Cette étude porte sur l observation de 565 affaires jugées en Comparutions Immédiates au cours de l année 2008.



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Transcription:

Audiences suivies du 1 er janvier au 31 décembre 2008 Observations de citoyens engagés Novembre 2009

Cette étude porte sur l observation de 565 affaires jugées en Comparutions Immédiates au cours de l année 2008. Elle a été réalisée grâce à la participation active des membres bénévoles du «Réseau des Observateurs» créé par le Conseil Lyonnais pour le Respect des Droits. Coordination : Mireille Debard André Gachet Karine Bergnes Chantal Pidoux Nous remercions rcions chaleureusement celles et ceux qui ont participé à la réalisation de cette étude. L équipe du CLRD. 2

SOMMAIRE I - Présentation 4 II - Introduction 6 III - Petit guide pour suivre une audience 9 IV - Résultat des observations 11 A Les prévenus 11 B La récidive légale 15 C Les délits reprochés 16 a - les atteintes aux personnes a/1 les violences conjugales a/2 les violences contre l autorité b - les atteintes aux biens 19 c - la délinquance routière 20 d - les séjours irréguliers 21 e - les stupéfiants 21 D la place des victimes 23 E Le procès 24 - l interrogatoire 24 - la partie civile 25 - le réquisitoire 25 - la défense 25 - durée du procès 26 - les demandes de renvoi 26 - les magistrats 26 - les interprètes 27 F La sanction 28 - condamnations multiples/précarité des ressources 29 - les mandats de dépôt 29 - les alternatives à la prison 30 - l indemnisation des victimes 33 - les relaxes 34 V - Avant le procès 35 VI - Après le jugement 37 VII - Conclusion 42 VIII - Quelques propositions 43 Lexique 45 Modèle fiche «jugement immédiat» 46 17 18 3

I - Présentation Le Conseil Lyonnais pour le Respect des Droits a été créé en 1989 sous la forme d une commission extra-municipale. Il a été officialisé le 15 octobre 2001 par une délibération du Conseil Municipal de Lyon, confirmée le 21 avril 2008 au cours de la mandature suivante. Il est présidé par le Sénateur Maire de Lyon, Monsieur Gérard Collomb, et animé par un président délégué (Maître Alain Jakubowicz a assuré cette fonction depuis l officialisation du Conseil Lyonnais pour le Respect des Droits jusqu au 8 juin 2009, date à laquelle il a donné sa démission). Composé d élus et d une quarantaine d associations, il a pour objectif de veiller au respect de la dignité de la personne humaine dans, et pour, la Cité. Sa raison d être n est pas seulement d analyser mais également de proposer. Ses travaux 1 (exclusions sociales, place des personnes handicapées dans la ville, accès aux soins, suivi de la l application de la loi DALO, discriminations, suicide des jeunes, etc.) sont conduits par des citoyens issus du monde associatif. Ils portent sur l ensemble des questions où la relation des citoyens à la ville est en cause. L approche des problématiques est transversale grâce à la diversité des membres du CLRD. La délibération du Conseil Municipal du 21 avril 2008 l a également confirmé dans la mission de veille et d alerte prévue par l article 27-2 de la Charte européenne des droits de l Homme dans la ville (signée par Lyon en juin 2002) : 2 «Pour faciliter l'exercice des droits inclus dans cette Charte et soumettre au contrôle de la population leur réalité concrète, chaque ville signataire met en place une commission d'alerte composée par des citoyens et chargée d'effectuer l'évaluation de l'application de la Charte». Cette institution unique en France est le résultat d'une volonté collective de dépasser les différences d'opinions, de sensibilités et d'origines autour des valeurs communes de la République. Elle trouve son sens dans l'aspiration à construire une Cité pour tous à partir de la Maison Commune. 1 Parmi les rapports du CLRD (consultables sur www.clrd.org - rubrique publication) : «Les prisons lyonnaises» (juin 2000), «Le négationnisme et le racisme à l Université Lyon 3» (juin 2002), «Analyse du projet de loi de réforme du droit d asile» (juin 2003), «Analyse du projet de loi sur l égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées» (mars 2004), «Le logement et l hébergement des personnes en situation de handicap» (juillet 2004), Guide des droits des ressortissants européens» (octobre 2008), «Difficultés de renouvellement des cartes d identité» (décembre 2008) Le CLRD édite également trimestriellement la revue «Droits Dessus Droits Dessous» dont chaque numéro est consacré à un thème particulier. Il a également publié, en collaboration avec les Editions du Moutard : en mars 2004 : «Le petit livre vert du handicap» (pour les jeunes de 8 à 13 ans) et en janvier 2006 : «Bons plans contre les idées noires» (dans le cadre de la lutte contre le mal-être des jeunes). 4

L observation des audiences de Comparutions Immédiates s est imposée comme une suite logique de l étude 2 sur les Prisons de Lyon réalisée en janvier 2006 par le Conseil Lyonnais pour le Respect des Droits. La prison fait partie de la ville et la justice s exerce au nom des citoyens. Le Conseil Lyonnais pour le Respect des Droits se devait d y porter attention. Le présent rapport, établi à partir des données recueillies en 2008, prolonge l enquête publiée en février 2008 sur les observations de l année 2007. 2 «A la rencontre des prisons de Lyon, pour un avis citoyen sur les peines alternatives et la réalisation de la future prison de Corbas» 5

II - Introduction L audience de Comparution immédiate constitue un axe important du système pénal. Au fil de son histoire, de son évolution, le recours à cette forme de jugement rapide (ex-flagrants délits) s est étendu à un grand nombre d infractions correctionnelles parfois complexes telles que les violences domestiques. Il s agit sans doute du secteur le plus sensible de l appareil judiciaire parce que l équilibre y est difficile, souvent menacé entre la rapidité de la réponse judiciaire et le respect des droits. Secteur sensible encore parce que les condamnations prononcées sont en majorité des peines de prison ferme assorties d un mandat de dépôt. En outre, depuis août 2007, cette juridiction est en première ligne pour l application de la loi sur la récidive légale et les peines plancher. Ce rapport a été réalisé avec les données recueillies sur 565 procès en Comparution Immédiate tenus durant l année 2008 devant la 14ème chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Lyon. Il fait suite à un premier document publié en mars 2008 à partir de 500 procès suivis en 2007 3. Il s agit du travail collectif d un réseau d observateurs rassemblant une quarantaine de lyonnais, organisé par le Conseil Lyonnais pour le Respect des Droits. Travail de longue haleine, entrepris par des citoyens engagés bénévolement dans cette observation depuis bientôt trois ans. Assis sur les bancs réservés au public, souvent seuls, parfois à deux, ils suivent, quand leur temps libre le leur permet, les débats devant la 14ème chambre correctionnelle. Certains ont demandé à porter un badge pour ne pas avoir constamment à se «justifier» auprès de l huissier, de quelques policiers ou avocats. Les observateurs se rencontrent une à deux fois par an pour des moments d information et d échange. Ils signent une Charte qui encadre leur engagement. Lors de l audience, ils relèvent différents critères (environ une vingtaine) qu ils retranscrivent ensuite sur une fiche d observation. La saisie informatique des fiches, le croisement et l analyse des données sont à la base de la présente publication. Le Barreau de Lyon s est engagé à assurer prochainement la formation des observateurs, souvent démunis devant le rituel judiciaire ou les termes employés. Une meilleure connaissance de la procédure, du fonctionnement des tribunaux donnera plus d assurance aux membres du réseau et contribuera à forger un jugement plus pertinent, une réflexion plus profonde. Ce travail présentera d autant plus d intérêt qu il sera prolongé sur plusieurs années et que les citoyens seront nombreux à se relayer. Le tribunal correctionnel constitue un observatoire privilégié de la société, de la délinquance, des réponses apportées qui peuvent évoluer selon l attitude et les propositions des citoyens. Cette étude n a pas de prétention scientifique, d autres sont mieux armés pour le faire. Elle n est pas non plus à considérer comme un signe de défiance ou d hostilité vis-à-vis des magistrats. Il s agit simplement de la démarche d un groupe de lyonnais qui cherchent à mieux connaître la Justice rendue en leur nom. * 3 Document consultable sur le site www.clrd.org 6

Entre 2007 et 2008, l évolution est sensible sur quelques points : Des peines de prison plus élevées, appliquées à des prévenus aux situations sociales plus précaires. I - Les peines de prison prononcées en 2008 sont plus élevées avec une moyenne de 8 mois ferme au lieu de 7 mois en 2007. II - Les prévenus sont davantage en situation de précarité et de pauvreté : 173, soit seulement 30 %, déclarent des ressources stables (salaires, travail indépendant, retraite, ). Ils étaient 38,5 % en 2007. III - Les violences conjugales et intra familiales sont en hausse : 70 affaires relevées en 2008 contre 47 en 2007. IV - Les mesures alternatives à la prison constituent toujours la portion congrue des décisions : 2,3 % de TIG en 2008 (3,4 % en 2007) et 3 % de jours amendes en 2008 (1,8 % en 2007). V - Les renvois de procès à une date ultérieure à la demande du prévenu pour préparer sa défense ont doublé : 122 en 2008 (21,6 %) contre 58 affaires en 2007 (environ 12 %). Un délai supplémentaire de quelques semaines a donc été estimé plus fréquemment nécessaire par le défenseur du prévenu, et accordé par le Tribunal, pour que les conditions d un procès équitable soient réunies. Cette augmentation de reports souligne les difficultés de juger à la hâte. Il est toujours hasardeux de tirer des leçons trop rapides d une addition de constats sans lien direct de cause à effet. Par contre il est nécessaire de les considérer comme des incitations à une réflexion conjointe des professionnels et de la société civile pour vérifier en quoi ces constats rendent compte d un état de notre société, de champs susceptibles d amélioration ou simplement de dysfonctionnement individuels et localisés. La dernière remarque sur la diminution des mesures alternatives ne porte pas critique à l encontre des magistrats dont les décisions ne sont pas remises en cause par cette enquête. En revanche, cette question des peines alternatives, dont les différents rapports du Conseil Lyonnais pour le Respect des Droits ont souligné l intérêt, nécessite l ouverture d un dialogue avec les magistrats. L augmentation sensible de la moyenne de la peine de prison ferme prononcée, un mois en un an, provoque des questions sur la nature des délits qui ont été ainsi sanctionnés. S agit-il des mêmes catégories? Au contraire y-a-t-il une aggravation? Les évolutions judiciaires : peines planchers ou tolérance moindre, ont-ils une incidence sur les résultats? Les observations doivent nous permettre d éclairer un peu ces questions. 7

L appauvrissement des prévenus est un signe inquiétant qui doit être examiné avec attention. Les répercussions de la peine sur les plus pauvres méritent d être analysées, en particulier en matière de suivi social et de préparation à la réinsertion. Faut-il considérer l augmentation du nombre de procédures motivées par les violences conjugales et intra familiales comme le signe d une aggravation de la situation des femmes ou s agit-il des conséquences d une meilleure information et d une meilleure protection des plus vulnérables? Sur ce point le rapport ne peut apporter de réponse, mais la question doit être posée aux partenaires du travail social impliqués dans ce domaine. 8

III - Petit guide pour suivre l audience Tout commence lorsque le Procureur a connaissance d une infraction et de la garde à vue de la personne mise en cause. C est lui qui choisit l orientation donnée à l affaire (il peut classer sans suite s il estime qu il n y a pas de charges, ouvrir une information judiciaire confiée à un juge d instruction lorsque les faits sont graves ou complexes, convoquer par procès verbal devant le tribunal, orienter en maison de justice ou en comparution immédiate ). L ensemble des infractions correctionnelles commises par des personnes majeures peuvent être jugées en comparution immédiate (à l exception des délits de presse ou les délits politiques). Cependant trois critères sont exigés par les textes : il faut d abord que les charges réunies soient suffisantes ; il faut ensuite que l affaire soit en état d être jugée ; le procureur doit enfin s assurer que les éléments permettant d établir les faits et de connaître la personnalité du prévenu pourront être produits devant le tribunal. Il doit également s assurer que le choix de la procédure de comparution immédiate n affectera pas les droits des victimes. La course contre la montre débute lorsque le procureur choisit d orienter un dossier en comparution immédiate : le prévenu, placé en garde à vue après son interpellation, doit comparaître devant le tribunal dans un délai de trois jours ouvrables. Le procureur doit avoir le temps nécessaire pour lire la procédure avant de prendre une décision définitive sur l orientation. Ce contrôle de la procédure fait partie des garanties d un procès équitable au sens de l article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales. Le procureur doit également apprécier si une répression immédiate est possible et nécessaire. Le procureur reçoit ensuite la personne poursuivie. Il doit vérifier son identité, lui faire connaître les actes concrets qui lui sont reprochés et en donner la qualification juridique. Il doit recueillir ses déclarations si elle en fait la demande. Il lui notifie qu elle a droit à un avocat (choisi ou commis d office). L avocat peut alors consulter le dossier et s entretenir librement et confidentiellement avec la personne poursuivie. Le procureur charge la permanence d orientation pénale de faire une enquête de personnalité obligatoire (dite enquête rapide) avant toute réquisition de placement en détention provisoire (article 41 du Code de procédure pénale). Il s agit, en un temps limité, de vérifier et de compléter les renseignements concernant la situation personnelle du prévenu, sa situation matérielle, familiale, sociale et professionnelle. L audience de comparution doit se tenir dans la journée. Le prévenu est retenu jusqu à sa comparution dans les locaux de justice. Il est déféré sous escorte et ne comparaît donc pas librement. Lorsque le tribunal ne peut pas se réunir le même jour, le prévenu est présenté devant le juge des libertés et de la détention, qui autorise une détention provisoire limitée à quatre jours, jusqu à l audience. Lorsque le juge des libertés et de la détention estime que la détention n est pas nécessaire, il peut remettre le prévenu en liberté avec contrôle judiciaire jusqu à la date de l audience. Le tribunal siège en formation collégiale (trois juges). 9

Lorsque le prévenu et son avocat estiment que l affaire n est pas en état d être jugée ou qu ils ont besoin de temps pour produire des pièces nécessaires à la défense, ils demandent au tribunal de renvoyer l affaire à une autre audience qui doit avoir lieu dans un délai minimum de deux semaines et maximum de six semaines. Toutefois, si la peine encourue est supérieure à 7 ans d emprisonnement, le délai minimum du renvoi est porté à deux mois et le délai maximum à quatre mois. Les textes prévoient que la personne condamnée en comparution immédiate peut faire appel du jugement. Une fois condamnée, la personne peut demander au juge d application le bénéfice d un aménagement de peine. Lorsque le prévenu est étranger et non (ou insuffisamment) francophone, un interprète assermenté doit être requis devant le tribunal. La procédure de comparution immédiate répond à la volonté d une répression effective, visible et rapide pour des affaires simples mais déjà graves. Ses règles visant à combiner la célérité et les droits de la défense ont été souvent modifiées tant est difficile à établir le dosage entre ces deux concepts 4. Dessin d'une petite fille de 6 ans lors du procès de son "tonton". 4 Jurisclasseur Procédure pénale art 393 à 397-6 cote 09.2006 Vincent Lesclous). 10

IV - Résultat des observations Les résultats de l observation des 565 affaires suivies apportent des éléments d information sur différents champs. Tout d abord, ils nous renseignent sur le public concerné, ils nous permettent ensuite de voir les motifs qui conduisent devant la juridiction, et nous donnent enfin à lire les résultats des audiences. Mode opératoire : Une fiche d observation a été remplie pour chaque prévenu, selon une vingtaine de critères (modèle en annexe) par l un des observateurs dans la plupart des cas identifié. Une fiche peut contenir plusieurs infractions mais les renseignements demandés ne sont pas toujours fournis. Il arrive par exemple que l âge, les ressources ou la situation familiale ne soient pas mentionnés. Ceci explique que le nombre de données enregistrées soit parfois différent du nombre de fiches traitées. Selon les éléments rassemblés dans l étude : A - Les prévenus Une population masculine, française, jeune, déjà condamnée, aux ressources précaires Les prévenus sont en majorité des hommes : 546 et seulement 19 femmes. L âge : des prévenus jeunes C est encore un élément constant : plus de la moitié des prévenus (297 personnes) ont moins de 30 ans. Les moins de 25 ans (qui ne bénéficient pas des minima sociaux 5 ) représentent à eux seuls 36 %. Les personnes proches ou en âge de la retraite (de 56 à plus de 61 ans) sont largement minoritaires (1,4 %). 18/20 11,9% 21/25 24,1% 26/30 16,6% 31/35 11,2% 36/40 12,4% 41/45 8,3% 46/50 5,1% 51/55 2,8% 56/60 1,4% 61 ans et plus 0,9% NR 5,3% - 18 ans 0,0% Le précédent rapport mettait déjà en évidence la jeunesse des prévenus et les enjeux en matière de prévention et de prise en charge éducative. La régression des mesures alternatives traditionnelles sont-elles à interpréter comme un signe de désintérêt, de découragement ou un constat d inefficacité? 5 La présente étude a été réalisée avant la mise en place du RSA. 11

La situation familiale : des hommes le plus souvent isolés Les hommes vivant seuls sont un peu plus nombreux que dans le rapport précédent : les célibataires représentent 50,4 % du total, les divorcés, séparés et veufs 12,4 %. Les personnes mariées ou vivant en couple, qui représentaient dans le rapport précédent plus du tiers de la population (37,5 %), sont descendus à 32,6 %. En ce qui concerne les enfants, 207 prévenus (soit 199 hommes et 8 femmes) ont déclaré avoir des enfants, qu ils vivent ou non avec eux. 242 hommes et 8 femmes ont déclaré ne pas avoir d enfants. Pour les 108 personnes restantes, le renseignement n est pas précisé. Les ressources : des prévenus plus pauvres C est dans cette rubrique que l évolution est la plus sensible témoignant de la paupérisation des prévenus. Comme pour l année 2007, nous avons examiné la situation des personnes à partir de trois catégories générales : - Les ressources stables (salaires, travail indépendant, retraite ) représentent 30,6 % au lieu de 38,4 en 2007. - Les ressources précaires ou faibles sont passées de 35,8 % en 2007 à 37,7 % en 2008. - Il en reste 31 % sans aucunes ressources (étudiants, en formation, sans papier, en exécution de peine, ). Ils étaient 25,8 % en 2007. Ressources Nombre de prévenus % stables 173 30,6 % faibles ou précaires 213 37,7 % sans ressources 175 31,0 % non renseigné 4 0,7 % La population des moins de 30 ans, soit 52,6 % des prévenus, globalement plus fragile sur le plan économique au regard de la moyenne générale, s est encore dégradée. Elle rassemble en particulier un nombre important de personnes ayant peu ou pas de revenus. La répartition des ressources est la suivante : Moins de 30 ans : 297 prévenus Ressources Nombre de prévenus hommes et femmes % % en 2007 Stables 74 25 % 33,9 % Faibles ou précaires 104 35 % 34,7 % Sans ressources 118 40 % 31,4 % célibataire 50,4% marié 18,4% vivant en couple 14,2% divorcé 7,8% séparé 4,1% non précisé 4,6% veuf 0,5% 12

Les moins de 25 ans (36 % des prévenus, soit 203 personnes) sont la tranche d âge la plus importante. Elle compte aux extrémités le plus grand nombre de salariés (51) mais aussi un nombre important de personnes sans ressources (85). Moins de 25 ans : 203 prévenus Ressources Nombre de prévenus hommes et femmes Pourcentage Stables 51 25 % Faibles ou précaires 66 33 % Sans ressources 85 42 % Les moins de 20 ans (qui représentent 11,9 % des prévenus) sont majoritairement en situation précaire ou sans ressources, soit 76 % des dossiers. Le domicile Moins de 20 ans : 67 prévenus Ressources Nombre de prévenus hommes et femmes Pourcentage Stables 16 24 % Faibles ou précaires 15 22 % Sans ressources 36 54 % Pour 155 personnes (soit 27,4 %) la précision n est pas communiquée, ce qui fausse un peu les données. 354 prévenus ont un domicile (62,7 %), 13 vivent en foyer (2,3 %) et 43 sont sans domicile fixe (7,6 %) Un nombre inférieur à celui de 2007 évalué entre 10 et 13 %. La nationalité Domicile Domicile personnel 354 62,7 % En foyer 13 2,3 % Sans domicile 43 7,6 % La majorité des prévenus sont de nationalité française : 383 (67,8 %) ; 42 étrangers viennent de l Union Européenne et 104 sont de nationalité extra-communautaire (pour 36 prévenus, la nationalité n est pas précisée). Cette proportion est sensiblement la même que celle de l année passée (avec 66,5 % de prévenus de nationalité française en 2007). La présence d un interprète a été nécessaire pour 40 personnes ne parlant pas la langue française. non précisé (6,4%) étranger hors Union Européenne (18,4%) étranger Union Européenne (7,4%) Français (67,8%) 13

Le casier judiciaire plus chargé (15, soit 2,7 %, non renseigné) Les éléments relevés cette année traduisent des variations importantes sur l année précédente. Sur les observations recueillies durant l année 2008, 147 prévenus au casier judiciaire vierge ont comparu pour la première fois devant un tribunal (26 % au lieu de 34 % en 2007). Les autres, 403 prévenus (71,3 %) ont déjà été condamnés antérieurement. Parmi eux, 205 se trouvent en état de récidive légale. Et 117 ont été condamnés 6 fois ou plus. Pour l un d eux, le record est de 39 condamnations. La diminution du nombre de «délinquants primaires» en comparution immédiate peut s interpréter de plusieurs façons : moins d infractions commises cette année par des gens au casier vierge? Ou traitement de ces infractions par une autre voie (convocation par procès verbal, maison de justice )? A partir de ces éléments recueillis, on pourrait déduire qu un casier judiciaire chargé et des garanties de représentation médiocres constituent deux facteurs déterminants pour l orientation en comparution immédiate. Une minorité de femmes : Dans le précédent rapport, il n avait pas été estimé utile de faire une comparaison par genre étant donné le petit nombre de femmes orientées en comparution immédiate. Cette fois, il a été regardé de plus près les fiches concernant les 19 femmes sur les 565 prévenus orientés en comparutions immédiates. Il ressort que la nationalité (63,2 % sont françaises), la pyramide des âges (42,1 % ont moins de 30 ans), les situations familiales (26,7 % sont mariées ou vivant en couple) et les infractions reprochées sont similaires à celles des hommes. Les délits reprochés : Délits relatifs aux stupéfiants (21,1%) Délit automobile (10,5%) Atteinte aux personnes (31,6%) Séjour irrégulier (26,3%) Atteintes aux biens (31,6%) Il est certain qu elles ne bénéficient pas de «traitement de faveur» : plus de la moitié d entre elles (57,9 %) ont un casier judiciaire vierge alors que seulement un tiers de la population comparante est dans la même situation (34 %). Elles sont condamnées à la prison et placées sous mandat de dépôt dans les mêmes proportions que les hommes. 14

B La récidive légale 6 La proportion de prévenus comparaissant en état de récidive légale est en augmentation (36,3 % en 2008 contre 27 % en 2007). Récidive légale Oui 205 36,3 % Non 325 57,5 % non précisé 35 6,2 % L écart s explique peut-être en partie par une plus grande attention portée par les observateurs sur ce point et une meilleure connaissance de cette définition depuis la loi sur les peines planchers d août 2007. En matière de récidive légale, les peines planchers requises et prononcées peuvent être mixtes (prison ferme et sursis, mais il semble (toujours selon les observations recueillies) que le Parquet est enclin à faire appel lorsqu une condamnation ferme requise n est pas prononcée comme le montre cette affaire : Il a 33 ans. Il est célibataire, sans enfant, sans travail. Et 13 condamnations à son casier. Il comparaît pour une tentative de vol, en état de récidive légale. La nuit précédente, il a été surpris en train de scier la grille de protection d un bureau de tabac. Le matin suivant, il devait rencontrer le juge de l application des peines pour une autre affaire. Pour expliquer son attitude, il s est lancé dans une histoire compliquée d espionnage : la DGSE lui aurait confié cette mission pour voir de quoi il était capable. Il a fini par admettre qu il avait tout simplement besoin d un peu d argent. Les dégâts sur la grille étaient si minimes que le buraliste ne s est pas constitué partie civile. Le procureur relève le peu de garanties de réinsertion et rappelle qu il encourt une peine plancher de deux ans. Il requiert donc la peine plancher de deux ans, dont 18 mois avec sursis. L avocat commis d office émet des doutes sur «l intégrité mentale» de ce client d un jour et plaide pour des mesures alternatives. Le prévenu est condamné à deux ans d emprisonnement avec sursis et mise à l épreuve pendant trois ans, obligation de soins et de travail. Le Président lui transmet la liste des obligations à respecter et une convocation au SPIP (Service pénitentiaire d insertion et de probation). Le Parquet a fait appel. Très exceptionnellement, il arrive qu un prévenu en récidive légale échappe au couperet de la peine plancher à certaines conditions : efforts de réinsertion, soutien de la famille et poursuites approximativement engagées. Il a 23 ans, est étudiant, a vécu dans un squat et sort tout juste de problèmes d alcoolisme. Il est en état de récidive légale et comparaît libre. La veille, il «zonait» avec un groupe de copains, ils ont lancé des pierres sur des policiers. Lui seul est interpellé. Sa mère, institutrice est appelée à la barre pour témoigner de la volonté de réinsertion de son fils revenu au domicile familial. Elle s engage à l accompagner dans ses efforts. Les deux policiers se sont constitués partie civile. Ils n ont pas été atteints par les pierres, mais ils ont eu peur et demandent 700 euros chacun pour la peur ressentie. Le Procureur n évoque pas la peine plancher. Il réclame 12 mois de prison dont 6 avec sursis mise à l épreuve et obligation d indemniser les victimes. Le jeune homme est reparti libre. Sa «culpabilité partielle» est reconnue. Il devra verser 50 euros à chacun des policiers en réparation du préjudice moral. 6 La loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive, prévoit une peine minimale de prison pour les délits commis en état de récidive légale. Par exemple la peine plancher ne peut être inférieure à 1 an si le délit est puni de 3 ans. Elle ne peut être inférieure à 2 ans si le délit est puni de 5 ans... Le tribunal peut prononcer une peine inférieure à cette peine plancher ou une condamnation autre que l'emprisonnement. Il doit dans ce cas motiver sa décision. 15

C Les délits reprochés Nous avons recensé 63 chefs d inculpations concernant les 1048 infractions commises par les 565 prévenus. 46,5 % des prévenus comparaissent pour un seul délit. 31,2 % pour deux délits et les autres pour trois délits et plus. Nous maintenons le classement adopté dans le précédent rapport en cinq groupes (étant précisé qu une même affaire peut concerner plusieurs délits). La proportion entre ces groupes d infractions n a pas changé, à savoir : - Atteintes aux personnes : 41,2 % - Atteintes aux biens : 36,6 % - Délit automobile : 21,9 % - Séjour irrégulier : 8,7 % - Stupéfiants : 13,8 % a -Les atteintes aux personnes : 233 soit 41,2 % des prévenus concernés par l étude A l'angle d'une ruelle, un jeune homme arrache le sac d'une vieille dame et part en courant en laissant la dame par terre, avec quelques contusions. Grâce au signalement donné par un témoin, il sera interpellé au bout d'un quart d'heure, avec sur lui une somme de 70. Le sac est récupéré dans une poubelle. Le jeune homme est placé en garde à vue. Il reconnaît les faits et passe en comparution immédiate. Le président : «Comment sélectionnez-vous vos victimes?». Réponse: «Selon le physique et la facilité à arracher le sac...». Le président : «Et si on fait ce coup à votre mère, comment allez-vous réagir?». Le prévenu : «C'est déjà arrivé, Monsieur le Président...». Le Procureur : «Le sac a été récupéré ainsi que l'argent dans son intégralité. Je pense que c'est un voleur amateur. Je requiers un TIG de 72 heures...». L'avocat : «Mon client n'a pas réalisé les conséquences de son acte et a perdu tout repère. Son casier judiciaire est vierge. Je demande la relaxe». Le tribunal a reconnu le prévenu coupable des faits et l'a condamné à 72 heures de TIG. Les atteintes aux personnes constituent le premier motif de poursuite et concernent 41,2 % des prévenus. Sous cette rubrique, nous avons répertorié une quinzaine d infractions, par exemple menaces de mort, injures raciales écrites, proxénétisme, agressions ou exhibitions sexuelles. Les dossiers les plus nombreux constituent les violences sur les personnes (173 prévenus soit 54 % des infractions contre les personnes). Ce sont les bagarres entre voisins, entre dealers, entre automobilistes ou les coups à l intérieur de la famille, sur le conjoint ou les enfants. L extrême variété des faits qui sont contenus dans cette catégorie doit inviter à une réflexion sur chacune des formes de violences et les conséquences qu elles entrainent, notamment en matière de violences conjugales (voir chapitre suivant). Quelques prévenus comparaissaient également pour d autres délits associés : Délits associés aux atteintes aux personnes Délits relatifs aux stupéfiants (6,9%) Délit automobile (9,0%) Atteintes aux biens (21,0%) Séjour irrégulier (1,7%) 16

a/1 - Les violences conjugales : 70 Elle est assise au fond de la salle, pâle, impressionnée par le décor du tribunal dans lequel elle met les pieds pour la première fois. Son mari va comparaître pour violences conjugales en état d ivresse après plusieurs «mains courantes» qu elle a déposées et qui sont restées sans suite. Il est Rmiste, ils ont trois enfants en bas âge. Elle travaille dans une laverie pour faire vivre la famille. A l appel du dossier, son mari entre, accompagné par trois policiers. Le Président : «Veuillez décliner vos nom, prénom, date de naissance, s il vous plaît Vous comparaissez aujourd hui devant le tribunal pour violences conjugales aggravées sur votre femme et votre fils mineur Ce tribunal vous demande si vous acceptez d être jugé immédiatement ou si vous demandez un renvoi pour vous permettre de préparer votre défense». - «Je préfère être jugé maintenant!» Les faits : «Vous avez, sous l emprise de l alcool, frappé votre femme à coups de manche à balai et fracturé le poignet de votre fils qui cherchait à la protéger, ce qui lui a provoqué une Incapacité Temporaire de 10 jours. Pouvez-vous nous expliquer cette violence?» - «Je ne sais pas ce qui m arrive, chaque fois que je consomme de l alcool. Pourtant, j aime ma femme et mes enfants. Je suis désolé. Je demande pardon». La parole est à la victime : «Mon mari n a jamais contribué aux frais d éducation pour nos enfants. Cela ne me dérange pas. Je travaille pour eux. Je l ai supplié plusieurs fois de cesser de boire et de rentrer sobre à la maison. Mais en vain. Alors pour mettre fin à ce calvaire et vivre tranquillement avec mes enfants, j ai entamé une procédure de divorce. De mon côté, je lui pardonne. Je ne souhaite pas qu il aille en prison. Mais Monsieur le Président, je vous demande de lui interdire de revenir chez moi». Le Procureur réclame 2 ans fermes et une obligation de soins. L avocat souhaite un sursis avec mise à l épreuve pour que le prévenu puisse réfléchir et retrouver sa stabilité car la prison ferme n est pas une solution adéquate. Il est condamné à 2 ans de prison ferme avec obligations de soins. Le chiffre des violences conjugales est en forte augmentation avec 70 affaires observées en 2008, contre 47 en 2007. 68 hommes et 2 femmes ont comparu pour violences sur leur conjoint ou conjointe (cela représente 12,4 % des affaires jugées en comparution immédiate). Toutes les tranches d âge sont concernées. La majorité des prévenus sont de nationalité française. Ils ont souvent des enfants, un domicile. 25 d entre eux (soit 36,2 %) avaient un casier vierge (14 étaient en récidive légale). Leurs ressources sont stables (47,1 %) ou précaires (38,6 %) : 14,3 % de sans ressources. Les victimes de violences conjugales sont souvent présentes à l audience : 47,1 % des situations (contre 30,5 % des victimes sur l ensemble des délits). 21 étaient représentées par un avocat et 15 se sont déclarées parties civiles. Par ailleurs, ont été prononcées : 31 peines de prison ferme (allant de 1 mois à 2 ans), 48 peines de sursis avec mise à l épreuve. 20 interdictions d approcher la victime 19 obligations de soins 24 victimes ont perçues des dommages et intérêts, en majorité d un montant inférieur à 1.000. Ces procès ne seraient que la face visible d un phénomène plus important, si l on se réfère à l observatoire national de la délinquance : une étude récente, basée sur les seules déclarations des personnes enquêtées, rappelle que près de la moitié des violences physiques le sont dans le cadre de la famille. 17

Ce sont les affaires les plus complexes jugées en comparution immédiate, mettant en jeu de multiples facteurs, économiques, psychologiques, culturels. Le temps consacré à ces procès est un peu plus long, dépassant les 30 minutes de débats pour 36 de ces dossiers alors que pour l ensemble, les dossiers sont examinés en majorité en moins de trente minutes. Les faits ne semblent pas toujours évidents à établir puisque 3 prévenus ont bénéficié d une relaxe totale. Il aime sa femme, mais elle en aime un autre Pour se séparer de lui, et le faire condamner, elle a inventé des menaces de morts, des actes d intimidation, etc.). Au procès, la femme est là, au premier rang. Dans le box, le prévenu décrit la situation avec des mots justes. On entend chuchoter le public. Dans ce dossier, l enquête menée ne suffit pas pour établir les faits. Aucune preuve n est apportée. Le prévenu a été relaxé au bénéfice du doute. Les poursuites judiciaires sont nécessaires pour établir les faits, condamner l auteur de violences, accorder une réparation aux victimes et ordonner une obligation de soins en cas de problèmes psychiatriques ou d alcoolisme. Mais plus que dans d autres domaines, la compétence et l action du tribunal sont limitées : le tribunal n a pas de prise sur la cause des violences et du conflit. Les communications avec le juge des affaires familiales, les travailleurs sociaux ou d un médiateur ne sont pas automatiques. Exemple, la note d un observateur : «coups et menaces sur sa femme enceinte qui voulait avorter et divorcer : 10 jours d ITT.». La condamnation ne règle pas leur problème : 50 personnes vivaient ensemble au moment des faits. Comment va se décider et s organiser la reprise de la vie commune ou la séparation? Les observateurs ont relevé que, dans certains cas, le Président s est intéressé à cette question. a/2 - Les violences contre l autorité : Il a 29 ans. Célibataire, Rmiste, il est suivi à l hôpital psychiatrique. Il comparaît pour tentative de vol de bijoux par effraction et violences sur agents de la force publique. Deux policiers affirment qu ils l ont reconnu, se promenant dans le même quartier, le lendemain d une tentative de vol dans un appartement. C était bien lui, affirment-ils, qui a pénétré dans un appartement pour voler des bijoux. A l arrivée des policiers qui venaient d être alertés, il est parti en courant. L un des policiers l a rattrapé, le jeune homme s est débattu. Dans la lutte, l un des policiers s est blessé en enjambant un grillage et le garçon a filé en escaladant un balcon. En arrêt de travail, le policier blessé s est constitué partie civile. Devant le tribunal, son avocat demande 10.000 euros de dommages et intérêts, 3.000 euros de provision en attendant l expertise médicale qui doit fixer l invalidité et 80 euros de frais de justice. Le Procureur réclame 18 mois de prison dont 9 avec sursis mise à l épreuve pendant deux ans avec obligation de soins. Et le maintien en détention. L avocat du prévenu plaide la relaxe : son client est dans l incapacité physique de grimper sur un balcon, affirme-t-il. En outre les déclarations des policiers n ont pas été vérifiées et divergent de celles des témoins, notamment sur la description des vêtements le jour de l infraction. Il a été condamné à 12 mois de prison dont 6 mois avec sursis mise à l épreuve et maintien en détention. Il devra verser au policier partie civile, 2500 euros de provision et 80 euros pour les frais de justice. Les procès suivis font état de 81 prévenus jugés pour outrages contre les policiers ou rébellion contre les forces de l ordre (28 % environ des infractions répertoriées contre les personnes). En quantité moindre, on retrouve des altercations avec des agents des transports (TCL ou SNCF) ou le personnel médical. Les auteurs de ces agressions sont jeunes (47 ont moins de trente ans). Mais tout de même 7 d entre eux ont plus de cinquante ans. 18

Pour 18 prévenus au casier vierge, cette rébellion contre les forces de l ordre constituera leur premier passage devant un tribunal correctionnel. A l extrême, 32 prévenus en récidive légale seraient en somme des habitués. 45 prévenus seront condamnés à une peine de prison. 3 bénéficieront d un TIG. b Les atteintes aux biens : 207, soit 36,6 % des prévenus concernés par l étude. Il est 14 h 10. La salle d audience de la 14 ème chambre correctionnelle est pleine à craquer. La sonnerie annonce l arrivée du tribunal. «Veuillez vous lever» dit l huissier. M.K. menotté sous la surveillance de trois policiers, entre dans le box. Le Président : «Veuillez déclarer votre nom, prénom, date de naissance et adresse s il vous plait». «Je m appelle R.K. J ai 20 ans, sans travail, sans domicile fixe, célibataire». Le Président : «Il vous est reproché d avoir commis un vol avec dégradation du matériel et cela en étant en récidive légale. Avant de procéder à l examen de ce dossier, le Tribunal vous demande si vous acceptez d être jugé immédiatement ou si vous demandez le renvoi de l affaire pour vous permettre de préparer votre défense.» - «Je préfère être jugé maintenant» répond le prévenu. Les faits : De passage à Lyon, M.K. rencontre d anciens amis qui l invitent à passer le week-end avec eux. Le soir, il décide de cambrioler une mairie. Il entre par la fenêtre du rez-de-chaussée et vole du matériel informatique. Une heure plus tard, il est interpelé par la police. M.K. reconnaît : «Je n étais pas moi-même ce jour-là. J avais bu à mort» Etant donné que le Sursis avec mise à l Epreuve n a pas été respecté, que le casier mentionne 8 condamnations pour des faits similaires, le Procureur demande une peine plancher : deux ans fermes avec mandat de dépôt. L avocat du prévenu : «C est vrai que la Justice est un peu épuisée. Je demande l extrême indulgence du Tribunal car c est un jeune dans une situation sociale difficile, privé de tous moyens. Je demande une peine adaptée au profil de mon client». Il est 20 heures. Un renfort de CRS vient de débarquer dans la salle. Les parents des détenus attendent les jugements. M.K. est condamné à deux ans de prison ferme avec mandat de dépôt et à la restitution du matériel volé. Les atteintes aux biens sont, dans une large majorité, des vols, vols aggravés ou en réunion et des tentatives de vol et des recels. Les vols avec violence sont en augmentation (15 % des atteintes aux biens contre 7 % en 2007). Les dégradations et destructions sont fréquentes. S ajoutent quelques affaires un peu plus élaborées d escroquerie, de détournement de fonds, de détention et utilisation de faux billets, ou encore une falsification de plaque minéralogique pour faire le plein de carburant. Ces faits concernent 207 personnes. La présence d un interprète a été nécessaire pour 17 d entre eux. Ils sont 57 à se présenter avec un casier vierge (une moyenne de 27,5 %, un peu plus haute que dans les autres catégories). Les prévenus concernés par l étude sont majoritairement jeunes (moins de 25 ans pour la moitié des prévenus). Mais deux hommes ont plus de 61 ans. 139 prévenus (67,1 %) seront condamnés à une peine de prison ferme (9 mois en moyenne) ; 10 bénéficieront d un TIG (sur les 13 répertoriés sur l ensemble de l étude). Et 7 seront condamnés à des jours-amendes. Quelques prévenus comparaissaient également pour d autres délits : Délits associés aux atteintes aux biens Séjour irrégulier (3,9%) Délit automobile (7,7%) Atteinte aux personnes (23,7%) Délits relatifs aux stupéfiants (5,3%) Anecdote : convoqué pour se faire juger, un prévenu vole, durant l audience, le portable d'une victime pendant qu'elle témoigne à la barre! 19

c- La délinquance routière : 21,9 % des prévenus concernés par l étude Il a 43 ans et comparaît pour conduite en état alcoolique et conduite sans permis (annulé en 2000). Il est en état de récidive légale avec six condamnations pour délinquance routière. Il est artisan peintre-plâtrier et emploie deux ouvriers. Divorcé, il vit avec une compagne et a un fils qu il n a pas vu depuis un an. Lors de son arrestation, il a été placé sous contrôle judiciaire et obligations de soins. Il comparaît libre six mois plus tard. Il affirme en avoir fini avec ses problèmes : le certificat du médecin qui l a suivi atteste qu il n est pas alcoolique. Il y a donc six mois, il est arrêté au volant d une voiture prêtée par un ami. Il roulait à 72 kilomètres/heure dans un lieu limité à 50 km. Il affirme qu il venait de boire deux bières. Son taux d alcoolémie était de 0,69. Le Procureur réclame 10 mois de prison dont 4 avec sursis et mandat de dépôt. Son avocat décrit les ennuis familiaux, les efforts pour retrouver une stabilité et demande un sursis avec mise à l épreuve. Il est condamné à 8 mois de prison avec sursis et mise à l épreuve pendant 18 mois avec obligation de soins. Il repart avec une convocation au SPIP (service pénitentiaire d insertion et de probation) pour organiser le suivi judiciaire. «Repassez vite votre permis de conduire» conseille le président. Mais le Parquet a fait appel : il est en état de récidive légale et ne doit pas échapper à la peine plancher. 124 affaires de délinquance routières ont été suivies. C est le groupe qui rassemble le plus grand nombre de prévenus en état de récidive légale (56 % de ceux qui comparaissent pour un délit routier) et peu de primo délinquants. Toutes les classes d âge sont concernées (un prévenu a plus de 61 ans). Le délit de conduite sans permis est l infraction la plus fréquente (91), suivi de peu par la conduite en état d ivresse (58) et la conduite sans assurance (42) et les refus d obtempérer (31). On note aussi les non-respect du code de la route, les délits de fuite, un refus d alcootest. Sur les 124 prévenus, 92 personnes devaient s expliquer sur d autres délits associés (par exemple conduite sans permis, sans assurance et alcoolémie) ou d un autre ordre (vol, violences, séjour irrégulier). Le préjudice subi par les 36 victimes recensées n est pas toujours lié à ces «écarts de conduite» mais se rapportent à d autres délits (outrages à force de l ordre, vol ) La durée des débats n a pas dépassé 30 minutes pour 79 dossiers. Une seule affaire a été examinée en plus d une heure. Les peines de prison ferme (92) sont plus fréquentes que la moyenne (74 % comparées à la moyenne générale de 65 %). Mais ce sont souvent de courtes peines (5 mois ou moins pour 50 prévenus, ce qui fait une moyenne de moins de 6 mois). 14 d entre eux accompliront leur peine en semi liberté et 5 bénéficieront d un aménagement de peine. La condamnation s accompagne d une suspension de permis pour 12 d entre eux et d une annulation pour 9 autres. Et 14 prévenus confrontés à des problèmes d alcoolisme repartent avec une obligation de soins. Autres condamnations Semi liberté 14 Aménagement de peine 5 Suspension permis de conduire 13 Annulation de permis de conduire 11 Obligation de soins 14 20