DERMATOPHYTOSES ou DERMATOPHYTIES 1- DEFINITION Les dermatophytoses ou dermatophyties sont des mycoses cosmopolites causées par des champignons filamenteux, les dermatophytes, qui attaquent avec prédilection la kératine. Ils provoquent chez l homme et les animaux des lésions superficielles : épidermophyties (épiderme), intertrigos (plis), onyxis (ongle), teignes (cheveux), folliculites (poils). Les dermatophyties sont des motifs fréquents de consultation en dermatologie. 2- AGENTS PATHOGENES 2.1. CARACTERES GENERAUX Les dermatophytes sont des hyphomycètes, champignons filamenteux microscopiques à thalle septé. A partir des prélèvements pathologiques, ils se reproduisent sur le milieu de Sabouraud en formant des filaments mycéliens et des spores issues d une reproduction asexuée appelées conidies (macroconidies et microconidies). 2.2. EPIDEMIOLOGIE 2.2.1. On les subdivise en trois genres : le genre Epidermophyton (peau, rarement ongles), le genre Microsporum (peau, cheveux, poils) et le genre Trichophyton (peau, ongles, cheveux, poils) Les principales espèces rencontrées en France métropolitaine sont Trichophyton rubrum très bien adapté à l homme (70% des dermatophytes isolés), Trichophyton interdigitale, Microsporum canis, plus rarement Microsporum gypseum et Trichophyton verrucosum. Beaucoup de dermatophytes, en particulier les agents responsables de teignes sont principalement issus de migrants venant de pays économiquement pauvres : Trichophyton violaceum (Afrique du nord), Trichophyton soudanense et Microsporum langeronii (Afrique noire), Trichophyton tonsurans (Amérique du sud) essentiellement. 2.2.2. Origines et modalités de la contamination L origine de la contamination de l homme peut être humaine (espèces anthropophiles), animale (espèces zoophiles) ou tellurique (espèces géophiles). La transmission peut être directe ou indirecte. - Origine humaine: la plus fréquente, contamination soit par contact interhumain, soit indirectement par l intermédiaire de sols souillés par des squames parasitées (sols de salles de bain, salles de sport, douches collectives, piscines, plages ) ou par des objets divers (linge, vêtements, peignes, chaussettes, brosses, peignes, tondeuses ) pouvant véhiculer les squames contenant des spores ou des filaments infectants. Espèces anthropophiles : Trichophyton rubrum, Trichophyton interdigitale, Trichophyton violaceum, Trichophyton soudanense, Trichophyton tonsurans, Microsporum langeronii, Epidermophyton floccosum Isabelle ACCOCEBERRY, PCEM2, 24/03/15
Origine animale : contamination par contact direct (caresses ) ou indirect (par exemple poils parasités) avec un animal contaminé (animal domestique, d élevage ou de rente). Ces animaux peuvent être porteurs de lésions (dartres chez les veaux) ou porteurs sains sans lésions apparentes, comme c est souvent le cas chez les chiens ou les chats où seuls les poils parasités sont fluorescents sous lampe de wood. Les petits rongeurs sauvages peuvent aussi véhiculer des spores jusqu à l environnement humain par l intermédiaire des animaux domestiques. Principales espèces zoophiles : Microsporum canis (chat +++, chien) ; Trichophyton mentagrophytes (lapins, hamsters, cheval ) ; Trichophyton erinacei (hérisson) ; Trichophyton verrucosum (bovins, ovins) - Origine tellurique : la contamination peut se produire à la suite d un traumatisme à partir du sol, enrichi en kératine animale (plumes, poils, sabots ) contenant le champignon. Principales espèces telluriques : Microsporum gypseum, Trichophyton terrestre et T. mentagrophytes également retrouvée dans le sol 2.2.3. Facteurs favorisants Ils sont nombreux, liés mode de vie mais également d origine physiologique ou pathologique : - professionnels : agriculteurs, sportifs, vétérinaires - environnementaux (chaleur, humidité) : tennis, certains vêtements - socioculturels : natation, sports en salle, fitness, douches et vestiaires communs - traumatiques : microtraumatismes répétés pieds sportifs - hormonaux: teignes de l enfant - immunologiques: corticothérapie, chimiothérapie, immunodépression 3- PHYSIOPATHOLOGIE DE L INFECTION HUMAINE / CLINIQUE 3.1. EPIDERMOPHYTIES (lésions localisées à la peau glabre) Le parasitisme débute toujours par la germination d une spore sur la peau. Le filament mycélien qui naît de cette germination, pénètre dans la couche cornée de l épiderme à la faveur d une excoriation cutanée parfois minime. Le mycélium progresse en dessinant grossièrement un cercle. L hôte réagit à la progression du champignon, en général par la formation de vésicules aux points de contact filaments-peau saine : ainsi, se trouve réalisée la lésion dermatophytique élémentaire d épidermophytie circinée, arrondie, avec une couronne de vésicules ou de squames périphériques. La lésion s étend de façon centrifuge tandis qu au fur et à mesure, le centre délivré de filaments mycéliens vivants, tend à guérir. On peut individualiser : Les lésions circinées siégeant en n importe quel point du corps, plis exclus (T. rubrum, E. floccosum, M. canis, T. mentagrophytes avec des lésions en général inflammatoires) Les lésions des grands plis ou intertrigos : plis inguinaux ou cruraux, plus rarement plis axillaires, sous-mammaires ou pli interfessier (T. rubrum, E. floccosum). La bordure inflammatoire en périphérie des lésions caractérise l atteinte dermatophytique. Au niveau de ces grands plis, la lésion est souvent asymétrique. Isabelle ACCOCEBERRY, PCEM2, 24/03/15
Les lésions des petits plis : intertrigos interdigito-plantaires 4 ème et 3 ème espaces inter-orteils pouvant s étendre sur le dos du pied ou sur les plantes (T. rubrum, T. interdigitale). Le prurit est important. Les intertrigos interdigito-palmaires sont beaucoup plus rares. 3.2. DERMATOPHYTIES DES SEMI-MUQUEUSES Les muqueuses dépourvues de kératine ne sont jamais affectées. L attaque s arrête aux semi-muqueuses (lèvres, rebord des paupières, marge anale, gland chez l homme, région vulvaire chez la femme). 3.3. TEIGNES Le poil (ou cheveu) n est attaqué que secondairement. Si un des filaments mycéliens rencontre un orifice pilaire, il suit la couche cornée de l épiderme qui s infléchit jusqu à l infundibulum et trouve une autre source de kératine dans le cheveu qu il envahit de haut en bas. La progression du champignon s arrête au niveau du collet du bulbe pilaire où il n y a plus de kératine. Deux mouvements contraires interviennent : de bas en haut, la pousse pilaire fournit sans arrêt de la kératine au dermatophyte qui progresse, de haut en bas, dans le cheveu. Si le parasitisme pilaire est suffisamment intense, le cheveu casse et ainsi se trouve réalisée l image clinique de teigne tondante. Dans les teignes inflammatoires, une réaction pyogène tend à expulser les cheveux parasités (kérion). On distingue actuellement : Les teignes tondantes à grandes plaques d alopécie peu ou pas inflammatoires bien délimitées (1 à 5 cm de diamètre) ou teignes microsporiques dues à différentes espèces du genre Microsporum (M. langeronii, M. canis). Elles déterminent un parasitisme pilaire de type microsporique et donnent aux cheveux cassés, éclairés par une lampe de Wood, une fluorescence verte. Les cheveux parasités se cassent à 2 5 mm de leur émergence, formant une à plusieurs plaques arrondies, apparemment alopéciques, à fond squameux, de 1 à 5 cm de diamètre. Trois ou quatre plaques peuvent coexister, rarement plus. Les teignes tondantes à petites plaques d alopécie ou teignes trichophytiques dues à différentes espèces anthropophiles du genre Trichophyton (T. soudanense, T. violaceum, T. tonsurans). Elles déterminent un parasitisme pilaire de type endothrix et ne donnent pas de fluorescence verte sous lampe de Wood. Elles débutent par l atteinte d un très petit nombre de cheveux qui cassent au ras du cuir chevelu. Après plusieurs mois, d autres petites plaques (souvent plusieurs dizaines, quelquefois innombrables) atteignent le reste du cuir chevelu. Les cheveux sont souvent englués dans les squames, difficiles à voir. (les petites plaques peuvent secondairement fusionner pour former de grandes plaques mal délimitées) Les teignes suppuratives, plus rares se présentent comme des placards ronds du cuir chevelu, très inflammatoires, de plusieurs centimètres de diamètre et surélevées (kérions). L évolution est spontanément régressive en quelques mois. Elles sont surtout dues aux dermatophytes d origine animale (T. mentagrophytes, T. verrucosum) ou telluriques (M. gypseum), parfois aussi à certains anthropophiles (T. violaceum). Les teignes suppurées, non fluorescentes en lumière de Wood, sont peu ou pas contagieuses. Isabelle ACCOCEBERRY, PCEM2, 24/03/15
3.4. FOLLICULITES (lésions des poils) C est l atteinte du follicule pileux par un dermatophyte. Le plus souvent observées chez l homme, les lésions situées sur les poils du thorax et des membres, déterminent des folliculites inflammatoires, douloureuses souvent surinfectées. Le terme sycosis est utilisé lorsque les poils de la barbe ou la moustache sont atteints. 3.5. ONYXIS ou ONYCHOMYCOSES (lésions des ongles) C est le motif de consultation le plus fréquent en dermatomycologie. Les onyxis dermatophytiques ne sont jamais précédés de perionyxis et concernent surtout les ongles des pieds (80% des onyxis dermatophytiques). On distingue 4 types cliniques : L onychomycose sous-unguéale distale (la plus fréquente) : le dermatophyte remonte à contre-courant la lame inférieure de l ongle qui est détruite et transformée en poussière. L onychomycose sous-unguéale proximale : la lame inférieure de l ongle est atteinte dans sa partie proximale par des filaments qui se sont glissés dans les rainures latérales. Les leuconychies superficielles : attaque par des filaments de la lame superficielle de l ongle. Une ou plusieurs taches blanches siègent au milieu de l ongle. L onychomycodystrophie totale est l aboutissement des formes précédentes non ou mal traitées. Seuls quelques débris de kératine subsistent sur le lit de l ongle. Isabelle ACCOCEBERRY, PCEM2, 24/03/15
Aux ongles des mains, on isole presque exclusivement T. rubrum, quelquefois T. soudanense et T. violaceum, agents de teignes du cuir chevelu. Aux ongles des pieds, T. rubrum prédomine mais 20% des cas sont dus à T. interdigitale. 4- DIAGNOSTIC MYCOLOGIQUE 4.1. PRINCIPES ESSENTIELS DE PRELEVEMENT Le prélèvement est capital +++ : Il faut prélever où se situent les filaments mycéliens en activité à distance de toute thérapeutique locale ou générale (15 jours pour la peau, 2 mois pour un ongle). Tous les sites de prélèvement (sauf ongles, paumes, plantes) sont passés sous lampe de Wood à la recherche d une fluorescence verte de certains poils parasités. 4.2. EXAMEN DIRECT (ED) L examen direct est essentiel et confirme la mycose lorsqu il est positif. L ED des squames ou fragments d ongle après action d un liquide ramollissant (potasse, noir chlorazole) : le dermatophyte se présente sous la forme de filaments mycéliens ramifiés, septés, plus ou moins arthrosporés d environ 4 µm de diamètre. ED des cheveux (et poils) : l envahissement du champignon permettra de déterminer le type de parasitisme pilaire. On distingue ainsi: - le type endothrix ou trichophytique, le champignon se trouve à l intérieur du cheveu (pas de fluorescence) sous forme de nombreux filaments mycéliens le plus souvent transformés en chaînes de grosses spores (4 µm de diamètre), aspect en sac de noisettes. - le type microsporique (endo-ectothrix, fluorescence verte) : des spores sont aussi présentes à l extérieur du cheveu. Ainsi, on observe autour du cheveu une gaine continue de petites spores (2 µm de diamètre). A l intérieur du cheveu, se trouvent quelques filaments mycéliens difficiles à voir. - dans le type microïde (endo-ecthotrix), quelques filaments mycéliens occupent l intérieur du cheveu tandis que des chaînettes de spores (2 µm de diamètre) courent à sa surface. L identification du type endothrix oriente d emblée vers une origine anthropophile et permet donc de dire que la contagion est interhumaine. Pour le type microsporique, l origine peut être anthropophile, zoophile ou tellurique. Un examen direct de type microïde est toujours secondaire à un contage avec une souris, un cobaye, un hérisson Dans le cas des teignes, le rendu rapide de l examen direct est fondamental. C est sur ces résultats que le traitement anti-dermatophyte sera institué, immédiatement sans attendre le résultat des cultures. 4.3. CULTURE Les prélèvements sont ensemencés sur 2 milieux de culture, coulés en tube : - milieu de Sabouraud + chloramphénicol (pour empêcher la pousse des bactéries saprophytes de la peau et des phanères) - et milieu de Sabouraud chloramphénicol + cycloheximide (Actidione qui inhibe la pousse des champignons saprophytes contaminants mais pas celle des dermatophytes). L ensemencement est effectué sur la gélose, au contact du verre, en 4 ou 5 points alternés. Isabelle ACCOCEBERRY, PCEM2, 24/03/15
L incubation s effectue à la T du laboratoire ou m ieux à 26-27 C. L identification phénotypique des dermatophytes repose : - sur la vitesse de pousse (1 à 3 semaines), - l examen macroscopique des cultures (couleur et texture des colonies) - l examen microscopique des colonies (aspect des filaments et des spores). Elle peut être donnée en 10 à 30 jours. L identification de l espèce en cause permet de préciser l origine de la contamination. Actuellement, l identification des principaux dermatophytes par spectrométrie de masse et PCR est en cours de développement. Isabelle ACCOCEBERRY, PCEM2, 24/03/15
5- TRAITEMENT et PREVENTION Il doit être instauré après le prélèvement mycologique (souvent dès la connaissance de la positivité de l examen direct). Lésions de la peau glabre et des plis : - traitement local par un topique antifongique (crème, lotion ou gel) ; - antifongique par voie orale si lésions très étendues ou T. rubrum (griséofulvine, ou terbinafine) Teignes Arrêté du 3 mai 1989 : éviction scolaire quel que soit le type de teigne jusqu à présentation d un certificat attestant d un examen microscopique négatif (nécessite environ 3 semaines). Modification de l arrêté (CSHPF 14/03/03) : éviction scolaire sauf si présentation d un certificat médical de non contagiosité attestant d une consultation et de la prescription d un traitement adapté L enquête épidémiologique est de rigueur, en cas de souches anthropophiles il faut chercher le sujet infestant et en cas de souches zoophiles chercher l animal contaminant. Tous les sujets au contact doivent également faire l objet d un dépistage automatique et d un traitement en cas de positivité. Isabelle ACCOCEBERRY, PCEM2, 24/03/15
Le traitement est double (traitement systémique indispensable, en association au traitement local), et instauré dès le résultat de l examen direct : - par voie générale, griséofulvine (GRISEFULINE ), per os à la dose de 15 à 30 mg/kg/jour pendant 6 à 8 semaines, - par voie locale, application d un antifongique imidazolé sous forme topique (KETODERM sachets, 1 shampoing / jour, les 15 premiers jours) ; il est souvent nécessaire de raser les cheveux autour des lésions + mesures additives (défaire tresse, décontaminer brosses, bonnets, tondeuse ) En cas de teignes inflammatoires et suppurées (Kérions), anti-inflammatoires, antibiotiques et corticoïdes peuvent être associés. Onyxis Le traitement est fonction de l intégrité de la matrice. - absence d atteinte matricielle : le traitement peut rester local, avec une préparation antifongique en vernis : amorolfine (LOCERYL ) 1 à 2 fois par semaine pendant 6 à 9 mois ou ciclopyroxolamine (MYCOSTER ) 1 fois par jour pendant 3 à 6 mois. L avulsion chimique peut être utile avec une association imidazolé (bifonazole) et urée à 40 % (AMYCOR-ONYCHOSET, ONYSET ). Un traitement local concomittant (LAMISIL crème) des espaces inter-orteils (ou inter digitopalmaires) est nécessaire pour éviter toute réinfection. - si atteinte matricielle ou Trichophyton rubrum : au traitement local précédemment décrit, il est nécessaire d y associer un traitement par voie générale. La terbinafine (LAMISIL ) par voie orale est la molécule de choix, à la posologie de 250 mg/jour (1 cp/j) pendant 3 à 6 mois chez l adulte (surveillance hépatique et hématologique). En cas d intolérance ou de contre-indication, le fluconazole peut être utilisé. La prophylaxie est basée sur la maîtrise de la source de contamination, la reprise rapide du traitement en cas de récidives. Toutefois, les mesures préventives collectives (surveillance des douches, des piscines ) sont difficiles à mettre en œuvre fautes de normes définies pour les dermatophytes à l inverse des bactéries. POINTS ESSENTIELS - Les dermatophytoses ou dermatophyties sont les mycoses cutanées les plus fréquentes. - Les dermatophytes sont des champignons filamenteux microscopiques appartenant aux genres Epidermophyton, Microsporum et Trichophyton. Leur origine est l homme (espèces anthropophiles), l animal (espèces zoophiles) et le sol (espèces telluriques). - Ils parasitent la kératine humaine de la peau et des phanères, réalisant des lésions cliniques variées : épidermophyties, intertrigos, teignes, folliculites et onyxis. - Le prélèvement mycologique avec examen direct et mise en culture est obligatoire avant la mise en œuvre du traitement ; - Le traitement doit être local dans tous les cas, général et prolongé en cas d atteinte des phanères (cheveux et ongles). Isabelle ACCOCEBERRY, PCEM2, 24/03/15