Cour de cassation de Belgique



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Transcription:

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N C.13.0436.F ING NON-LIFE BELGIUM, société anonyme dont le siège social est établi à Etterbeek, cours Saint-Michel, 70, demanderesse en cassation, représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de Loxum, 25, où il est fait élection de domicile, contre AG INSURANCE, société anonyme dont le siège social est établi à Bruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53, défenderesse en cassation,

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/2 représentée par Maître Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile, en présence de 1. N. D. et 2. R. V., parties appelées en déclaration d arrêt commun. I. La procédure devant la Cour Le pourvoi en cassation est dirigé contre l arrêt rendu le 12 mars 2013 par la cour d appel de Liège. Le 7 août 2014, l avocat général Thierry Werquin a déposé des conclusions au greffe. Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l avocat général Thierry Werquin a été entendu en ses conclusions. II. Le moyen de cassation La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants : Dispositions légales violées - articles 1239 et 1242 du Code civil ; - article 1138, 2, du Code judiciaire ; - articles 41 et 58 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d assurance terrestre ;

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/3 - article 20, 1, de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, modifié par la loi du 7 mars 1929 ; - principe général du droit dit principe dispositif. Décisions et motifs critiqués L arrêt condamne la demanderesse à payer à la défenderesse la somme de 45.773,61 euros hors la taxe sur la valeur ajoutée, majorée d intérêts moratoires, sur la base des motifs suivants : «Discussion 1. Il ressort des pièces soumises à l appréciation de la cour [d appel] qu une mission d expertise fut confiée à F. L., commandant des pompiers de Tournai et donc tiers indépendant aux divers intérêts en présence. Cet expert avait pour mission de réaliser un examen des causes du sinistre ; sa désignation fait suite à une réunion du 25 mai 2007 à laquelle ont participé madame V., propriétaire, monsieur F. P., du bureau des experts B., expert privé de madame V., le fils de monsieur V., locataire du bâtiment, monsieur J.- C. D. P. et madame B., experts privés des locataires, monsieur P., inspecteur de la [demanderesse], couvrant les locataires dans le cadre du contrat contenu. 2. Après réunion de toutes les parties, notamment le 14 août 2007, l expert L. a, le 3 septembre 2007, déposé un rapport où il conclut à une responsabilité des locataires dans le sinistre, mentionnant comme cause de l incendie une machine à café de type industriel. 3. Une réunion d expertise se tiendra encore le 3 septembre 2007 en présence des locataires, de leurs experts privés et de F. P., du bureau d expertise B., et ce, afin d arrêter contradictoirement le dommage au montant de 36.170 euros pour le bâtiment, 4.100 euros pour les déblais et démolitions, 2.975 euros de forfait pour le chômage immobilier et 142 euros de frais de préservation.

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/4 4. [La défenderesse] demande en vertu des articles 1731 et suivants du Code civil la condamnation des locataires à lui rembourser ses débours et ce, en leur qualité de responsables du sinistre survenu. 5. En vertu de l article 1733 du Code civil, le preneur répond de l incendie, à moins qu il prouve que celui-ci s est déclaré sans sa faute. Ainsi, le preneur supporte la charge de la preuve que l incendie s est déclaré sans sa faute. Il faut constater qu en l espèce, les locataires restent en défaut de renverser la présomption légale de responsabilité mise à leur charge. En effet, les locataires tentent, par la production du constat de l expert s.p.r.l. JCD, qu ils ont unilatéralement consulté, du 16 mai 2007, de conclure que le sinistre proviendrait de l état de l installation électrique de l immeuble et demandent l écartement du rapport de l expert L., lequel conclut que l origine de l incendie se trouve dans une défectuosité d un appareil électrique appartenant aux locataires (machine à café). Il faut cependant constater que le rapport vanté par les locataires est un rapport unilatéral, non soumis à l expert L. et non produit devant le premier juge. Les locataires contestent le caractère contradictoire de l expertise dressée par l expert L. La cour [d appel] ne peut suivre cette argumentation dès lors qu il ressort de la pièce 11 du dossier de [la défenderesse] que l expert a bien été désigné de commun accord par toutes les parties comme expert indépendant pour désigner la ou les causes du sinistre. Il faut encore constater que les experts privés des locataires ont assisté aux opérations d expertise de F. L. et bénéficiaient donc, à tout le moins, d un mandat apparent pour ce faire (les locataires contestent vainement que leurs experts n avaient de mandat qu au niveau de l évaluation du dommage et non des causes du sinistre). La cour [d appel] constate donc que le courrier rédigé et adressé à l expert L. le 2 juillet 2007 et en copie aux experts des locataires, et non contesté par ces derniers ou leurs conseils techniques, est un fait précis et univoque permettant de conclure que les locataires ont marqué leur accord pour l accomplissement d une expertise par F. L. quant aux causes du sinistre.

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/5 Ainsi, une expertise judiciaire s avère sans pertinence dès lors que les parties ont déjà procédé à une expertise amiable contradictoire, laquelle est parfaitement motivée quant aux causes de l incendie. Les locataires contestent encore les montants réclamés mais s abstiennent d émettre la moindre critique à l égard de l évaluation à laquelle il fut procédé contradictoirement. C est tout aussi sans fondement que les locataires contestent les intérêts moratoires réclamés. Tout au plus faut-il préciser qu à l égard de l assureur subrogé, sa créance en intérêts moratoires ne peut être due qu à partir des différentes dates des versements et non à dater de l incendie. 6. L article 58 de la loi sur les assurances terrestres dispose que, dans la mesure où l indemnité due à la suite de la perte ou de la détérioration d un bien n est pas entièrement appliquée à la réparation ou au remplacement de ce bien, elle est affectée au paiement des créances privilégiées ou hypothécaires, selon le rang de chacune d elles. Néanmoins, le paiement de l indemnité fait à l assuré libère l assureur si les créanciers dont les privilèges ne font pas l objet d une publicité n ont pas au préalable formé opposition. Le 5 juin 2007, [la défenderesse] a, par voie recommandée, signifié à [la demanderesse] son opposition en ses mains. [La défenderesse] a, le 18 septembre 2007, versé à son assurée, propriétaire du bâtiment, la somme de 45.773,61 euros. À ce titre, [la défenderesse] est donc subrogée à son assurée jusqu à due concurrence et peut, à son profit, invoquer les droits du bailleur. Cependant, [la demanderesse] a ignoré l opposition formée en ses mains et a indemnisé ses assurés, les locataires, le 10 septembre 2007 et le 17 octobre 2007. Faisant état de l adage qui paie mal, paie deux fois, en d autres termes [de] l article 1239 du Code civil, [la défenderesse] réclame à [la demanderesse] ses débours.

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/6 [La demanderesse] s oppose à cette demande en soutenant que [la défenderesse] aurait dû former opposition par voie judiciaire dès lors qu elle a effectué le paiement contesté en vertu d une décision judiciaire l y condamnant. Cette allégation ne peut être retenue. Il est en effet admis que les créanciers privilégiés (tel le bailleur ou son assureur qui lui est subrogé) ne doivent pas recourir à la saisie-arrêt organisée par les articles 1445 et suivants du Code judiciaire. [La demanderesse] soutient également en vain qu il n est pas établi que l indemnité versée aux locataires n aurait pas été appliquée à la réparation ou au remplacement du bien. On note que les locataires n ont jamais prétendu avoir réinvesti l indemnité en tout ou en partie dans le bâtiment et qu au surplus, interrogés spécifiquement quant à ce par la cour [d appel], les locataires ont admis n avoir pas réinvesti la moindre somme perçue au titre d indemnité dans le bâtiment sinistré. [La demanderesse] soutient aussi qu on ne peut lui reprocher d avoir mal payé dès lors que ce paiement lui fut ordonné par jugement du 12 novembre 2009. Il faut cependant constater, à la lecture des conclusions rédigées par [la demanderesse] dans la cause aboutissant à sa condamnation au paiement des indemnités à ses assurés, que cette dernière s est gardée d expliciter de manière claire et exhaustive la situation qui était la sienne quant à l opposition formée par [la défenderesse]. C est à tort que [la demanderesse] soutient que [la défenderesse] ne pourrait se prévaloir d un privilège en application de l article 20 de la loi hypothécaire, limitant ce privilège à la valeur des meubles qui garnissent le bien pour le recouvrement des loyers de deux années échues. Ce faisant, [la demanderesse] oublie que l article 20 précise également que le même privilège a lieu pour les réparations locatives et pour tout ce qui concerne l exécution du bail.

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/7 C est tout aussi à tort que [la demanderesse] expose que l opposition n est pas régulière dès lors qu elle a été réalisée à une époque où [la défenderesse] n avait pas encore indemnisé son assurée. Il faut en effet constater que ce qui importe c est que, lorsque [la demanderesse] a indemnisé ses assurés en dépit de l opposition, à ce moment, [la défenderesse] avait indemnisé son assurée et était subrogée dans ses droits. C est donc à bon droit que cette dernière se prétend créancière de [la demanderesse] par l effet combiné de l article 58 de la loi sur les assurances terrestres et des articles 1239 et 1242 du Code Civil (adage : qui paie mal, paie deux fois ). S agissant du montant réclamé, il faut réitérer qu un constat contradictoire a été dressé quant au montant du dommage. Les demandes de [la défenderesse] seront donc accueillies sous réserve de la solidarité demandée, laquelle ne peut être retenue dès lors qu elle n est prévue ni conventionnellement ni légalement». Griefs Première branche 1. L article 58 de la loi sur le contrat d assurance terrestre dispose : «Dans la mesure où l'indemnité due à la suite de la perte ou de la détérioration d'un bien n'est pas entièrement appliquée à la réparation ou au remplacement de ce bien, elle est affectée au paiement des créances privilégiées ou hypothécaires, selon le rang de chacune d'elles. Néanmoins, le paiement de l'indemnité fait à l'assuré libère l'assureur si les créanciers dont le privilège ne fait pas l'objet d'une publicité n'ont pas au préalable formé opposition». Le procédé mis en place par cette disposition légale consiste en une subrogation réelle. La destruction d un bien qui est grevé d un privilège ou

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/8 d une hypothèque pourrait entraîner la perte du droit de préférence, dont l assiette a disparu. Le droit de préférence se reporte ainsi sur l indemnité d assurance. Il ressort, par ailleurs, de l article 20, 1, de la loi hypothécaire que le privilège du bailleur porte sur «le prix de tout ce qui garnit la maison louée», autrement dit sur le prix du contenu de l immeuble loué. Enfin, en vertu de l article 1239 du Code civil, il appartient au solvens de déterminer l accipiens qui a qualité pour recevoir le paiement, sous peine de devoir payer une seconde fois s il s est trompé à cet égard ( Qui paie mal, paie deux fois ). Selon l article 1242 du Code civil, le payement fait par le débiteur à son créancier, au préjudice d une saisie ou d une opposition, n est pas valable à l égard des créanciers saisissants ou opposants : ceux-ci peuvent, selon leur droit, le contraindre à payer de nouveau, sauf, en ce cas seulement, son recours contre le créancier. 2. La demanderesse a, dans ses conclusions additionnelles d appel, contesté l application de l article 58 de la loi sur le contrat d assurance terrestre compte tenu de l absence de preuve de la non-application de l indemnité d assurance à la réparation ou au remplacement du bien perdu ou détérioré : «Ainsi, il convient d établir la condition absolue d application de la disposition visée, étant le fait que l indemnité due à la suite de la perte ou de la détérioration du bien n a pas entièrement été appliquée à la réparation ou au remplacement de ce bien ; La [demanderesse] relève dans ce contexte que la mention par la [défenderesse] de l absence de reconstruction de l immeuble qu elle assurait au moyen des indemnités versées par la [demanderesse] à ses assurés procède d une analyse erronée des rapports existant entre les parties [ ] C est [le contenu du bien immobilier] et lui seul qui constitue le bien assuré dont la réparation ou le remplacement est visé par la disposition évoquée, la couverture souscrite auprès de la [demanderesse] ne concernant pas l immeuble en tant que tel».

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/9 3. L arrêt considère cette condition légale comme remplie en se fondant sur l absence de réinvestissement de l indemnité perçue par les locataires, parties appelées en déclaration d arrêt commun, dans le bâtiment sinistré : «[La demanderesse] soutient également en vain qu il n est pas établi que l indemnité versée aux locataires n aurait pas été appliquée à la réparation ou au remplacement du bien. On note que les locataires n ont jamais prétendu avoir réinvesti l indemnité en tout ou en partie dans le bâtiment et qu au surplus, interrogés spécifiquement quant à ce par la cour [d appel], les locataires ont admis n avoir pas réinvesti la moindre somme perçue au titre d indemnité dans le bâtiment sinistré». 4. Il ressort ainsi de l arrêt que la cour d appel a admis la subrogation réelle, soit le transfert du privilège du bailleur, qui existait sur le bien détruit, sur l indemnité d assurance. Elle a, pour ce faire, pris en considération la non-application de l indemnité d assurance à la réparation du bâtiment. Or, le bien visé par le législateur dont il y a lieu de vérifier si l indemnité a servi à sa réparation ou reconstruction doit être entendu au sens de ce qui constitue l assiette du créancier privilégié, soit en l espèce, puisqu il est question de l assiette du bailleur, tout ce qui garnit l immeuble loué, et non au sens de l immeuble lui-même. En admettant que le privilège du bailleur puisse se reporter sur l indemnité d assurance due par la demanderesse envers ses assurés, pour ensuite décider que la défenderesse, subrogée aux droits de son assurée (bailleur), a régulièrement exercé l opposition entre les mains de la demanderesse et que, cette dernière ayant indemnisé ses assurés «en dépit de l opposition», c est «à bon droit» que la défenderesse se prétend créancière de la demanderesse, sans vérifier si l indemnité d assurance a été appliquée à la réparation ou au remplacement de ce qui garnissait l immeuble loué (soit le contenu de l immeuble), l arrêt viole l article 58 de la loi sur le contrat

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/10 d assurance terrestre, l article 20, 1, de la loi hypothécaire, modifié par la loi du 7 mars 1929, ainsi que les articles 1239 et 1242 du Code civil. Deuxième branche 1. En vertu de l article 41, alinéa 1 er, de la loi sur le contrat d assurance terrestre, l'assureur qui a payé l'indemnité est subrogé, jusqu à concurrence du montant de celle-ci, dans les droits et actions de l'assuré ou du bénéficiaire contre les tiers responsables du dommage. La subrogation suppose que l assureur ait effectué le paiement d une indemnité et elle ne peut avoir effet qu au moment du paiement effectif. à lui : L article 58 de la loi sur le contrat d assurance terrestre dispose, quant «Dans la mesure où l'indemnité due à la suite de la perte ou de la détérioration d'un bien n'est pas entièrement appliquée à la réparation ou au remplacement de ce bien, elle est affectée au paiement des créances privilégiées ou hypothécaires, selon le rang de chacune d'elles. Néanmoins, le paiement de l'indemnité fait à l'assuré libère l'assureur si les créanciers dont le privilège ne fait pas l'objet d'une publicité n'ont pas au préalable formé opposition». Le procédé mis en place par cette disposition légale consiste en une subrogation réelle. La destruction d un bien qui est grevé d un privilège ou d une hypothèque pourrait entraîner la perte du droit de préférence, dont l assiette a disparu. Le droit de préférence se reporte ainsi sur l indemnité d assurance. Enfin, en vertu de l article 1239 du Code civil, il appartient au solvens de déterminer l accipiens qui a qualité pour recevoir le paiement, sous peine de devoir payer une seconde fois s il s est trompé à cet égard («Qui paie mal, paie deux fois»). Selon l article 1242 du Code civil, le payement fait par le

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/11 débiteur à son créancier, au préjudice d une saisie ou d une opposition, n est pas valable à l égard des créanciers saisissants ou opposants : ceux-ci peuvent, selon leur droit, le contraindre à payer de nouveau, sauf, en ce cas seulement, son recours contre le créancier. 2. En vue de contester la régularité de l opposition de la défenderesse formée entre les mains de la demanderesse, [celle-ci] a soutenu que la défenderesse n avait pas encore effectué de paiement au moment de ladite opposition, de sorte qu elle n était pas encore à ce moment subrogée dans les droits du bailleur : «En l espèce, il ressort des éléments produits aux débats par la [défenderesse] elle-même que le paiement de son assuré n est intervenu qu en date du 18 septembre 2007 ; [ ] [la défenderesse] ne disposait d aucun droit subrogatoire [à la date du 5 juin 2007] qui lui aurait permis de former valablement opposition entre les mains [de la demanderesse]». 3. L arrêt rejette ce moyen de défense en ces termes : «Le 5 juin 2007, [la défenderesse] a, par voie recommandée, signifié à [la demanderesse] son opposition en ses mains. [La défenderesse] a, le 18 septembre 2007, versé à son assurée, propriétaire du bâtiment, la somme de 45.773,61 euros. À ce titre, [la défenderesse] est donc subrogée à son assurée jusqu à due concurrence et peut, à son profit, invoquer les droits du bailleur. Cependant, [la demanderesse] a ignoré l opposition formée en ses mains et a indemnisé ses assurés, les locataires, le 10 septembre 2007 et le 17 octobre 2007 [ ] C est tout aussi à tort que [la demanderesse] expose que l opposition n est pas régulière dès lors qu elle a été réalisée à une époque où [la défenderesse] n avait pas encore indemnisé son assurée. Il faut en effet constater que ce qui importe c est que, lorsque [la demanderesse] a indemnisé ses assurés en dépit de l opposition, à ce moment, [la défenderesse] avait indemnisé son assurée et était subrogée dans ses droits».

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/12 Ce faisant, l arrêt accorde implicitement mais certainement un effet rétroactif à la subrogation puisqu il lui fait produire des effets quant à l examen de la régularité de l opposition de la défenderesse signifiée le 5 juin 2007 entre les mains de la demanderesse et, partant, à une date antérieure à sa naissance, acquise seulement le 18 septembre 2007, au moment du paiement de la défenderesse à son assurée. Ayant constaté que la défenderesse avait signifié son opposition entre les mains de la demanderesse le «5 juin 2007» et que le paiement de la défenderesse à son assurée n a eu lieu que le «18 septembre 2007», soit postérieurement à l opposition précitée, l arrêt n a pu légalement décider que ladite opposition était régulière ni, partant, que la défenderesse se prétend «à bon droit» créancière de la demanderesse. L arrêt, ce faisant, viole les articles 41 et 58 de la loi sur le contrat d assurance terrestre ainsi que les articles 1239 et 1242 du Code civil. Troisième branche Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que la défenderesse a demandé la condamnation notamment de la demanderesse à payer un montant de 45.773,61 euros, soit 43.387 euros représentant le montant hors la taxe sur la valeur ajoutée et 2.386,61 euros correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée sur ledit montant, outre des intérêts. L arrêt condamne notamment la demanderesse à payer à la défenderesse la somme de «45.773,61 euros hors la taxe sur la valeur ajoutée», outre des intérêts. Ce faisant, l arrêt adjuge plus qu il n a été demandé. L arrêt viole, partant, l article 1138, 2, du Code judiciaire et le principe dispositif. Pour autant que la Cour considère qu il s agit d une erreur matérielle, il y a lieu en ce cas à rectification.

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/13 III. La décision de la Cour Quant à la deuxième branche : Aux termes de l article 58, alinéa 1 er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d assurance terrestre, dans la mesure où l indemnité due à la suite de la perte ou de la détérioration d un bien n est pas entièrement appliquée à la réparation ou au remplacement de ce bien, elle est affectée au paiement des créances privilégiées ou hypothécaires, selon le rang de chacune d elles. L article 58, alinéa 2, de cette loi dispose que, néanmoins, le paiement de l indemnité fait à l assuré libère l assureur si les créanciers dont le privilège ne fait pas l objet d une publicité n ont pas au préalable formé opposition. En vertu de l article 41, alinéa 1 er, de la même loi, l'assureur qui a payé l'indemnité est subrogé, jusqu à concurrence du montant de celle-ci, dans les droits et actions de l'assuré ou du bénéficiaire contre les tiers responsables du dommage. Il suit de ces dispositions que, si le paiement de l indemnité d assurance au créancier privilégié par l assureur de celui-ci opère la subrogation de l assureur dans les droits et actions de ce créancier, avant ledit paiement, seul le créancier privilégié peut valablement former opposition au paiement d une indemnité d assurance due au preneur par son propre assureur. L arrêt constate que «[la défenderesse] [ ] est l assureur incendie d un immeuble [ ] donné en location par son assurée», que «[la demanderesse] [ ] assure en incendie et périls connexes le contenu dudit immeuble», appartenant aux locataires, qu «un [ ] incendie est intervenu le 19 avril 2007», que la défenderesse demande «la condamnation [ ] de [la demanderesse] à lui payer le somme de 43.387 euros hors la taxe sur la valeur ajoutée» et que «l expert [ ] conclut à une responsabilité des locataires dans le sinistre».

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/14 L arrêt relève que, «le 5 juin 2007, [la défenderesse] a, par voie recommandée, signifié à [la demanderesse] son opposition en ses mains», que «[la défenderesse] a, le 18 septembre 2007, versé à son assurée, propriétaire du bâtiment, la somme de 45.773,61 euros», et considère que «[la défenderesse] est donc subrogée à son assurée jusqu à due concurrence et peut, à son profit, invoquer les droits du bailleur». Il constate que «[la demanderesse] a ignoré l opposition formée en ses mains et a indemnisé ses assurés, les locataires, le 10 septembre 2007 et le 17 octobre 2007». L arrêt considère que «c est [ ] à tort que [la demanderesse] expose que l opposition n est pas régulière dès lors qu elle a été réalisée à une époque où [la défenderesse] n avait pas encore indemnisé son assurée», au motif que «ce qui importe c est que, lorsque [la demanderesse] a indemnisé ses assurés en dépit de l opposition, à ce moment, [la défenderesse] avait indemnisé son assurée et était subrogée dans ses droits». L arrêt, qui déduit de ces énonciations que «c est à bon droit que [la défenderesse] se prétend créancière de [la demanderesse]», viole les dispositions visées au moyen, en cette branche. Le moyen, en cette branche, est fondé. Il n y a pas lieu d examiner les autres branches du moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue. Et la demanderesse a intérêt à ce que le présent arrêt soit déclaré commun aux parties appelées à la cause devant la Cour à cette fin. Par ces motifs, La Cour Casse l arrêt attaqué, sauf en tant qu il reçoit l appel ; Déclare le présent arrêt commun à N. D. et R. V. ;

2 OCTOBRE 2014 C.13.0436.F/15 Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l arrêt partiellement cassé ; fond ; Réserve les dépens pour qu il soit statué sur ceux-ci par le juge du Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d appel de Mons. Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Martine Regout, Michel Lemal et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du deux octobre deux mille quatorze par le président de section Christian Storck, en présence de l avocat général Thierry Werquin, avec l assistance du greffier Patricia De Wadripont. P. De Wadripont S. Geubel M. Lemal M. Regout D. Batselé Chr. Storck