La spiritualité dans l oeuvre de Jacques Gaulme Par Michel Mazoyer de Paris 1 Je comprends l étonnement que peut provoquer le titre retenu pour cette conférence «La spiritualité de J. Gaulme», qui semble s opposer à l image que l artiste se plaisaità donner de lui-même. L image de bon vivant, d anticonformiste, d un humaniste de gauche. Pourtant sa vie personnele, les objets qui l entouraient quotidiennement, montrent un homme soucieux de la religion catholique dans laquelle il a été élevé, qu il réinterprète à la lumière de son expérience et des idées de son époque. Comme nous le constaterons, elle occupe une place essentielle dans son oeuvre peinte, comme dans ses sculptures. L iconographie religieuse y est récurente. On ne compte plus ses œuvres qui représentent une église, une croix, une vierge. Il ne présente jamais une vision négative du christianisme, comme, par exemple, certains dadaïstes ou suréalistes, que l artiste a côtoyés. Si l évocation de la thématique religieuse peut être étonnante, ele n est jamais iconoclaste ni blasphématoire. A cet égard la toile Une pensée pour Vincent, qui associait originellement un bidet et une croix, dans le cadre d objets hétéroclites réunis dans le grenier, n a jamais été présentée sous cette forme et l artiste a substitué dans la version définitive un bouquet de fleurs à la croix représentée dans un premier temps (cf. Une pensée pour Vincent, 1990), comme si le peintre avait été effrayé par sa propre création et cette association due à un hasard objectif. L artiste n a jamais eu l intention de contribuer à détruire le christianisme, comme beaucoup de ses contemporains. On ne trouve aucun relent d anticléricalisme dans son œuvre, comme dans son discours. Il donne à penser, il s interoge sur la comédie humaine et sur la destinée. Le peintre a eu une solide éducation religieuse, comme son œuvre en témoigne. Mais il est un homme de son temps qui a vu une rapide déchristianisation du monde occidental. Comme beaucoup de ses contemporains, J. Gaulme n est pas un catholique respectueux des dogmes, et son approche de la religion est teintée de subjectivisme et de relativisme. Comme nous le verons tout à l heure, la conception traditionnele de la religion catholique est pour
lui plutôt une source d angoise etde désespoir. En tout cas, la religion a marqué profondément sa recherche picturale, comme je vais le montrer, même s il a laisé le souvenir d un homme qui a mis l humour à la tête de ses préoccupations. Avant d entrer dans sa pensée religieuse, j évoquerai un tableau qui montre la place qu a occupé la religion dans son enfance. Maman 1943 représente la mère de l artiste. Ele était connue comme une fervente catholique. Les noirs de sa chevelure et de ses vêtements rehaussés seulement par les boutons de la robe mettent en lumière la luminosité du visage et témoignent de sa richesse intérieure. J en viens maintenant au contenu de la spiritualité dans l œuvre de J. Gaulme. religieuse. Je partirai d une création artistique qui résume bien, à mon sens, sa conception
On sait qu il est l auteur d un jardin dont la composition et notamment le jeu des sculptures exprime dans une certaine mesure sa vision du monde. Son jardin associe curieusement la croix d une part (Tombe de Titi, années 1990), des symboles, qui sont ceux du communisme, la pelle, la faucille et le marteau ; des sculptures renvoyant à la science et à la technique ; au monde contemporain (Ready made très années 60 ; scupture de fil de fer). Ces sculptures côtoient des représentations d autres religions symbolisées par les œuvres de son ami Tajana (monde latin et grec, religion du nouveau monde). Sa volonté est de rapprocher, sur le mode humoristique, des conceptions contradictoires de la vie humaine et des moments antagonistes de son histoire humaine. Il souligne ainsi le relativisme des idéologies et des religions. Il émane de ce rapprochement une volonté esquissée de réconciliation. Il se
plaît à détruire les règles et les systèmes qui dirigent la vie, à metre l homme aupremier plan des systèmes religieux et philosophiques. Cet homocentrisme fait de lui un homme de son siècle. Il fait penser irrémédiablement à un Camus ou encore semble anticiper ce que seront les préoccupations du Concile Vatican 2, qui voudra metre l homme au centre de la religion, opérant ainsi une nouvelle révolution copernicienne, une révolution métaphysique et liturgique. En fait, il s agit d une vision subjective du monde, où sont afirmés les droits de l homme, la volonté d éliminer les antagonismes et l afirmation d une vérité relative. Chaque doctrine comporte, au yeux de l artiste, une part de vérité. Le communisme, pour beaucoup de ses contemporains est dérivé du christianisme, etc. Il n existe pas une vérité unique, mais des vérités plurielles. La vérité est partout dans les systèmes contradictoires. Dans chaque système, il existe une part d ereurs et de vérités. L «organisation humaine» qui structure chaque croyance est absolutiste et peut être remise en question. Ce qui compte c estla vérité qui charpente chaque système. Evidemment autant d analyses artificieles mais qui étaient alors largement développées alors par les chrétiens de gauche par exemple avec lesquels il a plusieurs fois collaboré. En fait, dans les deux conceptions,pour l artiste, seul le sentiment individuel est valable, mais il doit rester au niveau des consciences. La vérité est partout dans des systèmes contradictoires. Dans chaque système, il existe une part d ereurs qui en altéré l esprit. L organisation humaine qui structure chaque croyance conduit au dogmatisme et à l absolutisme. En fait, dans les deux systèmes, le sentiment individuel est valable, mais il doit rester au niveau des consciences individuelles. Chaque système est lui-même déformé, adapté, réutilisé en fonction d une interprétation qui le dépasse. Pour revenir à la Tombe de Titi d où nous sommes partis, la croix est asociée à l évocation d un chat, qu il aimait. Il s agit bien sûr d une relecture de la religion catholique, qui rapproche le catholicisme d autres systèmes de pensée ou de religion,comme le bouddhisme qui attribue à chaque être vivant une part de spiritualité. Comme dans le tête à tête entre la croix et le symbole du communisme, la pensée catholique est donc refondue, réaménagée, réadaptée, réinterprétée dans le sens d un sentiment universel et subjectiviste.
La Tombe de Titi, surmontée d une croix repose sur l idée qu une part de spiritualité habite chaque être vivant. Il place dans l escalier qui mène à son atelier cette phrase de Rosa Luxembourg : «Et avec chaque moucheron que l on écrase, sans y faire atention, c est chaque fois la fin du monde» La pensée catholique de Jacques Gaulme est donc manifestement moderniste. Les dogmes sont réaménagés, au nom du relativisme, au bénéfice d une conscience individuele. Cete relecture des dogmes à la lumière de sa propre subjectivité pénètre un grand nombre de ses oeuvres, soit d un façon sensible, soit d une façon difuse. Les objets cultuels Les églises constituent un thème récurent dans l œuvre du peintre. Le cadre et la façon de peindre sont très diférents suivant l époque. On peut distinguer les églises placées sur une colline. La verticalité l élan vers le divin. On mentionnera par exemple la toile intitulée L église de Cognat (1995). La couleur, et la luminosité évoquent la paix, l harmonie, l équilibre. Le lieu se rattache aussi à un moment de bonheur personnel de l artiste. L église représentée renvoie à l église où il s est marié, dans laquelle il a eu des activités artistiques ; le cadre est spécifique de la campagne bourbonnaise. L église juchée sur le sommet de la colline semble s échapper de notre monde et participer à la vie surnaturelle. Par aileurs, pour l artiste, la colline de Cognat rappele l absurdité des guerres et notamment des guerres de religion :
les Protestants après avoir gagné une bataille très meurtrière contre les Catholiques y tuèrent par mégarde leur chef. En définitive, une situation ubuesque, où aucun des partis n a gagné. C est dans le presbytère, en collaboration avec le curé, qui était un prêtre ouvrier, qu il a créée un salon de thé, qui accueillait des rencontres artistiques. L église d'espinase, qui appartient à la période misérabiliste de l artiste, suggère une religion source d angoise et liée à la mort L église, qui se situe au second plan,se réduit à quelques plans et quelques lignes. L Architecture masive occupe la place la plus importante dans la composition. Elle est centre de la toile. La dominante de gris utilisée pour la peindre inspire l accablement. Contrairement au tableau précédent, l église n est pas sur une éminence. La verticalité des lignes, qui vient buter sur un ciel dont l horizon est borné, provoque une sensation d angoise. La nature asociée à l église se résume à trois arbres, chiffre essentiel dans la religion catholique, puisqu il fait référence à la Trinité. En revanche, le clocher a quatre ouvertures, conformément à la réalité. Les arbres sont dépouillés et donnent de la verticalité à la toile. L église est fermée, l absence de toute présence humaine suggère l impresion de la stérilité de la religion et fait ressentir la mort. Cette toile correspond à une période de retour à la pratique religieuse de la part de l artiste. Doiton y voir les déceptions de l artiste dont la pratique religieuse ne permet pas de réaliser les aspirations spirituelles? Doit-on voir ici la prémonition de l artiste qui est aujourd hui enteré dans le cimetière atenant?
La deuxième thématique que nous voudrions mentionner est la représentation du Christ qui occupe également une place importante dans l œuvre de Jacques Gaulme. Exemple Le Christ peint à Bizeneuille en 1948. Le corps très schématisé, peint en aplat, est réduit à un mouvement ascensionnel. Le visage est limité à un ovale rouge plus foncé que le reste du corps peint en rouge ocre, cerclé de noir, le blanc du pagne rehausse le rouge du corps. Le support, la croix, qui a la forme d un arbre, est d un rouge plus foncé que le corps du Christ, lui aussi présentant une structure géométrique, les bras démesurés, indique la direction du ciel à la façon des Christ jansénistes ; il est peint en aplat à la façon des fauves, en rouge ocre. La violence de la crucifixion est estompée ; il ne s agit pas d un rouge sang. La scène témoigne d une certaine tendrese. La couronne d épines très schématique prend un développement inattendu et pourrait ressembler à des branchages. Le Christ est représenté en arbre de vie. L ensemble de la scène s inscrit dans un ovale, qui a la forme d un visage (yeux, nez, joues, bouche, etc.) et d un masque africain s opposant aux lignes représentées par la croix et le corps du Christ, mais qui est repris par plusieurs ovales, la bouche, celui de la couronne d épine, l auréole, les yeux. La croix s inscrit sur un fond qui peut symboliser le ciel. L ensemble est sans relief.
Le deuxième tableau que nous voudrions mentionner s intitule Les souvenirs de nos défunts nous inspirent un sentiment de tristesse profonde. Le titre même suggère la mélancolie profonde qui habite la toile. Celle-ci a été réalisée Le lettrisme et les entre 1964-1970, il a collages y occupent une donc fallu une longue période pour parvenir à son achèvement. La figure qui domaine est le Christ en blanc place importante. L esthétique est proche de cele d Apolinaire: elle consiste à juxtaposer des éléments différents, image ivoire fixé de vie moderne dans ce maladroitement sur la qu ele a d artificiel. toile à l aide de plâtre. Le fond de la toile qui La toile est structurée par l opposition entre cete croix verticale évoque la vie moderne est et une croix horizontale qui se développe sur un plan horizontal d un gris délavé proche de constituant le fond de la toile. Lequel semble évoquer le monde moderne en juxtaposant les indications comme un kaléidoscope de la vie moderne. la boue d où seul émerge un rouge sang. Une place importante est laissée à la lettre x, qui se présente comme un double C (Christ/Communiste?) Il ressort de ceci que la croix est la seule vérité tangible dans le monde vertical comme dans le monde horizontal et qu ele seule peut nous consoler de la disparition des être chers. Conclusion. J ai évoqué les toiles en relation directe avec la religion,mais la spiritualité anime de nombreuses toiles dont l iconographie est profane. Voici quelques thèmes courants dans l œuvre de J. Gaulme qui relèvent de questions métaphysiques et religieuses: la vie et la mort, le panthéisme, le caché. Autant de points qui mériteraient des développements, mais qui
nous laisent sur l impresion que la spiritualité est au cœur de l œuvre de cet artiste. La spiritualité teintée d humour et de fantaisie, mais ausi d angoise et de déchirement est l expresion tout à la fois d un optimisme et d un pesimisme à l égard de la destinée. Ele est au cœur même de ses interogations. Jacques Gaulme, un homme perpétuelement en recherche, qui place l homme au centre de cele-ci.