Etude expérimentale du comportement de polymères thermoplastiques renforcés : Polypropylène chargé de fibres de chanvre F. GEHRING, V. BOUCHART, F. DINZART, P. CHEVRIER Laboratoire de mécanique Biomécanique Polymère Structures (LaBPS), ENIM, 1 route d'ars Laquenexy CS 65820 57078 Metz Cedex 3 Résumé : Ces travaux portent sur l étude du comportement et de l endommagement d un thermoplastique, polypropylène, chargé de fibres courtes de chanvre. Des essais de traction à différentes vitesses de déformations (10-4 à 10-2 s -1 ), températures (0 C à 60 C) et taux de chanvres (5% à 20%) ont été effectués. Le comportement thermomécanique dynamique a été observé par DMA. Des observations post-mortem des échantillons ont été réalisées au MEB environnemental. L objectif est d aboutir à une compréhension du comportement mécanique et des mécanismes d endommagement permettant une modélisation basée sur la microstructure réelle du composite obtenu via tomographie RX. Abstract : We investigated the thermo-mechanical behavior of short hemp fibers reinforced polypropylene. Tensile tests were conducted at various strain rates (10-4 to 10-2 s -1 ), temperatures (between 0 C and 60 C) and fiber content (5%w/w to 20%w/w). Dynamic thermo-mechanical behavior was investigated via DMA analysis. We observed damage mechanisms with environmental SEM. The mechanical behavior and the damage evolution will be described by a 3D finite element model based on the microstructure obtained by RX tomography. Mots clefs : PP/chanvre, comportement mécanique, endommagement 1 Introduction Lors des deux dernières décennies les scientifiques se sont intéressés à l étude des fibres naturelles comme renforts dans les composites à matrice polymère. Le lecteur pourra trouver plus de détails sur la classification de ces fibres en lisant le travail de review de Bledzki et Gassan [1]. Ces fibres naturelles présentent des avantages par rapport aux fibres synthétiques, comme par exemple de bonnes propriétés spécifiques, moins denses, moins chères. Cependant leur température de mise en forme nettement inférieure à celle des renforts synthétiques ou inorganiques [2] impose de les insérer dans une matrice thermoplastique de nature polyoléfine. Le débat sur l utilisation de ces renforts comme alternative aux fibres synthétiques est toujours ouvert [3][4]. En effet, comme pour les fibres synthétiques, il est nécessaire de traiter les fibres naturelles avant l élaboration du composite. Différentes méthodes sont possibles [5], la compatibilisation peut être effectuée par un agent extérieur (chimique ou physique) ou par une compatibilisation mécanique. D un point de vue environnemental l ajout d un agent extérieur chimique peut faire perdre l intérêt d utiliser du naturel. De plus la performance finale de nos composites est directement liée à la bonne compatibilisation, en effet celle-ci conditionne l évolution de l endommagement. L objectif de ce travail est donc d observer le comportement mécanique et l endommagement de polypropylène (PP) renforcé par des fibres courtes de chanvre en s intéressant particulièrement aux influences de la vitesse de déformation, de la température et de la fraction massique de chanvre. Les différentes observations devront nous permettre de lier la microstructure et la cinétique de l endommagement à la tenue mécanique de nos composites. 1
2 Matériaux et microstructures 2.1 Elaboration des composites Le thermoplastique utilisé dans nos composites est un copolymère à bloc de polypropylène du marché Sabic PP 314MNK40 de densité 0.905 g/cm 3 et d indice de fluidité à chaud de 90g/10min à 230 C et 2.16kg (suivant la norme ISO1133). La longueur moyenne des fibres de chanvre est de 250µm pour une longueur maximale inférieure à 1mm. Les composites ont été réalisés par le centre de recherche Valagro (Poitiers, France). Les fibres ont été préparées par Valagro avant le procédé de compoundage. Ce dernier a été réalisé par extrusion sur une extrudeuse bi-vis co-rotative du type Clextral BC21 avec un fourreau de longueur 600mm de rapport d aspect L/D de 25. Les granulés obtenus sont maintenus à 70 C pendant 12 heures pour retirer l excédant d eau. Le tableau 1 recense les différentes compositions étudiées. Pour toutes les compositions, des éprouvettes de type 1 (selon la norme ISO 3167) ont été injectées sur une presse à injecter modèle ARBURG Allrounder 1000-420C-250. Les dimensions caractéristiques sont données sur la figure 1. TAB. 1 Compositions étudiées Désignation %m/m de PP %m/m de chanvre PPC0 100 0 PPC5 95 5 PPC10 90 10 PPC20 80 20 FIG. 1 Dimensions des éprouvettes injectées 2.2 Analyse de la microstructure Les propriétés de composites à fibres courtes peuvent dépendre fortement du procédé de mise en forme (orientation préférentielle des fibres, distribution spatiale). Nous avons donc caractérisé la microstructure (orientation et répartition spatiale) de nos composites à partir d une analyse tomographique sur un tomographe modèle Nanotom Pheonix X-Ray. Les différentes acquisitions ont été réalisées avec un faisceau RX de puissance 13.6W pour une résolution spatiale de 6.25µm puis analysées à l aide du logiciel ImageJ et d un programme Visual Basic développé par nos soins. La répartition spatiale a été analysée à l aide d une méthode proposée par Karnezis et al. [6] que nous avons adaptée aux cas 3D. Nous avons déterminé la fonction de répartition H(r) défini par l équation (1). Cette fonction correspond au rapport du nombre de fibres par unité de volume compris dans une sphère de rayon r (N ar ) sur le nombre total de fibres par unité de volume dans tout l échantillon (N r ). Dans le cas d une répartition spatiale homogène, la fonction H(r) est constante et prend la valeur 1. ( r) N N ar H = (1) On a montré, figure 2 que les fibres dans nos composites était réparties de manière homogène dans toute l éprouvette. On peut donc en conclure qu il n y a pas d agrégation de fibres. r FIG. 2 homogénéité spatiale 2
L'orientation d une fibre peut être exprimée suivant les coordonnées cartésiennes d'un vecteur unitaire représentant la direction principale de la fibre ou à l'aide de deux angles (θ, φ), figure 3. Le plan d injection est composé des vecteurs de base (1,2), l angle φ est défini à partir de la normale au plan d injection. Pour analyser la présence ou non d une orientation préférentielle, la sphère d orientation a été découpée en 324 classes d orientation, ceci nous a permis de tracer la fonction de répartition d orientation pour chacun de nos composites. Nous avons montré que l orientation ainsi obtenue était conforme aux théories sur l injection [7] à savoir que les fibres tendent à s orienter dans le plan d injection (figure 4). Expérimentalement, nous obtenons un angle φ voisin de 80, cet écart peut être dû aux fibres très courtes qui ont suffisamment de mobilité pour s orienter hors-plan. FIG. 3 systèmes de coordonnées des fibres FIG. 4 répartition d orientation pour un PPC5 La description fine de la microstructure 3D, la caractérisation du comportement thermomécanique et l observation de l endommagement de composite PP / chanvre doit nous permettre d aboutir à la réalisation d un modèle éléments finis 3D. La figure 5 montre un exemple de reconstruction 3D du PPC5. FIG. 5 reconstruction 3D du PPC5 3 Caractérisation du comportement thermomécanique Les polymères sont des matériaux viscoélastiques non linéaires qui les rendent très sensibles à la vitesse de déformation et à la température. C est pour cette raison que les influences de la température (0 C, 26 C et 60 C), de la vitesse de déformation (10-4 à 10-2 s -1 ) et du taux massique de chanvre (0, 5, 10 et 20%m/m) sur le comportement mécanique du composite ont été étudiées par l intermédiaire d essais de traction simple. Dans un but de confronter les résultats de deux techniques expérimentales des essais thermomécaniques dynamiques de DMA ont également été effectués. 3.1 Essai de traction monotone Ces essais ont été effectués sur une machine de traction Instron de type 5585H équipée d une cellule d effort de 10kN, d un extensomètre vidéo modèle Instron AVE 2663-821 et d une enceinte climatique régulée par un contrôleur de type Euroterm 2408. Pour les essais en température un thermocouple de type K (thermomètre fluke 54II) est monté sur l éprouvette pour s assurer de la stabilisation thermique avant de lancer l essai. Les courbes contrainte-déformation de la figure 6 montrent l influence de la vitesse de déformation sur le comportement mécanique à température ambiante (26 C) de la matrice et de l un des composites étudiés. On constate que l augmentation de la vitesse de déformation augmente la pente à l origine et la contrainte maximale à rupture traduisant une rigidification des composites avec la vitesse de déformation. On constate également que la déformation à rupture pour le PP vierge tend à augmenter avec la vitesse, cette tendance ne 3
se retrouve sur aucun des composites chargés de fibres courtes. En effet, pour ces derniers la déformation à rupture semble totalement aléatoire. On peut l expliquer par l endommagement, en effet les fibres non parallèles à la direction de chargement œuvrent comme défauts potentiels limitant la déformation à rupture [8]. Les mêmes tendances se retrouvent sur les courbes des composites non-représentées sur la figure 6. (a) PP vierge (b) PPC10 FIG. 6 Influence de la vitesse de déformation sur le comportement de composite PP/chanvre Lorsqu on s intéresse à l influence de la fraction massique de chanvre (figures 7 (a) et 7 (b)) sur le comportement mécanique, on constate que celle-ci dépend fortement de la vitesse de déformation choisie. En effet l examen visuel après essai (figure 8) a montré qu à faible vitesse le stade d endommagement dépend de la fraction massique de chanvre. A faible vitesse de déformation et faible fraction massique de chanvre, la rupture apparait sans endommagement apparent. Alors qu à vitesse plus élevée, tous les composites semblent être dans le même état d endommagement. On constate également à vitesse de déformation élevée que les courbes du PPC5 et du PPC10 sont très proches l une de l autre en particulier lors des premiers stades de déformation. (a) 4 ε& = 10 s (b) ε& = 10 s FIG. 7 Influence de la teneur en chanvre pour une vitesse de déformation fixée 4 (a) PPC5 pour ε& = 10 s (b) PPC5 pour ε& = 10 s 4 (c) PPC20 pour ε& = 10 s (d) PPC20 pour ε& = 10 s FIG. 8 différents niveaux d endommagement 4
Les courbes contrainte-déformation de la figure 9 montrent l influence de la température sur le comportement d un des composites pour une seule vitesse de déformation (10-2 s -1 ). On constate clairement que la température augmente la ductilité de nos composites. A vitesse de déformation plus élevée (10-2 s -1 ), on constate que l ajout de chanvre diminue la déformation à rupture ε r (figure 9 (b)) ceci peut être expliqué par le nombre plus important d extrémités de fibres qui agissent comme des amorces de rupture. (a) PPC20 pour ε& = 10 s (b) Evolution de ε r pour ε& = 10 s FIG. 9 Influence de la température sur le comportement de composites PP/chanvre 3.2 Analyse mécanique dynamique Afin d étudier le comportement viscoélastique de ces composites, des essais de flexion 3 points ont été réalisés sur un analyseur DMA de type Netzsch DMA 242C. Les différents essais ont été réalisés de -60 C à 100 C pour trois fréquences différentes (2.5Hz, 5Hz et 10Hz). L azote liquide n a été utilisé que pour refroidir l enceinte et pendant la phase de stabilisation. La figure 10 montre les résultats expérimentaux obtenus par DMA pour une seule fréquence (5Hz). Le facteur de perte ne présente qu un seul pic caractéristique de la transition α associée à la transition vitreuse du PP, celle-ci se situe aux alentours de 20 C. L ajout de fibres de chanvre ne modifie pas la position de ce pic mais réduit la part visqueuse du composite. De plus les modules de conservation (pouvant être assimilés au module d élasticité) des composites chargés à 5% et à 10% se superposent confirmant les remarques précédentes sur les essais de traction. FIG. 10 Courbes expérimentales DMA 4 Conclusion Les matériaux composites à matrice polymère (naturel ou non) renforcés de fibres naturelles peuvent jouer un rôle important dans certaines applications (pièces automobiles, pièces aéronautiques, mobilier urbain, etc.). Pour cela il est nécessaire de bien appréhender le comportement mécanique de ces matériaux, en se focalisant principalement sur les mécanismes de vieillissement et d endommagement. Les premiers essais, présentés ici montrent que l ajout de fibres de chanvre dans une matrice polypropylène tend à augmenter ces propriétés mécaniques. L influence de la vitesse de déformation, de la température initiale et du taux de 5
chanvre est clairement analysée. L objectif de ce travail est de proposer une modélisation spatiale du comportement thermomécanique du composite en modélisant finement la microstructure afin d avoir une approche locale des mécanismes d endommagement localisés à l interface fibres-matrice de ce matériau. La connaissance de la cinétique et des mécanismes d endommagement est cruciale pour améliorer les performances de ces composites. Des observations post-mortem du faciès de rupture au MEB environnemental (MEB JEOL JSM-5800LV) ont permis de lister les principaux mécanismes d endommagement de nos composites. La figure 11 présente les principaux mécanismes d endommagement liés aux fibres courtes. Ces mécanismes sont conformes à ceux cités dans la littérature sur les fibres courtes [9]. FIG. 11 mécanismes d endommagement des composites à fibres courtes References [1] Bledzki A.K. et Gassan J., Composites reinforced with cellulose based fibres, Progress in Polymer Science, 24, 221-274, 1999. [2] Hatakeyama T. et Hatakeyama H., Thermal Properties of Green Polymers and Biocomposites. [éd.] Inc. Springer Science, Kluwer academic publishers, 2005. [3] Joshi S.V., Drzal L., Mohanty A. et Arora S., Are natural fiber composites environmentally superior to glass fiber reinforced composites?, Composites: Part A, 35, 371-377, 2004. [4] Bodros E., Pillin I., Montrelay N. et Baley C, Could biopolymers reinforced by randomly scattered flax fibre be used in structural applications?, Composites Science and Technology, 67, 462-470, 2007. [5] Beckermann G.W. et Pickering K.L., Engineering and evaluation of hemp fibre reinforced polypropylene composites: Fibre treatment and matrix modification, Composites: Part A, 39, 979-988, 2008 [6] Karnezis P.A., Durrant G. et Cantor B., Characterization of Reinforcement Distribution in Cast Al- Alloy/SiCp Composites, Materials Characterization, 40, 97-109, 1998. [7] Redjeb A., Simulation numérique de l'orientation de fibres en injection de thermoplastique renforcé, thèse de doctorat Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, 2007 [8] Hajnalka H., Racz I. et Anandjiwala R.D., Development of Hemp Fibre Reinforced Polypropylene Composites, Journal of Thermoplastic Composite Materials, 21,165-174, 2008. [9] De Rosa I.M., Santulli C., Sarasini F., Valente M., Post-impact damage characterization of hybrid configurations of jute/glasspolyester laminates using acoustic emission and IR thermography, Composites Science and Technology,69, 1142-1150,2009 6