SUR LA RECEVABILITÉ de la requête No 19043/91 présentée par T. T. contre la France La Commission européenne des Droits de l'homme (Première Chambre), siégeant en chambre du conseil le 12 janvier 1994 en présence de MM. Mme MM. Mme A. WEITZEL, Président C.L. ROZAKIS F. ERMACORA E. BUSUTTIL A.S. GÖZÜBÜYÜK J. LIDDY M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER G.B. REFFI B. CONFORTI N. BRATZA I. BÉKÉS E. KONSTANTINOV M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Chambre Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 12 janvier 1990 par T. T. contre la France et enregistrée le 6 novembre 1991 sous le No de dossier 19043/91 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu la décision de la Commission, en date du 14 octobre 1992, de communiquer la requête ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 2 avril 1993 et les observations en réponse présentées par le requérant le 2 juin 1993 ; EN FAIT Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : Le requérant, ressortissant français, est né en 1936 à Douadou (Guinée). Militaire à la retraite, il réside à Marle (Aisne). Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit : Le 13 janvier 1977, le requérant acquit par vente aux enchères publiques devant le tribunal de Paris un logement en copropriété dans l'immeuble sis rue du Terrage à Paris pour 24.000 FF tous frais compris. Alors que le prix d'adjudication avait été payé, il reçut le 30 novembre 1977 du syndic une opposition pour arriérés de charges de 21.511, 62 FF dûs par l'ancien copropriétaire, qu'il tint pour nulle en la forme et tardive, à laquelle il ne donna donc pas suite. Le 18 juillet 1979, le syndic des copropriétaires de l'immeuble assigna le requérant devant le tribunal de grande instance de Paris en
paiement des arriérés de charges et dommages-intérêts, en se fondant sur une clause de solidarité prévue au règlement de copropriété entre cédant et cessionnaire et mentionnée au cahier des charges. Le requérant conclut pour sa part à la condamnation du syndic à lui verser la somme de 7.093,29 FF en remboursement d'un trop perçu de charges et subsidiairement à la désignation d'un expert avec mission de contrôle des charges et travaux. Le 28 août 1979, le requérant vendit son logement. Par jugement rendu le 24 février 1981, le tribunal fit état d'une jurisprudence récente en vertu de laquelle "la clause de solidarité doit être réputée non écrite parce que n'étant pas de la nature des règles relatives à l'administration des parties communes" de la copropriété. Il débouta le syndic de copropriété et donna partiellement droit au requérant en condamnant le premier à lui verser la somme de 7.093,29 FF en remboursement du trop perçu de charges. Le 11 mai 1981,le syndic interjeta appel de ce jugement en reprochant au tribunal d'avoir appliqué une jurisprudence de la Cour de cassation postérieure aux faits de la cause. Il déposa ses conclusions le 23 mars 1982. Le requérant déposa les siennes le 10 février 1982. Le 29 avril 1982, le requérant forma un appel incident et déposa ses conclusions. Le 3 mai 1982, le syndic déposa ses conclusions sur l'appel incident. Le 24 novembre 1982, le magistrat de la mise en état révoqua l'ordonnance de clôture de l'instruction, initialement rendue le 24 juin 1982, en raison de la nomination d'un nouveau syndic par l'assemblée générale du syndicat des copropriétaires. Une nouvelle ordonnance de clôture de l'instruction fut rendue le 6 janvier 1983 et l'audience publique se tint le 17 février 1983. Par arrêt rendu le 21 avril 1983, la cour d'appel de Paris confirma le jugement de première instance en ce qui concernait l'absence de force juridique de la clause de solidarité intégrée dans le règlement de copropriété. Elle releva par contre que le cahier des charges contenait un dire inséré antérieurement à l'adjudication. Ce dire avait été inséré à la demande de l'avocat d'une banque créancière et indiquait que le précédent propriétaire était redevable envers le syndicat des copropriétaires d'une somme totale de 13.464,21 FF. Elle considéra que ce dire faisant la loi entre les parties s'imposait au requérant. La cour confirma également le jugement en ce qu'il condamnait le syndic à payer au requérant la somme de 7.093,29 FF, y ajoutant les condamnations au paiement d'intérêts moratoires et condamna le requérant au paiement avec intérêts de la somme de 13.464,21 FF. Le 5 juillet 1983, le requérant forma un pourvoi devant la Cour de cassation et déposa ses conclusions le 5 décembre 1983. Le syndic déposa un mémoire en défense le 30 mars 1984. Par arrêt du 6 novembre 1984, la Cour de cassation cassa et annula avec renvoi devant la cour d'appel d'orléans l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris qui, pour faire droit à la demande du syndic, avait soulevé d'office le moyen relatif au dire inséré à la demande d'un créancier, sans inviter les parties à présenter leurs observations, au mépris du principe du respect du contradictoire. Le requérant saisit la cour de renvoi d'orléans le 30 avril 1985 et déposa ses conclusions le 9 octobre 1986. Le syndic se constitua le 6 juin 1985 et déposa ses conclusions le 15 mai 1986. L'ordonnance de clôture de l'instruction fut rendue le 30 octobre 1987.
Par arrêt rendu le 14 janvier 1988 suivant audience du 26 novembre 1987, la cour d'appel d'orléans considéra que le requérant s'était, en acceptant le cahier des charges, engagé de son propre consentement, à verser au syndic la somme de 13.464,21 FF. Elle condamna le requérant au paiement de cette somme et dit que les dépens de première instance et d'appel seraient supportés par moitié par chacune des parties. Le 25 mars 1988, le requérant présenta une demande d'aide judiciaire en vue de se pourvoir en cassation, demande qui fut rejetée le 10 novembre 1988 par le bureau d'aide judiciaire près la Cour de cassation. Le 19 janvier 1989, le requérant forma un pourvoi devant la Cour de cassation et déposa ses conclusions le 12 juin 1989. Par arrêt rendu le 4 janvier 1991, la Cour de cassation cassa et annula l'arrêt de la cour de renvoi pour dénaturation de document. Elle renvoya l'affaire devant la cour d'appel d'angers. Le 30 janvier 1991, la copie de cet arrêt fut envoyée à l'avocat du requérant. La cour d'appel d'angers n'a jamais été saisie ni par le requérant ni par le syndic (1). (1) L'article 1034 du Nouveau Code de procédure civile dispose que "A moins que la juridiction de renvoi n'ait été saisie sans notification préalable, la déclaration doit, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, être faite avant l'expiration du délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt de cassation faite à la partie. Ce délai court même à l'encontre de celui qui notifie". L'article 386 du Nouveau Code de procédure civile énonce que "l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans". GRIEFS 1. Invoquant l'article 6 de la Convention et l'article 1 du Protocole additionnel, le requérant se plaint de la durée de la procédure qui a été introduite le 18 juillet 1979 contre lui et qui n'a pas encore abouti à ce jour, et des répercussions de celle-ci sur le droit au respect de ses biens. Il explique qu'en raison de la complexité de ces procédures et de la force exécutoire des décisions judiciaires, il a dû faire face à des frais importants d'un montant supérieur à la valeur en litige. 2. Dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement, le requérant allègue la violation de l'article 6 par. 3 c) de la convention et se plaint de ce que le recours à un avocat est obligatoire (et de l'absence de barème concernant les honoraires des avocats). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 12 janvier 1990 et enregistrée le 6 novembre 1991. Le 14 octobre 1992, la Commission a décidé, conformément à l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, de porter la requête à la connaissance du Gouvernement français et de l'inviter à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé du grief portant sur la durée de la procédure au regard de l'article 6 par. 1 de la Convention. Les observations du Gouvernement défendeur ont été présentées le
2 avril 1993 après une prorogation de délai. Les observations en réponse du requérant ont été présentées le 2 juin 1993. EN DROIT 1. Le requérant se plaint de la durée de la procédure. Il invoque sur ce point l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui dispose notamment que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue... dans un délai raisonnable par un tribunal... qui décidera... des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil...". Le Gouvernement considère qu'une procédure, non achevée, où un tribunal, deux cours d'appel et la Cour de cassation à deux reprises ont eu à se prononcer témoignent de la complexité du litige. Le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle "l'exercice du droit à un examen de la cause dans un délai raisonnable est subordonné en matière civile, à la diligence de l'intéressé" (Cour eur. D.H, arrêt Pretto du 8 décembre 1983, série A n 71, p. 14, par. 33). Devant le tribunal de grande instance de Paris et la cour d'appel de Paris, les procédures ont duré respectivement un an et sept mois et près de deux ans, ce qui ne saurait constituer une durée excessive, notamment au regard du comportement des parties au litige. En effet, alors que le syndic des copropriétaires interjetait appel le 11 mai 1981, il ne déposa ses conclusions que le 23 mars 1982. Par ailleurs, le requérant forma un appel incident et ne déposa ses conclusions que le 3 mai 1982. Enfin, l'ordonnance de clôture de l'instruction, rendue le 24 juin 1982 dut être révoquée par le magistrat de la mise en état en raison de la nomination d'un nouveau syndic par l'assemblée générale des copropriétaires ; une nouvelle ordonnance fut rendue le 6 janvier 1983. En ce qui concerne la première procédure devant la Cour de cassation, le Gouvernement note qu'elle a duré un an et quatre mois mais précise que le requérant ainsi que le syndic ont attendu cinq mois pour déposer leur mémoire. La procédure devant la Cour d'appel d'orléans après la première cassation s'est déroulée sur une période de deux ans et huit mois mais le Gouvernement fait valoir que cette durée est également imputable aux comportements des parties. En effet, le requérant saisit la cour d'appel le 30 avril 1985 mais ne déposa ses conclusions que le 9 octobre 1986 tandis que le syndic se constituait le 6 juin 1985 pour ne déposer ses conclusions que le 15 mai 1986. En outre, le syndic adressa une sommation de communiquer en date du 6 octobre 1987, trois semaines avant la clôture de l'instruction, au requérant afin d'obtenir quatre pièces dont les décisions rendues par les juridictions précédentes. L'audience eut lieu le 26 novembre 1987 et la cour d'appel rendit son arrêt le 14 janvier 1988. Quant à la seconde procédure devant la Cour de cassation, elle dura deux ans et un peu plus de neuf mois mais le Gouvernement constate que le requérant s'est vu refuser sa demande d'aide judiciaire le 10 novembre 1988 et ne s'est pourvu en cassation que le 19 janvier 1989. Enfin, l'arrêt de la Cour de cassation du 4 janvier 1991 renvoyait les parties devant la cour d'appel d'angers mais celle-ci n'a toujours pas été saisie par le requérant et l'article 386 du nouveau code de procédure civile qui dispose que "l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligence pendant deux ans" doit s'appliquer en l'espèce. En conclusion, le Gouvernement considère que la durée de la procédure s'explique par le manque de diligence des parties au litige et ne saurait ainsi être imputée aux autorités nationales. Dès lors,
le grief tiré de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) est manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Le requérant rappelle que la durée actuelle de la procédure pour cette affaire simple est de onze ans, cinq mois et seize jours et considère qu'elle est due aux renvois successifs devant les cours d'appel par la Cour de cassation. La Commission a procédé à un examen préliminaire des thèses développées par les parties. Elle estime que la requête pose sur ce point de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, cette partie de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. 2. Le requérant se plaint enfin de la violation de son droit à se défendre lui-même tel que le prévoit l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c). La Commission constate que ce grief a été formulé pour la première fois dans les réponses du requérant aux observations du Gouvernement soit le 2 juin 1993, c'est-à-dire largement plus de six mois après la date de la dernière décision judiciaire intervenue, soit l'arrêt de la Cour de cassation du 4 janvier 1991. Il s'ensuit que ce grief est tardif et doit être rejeté conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE quant au grief tiré de la durée de la procédure ; à la majorité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus. Le Secrétaire de la Première chambre (M.F. BUQUICCHIO) Le Président de la Première Chambre (A. WEITZEL)