières soulignant à nouveau le parcours, permanent ou éphémère, de l eau. Et dans toutes les écoles, il n y eut plus de cours d Histoire du Monde qui ne commençât par le passionnant cycle de l eau, en partant à sa découverte dehors, car à lui seul il racontait toute l histoire de la Terre, de la Vie, et de l Homme. Préambule En ce moment où Igor n était déjà presque plus adolescent, le concept de développement durable faisait partie de ceux que l on n apprenait plus, car on le vivait au quotidien. On en était, de plus en plus, à se référer à un autre, venu d un mot oublié, que l on tentait de décliner à nouveau : l Harmonie. Alors qu ils en dissertaient, à propos de chacune des rivières de Seine-et-Marne, Antonin s arrêta. Il entreprit de conter à Igor ce qui n était plus qu une vieille anecdote datant de la fin du siècle précédent : un jour, quelqu un avait formulé la surprenante hypothèse de la mémoire de l eau. Comme tant d autres, à l époque de cette annonce, ils en rirent tous deux, pendant un long moment. Mais, lorsqu à nouveau Antonin reprit le cours, tour à tour calme ou bien rapide, des rivières, l esprit d Igor s échappa ; il se demandait si l eau qui s écoulait, en cet instant précis, dans les rivières d Ile-de-France, et d ailleurs, n en savait pas bien plus qu eux deux sur toute l Histoire du Monde Dans les yeux d Antonin, sans qu aucun se le dise, il crut voir la réponse. M. B. 7

La Marne et ses affluents 10 Ourcq 12 Les mésaventures de l Ourcq Le canal de l Ourcq en roue libre Dérivation et canalisation de l eau : aqueduc parisien sur ordre impérial Thérouanne 26 La Thérouanne en terre de mémoire La Thérouanne introuvable Droit de l eau et entretien des rivières : l eau n appartient à personne Beuvronne 36 Sous les ailes de Roissy : la Beuvronne Beuvronne et Biberonne à tous vents Pollution et dépollution de l eau : les pêcheurs n ont pas remplacé les castors Petit Morin 44 Trois Régions pour un Petit Morin Le Petit Morin, juvénile et frondeur Diversité écologique, des rivières aux vallées : au cœur de la biodiversité Grand Morin 54 Curieux ouvrages du Grand Morin Le Grand Morin des cités aquatiques Protection contre les inondations : vivre auprès de la rivière Aubetin 70 Les deux vies de l Aubetin L Aubetin, une rivière ancienne Agriculture, drainage et petites rivières : dessins de grandes cultures Gondoire 80 La Gondoire en parenthèse Devenir des eaux de pluie en ville : quand il pleut sur la ville Marne 88 La Marne en tournis incessants Entre le champagne et le petit vin blanc, la Marne et l eau sacrée Gestion des grands cours d eau : indispensables alliances L Yerres et ses affluents 110 Yerres 112 Les mystères de l Yerres L Yerres ou le clavecin de la Brie Rivières et nappes souterraines : eau du dessus et du dessous 8

La Seine et ses affluents 140 Sommaire Voulzie 142 L étrange destin de la Voulzie Le Durteint et la Voulzie se faufilent dans la ville basse de Provins Alimentation en eau potable : infernales molécules Auxence 154 Auxence d en haut, Vieille Seine d en bas La vallée de l Auxence ou le grand virage dans le Montois Enjeux d une vallée alluviale : secrets de Bassée, entre sable et peupliers Ancœur 164 L Ancoeur : le roi en fit toute une histoire L Almont et l Ancœur ou deux bijoux dans un seul lit Sites classés et paysages : paysages à jardiner Orvanne et Lunain 176 Orvanne et Lunain, famille du bocage Le bocage aquatique des deux rivières Pêche, poissons, pêcheurs : petit poisson deviendra grand Loing 192 Le Loing, en lien de Seine et Loire Le Loing dédoublé Protection des bords d eau : berges : l enjeu essentiel Ecole 208 Quand l Ecole descend de son perchoir L Ecole mouille son lit au large de la forêt de Fontainebleau Richesse d un Parc naturel régional : territoire recherche qualité Seine 218 Seine, fleuve magistral La Seine allongée et la Seine debout Navigation sur le fleuve : la voie de l eau, d hier à demain Carte des rivières de Seine-et-Marne 245 Références 247 Au début de chaque chapitre, le cours de la rivière est symbolisé avec les noms des communes qu elle traverse. Toutes les communes ne pouvant être citées, on a le plus souvent fait figurer celles qui sont évoquées, ensuite, dans le texte. 9

Les mésaventures de l Ourcq L Ourcq a dû être une grande rivière ; la force de sa vallée, dans le paysage, en témoigne. Bien avant qu il devienne canal des ducs, par le creusement de son propre cours, puis qu il s adjoigne le canal que nous lui connaissons aujourd hui, il a dû forcer le passage, coincé contre la roche, pour parvenir jusqu à la Marne. Entre ce qui deviendrait Lizy «sur Ourcq» et Mary «sur Marne», il a dû longtemps hésiter, comme la Marne elle-même, en cherchant son passage dans les graviers que celle-ci, sauvage et puissante, déplaçait : tantôt îlots, tantôt terre ferme, où plantes et arbres croissaient rapidement, s étouffaient, s écroulaient et les barraient, les contraignant à creuser de nouveaux cours à la prochaine saison de crues. De ces péripéties annuelles, il reste cette vaste étendue presque plane, de sables et de graviers, où Marne et Ourcq se réunissent, au pied de la corniche qui leur a résisté, laissant encore deux îles : de Mary, et de la Cornaille. Aujourd hui discipliné, l Ourcq serpente toujours, en contrebas de son canal. Ses marais, drainés de rigoles et fossés, sont Marais et peupleraie au bord de l Ourcq à Ocquerre.

L Ourcq au fil de l eau Paysage de la vallée du ru de Chaton. devenus peupleraies, mais lorsqu on les découvre, des hauteurs de la route, sinueuse, qui s élève de Crouy-sur-Ourcq à May-en-Multien, on devine aisément ce long travail de l eau, dissimulée, mais toujours présente, sous l exubérante végétation qu elle génère. L Ourcq vient du département de l Aisne, où il a pris naissance à plus de 50km de son entrée en Seine-et-Marne : 40 km de cours naturel, une dizaine pour la rivière canalisée à partir de l amont de La Ferté-Milon jusqu à Mareuilsur-Ourcq où le canal lui-même débute et 4 km ensuite pour atteindre son principal affluent de rive gauche : le Clignon, qui sert de limite aux deux départements. L Ourcq parcourt encore une vingtaine de km, avant de confluer avec la Marne. En rive droite, il ne recevra alors que la Gergogne à May-en-Multien, tandis qu en rive gauche, le rejoignent le ru de la Croix Hélène à Crouy, le ru de Chaton à Ocquerre et celui de Méranne à Lizy. De 4 mètres de large à la confluence du Clignon, il en fait à peine le double en arrivant en Marne, où il sépare les territoires de Lizy et de Mary. L importante forêt de Retz, dans la région de Villers-Cotterets, constituait autrefois l une des sources d approvisionnement en bois de Paris, comme le fut aussi, plus au sud la forêt de Crécy sur les rives du Grand Morin. Au milieu du 18 e siècle, afin d améliorer les transports par voie d eau, Louis de Régemortes fut chargé, sur ordre du Duc d Orléans, de l aménagement de la rivière Ourcq; d anciens ouvrages, dont certains avaient été réalisés avant même cette époque, se devinent encore parfois, de nos jours, sur le cours de la rivière. Depuis la création du canal de l Ourcq, la gestion de la rivière est devenue complexe, l existence et le mode de fonctionnement de celui-là ayant conduit à 15

prélever une grande partie du débit de la rivière et de ses affluents, pour l alimenter. La canal étant devenu propriété de la Ville de Paris, c est elle qui détient les «droits d eau» sur la rivière Ourcq, et qui en dérive les quantités nécessaires au maintien du fil d eau dans cet ouvrage. Dès lors, le niveau de la rivière varie, parfois brutalement, provoquant érosion puis envasement. En période d étiage, à la fin des étés secs, le débit de l Ourcq peut n être que de 600 litres par seconde, ce qui est bien peu au regard du bassin versant qu il draine avec ses affluents. En période de crue, lorsque, proportionnellement, la gestion du canal nécessite moins d eau que d habitude, l Ourcq peut manifester des débits de 30 à 60 m 3 /s à Lizy-sur-Ourcq, soit cent fois plus qu en étiage, y provoquant de conséquentes inondations. De son ancien caractère de rivière navigable, l Ourcq a gardé un statut particulier, la domanialité, expression de sa propriété par la collectivité et non plus les riverains traduite par une contrainte imposée à ceux-ci : la servitude de marchepied, permettant son entretien. Pour mieux assurer celui-ci, une structure originale de gestion s est créée en 1985 : le Syndicat intercommunal pour l aména- Pavillon d entrée du château de Gesvres-le-Duc. 16

L Ourcq au fil de l eau La rivière Ourcq à Lizy-sur-Ourcq. gement et la gestion de la rivière d Ourcq, constitué par la Ville de Paris, et 9 communes appartenant à 3 départements : l Aisne, l Oise, et la Seine-et- Marne. Dans le but de maîtriser les variations de débit de la rivière, le syndicat a automatisé la manœuvre de deux vannages, à Crouy et Lizy, et recruté un garderivière qui veille constamment au bon état du lit de l Ourcq et de ses berges. Au plan piscicole, cette rivière est dite «de seconde catégorie» (cf p. 52-53); la police de l eau (cf p. 34-35) y est assurée par la Direction départementale de l agriculture et de la forêt. Deux associations se partagent le droit de pêche sur le cours seine-et-marnais de l Ourcq : l Epinoche crouycienne et le Gardon rouge lizéen. La qualité des eaux de la rivière est assez satisfaisante, malgré un traitement parfois insuffisant des effluents domestiques ; elle est plutôt meilleure au niveau de la confluence avec la Marne qu à son entrée en Seine-et- Marne, l importance des zones de marais, une faible population, et la rareté des entreprises industrielles en étant probablement la cause. A l aval, les activités développées dans le secteur de Lizy et Mary, avec principalement l imprimerie Québécor (anciennement Didier) font l objet de traitements limitant leur impact sur le cours d eau. Néanmoins, si l on voulait redonner à l Ourcq une plus grande richesse piscicole, quelques travaux dans le lit de la rivière, et la garantie d un débit minimum, augmenteraient la productivité d une rivière attrayante, qui se dissimule dans un paysage de qualité, franchi fièrement par un récent viaduc permettant aux trains à grande vitesse de rapprocher l est de la France et la région capitale. M. B. 17

Le Canal de l Ourcq en roue libre Le canal de 108 km qui se termine après le bassin de La Villette dans les prolongements souterrains de Saint-Martin et Saint-Denis est une œuvre d art aquatique qui complète et transfigure le réseau naturel. Il s agit d un jardin glissant côtoyé par ses chemins de halage et d une rangée d arbres assurant le gardiennage de l ombre. Sa pente qui est constante paraît si limpide qu on penserait à une eau immobile avec des mouvements légers jusqu au moment où le réseau se plisse au gré du vent. Le canal peut être séparé en fragments autonomes. Le fleuve canalisé va de Port-aux-Perches jusqu à Mary-sur-Marne où l Ourcq plus ou moins délivré se jette dans la Marne sous le regard du canal qui les surplombe de haut. Le canal suit à peu près fidèlement les méandres de la Marne jusqu à Fresnes. Désormais divorcé, il s élance d un seul jet avant de réaliser son entrée triomphale dans le bassin de la Villette couronné par la Rotonde de Ledoux sur laquelle il bute pour traverser la rivière souterraine qui s en va en direction de la Seine. Ce canal notamment sa partie supérieure a une très longue histoire d au L Ourcq temps au fil du Usine élévatoire de Villersles-Rigault. 19

moins quatre siècles. Elle débute avec François I er et se poursuit avec la famille d Orléans propriétaire de la forêt de Retz qui avait intérêt à faire descendre ses bois coupés vers Paris. Au XVI e siècle, il s agit de faire naviguer les bateaux sur l Ourcq. Un travail vite interrompu débute en 1529 puis Catherine de Médicis relance le projet et en 1562, le premier navire arrive dans Paris en liesse. Le canal des Ducs, autonome, est engagé par Riquet pour Louis XIV à l est de Meaux et par Louis de Régemortes au XVIII e. Puis tout s arrête jusqu à Bonaparte qui fait réaliser le bassin d arrivée et, dès 1822, souvent grâce à la main d œuvre prussienne, le premier navire venant de La Ferté-Milon arrive au bassin chargé de la circulation commerciale et de l alimentation en eau de la capitale. Bien sûr, une guerre larvée demeurera entre les transporteurs qui veulent faire marcher l eau et les meuniers qui veulent la retenir. Après la cinquantaine de kilomètres de la rivière depuis sa source à Courmont, on atteint le réseau canalisé à Port-aux-Perches jusqu à Mareuil. Puis c est la traversée émerveillée de La Ferté-Milon où apparaît comme un fantôme la forteresse branlante du XIV e siècle dominant l église à mi-pente et la maison d enfance de Racine ainsi que celle de la belle-famille de La Fontaine. En aval, des frondaisons étendues cachent une écluse, l église et le château du grand Veneur. Plus loin, un bassin circulaire devient déversoir de la rivière à Mareuil. Désormais, pendant que l Ourcq divague dans les forêts et les marécages, nous nous trouvons dans le canal impérial où à Neufchelles le pont suspendu qui porte le Clignon trace la frontière du département. Car le canal vorace a tôt fait d avaler une partie de ses affluents mercenaires. A Crouy-sur-Ourcq se trouve le donjon de cinq étages. Il faut monter jusqu à May pour regarder la grande vallée marécageuse où flirtent le canal et l Ourcq. En plein centre des Marais, Pompes de l usine élévatoire de Trilbardou. 20

Affiche des bâteaux-poste. L Ourcq temps au fil du au croisement de deux avenues, un superbe pavillon solitaire se reflétait dans les douves alimentées par l Ourcq jusqu en 1732. C est à ce moment que le duc de Gesvres fit appel à l hydraulicien Drancy qui eut l idée de capter la Gergogne et de la faire passer par-dessus le canal pour emplir les fossés Ce château de la Belle aux bois dormant qui possédait une superbe galerie de peintures demeura la maison de plaisance de cette famille. Ne fut-elle pas par son argent et ses extravagances une des principales à la Cour pendant trois siècles? Puis le canal aborde Lizy-sur-Ourcq après Ocquerre où se trouve en aval du pont l emplacement de l entreprise Bourgeois spécialisée jadis dans la fabrication des flûtes de l Ourcq. Le bateau poste à voyageurs, particulièrement filiforme (22 m 70 de longueur et 2 m de large), a circulé de Paris à Meaux de 1837 à 1860, tiré par des chevaux rapides, arborant au mat une flamme rouge, et annoncé par un cor de chasse. Ce salon flottant, pendant son passage, évinçait Écluse de Vignely. 21

Usine élévatoire de Trilbardou. tout autre navigation. Il fallait toujours un homme pour la conduite du cheval et un autre au gouvernail. En plus des voyageurs, il y avait toujours au XIX e siècle le flottage du bois, et le transport de la pierre et du plâtre. A partir du XX e siècle le canal travailleur fut remplacé par le chemin de fer. L instrument de transport outre le bateau de plaisance devint celui de la promenade à vélo pour aller plus vite que l eau, à pied pour se trouver en retrait, ou la pêche et la demi-somnolence qui nous mène à la rêverie au bord de la poésie qui coule. Lizy fut au XVI e siècle une cité protestante. Les familles du Broullat et d Angenne firent établir le prêche dans le château du XVI e dont le beau parc est étalé sur une île où les bras de l Ourcq se multiplient avant d atteindre la confluence à Mary qui autrefois construisait des bateaux. La comtesse d Harville héritière de la Trousse y fit construire une belle demeure de style colonial. Elle fut enterrée en 1821, au cimetière de Mary où se trouvent désormais d innombrables mausolées des gens du voyage. Tout à côté, Mary est le site confluent où la Marne absorbe l Ourcq. A Villersles-Rigault se trouve une usine élévatrice qui aspire l eau de la Marne pour la porter 12 mètres plus haut. Dans ce lieu, construit par Louis Dominique Girard, on n a jamais pu réaliser un élévateur qui permettrait aux navires de passer de l Ourcq à la Marne et viceversa ce qui éviterait cent kilomètres de détour. A Congis le canal pompe une partie de la Thérouanne et s étend sur de vastes espaces d eau. Puis le canal suit les circonvolutions de la Marne à Varreddes ressemblant à un jardin flottant. A Beauval se trouvait un transbordeur et un parc d aérostation de dirigeables. Détente et pêche au bord du canal à Trilbardou. 22

À Congis-sur-Thérouanne, l arrivée de la Thérouanne dans le canal de l Ourcq. A Crégy et à Meaux, le canal est enfoui dans la verdure. Vignely est dans l angle de la Marne et du canal : on y voit une écluse avec un moulin et une ancienne écurie pour les chevaux des bateaux de poste. Quant à Trilbardou, c est un site essentiel du canal avant que celui-ci ne se dissocie de la Marne à partir de Fresnes. C est là que se trouve aux pieds d un château néo-renaissance la station de pompage de l ingénieur Sagebien à laquelle est associé un récent musée du canal de l Ourcq. A Charmentray, les jardins descendent jusqu à la berge. Précy occupe une presqu île. A Fresnes, non loin de la belle église, s élevait le château de Guénégaud dont la chapelle, qui était une sœur du Val de Grâce, a été rasée en 1820. La ville de Claye se plait au bord de son canal étendu bordé de jardins d agréments. A Gressy, la Beuvronne sort de la propriété du savant Macquer à la grande pièce d eau et la rivière va donner une partie de son flot au canal, l autre s en allant en direction de Claye. L Ourcq temps au fil du Enfin à Villeparisis où l on va quitter la Seine-et-Marne, on garde le souvenir de Balzac et de Laure de Berny dont la maison a été détruite. Continuant à descendre en droite ligne il faut visiter le parc forestier de la Poudrerie, centre d arboriculture, mystère des ateliers disparus et la tranchée de Sevran, oasis linéaire d où l on ne devine absolument pas l environnement urbain contigu. Le canal de l Ourcq est sans aucun doute une des merveilles de Seine-et- Marne et un véritable centre de loisirs. Cette œuvre qui se situe du côté de l art et de la méditation a été évacuée de son trafic au profit des chemins de fer et camionnages. Qu on lui laisse la paix et qu on préserve sa beauté naturelle. Tout doit être réalisé pour en multiplier la paisible attraction. C. de B. 23

Aqueduc parisien sur ordre impérial Ci-contre, Meaux, écluse St Lazare. Avez-vous déjà vu l eau d un canal couler? aux écluses, certainement, mais ailleurs? et bien, si vous croisez, ou longez le canal de l Ourcq, vous le verrez couler, comme une rivière, et parfois même plus vite que nombre d entre elles, comme à Vernelle, ou Marnoue-la-Poterie. Et juste à côté, au fond du vallon, l Ourcq, la rivière, coule elle aussi, mais affaiblie de l eau qu elle a laissée à son canal. Celui-ci est un dévoreur de cours d eau ; tout ce qui lui vient d une rive plus haute que lui semble n avoir qu un seul but : satisfaire cette boulimique fausse rivière qui s alimente sans cesse pour avoir assez d eau lors de son arrivée dans Paris : le Clignon, la Thérouanne, la Beuvronne, et d autres en font les frais, qui achèvent ensuite, modestement, leur parcours, vers l Ourcq ou bien la Marne. Le canal, lui, laisse la rivière se fondre dans la Marne, feint de l ignorer, et continue sans elle ; après les méandres de l Ourcq, fidèlement copiés, il s approche de ceux de la Marne, et les fait siens à leur tour : s accrochant au coteau de Varreddes, enserrant Meaux, il ne manque aucun virage. C est en 1825 qu il fut mis en service ; on le qualifia d impérial, car Napoléon lui avait fixé pour objectif d alimenter Paris en eau potable, en plus d assurer le transport du bois et du blé vers la capitale. A l époque, l eau courante étant réputée potable, contrairement aux eaux dormantes, il fallait une pente à ce canal, qui fut créé à partir de Mareuil-sur-Ourcq, par creusement d une dérivation de la rivière anciennement aménagée, ou «canal des ducs», dont il empruntait, et emprunte toujours, l essentiel de l eau. Dans le département voisin, c est la Ginette, affluent de rive droite, qui cède ses eaux au nouveau canal ; puis, en rive gauche, le Clignon, qui tout en séparant les départements de l Aisne de la Seine-et-Marne, est à son tour en grande partie dévié dans un petit ouvrage qui enjambe la rivière Ourcq, pour se déverser dans le nouveau canal C est plus des trois quarts du débit reçu par l Ourcq et ses affluents, entre Mareuil et sa con fluence en Marne, que le nouveau, l Impérial, est en droit d absorber, pour effectuer un périple d une centaine de kilomètres, dont plus de 70 rien qu en Seine-et-Marne. Deux passionnantes usines élévatoires, situées à Villers les Rigault sur la commune de Congis-sur-Thérouanne, et à Trilbardou, furent même créées pour lui apporter, en période de sécheresse, de l eau de la Marne. Page de droite, Congis, le pont levant, et une surverse du canal vers la Marne. 24