POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE Réflexions de Virginie Gensel, secrétaire générale de la Fédération Nationale des Mines et de l Energie. 2020-2050 : quels scénarios du futur, quelles interdépendances et quelles gouvernances énergétiques? Parler de perspectives énergétiques, 40 ans à l avance, c est un exercice toujours difficile. Il suffit d imaginer le même exercice 40 ans en arrière : c était avant les deux chocs pétroliers et le programme électronucléaire français était à ses balbutiements alors que le gaz de Lacq était en pleine production Et c est d autant plus difficile pour un syndicaliste, car depuis maintenant de trop longues années l avis des salariés du secteur n est pas entendu. Qui pourtant mieux qu eux connait l état réel des installations, le retard pris pour supprimer les fontes grises, le manque d investissements dans l hydraulique et le nucléaire, la dégradation des réseaux de distribution. Toutes choses, où les retards pris, malgré les constatations faites sur le terrain, ont beaucoup de mal à être rattrapés, au mépris de la sécurité et aussi de l efficacité même de l outil industriel! Mais nous ne renoncerons pas à nous faire entendre, y compris sur les perspectives d avenir, car les enjeux à l horizon 2050 sont particulièrement importants. Nous en citerons trois : Tout d abord la réduction des inégalités d accès à l énergie à travers toute la planète. Il est déjà inconcevable que plusieurs milliards de terriens n aient accès qu à la biomasse la plus élémentaire et encore avec quelles difficultés pour toute source d énergie! Il est indispensable que d ici le milieu du siècle ceci soit résolu. Comme doit être résolu le fait que deux milliards d individus n aient pas accès à l électricité aujourd hui. Et rappeler ces chiffres au niveau mondial ne doit pas nous dispenser de résoudre les inégalités dans l hexagone, où un ménage sur 10 est en situation de précarité énergétique, où la facture d une famille qui se chauffe au fuel et se déplace quotidiennement en voiture a augmenté de 900 en un an, et ceci dans un pays où la consommation d énergie par habitant est parmi la plus élevée! Dans ce contexte, il est impératif de considérer qu en 2050 la consommation d énergie mondiale sera plus élevée que ce qu elle est aujourd hui, et ceci en accroissant de façon considérable tous les efforts aujourd hui largement insuffisants, en matière d efficacité énergétique. La deuxième donnée décisive correspond à la problématique du réchauffement climatique. Il est aujourd hui reconnu de manière presque unanime, que ce réchauffement est lié à l activité humaine et à l émission de gaz carbonique, principalement due à la combustion de combustibles fossiles. Et les travaux du GIEC (Groupe d Experts Intergouvernemental sur l Evolution du Climat) ont montré qu une réduction aussi rapide que possible de ces émissions était indispensable pour ne pas franchir de seuils trop importants. Ce qui confère une responsabilité particulière aux pays les plus développés, dont la France, car d un côté ils sont responsables de la majeure partie des émissions passées qui ont conduit à la situation actuelle et d autre part ils disposent des technologies comme des capacités financières décisives dans cette problématique. En même temps, il ne faut pas perdre de vue la place déterminante des transports dans l émission actuelle des gaz à effet de serre, et donc du pétrole en tant que moyen privilégié de les alimenter. Et de ce point de vue, la mondialisation de l économie a été un facteur clef de l explosion de la place des transports dans l émission des gaz à effet de serre et, dans la perspective 2050, il y a lieu de réexaminer cette évolution sous cet éclairage. 1
Ne perdons pas de vue non plus la place particulière de la production d électricité dans les émissions de gaz à effet de serre (aujourd hui supérieur au quart), ni la situation particulière de la France dans ce contexte, car la production d électricité y est faite à 85 % à partir du nucléaire et de l hydraulique, c'est-àdire avec très peu d émissions de gaz à effet de serre. Une troisième donnée importante à l échéance du demi-siècle sera la question de l accès à la ressource. On le sent déjà aujourd hui et ça ne fera que se confirmer : l accès à toutes les matières premières est de plus en plus difficile techniquement et de plus en plus compliqué politiquement. C est évident pour le pétrole, le gaz avec le débat en cours sur les gaz de schiste, l uranium (suivant les périodes) et demain pour le lithium, les terres rares voire pour le charbon. Et nous ne serons jamais d accord pour le retour à la politique de la canonnière dont on voit déjà quelques tristes exemples comme l Afghanistan, l Irak ou même la Libye. Ces trois données (inégalités mondiales et sociales, gaz à effet de serre et réchauffement climatique, raréfaction des matières premières) structurent complètement l horizon 2050. Leur conjonction montre qu à cette échéance, encore plus qu aujourd hui, aucune source d énergie ne devra être négligée. Elles existeront toutes à des développements différents selon des mix énergétiques variés que seul l avenir permettra de préciser, suivant les zones géographiques, les décisions politiques (et financières), les volontés de chaque peuple et ce qu ils auront décidé pour leur propre développement. Espérons et la CGT continuera d œuvrer dans ce sens que ce soit en fonction de leur volonté et de leurs intérêts propres, et non pas selon les contraintes qui dominent aujourd hui la planète, à savoir la finance et la puissance militaire. Alors en 2050, toutes les énergies, mais lesquelles? Il faut rester réaliste, et quand on regarde 2010 en se rappelant ce qui existait il y a 40 ans, on voit bien que tout ce qui est important aujourd hui en matière d énergie (GNL, nucléaire, renouvelable, et bien sûr pétrole) existait déjà en 1970 En 2050, l énergie de la fusion nucléaire (la filière ITER) ne sera pas encore disponible. Il faudra donc faire avec tout ce que, aujourd hui, nous avons en «magasin». Avec une réserve de taille, la quantité de pétrole extrait à cet horizon sera probablement plus proche des quantités extraites par an dans les années 70 ou 80, que ce qu elle est aujourd hui, peak oil oblige. C est dire qu aucune des filières aujourd hui envisagée ne doit être sous estimée, et encore moins écartée d un revers de main, que ce soit telle ou telle filière renouvelable ou nucléaire. Leur utilisation à travers le monde ne sera pas uniforme et il est probable que leur répartition soit le reflet d un fonctionnement multipolaire de la planète, avec une place beaucoup plus importante occupée par des pays divers, ce qui n a malheureusement pas cours aujourd hui. Dans ce contexte, l Europe, et la France, auront des rôles particuliers à jouer, et notre proposition d Agence Européenne de l Energie y trouve naturellement sa place. Et 2020, me direz-vous? Autant 2050 c est le futur, avec des ruptures fortes qui interviendront obligatoirement d ici là, autant 2020 c est aujourd hui, avec l obligation redoutable de préparer le futur. En effet, on peut et on doit considérer qu en 2020 le réseau ferroviaire, ou fluvial, le parc automobile, le parc de logement et son isolement seront dans la continuité de ce qui existe aujourd hui, quels que puissent être les regrets, ou les espérances. 2
En même temps, les principales structures du système énergétique seront peu modifiées par rapport à ce qu elles sont aujourd hui. Et ceci pour le système d approvisionnement en combustibles fossiles, pour le réseau de transport et de stockage de gaz naturel que ce soit par gazoduc ou GNL, ou pour le réseau de transport et de distribution d électricité. Quant à la production d électricité, si le gouvernement et les entreprises concernées font les gestes que les audits post Fukushima pourront révéler nécessaire, cette production continuera à être structurée autour d une production de base constituée massivement par le nucléaire et des pointes assurées par l hydraulique et le thermique à flamme. Avec d ailleurs des difficultés prévisibles pour faire face à la pointe électrique et garantir en France et en Europe, l alimentation électrique et la stabilité des réseaux. Ce qui nous pousse à réaffirmer avec beaucoup de force, qu aucune centrale existante ne doit être arrêtée sans une étude d impact détaillée sur les trois aspects environnemental, social et énergétique. D ailleurs sur ce sujet, EDF annonce l arrêt de deux tranches de la centrale du Havre (200 emplois supprimés) et EON fait de même avec l arrêt de cinq centrales en France (535 emplois supprimés). Cela sans regarder les trois aspects que j ai évoqué précédemment. Bien sûr, il y aura des évolutions, la CGT et tout particulièrement notre Fédération de l Energie s est déjà exprimée sur la plupart, et nous regrettons que l avis des salariés du secteur et de leurs organisations ne soit pas mieux pris en compte. On peut citer la désastreuse loi NOME qui va conduire presque mécaniquement à une augmentation des prix de l électricité et à un déficit d investissement sur le nucléaire et l hydraulique. Il y a aussi les menaces liées à la mise en concurrence, nullement demandée par Bruxelles d ailleurs, des concessions hydrauliques, qui peut conduire à une dégradation du service public de l eau et à une moindre efficacité de la production. La mise en œuvre des «smart grids», justifiée par l introduction des énergies renouvelables sur les réseaux d électricité, sera probablement effective dans les prochaines années. Elle donnera progressivement aux opérateurs une meilleure vision du fonctionnement des réseaux. Ils sont présentés comme mieux à même de répondre aux besoins des abonnés, mais il serait proprement scandaleux que ce système soit utilisé pour sanctionner les abonnés les moins solvables et régler les problèmes d équilibre production/consommation par rationnement par l argent : ce qui ne ferait qu accroître les inégalités dont je disais tout à l heure qu il était important de les réduire. Nous continuerons aussi à réclamer une augmentation des zones desservies par le gaz, où nous nous heurtons depuis des années à une fin de non recevoir de GDF SUEZ et à l indifférence de l Etat. Mais nous devons considérer que les grandes lignes du paysage énergétique de 2020 seront conformes à ce qu on peut prévoir vu d aujourd hui. A l échelle d un domaine aussi capitaliste que l énergie, où les échelles de temps sont considérables, 2020 c est demain, et demain ne sera pas très différent d aujourd hui. En même temps, l importance des constantes de temps qui régissent le secteur oblige à préparer dès à présent 2050. Car les évolutions initiées dans la prochaine décennie développeront leurs pleins effets à l échelle du milieu du siècle. Et là, il ne faut pas se tromper. En disant cela, j ai pleinement conscience de me situer aux antipodes des dogmes du libéralisme, qui poussent à prendre les décisions en visant un taux de retour sur investissement aussi court que possible. 3
Et le domaine de l énergie ne peut pas marcher à cette aune là! Ce qui met à jour les contradictions des groupes privés d investir dans les domaines du nucléaire neuf et de l hydraulique, ou du stockage souterrain de gaz naturel! Et c est ce qui nous pousse à mettre en avant le concept de pôle public de l énergie! Il ne faut pas attendre si nous voulons aller vers les perspectives évoquées tout à l heure pour 2050, avec une réduction significative des inégalités, comme des gaz à effet de serre. Les décisions les plus importantes vont devoir être initiées dans la décennie qui vient! Prenons quelques exemples qui fâchent. Il est tout à fait possible, que le recours au nucléaire de 4ème génération soit obligatoire dans la deuxième partie du siècle. Pour disposer à cette échéance d une filière industrielle pleinement opérationnelle, c est dès à présent qu il faut rentrer dans le concert, pour réaliser un prototype opérationnel, dans la sérénité, en se posant les bonnes questions (y compris de sûreté) et en y consacrant les moyens humains, industriels et financiers nécessaires. A l échéance du demi-siècle, il est inconcevable que les moyens de production d électricité d origine thermique fonctionnent sans captage et séquestration du CO2. Cela suppose qu il y ait rapidement des avancées significatives, et sur ces deux points. Ceux-ci intéressent d ailleurs d autres secteurs utilisateurs massifs de combustibles fossiles (cimenteries, sidérurgie ). C est dans la prochaine décennie que ça se joue et la France doit être de la partie. Je pourrais citer de même tout ce qui concerne l efficacité énergétique dans l habitat, où les déclarations de Grenelle peinent à se concrétiser sur le terrain et bien sûr l utilisation des énergies renouvelables avec tout ce que ça suppose d avancées sur le stockage de l électricité où nous n en sommes qu aux prémices. Ce sujet met particulièrement en évidence (mais ce n est pas le seul) les efforts considérables qui doivent être engagés de développement de technologies nouvelles et pour leur mise à la disposition de tous. Ceci doit s accompagner d un effort considérable en matière de formation de salariés qui ne peut bien évidemment pas attendre 2050! Mais il n y a pas que dans le domaine technique qu il y a des orientations à prendre pour préparer le futur! Il est inconcevable que les décisions à prendre dans le domaine énergétique restent le domaine réservé de quelques uns, et que salariés et usagers soient mis devant le fait accompli. Plus que tout autre, le secteur de l énergie a besoin d une véritable démocratie. Le choix des grandes options ne peut se faire contre l avis des citoyens. En parallèle, le travail de recherche, de réflexion sur le futur, de choix des options, ne peut s envisager, sans un examen attentif des problèmes réels, de leurs avantages comme de leurs risques. En un mot, la démocratie dans les choix, ne peut s accompagner de refus a priori de certaines solutions. Les dirigeants actuels, et ceux du passé, ont une lourde responsabilité dans le refus du débat qui prévaut actuellement dans l opinion. Si la CGT est, elle, prête au débat, elle ne peut le faire toute seule! Et puisque la réduction des inégalités dans le monde va imposer l implication dans le domaine énergétique de millions de travailleurs supplémentaires à travers toute la planète, il faudra qu ils aient accès à des conditions de travail et de vie améliorées, et à une meilleure prise en compte de leurs avis. 4
C est dans cet esprit que la CGT met en avant sa proposition de Nouveau Statut du Travailleur Salarié, qui se heurte à une opposition tenace du patronat, notamment dans le secteur énergétique. Alors là aussi, si c est bien un objectif pour 2050, c est dès aujourd hui et ici qu il faut commencer. Virginie Gensel 5