L'AUDIENCE PENALE ET LA VICTIME Maître Delphine ALLAIN-THONNIER Avocat au Barreau du Val de marne COURS DU 6 JUIN 2003 I - ROLE THEORIQUE DE L'AUDIENCE ET PREPARATION DE LA VICTIME
A ) DROITS DE LA VICTIME AU COURS DE L'AUDIENCE PENALE 1 Droit à être entendue 2 Droit à être informée B) ATTENTES LEGITIMES DE LA VICTIME 1 Celles d'être entendues 2 Celles d'entendre II - ROLE LIMITE DE L'AUDIENCE ET DECEPTION DE LA VICTIME A ) PLACE LIMITEE DE LA VICTIME : UNE VICTIME INSATISFAITE 1 La confusion victime-partie civile 2 Un système judiciaire non préparé B) DERIVES POSSIBLES : SURAGGAVATION DE SA SITUATION 1 Le sentiment d'exclusion 2 Le sentiment de culpabilité II
L'aide aux victimes fait l'objet de nombreuses dispositions depuis les vingt dernières années. Une véritable politique générale d'aide aux victimes, révélant une prise de conscience, semble amorcée. La victime commence à être reconnue comme telle et peut prétendre, en particulier, à un statut spécifique au cours de l'audience pénale (I). Il n'en demeure pas mois que la situation est loin d 'être satisfaisante et que l'état des lieux est préoccupant, la victime étant parfois déçue de la place qui lui a été faite, cette insatisfaction pouvant générer une suraggravation de sa situation (II). I - ROLE THEORIQUE DE L'AUDIENCE ET PREPARATION DE LA VICTIME L'audience pénale (Tribunal pour Enfants, Tribunal Correctionnel, Cour d'assises) est le lieu pour la victime de manifester ses attentes (B), au travers des droits qui lui sont conférés (A). A) Droits de la victime au cours de l'audience pénale Le Code de Procédure Pénale prévoit des droits à la victime au cours de l'audience pénale, lesquels ont été légèrement modifiés par les lois du 15 juin 2000 et du 9 septembre 2002 (Loi PERBEN), qui consacrent la nécessité de l'information de la victime et la garantie de ses droits. 1 Droit à être entendue Se constituer partie civile signifie devenir partie prenante à une procédure ou à une instruction c'est-à-dire : - être informée régulièrement du déroulement de la procédure - exercer, si nécessaire, les possibilités de recours contre certaines décisions de justice prises au cours de la procédure si elles portent préjudice aux intérêts de la victime - adresser des observations complémentaires au cours du déroulement de l'information judiciaire - être directement citée devant le Tribunal en qualité de partie civile au cours du procès - demander réparation du préjudice subi. - L'article 420-1 du Code de Procédure Pénale donne la possibilité à la victime de se constituer partie civile à l'audience, par courrrier ou télécopie, quelque soit le montant des dommages et intérêts demandés.
IV La victime doit alors joindre à sa demande les pièces justificatives de son préjudice. - Mais si la victime formule cette demande dès le stade policier, elle vaut constitution de partie civile, si l'action publique est mise en mouvement. Cette disposition permet ainsi de garantir le droit des victimes, qui n'ont pas la possibilité de se déplacer à l'audience. Dans les deux cas, la victime n'est pas tenue de comparaître mais dispose, néanmoins, du droit d'être entendue par sa constitution de partie civile. - L'article 464 du Code de Procédure Pénale donne la possibilité au Tribunal Correctionnel, lors de l'audience pénale, de ne pas statuer sur les demandes des victimes et autorise le renvoi à une audience ultérieure sur ces demandes, afin de leur permettre de constituer un dossier, justifiant leurs demandes. Une telle éventualité n'existait jusqu'à la loi du 15 juin 2000 que dans l'hypothèse d'une demande d'expertise pour apprécier des préjudices physiques et psychologiques. 2 Droit à être informée La loi du 15 juin 2000 a mis à la charge des différents acteurs du système judiciaire une obligation d'information de la victime.. La Loi PERBEN n 2002-1138 du 9/9/2002 prévoit un titre réservé aux "dispositions relatives à l'aide aux victimes". Le contenu de l' information mise à la charge des officiers et agents de police judiciaire est désormais très précisément détaillé dans les articles 53-1 et 75 du Code de Procédure Pénale Au stade de l'audience, la juridiction qui condamne un auteur pour des infractions mentionnées aux articles 706-3 et 706-14 du Code de Procédure Pénale, à verser des dommages et intérêts, doit informer la victime de son droit de saisir la CIVI. Le délai de saisine de la CIVI ne court qu'à compter de cet avis (article 706-6 et 706-15 du CPP).
V B) Attentes légitimes de la victime La victime est souvent impatiente d'être entendue, mais également d'entendre des mots, des décisions, des informations, qui lui permettront de quitter progressivement son statut de victime. 1 Celles d'être entendues La constitution de partie civile doit faire l'objet d'une préparation minutieuse, afin de donner à la victime toutes les chances d'être entendue. Les préjudices doivent être bien évalués, et motivés, au moyen d'une expertise judiciaire. Mais il importe souvent beaucoup plus à la victime d'être entendue d'abord comme victime. Elle a, à cet égard, beaucoup d'appréhension à l'idée de s'exprimer ce qui suppose une préparation avec le Conseil. Elle est très demanderesse en écoute, d'autant que l'audience est le dernier lieu et le dernier moment pour exprimer sa souffrance. C'est à ce stade que se situent ses plus grandes attentes : - elle attend de la juridiction de jugement qu'elle comprenne ce qui s'est passé, qu'elle reconnaisse ses souffrances, qu'elle qualifie ces actes. - par la reconnaissance de son état de victime, par l'institution judiciaire mais également par l'auteur des faits, une victime pourra se sentir délivrée de sa propre souffrance. Cette reconnaissance( comme victime) apparaît comme un élément déterminant de la réparation. Tant qu'elle ne sera pas reconnue comme telle, elle luttera pour et restera, alors, enfermée dans ce statut.
Ce n'est qu'après, dans un second temps, que vient éventuellemnt sa demande d'indemnisation, et sa demande d'être entendue, cette fois, en qualité de partie civile. Le premier problème rencontré par la victime est le sens à donner à cet argent qu'elle va recevoir, dont elle peut s'entretenir avec un psychologue. VI Le second problème est celui de s'assurer que le condamné éventuel sera contraint d'assumer les conséquences de ses actes en sollicitant la mise en oeuvre de sanctions pénales protectrices des intérêts des victimes, et contenant une incitation forte à l'auteur d'indemniser personnellement et directement la victime. A titre d'exemple, lorsque l'auteur est primaire, il est toujours possible de suggérer un sursis avec mise à l'épreuve avec obligation d'indemniser la victime. 2 Celles d'entendre Le procès peut permettre la circularité de la parole, la victime devient alors sujet de la parole et sujet de la loi. Les victimes attendent beaucoup des paroles prononcées au cours de l'audience. A titre d'exemple, si les rôles victime-coupable sont bien posés, la honte et la culpabilité pourront trouver des exécutoires collectifs au moment du procès. Ces paroles sont susceptibles de l'aider dans son processus de réparation et de reconstruction. Ces paroles peuvent permettre au procès de clôturer le traumatisme, aboutissant à une "déliaison" entre la victime et l' auteur. Il est alors important de favoriser la comparution personnelle de la victime et d'organiser, en conséquence, son accueil et son accompagnement (ne pas hésiter à faire une demande de huit-clos, même pour les victimes majeures). Il est de notre rôle de les prévenir, lors de la préparation, que l'auteur ne va pas forcément dire les mots tant attendus.
Une victime de viol ou d'agression sexuelle attend toujours l'aveu de la vérité de la bouche même de l'auteur. De façon générale, il est prudent de leur dire de ne pas tout attendre de l'auteur à l'audience et qu'elles ont un chemin personnel à faire, indépendamment des propos de l'auteur des faits. Il est parfois plus judicieux de leur suggérer de se "raccrocher" aux réquisitions du Procureur de la République, à la reconnaissance de culpabilité prononcée par le Tribunal Correctionnel ou la Cour d'assises, à la décision rendue, afin de leur permettre un nouveau départ, plutôt que de les laisser attendre un mot réconfortant de l'auteur, voire des aveux, qui ne viendront pas forcément. Et puis, le risque de tout attendre du procès ne serait-ce pas demander aux juridictions répressives de remplir une mission qui consisterait à dire la justice et non le droit? VII II - ROLE LIMITE DE L'AUDIENCE ET DECEPTION DE LA VICTIME Lors de l'audience, la place de la victime est parfois très limitée, ce qui peut générer une insatisfaction (A), voire même une suraggravation de sa situation (B). A) La place limitée de la victime : une victime insatisfaite 1 La confusion victime-partie civile Il arrive que la victime soit écoutée mais pas entendue par le Juge, ou de façon très symbolique. En tout état de cause, lorsqu'elle est entendue, elle l'est le plus souvent, comme partie civile et rarement comme victime. La notion de partie civile est souvent confondue avec celle de partie civile. Or, une victime n'éprouve pas toujours le besoin d'obtenir réparation par l'obtention de dommages et intérêts ( parfois un Euro symbolique). 2 Un système judiciaire non préparé
Cette situation peut être due à la surcharge des audiences correctionnelles où la victime a très peu de temps pour s'exprimer, au manque de temps, de disponibilité, de sensibilisation à la problèmatique des victimes de certains magistrats. Le manque de motivation, d'implication, les réticences de certains Barreaux peut également être à l'origine de la déception des victimes. Par ailleurs, la victime n'a pas toujours sa place dans le cadre du procès pénal qui est souvent essentiellement centré sur le débat entre le délinquant et la société, la priorité étant donnée à la recherche du coupable et à sa sanction. La victime peut également ressentir un sentiment d'abandon lorsqu'aucune information ne lui a été donnée, à la fin de l'audience, sur ses interlocuteurs possibles après l'audience (JAP, CIVI). Il est important de ne pas la "lâcher" à ce stade mais de l'informer, voire même de l'accompagner physiquement, jusqu'au Cabinet du Juge de l'application des Peines qui prendra le relai. VIII B) Dérives possibles : suraggravation de sa situation Parfois, la victime sort de l'audience avec un sentiment d'exclusion (1) et de culpabilité (2). 1 Le sentiment d'exclusion Une victime dont la parole n'est pas reçue, dont le témoignage est jugé superflu, ou qui n'a pas le sentiment d'avoir été reconnue est renvoyée à sa solitude et à sa marginalité. La victime peut avoir l'impression d'être tenue à l'écart comme si sa parole allait contaminer la sérennité des débats. Or, si l'écoute participe à la réparation, celle-ci suppose aussi que la victime soit pleinement acteur du procès pénal. Or, tel n'est pas toujours le cas. Du fait de son exclusion ou du comportement et des usages de certains responsables et acteurs du système judiciaire, la victime peut même se sentir coupable d'être victime. 2 Le sentiment de culpabilité
L'absence d'accueil faite à la victime, le sentiment parfois de sa propre mise en cause, peuvent avoir comme risque d'installer une victime dans un statut qu'elle aurait dû quitter, voire même d'entretenir un sentiment de culpabilité. Certaines victimes vont même jusqu'à développer le sentiment d'une présomption de culpabilité, étant parfois les premières à être désignées, à tort et sans précaution, par certains responsables du système judiciaire, comme les auteurs ou les responsables de leur propre dommage. C'est souvent le cas des femmes victimes de viols, dont la parole est souvent remise en question. Souvent, ces victimes assistent à leur procès et non à celui de l'accusé. Elles souffrent alors d'un double handicap : déjà traumatisée par un fait délictueux ou criminel, elle est alors tenue en lisière de l'action judiciaire. Il est essentiel qu'une victime ne soit pas doublement victime, parce que les auteurs du système judiciaire ne l'ont pas écoutée, ou n'ont pas pris les précautions suffisantes pour empêcher que se développe, du fait de leur comportement, des mots prononcés, des jugements hâtifs les concernant, "une victimisation secondaire". IX D'où la nécessité d'une bonne préparation, qui ne peut cependant pas prévoir les aléas de l'audience. Il est cependant nécessaire et urgent que les avocats intervenant pour ces causes soient bien formés, qu'ils soient rémunérés convenablement *, que des magistrats soient formés spécialement, à l'écoute de cette parole parfois si difficile à exprimer. (*A ce propos, la loi PERBEN permet aux victimes de crimes d'atteintes volontaires à la vie et à l'intégrité de la personne prévus aux articles 221-1 à 221-5 (meurtre et assassinat), 222-1 à 222-6 (tortures et actes de barbarie), 222-8 et 222-10 (coups mortels aggravés), 222-14 (violences volontaires sur mineur ou personne vulnérable ayant entraîné la mort ou une infirmité permanente, 222-23 à 222-26 (viol), 421-1 et 421-3 ( actes graves de terrorisme) du Code Pénal, de bénéficier de l'assistance d'un avocat, au titre de l'aide juridictionnelle, sans conditions de ressources).
X Depuis le début des années quatre-vingt, plusieurs initiatives législatives et gouvernementales ont tenté de donner aux victimes d'infractions pénales un statut afin qu'elles puissent être écoutées et entendues. Mais si ces textes dont la loi du 15 juin 2000 sont révélateurs d'une amorce de changement de comportement à leur égard, et s'ils ont suscité des actions concrêtes, il n'en demeure pas moins qu'ils sont restés soit très théoriques, soit trop parcellaires. Le Ministre de la Justice a présenté, lors du Conseil des Ministres du 18/9/02, un plan d'action en faveur des victimes pour les cinq prochaines années, qui a deux objectifs : - replacer la victime au centre de l'institution judiciaire - développer l'aide matérielle et psychologique qui lui est apportée
Ainsi, outre les mesures issues de la loi n 2002-1138 du 9/9/02, le ministre a annoncé le développement des droits dans le cadre des procédures judiciaires, "par une meilleure accessibilité de l'information, par une simplification des démarches pour assurer leur défense", ainsi que dans certaines procédures particulières, par une meilleure prise en compte de la parole de l'enfant. A titre d'exemple, permettre à la victime d'être renseignée sur l'exécution de la sanction de l'auteur de l'infraction qu'elle a subie. L'indemnisation des victimes sera également améliorée grâce à des mécanismes plus transparents et harmonisés. Un fond spécial, prélevé sur le budget de fonctionnement de la justice, sera versé aux associations spécialisées, lesquelles en assureront la distribution de la victime dans le besoin. Malgré tout, l'état des lieux reste préoccupant, tant en raison d'une sous-appréciation encore trop fréquente de la victime, lors de l'audience pénale, que parfois, d'une suraggravation de sa situation. En réalité, les attentes des victimes sont nombreuses et les droits qui leur sont conférés, encore trop dérisoires. Il est, au demeurant, paradoxal de constater que le système judiciaire peut parfois aggraver la situation des victimes. Et pourtant, les efforts de réflexion entrepris et les dispositions mises en place amorcent une évolution positive, qui nécessitera toutefois plus que des textes, une véritable révolution des mentalités. Maître ALLAIN-THONNIER XI