Chapitre 1 Sur une route départementale le 22 juin 17 heures.

L avenir n est jamais vraiment tracé. On pense que tout est acquis et que rien ne viendra perturber son quotidien. Eh bien détrompez-vous. Une ombre plane. Le destin joue avec les ficelles du temps et s amuse à nos dépens à le contrarier. Navarro Brigitte. 2 3

Chapitre 1 Sur une route départementale le 22 juin 17 heures. Par un après-midi ensoleillé, sur une route départementale aux alentours de Salon-de-Provence, un accident dramatique vient de se produire. Une petite voiture transportant à son bord deux passagers a fait une embardée suivie de plusieurs tonneaux pour aller se retrouver quelques mètres plus bas dans un fossé. Lorsque les ambulanciers arrivèrent sur le lieu de l accident, les secouristes s affairaient déjà autour du véhicule. La portière ne résista pas longtemps à la poigne coriace des sapeurs pompiers et c est avec énormément de précaution qu ils en extraient deux corps inanimés, celui d une femme et d un homme. Les ambulanciers les prirent immédiatement en charge et les transportèrent de toute urgence vers l hôpital le plus proche. Lucas, un inspecteur de la brigade des homicides de Salon-de-Provence observait avec beaucoup d attention ce spectacle désolant qui s offrait à ses 2 5

yeux. Il avait été prévenu quelques minutes plus tôt par la centrale alors qu il rentrait au poste. On lui avait demandé d aller gonfler les effectifs qui se trouvaient déjà en place. C est étonnant qu il n y ait aucune trace de frein sur la chaussée, dit Lucas en s adressant à son collègue. Tout en parlant Lucas scrutait la route. Il y a de grosses plaques d huile un peu partout, c est curieux! Oui, j avais remarqué, répondit l agent de police. C est très bien que vous soyez là, inspecteur, comme cela, vous pourrez constater par vous-même l ampleur des dégâts, ajouta-t-il en balayant des yeux la voiture accidentée. Connaissez-vous l identité de ces personnes? interrogea Lucas. Oui, M. Maréchal Charles et sa femme Mme Maréchal Louise. Savez-vous exactement dans quelles circonstances s est produit cet accident? Apparemment, ils roulaient normalement mais le conducteur n a pas ralenti à l approche du virage en tête d épingle, là-bas, lui dit l agent en désignant des yeux l emplacement de la courbe. Y a-t-il des témoins? demanda encore Lucas. Oui, le passager de la voiture qui se trouvait juste derrière eux a vu ce qui s est passé, on est en train de prendre sa déposition. Bon, très bien. Il faudrait faire évacuer tous ces gens qui se sont rassemblés ici, cela facilitera le travail de l équipe qui se charge de l enquête. 62

Très bien inspecteur. Lucas se trouvait maintenant face à la voiture, il avait un étrange pressentiment. Il prit son téléphone et composa un numéro. Inspecteur Trébord Lucas de la brigade des homicides. J aurais besoin d une dépanneuse pour évacuer un véhicule accidenté qui se trouve sur la départementale 46 aux abords de la borne kilométrique 15. Cette voiture fera l objet d une expertise approfondie. Je déléguerai l expert habituel demain dans la matinée. * * * Hôpital de Salon-de-Provence le 22 juin 18h30. J avais fini ma journée et me préparais doucement à rentrer chez moi. Cela faisait deux années que j avais réussi mon diplôme d infirmière et intégré le service rhumatologique de l hôpital de Salon-de-Provence. J étais fière de ce que je faisais et je m investissais à corps perdu dans mon travail. Je traversais toujours les urgences pour repartir et je m arrêtais un instant pour discuter avec Lara, une amie avec qui j avais fait mes études. Bonsoir Lara, pas trop dure cette fin de journée? Ah, s est toi Paloma! Si, un peut difficile aujourd hui, ça n arrête pas. Tien regarde, le SAMU nous emmène encore quelqu un. 2 7

Paloma se retourna et vit entrer dans la cour des urgences une ambulance qui retint toute son attention car une voiture de police arrivait non loin derrière à vive allure. Deux ambulanciers ouvrirent les portes et en sortirent deux brancards sur lesquels reposaient des corps recouverts d un drap blanc. Un des secouristes que je connaissais bien m expliqua qu il avait été appelé pour évacuer deux personnes gravement blessées dans un accident de voiture. Mais malheureusement elles n ont pas survécu à leurs blessures et sont décédées durant le trajet. Je me trouvais juste devant le brancard lorsque le médecin des urgences releva le drap qui recouvrait le corps. Et qu elle ne fut ma surprise en découvrant avec horreur, que c était mon père qui reposait là, devant moi. Je me précipitais vers l autre brancard et je reçus comme un coup de point en plein cœur, je venais de reconnaître aussi ma mère. Non, non, ce n est pas vrai! Dites-moi que je rêve? Je ne sus plus ce qui m arrivait, la terre venait de se dérober sous mes pieds. Je me sentais perdue et complètement désemparée. Perdre mes deux parents d un coup c était vraiment trop dur et trop injuste. Je restais là à leur côté sans y croire réellement. Un policier qui accompagnait l ambulance s avança vers moi. Excusez-moi, mademoiselle, vous les connaissiez? Oui, ce sont mes parents, dit Paloma dans un sanglot. Mais que leur est-il arrivé? 82

Leur voiture a raté un virage et s est écrasée quelques mètres plus bas dans un fossé. Je suis vraiment désolé et je vous présente toutes mes sincères condoléances. J étais là, à le fixer sans le voir et à l écouter sans l entendre. Des agents sont restés sur place pour s occuper de faire remorquer la voiture. On vous contactera plus tard pour vous fournir plus d informations. Oui, merci, réussit à articuler Paloma. En ce plein mois de juin, je me retrouvais incroyablement seule et inconsolable. Ma vie venait de s écrouler. Mes parents, morts! Cela ne pouvait être possible! Et pourtant c était une dure réalité à laquelle il allait falloir faire face. Il n y avait plus rien à faire. Me voyant tellement perdue, Thalia, une de mes amies qui se trouvait là, me soutint de peur que je ne tombe. Mon dieu, ma pauvre chérie, c est un grand malheur qui s abat sur toi. Il va falloir que tu sois forte. Je vais te raccompagner chez toi. Oui, je ne sais pas comment je vais bien pouvoir faire face à tout ça! Je n arrive pas à réaliser ce qui m arrive. Je suis là, Paloma, tu sais que tu peux compter sur moi. Je vais t aider, ne t inquiète pas. Je ne sais pas comment je ferais sans toi. Tu es super. Je te remercie, je ne me sens vraiment pas capable de prendre le volant. C est rien, c est normal. 2 9

Durant tout le trajet, Paloma ne desserra pas la bouche. Elle restait là, les yeux errant dans le vague et perdue dans ses pensées. C est une chose à laquelle on n est jamais préparé, pensa Thalia. Paloma allait certainement passer des moments difficiles et il allait falloir la soutenir dans cette épreuve. Arrivée devant la maison, Thalia descendit de voiture et alla ouvrir la porte de Paloma qui ne s était pas rendu compte qu elles étaient arrivées. Allez, Paloma, courage. Veux-tu que je reste avec toi? demanda Thalia en aidant Paloma à sortir de la voiture. Oh non, je pense que ça va aller. Comme tu voudras Palo. Mais appelle si tu as besoin de moi. Je serai là. Merci Thalia, tu es vraiment gentille, je t appelle demain, promis. Thalia hésitait à laisser Paloma toute seule mais elles n habitaient pas loin l une de l autre et elle serait vite là en cas de besoin. C est donc à contrecœur qu elle redémarra en laissant son amie complètement désorientée. Paloma se dirigea vers la maison et c est péniblement qu elle en franchit le seuil. Elle passa à proximité du miroir qui se trouvait dans l entrée et elle eut du mal à reconnaître son reflet dans la glace. Ces yeux étaient rouges d avoir trop pleuré et la vue de son visage boursouflé la fit reculer d un pas. Ce silence qui l entourait l oppressait et la mettait soudain à l évidence que rien ne serait plus jamais comme avant. La maison lui semblait vide et vide 10 2

aussi était son cœur et tout son être. Comment allaitelle pouvoir faire pour continuer à vivre dans un endroit voué à la solitude? Elle venait de rompre avec son petit ami et ses parents venaient d être emportés dans ce terrible accident. À cet instant, une douleur qui lui paraissait insurmontable envahissait tout son être et cela l emmena à une réalité cruelle, elle était soudainement seule. Son regard accrocha une photo de ses parents qui était fixée au mur juste au-dessus du meuble de l entrée. Ils semblaient la regarder et lui sourire. Elle était également avec eux sur la photo, gaie et souriante. Paloma était une jeune femme charmante. Elle était d une beauté éclatante. Ces cheveux bruns qui lui tombaient jusque sur les épaules encadraient un visage aux traits fins et délicats et de ces yeux verts jaillissaient des étincelles de joie. Elle se souvenait du moment où la photo avait été prise. C était le jour de la remise de son diplôme et ses parents étaient vraiment très fiers de sa réussite. Elle se saisit du cadre et le serra tout contre son cœur. Des larmes roulèrent à nouveau sur ces joues, un long frisson la parcourut et fit trembler légèrement son corps. Est-ce la peur ou tout simplement la fatigue qui la rendait si nerveuse? Froid, tout à coup elle avait froid. Elle déposa un délicat baiser sur la photographie, la remit à sa place et décida de monter directement dans sa chambre. Elle se retrouvait dans son élément et cela l apaisa, elle s était toujours sentie en sécurité dans ce lieu. 2 11

Elle s approcha de son lit et s y laissa tomber, vidée de tout. Tout s entremêlait dans sa tête. Elle essayait de remettre ces idées en ordre mais dans l état actuel des choses, c était au-dessus de ses forces. Elle lutta un bon moment pour ravaler son chagrin et sa douleur mais le combat était perdu d avance, elle ne pouvait pas changer ce qui était arrivé. Le temps avait passé et dehors il faisait déjà nuit. Elle était épuisée mais trouva quand même la force de se déshabiller, prendre une douche et se mettre au lit. Sur le plafond de la chambre des ombres formaient des arabesques qui dansaient nonchalamment au rythme des branches des pins poussés par le vent qui soufflait dans les cimes. Elle se laissa doucement bercer par ce ballet et fini par sombrer dans un sommeil agité et peuplé de cauchemars. * * * 12 2

Chapitre 2 Le 23 juin 9 heures Le lendemain, comme convenu, je contactais Thalia qui fut là à mes côtés pour m accompagner dans toutes les formalités. Elle me soutenait du mieux qu elle pouvait et elle m était d un grand réconfort. Comme mes parents n avaient aucune famille je devais, donc seule, faire face à cette lourde tâche. Je ne leur connaissais personne et autant que je me souvienne, ils ne répondaient jamais à mes questions ou leurs réponses, à ce sujet, restaient très vagues. «Tu sais, ma chérie, nous sommes tes seuls parents. Nous n avons pas de famille ton père et moi. Sache que nous t aimons. La vie t a donné à nous, comme un cadeau, quelque chose de miraculeux, un espoir que l on attentait plus. Tu es là et c est ce qui compte le plus.» Je me contentais de cette réponse puisque de toute façon c était ainsi. Je n insistais pas, car je sentais bien qu elle ne voulait pas s attarder sur ce sujet. D ailleurs, à chaque fois, elle détournait la conversation et vaquait à ses occupations. 2 13

Il nous aura fallu une bonne partie de la journée à Thalia et à moi pour s occuper de tout ce qu il y avait à faire. Aller à la banque, choisir des fleurs, et le plus pénible de tous, acheter les cercueils. Je n aurais jamais pensé que ce soit si dur et si éprouvant le jour précédant un enterrement. Ce fut une journée la plus épouvantable de ma vie. Il était déjà bien tard lorsque la voiture de Thalia s arrêta devant l allée qui montait vers ma maison. Je serais contente, Thalia, que tu passes un moment avec moi avant de rentrer. J appréhende un peu de me retrouver seule ce soir. Bien sûr Paloma. Je peux même rester dormir si ça doit te rassurer, cela ne me dérange pas du tout. Tu es sur? Je ne veux pas abuser de ta gentillesse. Mais non, ne t inquiète pas, personne ne m attend. Merci Thalia, je me sens soulagé. Il va pourtant falloir que je m habitue dorénavant à rester seule maintenant. Et oui, la vie n est qu un souffle et il va falloir que tu en aies pour continuer à avancer car malgré tout, il faut aller de l avant. Elles se dirigèrent toutes les deux vers la maison. Paloma mit la clé dans la serrure. Vois-tu, j arrivais, ils étaient là. En plus, j étais leur seul enfant. Ma mère me disait qu elle n avait jamais pu en avoir d autre. On passait beaucoup de temps ensemble, comme ces moments vont me manquer. 14 2

C est sur, ça va certainement être très dur pour toi les premiers jours. Mais tu es forte. Je te fais confiance, tu vas t en sortir. Merci Thalia. Tu me réconfortes vraiment beaucoup et ça me fait du bien que tu sois resté. J avais besoin d une présence ce soir. C est normal. Je suis ton amie! Bon allez, on va se préparer quelques sandwichs et on va essayer de se reposer un peu. Demain nous attend une dure journée. Tout en parlant, Thalia entra dans la cuisine suivie de Paloma et s activa à préparer une petite collation. Oui, demain. Quand j y pense, ça me retourne le cœur. S il te plaît, Thalia, tu pourras rester à mes côtés, je n aurai que toi. Ne t inquiète pas. Je suis ton amie et les amies, c est fait pour être là dans les moments difficiles. Je ne te laisserais pas tomber, je t accompagnerais jusqu au bout. Je te suis tellement reconnaissante de ce que tu fais pour moi. Je ne sais plus ou j en suis. J ai du mal à admettre ce qui m arrive. C est si soudain. Mais c est normal Palo, il va te falloir du temps pour accepter ce que tu es en train de subir et ce ne sera certainement pas très facile tous les jours. Oui, c est sur, lui dit Paloma dans un soupir. Paloma ne toucha pas à son assiette. Thalia aida son amie à débarrasser la table et elles montèrent toutes les deux dans la chambre de Paloma au premier étage. Elles restèrent encore un long moment à bavarder. Et vers minuit elles finirent par s endormir épuisées. * * * 2 15

Chapitre 3 Le 24 juin 15 heures L enterrement se déroula dans la plus stricte intimité. Il n y avait pas beaucoup de monde. Quelques connaissances de mes parents et mes amis formaient le triste cortège qui les accompagnait à leur dernière demeure. Malgré mon chagrin, je remarquais quand même une voiture que je ne connaissais pas arrêtée sur le bord de la route. C était une grosse berline noire qui avait des vitres teintées à l arrière. Le conducteur et la personne qui se trouvait à ses côtés regardaient dans notre direction mais je n arrivais pas à distinguer leur visage. Pourquoi ne venaient-ils pas jusque-là? Qui estce? Voyant que je regardais de leur côté avec insistance le chauffeur démarra la voiture. Elle glissa sur la route tel un mirage et se perdit au loin. Thalia me sortit de ma torpeur. Que regardes-tu Paloma? Cette voiture noire, tu l as vu? Quelle voiture? Celle qui était là, garée sur le bord de la route. 2 17

Mais non, je t assure, je n ai rien vu! Je n ai quand même pas rêvé? Thalia dévisagea Paloma d un air interrogateur. Elle se demanda si elle avait bien vu quelque chose ou si cela n était pas le fruit de son imagination. Je la soutenais de peur qu elle ne tombe et comme promis, je restais à ses côtés durant toute la cérémonie. Quand tout cela fut terminé, Paloma reçu les condoléances et je la ramenais doucement vers ma voiture. Paloma, veux-tu que je reste encore avec toi ce soir? Tu sais que tu peux compter sur moi! Tu es très gentille, merci beaucoup. Mais je préfère rester seule maintenant. Ça va aller, ne t inquiète pas. Il faut que j arrive à surmonter ce cap de ma vie. Ce sera peut-être dur mais je vais m en sortir. À peu près deux kilomètres séparaient le cimetière de la maison. Thalia roulait doucement. Je ne comprenais pas pourquoi j avais comme un pressentiment, une sensation étrange me troublait, mais ce n était pas à cause du décès de mes parents, c était autre chose que je n arrivais pas à cerner. Thalia ne me demanda rien, pourtant je sentais bien qu elle me regardait mais elle préféra garder le silence et me laissa perdue dans mes pensées. Un moment plus tard, elle me déposa au bord du chemin. Tu ne veux vraiment pas que je reste? Non Thalia. Je dois maintenant réagir et continuer seule. Bon, très bien. De toute façon, je passe demain te chercher pour t emmener à l hôpital. 18 2

Oui, encore merci Thalia, à demain. À demain Paloma, essaie de te reposer un peu. Je vais essayer, tu peux rentrer tranquille. Elle s éloigna en me faisant un signe de la main. Je me dirigeais vers la maison et me trouvais au milieu du chemin quand j entendis une voiture arriver sur la route. Je me retournai en pensant que Thalia revenait sur ces pas. Mais à ma grande surprise, je reconnus cette voiture que j avais vue un peu plus tôt au cimetière. Je restais là, à la fixer un moment en essayant de voir qui il pouvait bien y avoir à l intérieur mais les vitres étaient trop sombres, je ne distinguais rien. Je décidais donc de m approcher. Je me sentais attirée, comme aimantée et je sentais mon cœur battre à chacun de mes pas. Je ne me trouvais plus qu à quelques mètres quand tout à coup la voiture démarra puis accéléra et partit dans un crissement de pneu pour disparaître au croisement. Qui cela pouvait-il être? Je trouvais ce manège très étrange! Je commençais à regretter d avoir dit à Thalia de ne pas être resté. J aurais été plus rassurée en ayant quelqu un à mes côtés. Mais maintenant c était trop tard, Thalia était partie et je devais surmonter cette angoisse qui me gagnait. Je sentais des frissons parcourir mon corps mais ce n était pas le froid, car à cette période de l année les journées sont plutôt chaudes. Ce devait sans doute être la peur qui m effleurait lentement la peau et s infiltrait en moi jusqu aux os. Je me dépêchais donc de regagner la maison et m enfermer à doubles tours. 2 19

Je n allais pas appeler Thalia maintenant puisque je lui avais dit de ne pas rester. Il fallait absolument que je retrouve mon calme afin de pouvoir faire face à un quelconque problème. Je vérifiais si mon portable était bien chargé et s il n y avait pas de perturbation sur ma ligne. Tout paressait être redevenu normal à l extérieur et doucement je commençait à me détendre. Je me retrouvais maintenant seule au monde, sans plus aucune racine, comme un naufragé perdu au milieu de l océan. * * * 20