Des visites institutionnelles préalables à la professionnalisation : analyse d un dispositif Magalie Flores-Lonjou 1, Céline Laronde-clerac 2 et Agnès de Luget 3, groupe de recherche MACELA 1 Maîtres de conférences en droit, université de La Rochelle 2 CEREGE LR-MOS, université de La Rochelle 3 CEJEP, université de La Rochelle Résumé Une interrogation docimologique portant sur la manière d améliorer le système de notation des étudiants en droit a conduit le groupe de recherche MACELA à mettre en place auprès des étudiants de licence première année une démarche de pré professionnalisation par l organisation de visites d institutions administratives. Mots-clés Étudiants, institutions, évaluation, autonomisation, études juridiques. I. Présentation du contexte et de la problématique C est une démarche purement empirique qui a conduit le groupe de travail MACELA à proposer une expérience de pré professionnalisation dans le premier cycle des études juridiques à la faculté de droit de La Rochelle [Bédard, 2006]. Parmi les trois sens du terme professionnalisation déterminés par Richard Wittorski [2005], nous retiendrons la deuxième : «La professionnalisation des acteurs au sens à la fois de transmission des savoirs et des compétences (considérées comme nécessaires pour exercer la profession) et de la construction d une identité professionnelle». Les acteurs étant pour nous les étudiants. Du contexte général de recherche d une amélioration de la docimologie en première année s est dégagée une expérience de préprofessionnalisation au bénéfice des étudiants. COLLOQUE_livre 2.indd 495 16/05/11 10:44
496 Questions de pédagogies dans l'enseignement supérieur L organisation des cours dans le cadre des études juridiques repose sur une summa divisio : les cours magistraux, assortis de travaux dirigés consistant en un approfondissement des thèmes abordés lors des enseignements devant l ensemble de la promotion et les cours magistraux dépourvus de travaux dirigés d application. Les travaux dirigés sont alors le lieu idéal de mise en place d un contrôle continu des connaissances [Romainville, 2002, 2006] qui ne repose pas sur une réflexion globale et préalable mais relève davantage de la conception individuelle de chaque responsable de cours ce qui ne nuit pas à l efficacité de cette méthode d évaluation des étudiants 1. L expérience montre parallèlement que la réussite aux épreuves terminales des matières ne faisant pas l objet d un contrôle continu est moindre 2. L idéal serait théoriquement d étendre les travaux dirigés à l ensemble des matières enseignées. Pratiquement, de sérieux obstacles conduisent à renoncer à cette solution : charge de travail pour l'étudiant générée par cette extension, contraintes financières qu engendrerait un mécanisme d études reposant sur une démultiplication des groupes de travail et donc sur une augmentation sensible du personnel enseignant. Face à cette impossibilité, il convenait de faire appel à l imagination créatrice pour concevoir des solutions alternatives [Bédard, 2006]. Conçues au départ comme instrument de connaissance pratique des institutions publiques, les visites institutionnelles ont révélé ce qu elles cachaient : un élément de préprofessionnalisation des études. En effet, elles favorisent très en amont de l entrée dans la vie active un premier contact avec la sphère professionnelle juridique et sont l occasion pour les étudiants de découvrir à travers les institutions retenues les métiers qui s y rattachent et les hommes qui les incarnent. Ainsi, l occasion est offerte de confirmer ou d infirmer un préchoix professionnel pour les étudiants qui en ont un, de découvrir un métier auquel rien ne les prédisposait à penser, voire de revenir sur des a priori socioculturels. L expérience s insère alors dans le mouvement de développement des formations professionnalisantes et en constitue une déclinaison originale. II. Origines du dispositif Dans le cadre d une recherche en pédagogie coordonnée par le groupe MACELA sur le thème «Acquisition des savoirs et compétences : constat, analyse, modèle pour une plus grande réussite de l étudiant juriste» pour la région Poitou-Charentes, une réflexion a été conduite sur la modification de l esprit des cours magistraux, 1 Compétence : capacité à mettre en œuvre des outils, méthodes et connaissances pour aboutir à un résultat attendu dans un contexte donné. 2 Compétence : capacité à mettre en œuvre des outils, méthodes et connaissances pour aboutir à un résultat attendu dans un contexte donné. COLLOQUE_livre 2.indd 496 16/05/11 10:44
Les courants de la professionnalisation : enjeux, attentes, changements 497 des travaux dirigés et des épreuves s y rapportant afin d amener l étudiant à mieux appréhender et assimiler un enseignement. En licence 1 ère année, jusqu à l année universitaire 2007/2008, un cours intitulé Institutions administratives, prenait la forme d un cours magistral classique sanctionné par une épreuve écrite de résolution d un cas pratique. Depuis plusieurs années, l enseignant titulaire de ce cours, membre du groupe de recherche, avait observé que l approche théorique des institutions administratives ne permettait pas aux étudiants de comprendre leur mode de fonctionnement. Une approche plus concrète a alors été envisagée : organiser des visites d institutions, point de départ de la rédaction d un mini-mémoire évalué conjointement dans les enseignements d Institutions administratives et de Méthodologie universitaire 1. III. Présentation de ses caractéristiques principales Durant les années universitaires 2008/2010, le fonctionnement de plusieurs institutions a pu être découvert : collectivités territoriales (commune de La Rochelle, Conseil général de Charente-Maritime, Région Poitou-Charentes), intercommunalité (Communauté d agglomération de La Rochelle), autorité déconcentrée (préfecture de Charente-Maritime), juridiction de première instance (Tribunal administratif de Poitiers), établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (université de La Rochelle), autorité administrative indépendante (délégué du médiateur de la République). Ces visites obligatoires poursuivent un double but : d une part familiariser les étudiants avec des institutions leur permettant de voir s incarner les mécanismes juridiques et politiques, objets de plusieurs enseignements dispensés en première année de Licence (droit constitutionnel, institutions juridictionnelles et institutions administratives) et d autre part favoriser très en amont un premier contact avec la sphère professionnelle juridique [Mandeville, 2009]. IV. Analyse du fonctionnement Il appartient aux étudiants d effectuer en binôme le choix d une institution, la participation à la visite, la réalisation d une étude de l institution visitée à partir de sujets déterminés par l enseignant responsable du cours d Institutions administratives, complétée par une bibliographie, la conduite de deux entretiens 1 L unité d enseignement Méthodologie universitaire est une unité transversale obligatoire dans le cursus des étudiants rochelais. Prenant la forme de travaux dirigés, elle vise à apprendre le métier d étudiant, permet aux néo-entrants de devenir acteurs de leur projet de vie, personnel et professionnel. COLLOQUE_livre 2.indd 497 16/05/11 10:44
498 Questions de pédagogies dans l'enseignement supérieur avec des professionnels en lien avec le sujet traité et le résumé de deux conférences de leur choix. Le fonctionnement de cette expérience repose sur un double mécanisme : un contact de terrain d une part, et une organisation de travail mettant en œuvre des processus d autonomisation progressive. L autonomisation progressive de l étudiant résulte des différentes démarches que ce dernier doit effectuer pour atteindre l objectif fixé : effectuer des choix (institution retenue, composition du binôme, sujet à traiter au sein d une liste prédéterminée, professionnels à contacter), organiser dans le temps les différentes démarches imposées, concevoir et restituer un travail de réflexion avec son partenaire. La conception du mini-mémoire est encadrée par des enseignants dans le contexte des travaux dirigés de méthodologie universitaire, la restitution s opère à l occasion d une soutenance devant deux enseignants et un groupe d étudiants. Cette démarche d autonomie encadrée des étudiants expérience peu pratiquée à ce stade du parcours académique dans les facultés de droit, leur permet d apprendre à travailler en binôme, à gérer leur emploi du temps, à s ouvrir à de nouvelles perspectives [Bourassa, Serre et Ross, 2003]. V. Bilan critique et perspective V.1 Une meilleure intégration de l objet d étude L approche concrète des institutions facilite leur perception conceptuelle. Les étudiants n ont plus à faire un effort consommateur de temps et d énergie pour essayer de se représenter une réalité avec laquelle ils ont été mis en contact. Il devient alors plus facile pour eux de passer de l observation de terrain à la théorie enseignée, la visite ayant permis de matérialiser le concept, de l ancrer dans une réalité subjective [Mandeville, 2009]. Par ailleurs, ces visites institutionnelles conduisent à la réduction d une double distanciation : cours / réalité enseignant / étudiant qui peut être porteuse de freins à l acquisition de notions théoriques. L enseignant n est plus le seul à connaître les institutions dont il enseigne le fonctionnement, les étudiants partageant une même connaissance physique d institutions jusqu alors désincarnées [Mandeville, 2009]. Ce partage à son tour génère une sorte de complicité intellectuelle avec l enseignant, se traduisant par des remarques et questions en lien avec l institution visitée, résultat du partage d une expérience valorisante [Langevin et Bruneau, 2000]. Le cours n est plus un cadre théorique un peu vain. Le concret au service de l abstrait permet de progresser dans la connaissance. COLLOQUE_livre 2.indd 498 16/05/11 10:44
Les courants de la professionnalisation : enjeux, attentes, changements 499 V.2 Une meilleure réussite aux épreuves Les épreuves sont démultipliées, le mécanisme tend vers le contrôle continu. L épreuve remise de mini-mémoire implique l étudiant qui n est plus passif face à un thème imposé mais prend en charge son sujet [Langevin et Bruneau, 2000]. La méthode de verticalité ascendante de l épreuve doublée d une dimension horizontale par la soutenance du mini-mémoire devant un groupe d étudiants implique l étudiant dans la dimension «académique de son expérience universitaire». V.3 Une démarche professionnalisante Les visites institutionnelles en mettant l étudiant au contact d une partie du monde professionnel auquel il se destine, permettent de corriger les choix initiaux, les conforter ou tout simplement les poser lorsque l étudiant est dans l incertitude. Par ailleurs, l expérience montre que ces visites institutionnelles sont également un moyen d impliquer l étudiant de manière active dans sa formation par une prise de contact avec les représentants des institutions en vue d interviews [Mandeville, 2009]. La préprofessionnalisation vient alors au soutien des apprentissages réalisés. V.4 Poursuite d expérience D un effort isolé relevant d un groupe de recherche restreint, le trio MACELA souhaite tendre vers des efforts concertés traduisant l engagement de l établissement d enseignement dans une politique de réflexion envers les modalités de la formation universitaire prodiguées [Rege Colet et Romainville 2006]. Ce souhait passe par la mise en place d une réflexion générale au niveau de la faculté de droit de La Rochelle qui, pour le moment, n a pas eu lieu. Cette réflexion ne peut être conduite qu autant que le plus grand nombre d acteurs sera convaincu du bien fondé de la démarche aujourd hui accueillie avec réserve [Felouzis, 2001] se traduisant par une absence de financement pour des visites d institutions nationales (assemblées parlementaires, Conseil constitutionnel et Conseil d État). Face à cette réserve de l équipe décanale et d une partie des collègues, nous nous trouvons dans la situation de «lassitude de l acteur de l innovation» [Alter, 1993]. Références Alter, N. (1993). La lassitude de l acteur de l innovation. Sociologie du travail, vol. 38, n 4, pp. 447-468. Bédard, D. & Béchard, J.-P. (dir.) (2009). Innover dans l enseignement supérieur, Paris, PUF, coll. Apprendre. COLLOQUE_livre 2.indd 499 16/05/11 10:44
500 Questions de pédagogies dans l'enseignement supérieur Bédard, D. (2006). Enseigner autrement, oui mais pourquoi et comment? Le cas d un cours universitaire de premier cycle. In Rege Colet, N. & Romainville, M. (dir.). La pratique enseignante en mutation à l université. Bruxelles : De Boeck. Bourassa, B., Serre, F. & Ross, D. (2003). Apprendre de son expérience, Sainte- Foy, Presses de l Université du Québec. Coulon, A. (1997). Le métier d étudiant. L entrée dans la vie universitaire, Paris, PUF, coll. politique d aujourd hui. Felouzis, G. (2001). La condition étudiante. Sociologie des étudiants et de l université, Paris, PUF, coll. Sociologie d aujourd hui. Langevin, L. & Bruneau, M. (2000). Enseignement supérieur : vers un nouveau scénario, Issy-les-Moulineaux, E.S.F., coll. Pratiques et enjeux pédagogiques. Maillard, D. & Veneau P. (2003). La licence professionnelle : une nouvelle acception de la professionnalisation au sein de l université? In Felouzis G. Les mutations actuelles de l Université, actes du colloque L enseignement supérieur en questions, Paris, PUF, coll. Hors collection. Mandeville L. (2009). Une expérience d apprentissage significatif pour l étudiant. In Bédard, D. & Béchard, J.-P. (dir.). Innover dans l enseignement supérieur, Paris, PUF, coll. Apprendre. Palkiewicz, N. (1995). L encadrement des étudiants : document de réflexion, Université du Québec à Montréal. Rege Colet, N. & Romainville, M. (dir.) (2006). La pratique enseignante en mutation à l université. Bruxelles : De Boeck. Romainville, M. (2006). Quand la coutume tient lieu de compétence : les pratiques d évaluation des acquis à l université. In Rege Colet, N. & Romainville, M. La pratique enseignante en mutation à l université. Bruxelles : De Boeck. Romainville, M. (2004). L apprentissage chez les étudiants. In Annoot E. & Fave-Bonnet M.-F. Pratiques pédagogiques dans l enseignement supérieur : enseigner, apprendre, évaluer, Paris, L Harmattan, coll. Savoir et formation. Romainville, M. (2002). L évaluation des acquis dans l enseignement universitaire. Paris : Haut Conseil de l évaluation de l école. Rapport établi à la demande du Haut Conseil de l évaluation de l école. http://cisad.adc.education.fr/hcee Wittorwski, R. (dir.) (2005). Formation, travail et professionnalisation, Paris, L Harmattan, coll. Action & Savoir. COLLOQUE_livre 2.indd 500 16/05/11 10:44