La cogénération : récupérer l énergie pour un chauffage zéro CO2.

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Transcription:

JANCOVICI Charles-Antoine, 24 ans Étudiant, Master 2 Finance Prix EPE Metronews 2016 : réduire, réutiliser, recycler, recréer. La cogénération : récupérer l énergie pour un chauffage zéro CO2. 1

Le chauffage des logements et des bureaux représentent aujourd hui en France 59,6 millions de tonnes d émissions de CO2. Nous utilisons majoritairement des combustibles fossiles pour le chauffage (fioul, gaz, charbon), ressources naturelles importées, chères, et de plus en plus rares, dont l impact négatif l environnement est aujourd hui généralement admis. Afin de limiter la consommation de ces énergies, pour des raisons économiques et écologiques, de plus en plus de villes développent des réseaux de chaleur pour le chauffage urbain, et la cogénération. Cette dernière permet d exploiter la chaleur perdue des centres d incinération de déchets (en France notamment) ou des centrales électriques au gaz et au charbon (très courantes en Allemagne). Mais il existe en France une ressource abondante de chaleur perdue, rejetée dans l environnement : les centrales nucléaires, dont approximativement deux tiers de la puissance thermique ne sont pas convertis en électricité, mais rejetés dans l environnement via les nuages de vapeur des tours de refroidissement, ou par élévation de la température des cours d eau. L objectif de ce rapport ne sera pas de discuter des bienfaits ou méfaits de l énergie nucléaire sur l environnement, faisant déjà l objet de débats parmi climatologues et écologistes, sur la question épineuse des déchets nucléaires, contrepartie préoccupante d un faible impact sur l atmosphère et le climat. Non, l objectif de ce rapport est d étudier la faisabilité de la récupération de la chaleur perdue par ce mode de production pour la réutiliser dans les réseaux de chauffage urbain. La Loi de transition énergétique pour la croissance verte, adoptée en 2015, a pour objectif une réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50% à l'horizon 2025. Un rapport de l ADEME publié en 2015 étudie la faisabilité d une production électrique 100% d origine renouvelable pour 2050. Ces échéances, située dans plusieurs décennies pour celle de l ADEME, admettent peu ou prou que l atome sera encore présent pour longtemps. Dès lors, de façon réaliste, autant faire une utilisation rationnelle de l énergie qui fournit encore 76% de notre électricité en 2016. 2

La cogénération : récupérer l énergie pour un chauffage zéro CO2 I. Chauffage urbain et cogénération... 4 a. Les réseaux de chaleur... 4 b. La cogénération... 5 c. Pourquoi la cogénération nucléaire?... 6 II. Étude de faisabilité... 7 a. Des précédents dans l Histoire... 7 b. Mise en œuvre de la cogénération nucléaire... 7 III. Réalisation économique... 9 a. Objectifs... 9 b. Investissements d adaptation des centrales... 9 c. Acheminer la chaleur vers les agglomérations... 10 d. Développement et extension du réseau urbain... 10 e. Estimation de la rentabilité économique... 10 IV. Bénéfice environnemental et économique... 10 Conclusion... 11 Bibliographie... 12 3

I. Chauffage urbain et cogénération a. Les réseaux de chaleur Un réseau de chaleur, également appelé réseau de chauffage urbain, permet de distribuer dans une agglomération de la chaleur aux différents bâtiments, à l aide d un fluide caloporteur (généralement de l eau) circulant dans des canalisations. La chaleur ainsi distribué est utilisée pour deux applications principales : le chauffage des locaux, et celui de l eau chaude sanitaire. Par opposition au système de chauffage central, la chaleur n est pas générée par une chaudière située dans le bâtiment ou la maison, mais par une chaufferie qui possède la puissance nécessaire pour alimenter un quartier, voire une ville entière en chaleur. Figure 1: Schéma d'un réseau de chauffage urbain. Auteur : POWER SOLUTIONS FRANCE Le réseau de chaleur fonctionne en circuit fermé : les canalisations «chaudes» apportent les calories aux différents bâtiments ; une fois les calories cédées au réseau de chauffage central d un local, le fluide «froid» retourne à la chaufferie pour y être réchauffé, et ainsi de suite. Un tel système fonctionne tout au long de l année. Il est bien sûr très sollicité en hiver pour les besoins de chauffage, et le reste de l année il chauffe l eau courante, ainsi que certains équipements publics (piscines). Les réseaux de chaleurs sont un atout pour les agglomérations, car le rendement des chaufferies, de grandes dimensions, est supérieur à celui des chaudières individuelles ou collectives fonctionnant au fioul, au gaz ou au bois. Ils permettent également de récupérer la chaleur perdue lors de la combustion des ordures ménagères, des centrales électriques thermiques ou de la biomasse : c est la cogénération. L idée de ces réseaux n est pas neuve ; les premiers apparaissent à la fin du XIXème siècle en Europe, et se développent en France à partir des années 1950. Mais malgré tout notre pays reste en retard par rapport à ses voisins ; seulement 7,7% du parc immobilier français est relié à un réseau de chaleur, alors que la moyenne européenne est de 20%! En 2007, le Grenelle de l Environnement avait fixé comme objectif le rattrapage des 20% pour 2020 avec la création du Fonds chaleur ; les efforts réalisés depuis permettront d atteindre seulement 10% à cette date. Pourtant, notre potentiel reste sous-exploité, car les 30 aires urbaines les plus peuplées de concentrent 40% de la population française. Concrètement, aujourd hui la France dénombre 501 réseaux de chaleurs, sur une longueur de 3725 km. 4

b. La cogénération La cogénération est l exploitation et la valorisation d une forme d énergie, considérée comme un «déchet» dans une centrale. Dans une très grande variété de modes de production d électricité, dits «thermiques», le principe reste le même : une source chaude, issue de la combustion (charbon, gaz, fioul, bois, ordures ménagères ) ou d une réaction nucléaire, fait bouillir de l eau ; la vapeur ainsi générée va faire tourner une turbine, elle-même reliée à un alternateur, qui va produire de l électricité. Turbine à vapeur Alternateur Chaudière Condenseur Circulation du fluide de refroidissement Pompe à eau Figure 2 : Schéma très simplifié d'une centrale thermique Le système décrit en Figure 2, le plus largement répandu dans les centrales électriques, a pour but de convertir de l énergie thermique, dite «énergie primaire» en énergie électrique, «énergie secondaire». Mais selon les lois de la thermodynamique, le rendement d un tel système, c est-à-dire le rapport entre l énergie électrique récupérée et l énergie thermique fournit par la chaudière, n excède pas 30 à 40%. Cela signifie qu environ 60 à 70% de l énergie est perdue, en grande majorité sous forme de chaleur évacuée par le fluide de refroidissement (eau chaude rejetée dans un cours d eau, cheminée d évacuation de vapeur d eau, etc.). La cogénération a pour but de récupérer cette chaleur perdue, qui ne peut être convertie en électricité par l ensemble turbine-alternateur pour la valoriser dans le réseau de chauffage urbain. Elle est économiquement et écologiquement vertueuse ; l utilisation des ressources dans les centrales est optimisée en augmentant l énergie récupérée sans augmenter la consommation des ressources, et les réseaux de chauffage urbain permettent aux bâtiments de se passer de chaudière au gaz ou fioul, ou de chauffage électrique, limitant d autant la consommation d énergie et les rejets de CO2. Largement répandu dans d autres pays européens, notamment les pays scandinaves et l Allemagne, la cogénération a accéléré son développement depuis le Grenelle de l Environnement et la création du Fonds chaleur. 5

Bouquet énergétique des réseaux de chaleur Gaz naturel hors cogénération Gaz naturel cogénération Énergie renouvelables & de récupération Fioul 40% Charbon Autres 5% 9% 3% 17% 26% Source d énergie GWh Gaz naturel hors 7 678 cogénération Gaz naturel 4 983 cogénération Énergie renouvelables & 12 144 de récupération Fioul 1 467 Charbon 2 710 Autres 1 011 Total 29 993 Figure 3: Bouquet énergétique des réseaux de chaleur en 2013. Source : Rapport 2014 du Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU) Actuellement la cogénération fournit environ 17% de l énergie des réseaux de chaleur, et les énergies renouvelables et de récupération (biomasse, gaz de récupération, chaleur industrielle, chaleur issue de l'incinération des déchets, géothermie) environ 40%, soit au total 57% de sources «écologiques», ou 17,1 TWh sur un total de 29,99 TWh de chaleur distribué dans les réseaux. En comparaison, la consommation de chauffage du secteur résidentieltertiaire en France était de 389 TWh en 2012, et a dégagé 59,6 millions de tonnes de CO2. Les réseaux de chaleurs fournissent donc à peine 7,7% de notre consommation de chauffage. c. Pourquoi la cogénération nucléaire? La lutte contre le réchauffement climatique impose donc d accroître nos réseaux de chaleur, et de les alimenter par des sources écologiques va les énergies de récupération et la cogénération. Mais malgré tout, un plan de vaste développement de cogénération et d extension des réseaux se heurte à une réalité : la France, contrairement à ses voisins, est très peu équipée en centrales thermiques classiques (gaz, charbon, fioul). Avec seulement 34,1 TWh d électricité générés en 2015 (soit 6,2% de la production totale), la progression de la cogénération thermique telle que pratiquée par nos voisins va bientôt se heurter au faible nombre de centrales qui pourront servir de source de chaleur. Pour mémoire les centrales thermiques ont un rendement de 30 à 40% ; il reste donc 60 à 70% de chaleur à récupérer. Mais afin de ne pas perturber le cycle thermodynamique, qui verrait la productivité électrique de la centrale chuter, la totalité de ces 60 à 70% n est pas récupérable. Partir d une hypothèse d une récupération de 30 à 40% (soit similaire à la productivité électrique) donne une base de calcul. Nous ne pourrons donc, à l avenir, récupérer environ seulement 34 TWh de chaleur de nos centrales thermiques classiques. Ce qui est une bonne chose, mais reste en deçà de l objectif ambitieux que nous nous fixerons, c est-à-dire de couvrir 40% des besoins de chauffage du résidentiel-tertiaire des principales agglomérations, soit 41,7 TWh. Les énergies de récupération, citées précédemment, sont une autre source écologique. Mais, de la même manière que la cogénération thermique classique, elle pourra se heurter à un manque de ressource : l incinération des ordures ménagères se développe à la place de la mise en décharge, mais la quantité d ordure produite par les français ne suffira pas, sans compter que le tri sélectif réduit la quantité de déchets non recyclés. La filière de la biomasse est intéressante, mais le bois, majoritairement utilisé dans les installations, pose quelques problèmes : c est une ressource neutre en CO2 puisqu il est issue de forêts gérées 6

durablement, mais sa combustion dégage des gaz nocifs (monoxyde de carbone, benzène, particules fines ). Il faut donc nous tourner vers notre principale source d électricité, qui peut devenir notre principale source de chaleur : l énergie nucléaire. Les oppositions et controverses au sujet de cette énergie sont nombreuses. Mais en tout état de cause, en partant d une hypothèse «non écologique» du nucléaire, aucun rapport ni aucune étude publiée n a montré qu une sortie totale du nucléaire n était envisageable à court terme de façon économiquement et techniquement réaliste, car il représente 76% de notre production électrique, un des plus fort taux au monde. La Loi de transition énergétique pour la croissance verte a fixé comme objectif une réduction de cette part à 50% à l'horizon 2025. Et un rapport de l ADEME publié en 2015 étudie la faisabilité d une production électrique 100% d origine renouvelable pour 2050. Nous nous devons donc, en attendant que la transition énergétique soit complète, optimiser au mieux cette énergie. La cogénération nucléaire permettra d atteindre des objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO2 et d amélioration de la qualité de l air dans les agglomérations. II. Étude de faisabilité a. Des précédents dans l Histoire Depuis que l atome civil a émergé, l idée d utiliser son énergie pour le chauffage est apparue en même temps que son utilisation électrogène. En 1964 la centrale nucléaire d Ågesta est mise en service dans la banlieue de Stockholm. Première centrale suédoise, elle fournit électricité et chaleur à la capitale. Peu rentable en raison de sa petite dimension et succombant aux nouvelles normes de sûreté, la centrale ferme en 1974. Pendant ses dix années d exploitation, le réacteur aura fourni 415 GWh d'électricité et 800 GWh de chaleur à la ville. En Allemagne de l Est, la centrale nucléaire de Greifswald ouverte en 1974, était également connectée au réseau de chaleur local. Après la réunification en 1990, la centrale est fermée car elle ne correspond pas aux standards de sûreté occidentaux. Le réseau de chaleur a ensuite été alimenté par une centrale au gaz nouvellement construite, équipée de la cogénération. De tels exemples, s ils n ont pas été prolongés dans le temps, montrent que la cogénération nucléaire est techniquement possible. b. Mise en œuvre de la cogénération nucléaire Réseau de chaleur urbain Turbine à vapeur Alternateur Échangeur de chaleur Réacteur Circuit secondaire Condenseur Figure 4: Schéma simplifié d'un réacteur nucléaire, avec cogénération Circuit de refroidissement et de cogénération 7

La Figure 4 illustre le principe général d un réacteur nucléaire, auquel on grefferait un système de cogénération alimentant le réseau de chaleur urbain. Le réacteur nucléaire est situé dans l enceinte de confinement ; un circuit primaire où circule de l eau, sert à extraire la chaleur du réacteur. L eau du circuit primaire est maintenue liquide sous haute pression à 155 bars. Elle sort du réacteur à 328 C, avant de céder une partie de sa chaleur au circuit secondaire et retourne dans le réacteur à 292 C. L eau du circuit secondaire est transformée en vapeur, qui va faire tourner la turbine, entraînant l alternateur qui génère de l électricité. Grâce à une source froide (eau d un fleuve ou de mer), le condenseur va refroidir la vapeur du circuit secondaire pour la faire passer à l état liquide, avant d être pompée vers le générateur de vapeur et recommencer un nouveau cycle. L eau de la source froide, réchauffée, est habituellement rejetée dans l environnement, soit directement dans le cours d eau, la mer ou bien par les tours de refroidissement. L objectif de la cogénération nucléaire est d arrêter de gaspiller la chaleur en la rejetant dans l environnement, mais plutôt de l exploiter pour alimenter en calories les réseaux de chaleur. La première considération est celle du risque d une telle installation : il n y a en réalité aucun risque de contamination de l eau des réseaux urbains du fait des nombreuses séparations des circuits. Dans un réacteur nucléaire, seule l eau du circuit primaire circule dans le réacteur et est radioactive ; l eau du circuit secondaire, isolée par la tuyauterie du générateur de vapeur, n est pas radioactive. Et l eau de cogénération, issue du circuit de refroidissement, n est elle-même pas en contact avec l eau du circuit secondaire, isolée par la tuyauterie du condenseur. De plus, l eau de cogénération ne circule pas dans l enceinte de confinement où se situe le réacteur. Enfin, l eau du réseau de chaleur est isolée de l eau de cogénération par l échangeur de chaleur. Il y a donc en tout trois barrières entre l eau du circuit primaire et l eau finalement distribuée en agglomération. Pour finir, un système de contrôle de qualité de l eau, adjoint d une vanne automatique peut couper sans délai la circulation d eau si une quelconque contamination était relevée. Concrètement, la conversion de réacteurs nucléaires à la cogénération est techniquement faisable. Il n existe pas de précédent d une conversion réalisée après la construction d un réacteur, ou d étude chiffrant la réalisation. Malgré tout, l adjonction de ce système, qui devrait être soumis à l approbation de l Autorité de Sûreté du Nucléaire (ASN), se ferait dans la partie non nucléaire de l installation. Ce point est important car il s agirait de travaux proches de ceux réalisés pour convertir à la cogénération les centrales thermiques classiques. Aucune modification lourde dans la conception du réacteur ou des installations attenantes n est à envisager. Seule une modification du condenseur, avec prélèvement de chaleur et contrôle de la température, puis construction des conduites de transport jusqu aux grandes agglomérations sont à réaliser. Avec 58 réacteurs répartis dans 19 centrales, les principales agglomérations et aires urbaines française se trouvent suffisamment proche d une centrale pour qu il soit économiquement envisageable d alimenter le réseau de chaleur à partir de la cogénération nucléaire. 8

Le tableau ci-contre répertorie les 15 plus grandes aires urbaines françaises, qui concentrent un tiers de la population, et la distance avec la plus proche centrale nucléaire. Avec l agglomération parisienne, ce sont ainsi dix des plus grandes métropoles qui sont situées à moins de 105 km d une centrale nucléaire. Ce qui peut être considéré comme un risque, est pourtant un atout dans pour la cogénération et le transport de chaleur. L étude préalable porte uniquement sur ces grandes agglomérations (surlignées en gris), car les réacteurs sont une importante source d énergie, et les travaux à réaliser sont plus coûteux que pour une petite unité de cogénération située en ville. Il faut donc que le réseau urbain à alimenter et à développer soit suffisamment conséquent pour assurer la rentabilité des investissements, et que le bénéfice environnemental soit significatif. Unité urbaine Population Paris 10 550 350 Centrale la plus proche Nogent-sur- Seine Distance (en km) 105 Lyon 1 584 738 Bugey 35 Marseille-Aix 1 565 879 Tricastin 140 Lille 1 024 075 Gravelines 85 Nice 943 695 Tricastin 279 Toulouse 906 457 Golfech 83 Bordeaux 863 391 Blayais 62 Nantes 606 640 Chinon 145 Toulon 561 155 Tricastin 193 Douai-Lens 506 097 Gravelines 90 Grenoble 504 734 Bugey 92 Rouen 465 879 Paluel 64 Strasbourg 454 475 Fessenheim 81 Avignon 445 501 Tricastin 50 Montpellier 406 891 Tricastin 118 III. Réalisation économique a. Objectifs L étude portera sur les objectifs suivants : Nombre d agglomérations à relier : les dix plus grandes situées à 105 km ou moins d une centrale, soit 17,3 millions d habitants Taux de bâtiments reliés au réseau de chauffage urbain : 40% Estimation de chaleur à délivrer : 41 735 GWh par an (consommation annuelle de chauffage de 40% des bâtiments des dix agglomérations retenues) b. Investissements d adaptation des centrales La cogénération nucléaire a déjà fait l objet de recherches, d applications et de documentation, mais la conversion d une centrale existante manque d études d évaluation des coûts. Néanmoins, la proximité technique du circuit de refroidissement avec celui d autres modes de production thermique autorise une comparaison des coûts avec ceux-ci. Un rapport commandé par le Ministère de l Industrie en 2006 chiffre la mise en place d une chaudière à cogénération à 100 /kw, qui sera utilisé comme base pour les calculs. L utilisation des réseaux de chaleur est saisonnière ; les besoins de chauffage sont concentrés pendant les mois les plus froids de l année. Pour calculer la capacité de puissance des installations, il faut tenir compte de la «durée de fonctionnement», c est-à-dire l équivalent en heures de fonctionnement à puissance maximal de la chaudière et du réseau. La valeur courante est de 2500 heures, soit 104 jours de fonctionnement par an. Il faut donc équiper les centrales d une capacité de cogénération de 16,694 GW, obtenue par le calcul Chaleur à délivrer suivant : Capacité de cogénération = = 16,694 GW Durée de fonctionnement 2500 A raison de 100 /kw, le coût de l investissement à réaliser au niveau des centrales est donc de 1 669 millions d euros. = 41 735 000 9

c. Acheminer la chaleur vers les agglomérations Afin de relier d acheminer la chaleur depuis les centrales vers les dix agglomérations retenues, c est un réseau de 747 km au total à réaliser. Les zones à traverser sont de type rural. Le rapport du Ministère de l Industrie de 2006 estime une fourchette de 1000 à 1300 /mètre le coût d une conduite de chaleur double (aller et retour) en milieu urbain dense compte tenu de la difficulté des travaux. Mais en zone rurale le prix peut chuter à 300 /mètre. C est celuici que nous retiendrons, car l acheminement depuis la centrale traverse en majorité les campagnes. Pour 747 km cela représente un investissement de 224,1 millions d euros. Les progrès dans l isolation des conduites permettent de transporter la chaleur sur de longues distances avec de faibles pertes ; les conduites de grandes sections, servant à acheminer la chaleur d une centrale vers une ville, ont un coefficient de perte plus faible que les conduites de petite section. Les pertes lors de ce transport sont estimées entre 1 à 2%. d. Développement et extension du réseau urbain Pour chiffrer le coût de l extension des réseaux de chaleur au sein des villes, il faut introduire la notion d équivalent-logement, définit comme «une unité de quantité d énergie, essentiellement utilisée afin de donner une réalité «concrète» à des statistiques sur les quantités d énergie livrées»(cerama, 2013). Un équivalent-logement correspond à 10,5 MWh. Avec l objectif de délivrer 41 735 GWh par an, cela représente la couverture de 3,975 millions d équivalents-logements. En milieu urbain, il faut un kilomètre de réseau pour couvrir 1000 équivalents-logements. En partant de la fourchette haute du prix du mètre de conduite en milieu urbain, soit 1300 /m, le coût s élève à 5 168 millions d euros. e. Estimation de la rentabilité économique Le coût d investissement total, somme des calculs réalisés aux points précédents, atteint donc 7 058 millions d euros. La durée prévue d amortissement de ces investissements est de 20 ans, en amortissement linéaire soit une charge de 352,9 millions d euros par an. Les charges annuelles de l unité de cogénération et du réseau de chaleur sont les suivantes : Amortissement (annuité) 352 896 032 Amortissement par MWh livré Gros entretien de l'unité de cogénération Coût d'usage du réseau Gros entretien du réseau Coût d'usage et d'entretien des sous-stations de distribution Frais de fonctionnement Coût du MWh produit 8,456 /MWh 6,2 /MWh 4 /MWh 2 /MWh 4 /MWh 10 /MWh 34,656 /MWh Avec un coût de production de 34,656 /MWh, la chaleur générée par ce mode de cogénération est plus économique que les autres modes de cogénérations classiques, dont le coût varie entre 37,9 à 42,9 /MWh! En France le prix de vente moyen ou pondéré de la chaleur se situe entre 67,2 à 70,2 /MWh (hors taxes), ce qui démontre que la vente de chaleur par cogénération nucléaire est rentable. IV. Bénéfice environnemental et économique En 2012 la consommation de chauffage du secteur résidentiel-tertiaire en France s est élevée à 389 TWh, dégageant 59,6 millions de tonnes de CO2. Les réseaux de chaleurs représentent actuellement à peine 7,7% de cette consommation, et ne sont pas totalement zéro 10

CO2. Exploiter l énorme potentiel de nos centrales nucléaires permet d accroître la part du chauffage urbain de 41,7 TWh, de manière économiquement et techniquement réaliste.il n y a pas d émissions de CO2 supplémentaires car la cogénération récupère uniquement la chaleur gaspillée, pour la recycler dans les réseaux de chauffage. Cela représente un gain direct de 6,4 millions de tonnes de CO2 par an. L amélioration de la qualité de l air serait également significative : le chauffage urbain vient se substituer aux chaudières collectives ou individuelles au gaz, fioul et bois, qui dégagent des particules fines ainsi que des gaz toxiques (oxydes d azote, monoxyde de carbone). Airparif, association de surveillance de la qualité de l air en Ile-de-France, estime que «le secteur résidentiel et tertiaire, notamment le chauffage domestique et des entreprises, contribue à hauteur de 26 % aux particules PM10 émises en Île-de-France, à 39 % des particules fines PM2,5, à 30 % des émissions d'hydrocarbures (COVNM) et à plus de 41 % des rejets de GES.». Les particuliers équipés de chauffages électriques pourront également être incité à se convertir au chauffage urbain mais dans un second temps cependant, compte tenu des travaux de plomberie lourds que l installation de nouveaux types de radiateurs nécessitent. Mais cette perspective est intéressante car elle aboutirait à des économies d électricité, ainsi qu une stabilisation du réseau, régulièrement perturbé en période hivernale à cause des pics de consommation le soir dus à l allumage simultané de plusieurs millions de radiateurs. Economiquement, la chaleur distribuée par le réseau est très compétitive : les chaudières au gaz, qui fournissent un moyen de chauffage individuel parmi les plus compétitifs, coûtent environ 0,074 /kwh HT aux ménages qui en sont équipés, un prix supérieur à celui de la chaleur urbaine. Le chauffage électrique est de loin le plus onéreux, avec un kwh à 0,0132 HT. A l échelle nationale, grâce au recyclage de la chaleur gaspillée, la cogénération permettrait de réduire nos importations d hydrocarbures, et donc notre dépendance à des pays tiers et à un marché très volatil. La facture énergétique française s est élevée en 2014 à 56 milliards d euros, en baisse grâce à la chute des prix. Mais cette baisse ne doit pas se traduire par un relâchement des efforts et des investissements dans des solutions alternatives ; ce montant reste astronomique et se doit d être réduit pour notre environnement et notre économie. Conclusion Le plan ambitieux présenté dans ce rapport s élève à un peu plus de 7 milliards d euros. Cette somme d apparence élevée doit être mise en balance avec la durée d amortissement prévue (20 ans) ainsi que les retours attendus en termes de bénéfices économiques, et écologiques. Le Fonds chaleur, qui a financé en cinq ans pour 1,2 milliard les réseaux de chaleur ainsi que d autres projets pour un total de 4 milliards d euros, doit impérativement être renforcé et orienté sur la voie de la cogénération. La somme d énergie actuellement gâchée par notre mode de production électrique est colossale, la récupération de cette ressource abondante pour la réutiliser dans le chauffage urbain doit être considérée avec pragmatisme. Une transition énergétique, vers des modes de productions plus doux et moins dangereux que le nucléaire est souhaitable, et a été amorcée par de récentes décisions politiques. Mais malgré toute bonne volonté, l atome restera encore pendant plusieurs décennies dans le bouquet énergétique de la France. Plutôt que de céder à la controverse, il serait plus sage et plus opportun, en attendant que la transition soit complète, de réduire la consommation de chauffage électrique, tout en réutilisant et recyclant la chaleur perdue grâce à la cogénération. 11

Bibliographie Syndicat National du Chauffage Urbain et de la Climatisation Urbaine, Enquête annuelle sur les réseaux de chaleur et de froid, Edition nationale. Site du SNCU, 2014. Union Française de l Electricite. Le panorama de la consommation d énergie en France, 2013. BERTEL Evelyne et NAUDET Gilbert. L économie de l énergie nucléaire. EDP Sciences, 2004. BOUDELLA Méziane. Cogénération et micro-cogénération - 2e éd. Dunod, 2013. SAFA Henri. Quelle transition énergétique? EDP Sciences, 2013. PREVOT Henri. Les réseaux de chaleur. Ministère de l Economie, des finances et de l industrie, 2006 SAFA Henri. Cogeneration with District Heating and Cooling. Meeting de consultants de l AIEA, 2011. CEREMA. Coût d investissement d un réseau de chaleur : quelques repères. http://reseauxchaleur.cerema.fr/cout-dinvestissement-dun-reseau-de-chaleur-quelques-reperes 2012 Fonds chaleur Ministère de l environnement. http://www.developpementdurable.gouv.fr/presentation-generale,25027.html 12