COLLECTER ET CONSERVER LES FILMS DU DÉPÔT LÉGAL FOURNIS SUR SUPPORT NUMÉRIQUE



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Transcription:

René Broca & Etienne Traisnel COLLECTER ET CONSERVER LES FILMS DU DÉPÔT LÉGAL FOURNIS SUR SUPPORT NUMÉRIQUE Juin 2011

SOMMAIRE Introduction : une chaîne numérique complète p.3 1. La conservation à long terme : supports et stratégies p.5 1.1. Les supports numériques p.5 Disque dur magnétique Cassettes LTO Disques optiques numériques Bandes vidéo numériques Mémoires Flash Données numériques sur pellicule 1.2. Les stratégies associées p.11 1.2.1. Répondre à l obsolescence des supports p.11 1.2.2. Maîtriser les volumes de données p.12 1.3. Conclusions provisoires p.13 1.4. Le retour sur film p.14 1.5. Approche des coûts p.15 1.5.1. Disque dur et bande magnétique p.15 1.5.2. Film p.17 1.6. Vers une solution de transition? p.18 2. Etude de faisabilité p.21 2.1. Le paysage et les acteurs p.21 2.1.1. La notion de dépôt légal p.21 2.1.2. Les pratiques actuelles des ayants-droit p.22 2.1.3. Les pratiques et modèles des industries techniques p.24 2.1.4. Consultation et conservation : une distinction indispensable p.26 2.1.5. Les films français et les autres p.28 2.2. Modalités de consultation et conservation p.29 2.2.1. Consultation des films p.29 2.2.2. Conservation des films p.34 2.3. Conclusions et préconisations p.37 Liste des entretiens p.40 2

Introduction : une chaîne numérique complète En une trentaine d années, les techniques numériques ont conquis progressivement tous les maillons de la chaîne de l image et du son pour le cinéma et l audiovisuel. La chronique en est évidemment bien connue des professionnels, mais il n est sans doute pas inutile de la rappeler à grands traits pour bien cerner les contours actuels du paysage technique et mieux comprendre en quoi l industrie cinématographique est désormais passée à une nouvelle articulation de son histoire. Les conséquences de la généralisation des techniques numériques sont en effet multiples : elles modifient bien sûr les pratiques professionnelles, redéfinissant en partie les compétences mobilisées et, par induction, les contenus de formation ; elles affectent également les usages de consommation, en multipliant les vecteurs de diffusion possibles, et donc les qualités de reproduction des images et son originels ; elles modifient structurellement les équilibres économiques établis, obligeant à repenser l éco-système de la filière. Cas particulier de cette redistribution générale des cartes, les problématiques de conservation patrimoniale n échappent évidemment pas à la nécessité d une actualisation. Le son Les techniques numériques se sont d abord imposées dans le secteur du son, les premiers outils d acquisition et de postproduction apparaissant dans le courant des années 1980, le son numérique en salle en 1992, à l occasion de la sortie de Batman Returns. Cette antériorité explique que les premiers doutes concernant la conservation de longue durée de données numériques aient pu être formulés à propos du son, avec ce redoutable constat qu une dégradation pouvait entraîner la perte de la totalité du son. Les effets visuels et l animation Les effets visuels et l animation ont été et demeurent un terrain d élection pour le numérique. Les dates canoniques généralement citées sont celles de Jurassic Park (1993), qui marque l intégration photoréaliste convaincante de créatures de synthèse à des prises de vues réelles, et de Toy Story (1995), premier film d animation intégralement constitué d images calculées par ordinateur. Il importe ici de souligner que les apports du numérique vont bien au-delà du confort de travail ou du simple progrès technique : ce sont bien des possibilités de représentation inédites qui s ouvrent, induisant une voire des esthétique(s) nouvelle(s) 1. On notera enfin que l animation 2D est elle-même très largement gagnée par les techniques numériques. Commencé avec la mise en couleurs dès la fin des années 1980, ce mouvement concerne désormais toute la chaîne, dès la préproduction et jusqu au compositing final ; les techniques manuelles traditionnelles ne s y maintiennent que pour répondre à une ambition esthétique particulière, ou lorsque la recherche de coûts de fabrication minorés conduit à soustraiter une partie de l animation dans des territoires à faibles coûts de main d œuvre. Encore faut-il considérer que, même dans les susdits territoires, la part du traitement informatique est désormais une réalité. La postproduction 1 Les exemples en sont désormais nombreux. Nous en citerons deux : la superproduction Lord Of The Rings (2001-2003), de Peter Jackson, représentation absolument cohérente d un univers imaginaire ; le court métrage Ryan (2004), de Chris Landreth, qui relève la gageure de figurer visuellement une personnalité détruite. 3

Le montage numérique, ou non-linéaire, est apparu pour les programmes de télévision au milieu des années 1980, et a gagné le cinéma dès le début des années 1990. La mastérisation numérique est apparue avec l appareil Cineon, de Kodak, en 1992. Dans un premier temps réservée à l intégration d effets visuels sur les scènes concernées, elle s est, depuis 10 ans, étendue à l étalonnage numérique avant un retour sur film 2. Au premier trimestre 2011, 100% des projets font en France l objet d une postproduction numérique, dont 83% en 2K. La postproduction 35 mm traditionnelle a vécu. La distribution La projection numérique gagne rapidement les salles de cinéma, du moins dans certains territoires. En France, le pourcentage de salles équipées est aujourd hui de l ordre de 40 % (2292 salles à la mi-avril 2011 source Cinego), et devrait atteindre les 80 % à la fin 2012. Ce phénomène oblige désormais à poser une question décisive : quand la copie d exploitation film deviendra-t-elle obsolète? L acquisition Le tournage avec caméras électroniques se généralise à son tour. Dans son rapport La production cinématographique en 2010, daté de mars 2011, le CNC publie les chiffres suivants, parfaitement éloquents quant à l orientation de la tendance 3 : La proportion de films d initiative française tournés en vidéo numérique s'établit à 45,3 % (92 films) en 2010, contre 41,8 % (76 films) en 2009 et 14,8 % (29 films) en 2008. La part de films tournés en 35 mm diminue : elle est de 48,8 % de la production d'initiative française en 2010, contre 52,7 % en 2009 et 79,1 % en 2008. On notera également que l acquisition numérique, en supprimant le poste achat de pellicule, conduit à tourner plus, en considération des économies réalisées par rapport à un tournage analogique. Il s ensuit une augmentation des éléments à traiter en postproduction, ce qui introduit, relativement aux problématiques d archivage, une interrogation nouvelle : que doiton conserver? Parachevant le mouvement irréversible de numérisation de la chaîne de l image et du son, l introduction récente des technologies numériques dans ses derniers maillons, production et distribution, marque de fait une modification fondamentale du paysage professionnel, affectant structurellement les usages et l économie de l industrie cinématographique. 2 On peut ici formuler quelques remarques : - du fait de ses coûts moindres, la mastérisation HD s est trouvée largement pratiquée bien qu elle suppose une perte d informations par rapport au film ; - l absence de standards de formats de fichiers rend problématique l échange d images ; - la forme physique du master numérique (bande magnétique, disque optique, disque dur magnétique) n est pas définie ; - conséquence des nouvelles possibilités ouvertes, on observe un déport vers l aval de certaines décisions, d où la possibilité de différences significatives entre le master numérique et le négatif caméra original (ou les données caméra originales en cas de tournage numérique). - la numérisation de la postproduction s est accompagnée d une augmentation sensible de ce poste dans le budget d un film. 3 Le baromètre de l Observatoire Métiers/Marchés de la FICAM fournit également d utiles indications chiffrées. 4

Chapitre 1. La conservation à long terme : supports et stratégies Avant de procéder à un examen des différentes réponses possibles à l objectif de conservation à long terme de films sur support numérique, il est probablement nécessaire de définir précisément cette notion. On commencera par distinguer la conservation à long terme ou archivage de la sauvegarde ou stockage. La première vise à maintenir dans un temps long un document maître dans une qualité optimale, sans que celui-ci ait vocation à être sollicité pour de nouvelles exploitations. La seconde vise à maintenir à disposition dans un temps plus court les documents qui doivent précisément permettre ces nouvelles exploitations. On parlera également d archives froides dans le premier cas, et d archives chaudes dans le second. L objectif de l archivage est de nature patrimoniale 4, celui de la sauvegarde de nature commerciale. Que doit-on entendre par long terme? L accord sur ce point semble très large : une durée de conservation de l ordre de 100 ans est l objectif généralement admis. Tant que l histoire du cinéma s est confondue avec celle du film 35 mm, cet objectif n a pas été problématique par lui-même, l expérience ayant prouvé l aptitude du support à être durablement conservé dans un état satisfaisant, sous réserve du respect de certaines conditions de température, de lumière et d humidité notamment. L apparition et la généralisation certaine d œuvres cinématographiques sur support exclusivement numérique modifie évidemment la donne. Dès lors, les principales questions à résoudre peuvent être formulées de la façon suivante : - quels sont les stratégies à mettre en œuvre et les supports à privilégier susceptibles de garantir l intégrité, la confidentialité et l accessibilité des données numériques dans la meilleure qualité, à horizon d une centaine d années? - quels sont, dans chaque cas, les outils, les méthodes et les procédures de maintenance pertinents? - quels sont les coûts, directs et indirects, associés, en considération des volumes à traiter? 1.1. Les supports numériques Le disque dur magnétique Une première solution consiste à enregistrer les données sur des disques durs magnétiques. L évolution constante des disques durs vers de moindres coûts pour des capacités d enregistrement supérieures et la rapidité d accès autorisée donnent évidemment du crédit à ce choix. On estime qu en cinquante ans, la capacité des disques durs a été multipliée par un facteur de 1 000 000, un disque dur de 2009 pouvant atteindre 2 To. En 1979, le Mo coûtait 300 dollars, contre 0,00022 dollar en 2008. Si ses performances en termes de volumes de données enregistrables sont appréciables, le disque dur magnétique n est cependant pas exempt de fragilités : vulnérabilité aux chocs du fait de sa complexité mécanique ; pannes soudaines entraînant corruption voire perte totale de données. Un rapport de 2007 du Science and Technology Council de l Acadamy of Motion Picture Arts and Sciences américaine, intitulé Digital Dilemma strategic issues in archiving 4 Au double sens économique et culturel, même si l accent peut être mis davantage sur l une ou l autre dimension. Dans le cas des grands studios américains, qui pratiquent eux-mêmes l archivage de leurs productions, la préservation des actifs est l objectif prioritaire ; dans le cas d un organisme public tel que le CNC, la logique est celle de la préservation d une richesse culturelle. 5

and accessing digital motion picture materials, indique que les premières causes de pertes d archives numériques sont l erreur humaine et les pannes de disques durs magnétiques. Le disque dur magnétique est par ailleurs soumis à la quasi-obligation d une alimentation et d une rotation ininterrompues. Cette dernière condition suffit à disqualifier l option consistant à abandonner un disque dur sur étagère. Dans le cadre du projet PrestoPRIME 5, soutenu par la Communauté européenne, une étude de Matthew Addis 6 (Université de Southampton), sur laquelle nous serons amenés à revenir, évoque de possibles taux de panne de 1 à 10 % dans les cinq premières années d un disque, soit la durée de service jugée raisonnable 7. Ces pannes, cela peut être noté, ne sont pas dépendantes de l intensité d utilisation, ni du caractère professionnel ou grand public du support. Elles sont soudaines et imprévisibles. La corruption des données est par conséquent un danger réel dans les systèmes de stockage sur disques durs, y compris dans ceux conçus (contrôleurs RAID) pour réduire les pertes. En outre, cette corruption peut être absolument silencieuse et de ce fait rester longtemps non détectée. La tendance à l augmentation continue des capacités de stockage (doublement tous les 18 mois) ne s accompagne pas d une augmentation de la fiabilité dans les mêmes proportions. Des capacités de stockage supérieures supposent évidemment une réduction du nombre de supports pour une quantité donnée d informations. En termes de risques, cela peut se formuler ainsi : on passe d un pourcentage relativement élevé de risque de perte d une petite quantité de données à un pourcentage relativement faible, mais néanmoins significatif, de risque de perte de grandes quantités de données. Pour minorer le risque et le rendre acceptable, il est donc indispensable de procéder à plusieurs copies de sauvegarde (trois, quatre, voire davantage), dans des sites géographiquement distants. Et il est recommandé de ne pas copier à l identique, mais en réorganisant à chaque fois différemment les fichiers. Cette redondance systématique a évidemment un coût. Les fragilités du support individuel ne sont pas tout. Le disque dur s intègre à un ensemble, à un système de stockage de masse, qui génère des difficultés ou des risques spécifiques indépendants des disques eux-mêmes, dont notamment des défaillances d interconnexion physique. De sorte que chaque articulation de l ensemble nécessite un travail de veille permanent et proactif. Aucun élément (réseau, stockage, mémoire, calcul) ne peut être considéré comme sûr et exempt de panne ou de corruption. Pour prévenir ces risques, la migration des données est une obligation (cf. infra). On est ici en présence d un modèle de stratégie de conservation dite active, qui se distingue des stratégies passives, dans lesquelles le support de conservation est entreposé sur de longues durées sans nécessité d intervention humaine 8. On en retiendra la conclusion générale que les vérifications doivent être constantes, que les réparations sont inévitables, et que ces interventions peuvent être de nature à altérer les performances du système entier, et singulièrement les conditions d accès aux données (cf. Matthew Addis, op.cit.). 5 cf. http://www.prestoprime.org/project/public.en.html 6 Threats to data integrity from use of large-scale data management environments février 2010. 7 Dans le même cadre, une autre étude du même auteur évalue en effet à 3 à 5 ans la période de fiabilité d un disque dur (Audiovisual Preservation Strategy, data models and value chains) 8 Store and forget entreposer et oublier disent les Anglo-Saxons. 6

Ces complexités et l étendue des ressources humaines et matérielles qu elles supposent peuvent inciter à déporter la conservation des données informatiques sur des serveurs distants interconnectés, selon le principe du cloud computing (ou information en nuage...). Différents opérateurs dotés des infrastructures nécessaires proposent désormais des prestations de stockage de données, pour des secteurs économiques ou des particuliers. On a pu évoquer à ce propos une virtualisation de l archivage, mais l expression semble impropre, puisque les informations restent stockées sur des disques durs dans des serveurs ayant une existence physique. Le gestionnaire d archives échappe ainsi à la nécessité de gérer lui-même conservation, maintenance et sécurité, et peut même espérer des coûts attractifs en profitant des économies d échelle réalisées par son prestataire. Le cloud a cependant quelques inconvénients : - impossibilité pour le propriétaire de pouvoir localiser ses archives et leurs répliques ; - confidentialité et sécurité incertaines, du fait du passage obligé par l Internet ; - vulnérabilité aux attaques informatiques ; - exposition éventuelle des serveurs à des risques naturels ou historiques ; - longévité problématique du prestataire, présumée inférieure à celle espérée pour les archives ; - opacité générale du dispositif. A quoi peuvent s ajouter des préoccupations touchant aux dépenses d énergie et autres nuisances environnementales induites (certaines estimations rendent le cloud responsable de 1% des émanations de CO 2 de la planète) : le nuage est toxique. Sur le fond, en termes d intégrité et de pérennité des données, le cloud n offre par lui-même aucune garantie et n est en rien protégé des incertitudes frappant tout enregistrement sur disque dur, fût-il redondant, dans un ou plusieurs serveurs. Constat qui a conduit l un de nos interlocuteurs à exprimer que ce dispositif revenait à cacher la poussière sous le tapis de l Internet. Ces diverses considérations inclinent à considérer que le cloud computing peut être adapté à la sauvegarde de données sur une durée courte, mais non à leur conservation pérenne. Des inquiétudes récentes se sont exprimées quant à la concentration du secteur : il n'y a plus aujourd'hui que cinq fabricants de disques durs dans le monde : Seagate, Western Digital, Hitachi, Samsung et Toshiba. Or, Seagate Technology a fait part de sa volonté de racheter les activités de Samsung Electronics dans les disques durs tandis que Western Digital entend faire de même avec celles d Hitachi. La Commission européenne a évoqué à ce propos un risque de réduction des sources d'approvisionnement en disques durs, notamment pour les fabricants indépendants de matériel informatique de stockage externe. La cassette magnétique LTO LTO (Linear Tape-Open) est une technique de stockage sur bande magnétique au format ouvert, ce qui signifie, pour l utilisateur, la possibilité d accéder à des produits compatibles d origines diverses. Elle a été développée par HP, IBM et une division de Seagate rachetée par Quantum en 2004. LTO est le format de stockage numérique dominant pour l industrie cinématographique. Plusieurs générations se sont jusqu à présent succédées, proposant des capacités et débits toujours supérieurs. 7

Les générations de LTO Date Capacité Débit LTO1 2000 100 Go 20 Mo/s LTO2 2002 200 Go 40 Mo/s LTO3 2005 400 Go 80 Mo/s LTO4 2007 800 Go 120 Mo/s LTO5 2008 1,5 To 140 Mo/s Capacités et débits ci-dessus s entendent pour des données non compressées. Une sixième génération annoncée devrait avoir une capacité de 3,2 To, pour un débit de 270 Mo/s. La compatibilité entre les générations est possible à N-2 : une bande LTO1 sera lisible par un lecteur LTO3, mais non par un lecteur LTO4. Matthew Addis (op.cit.) déplore l absence d études publiques d envergure sur la fiabilité des bandes magnétiques, ce qui peut surprendre au regard de l usage massif du support. Il ressort cependant de l expérience d organismes gestionnaires d archives importantes un certain nombre de constats. La Bibliothèque Nationale de France (BNF), notamment, a utilisé les générations 1, 3 et 4 de LTO pendant près de 10 ans ; elle disposait en 2010, à la date de publication du rapport PrestoPRIME, de 600 To de données, et de près de 800 To à la date de la présente étude. Au fil des ans et des cycles de migration (cf. infra), la BNF n a pas constaté de perte de données. Les difficultés, plutôt que sur les bandes elles-mêmes, semblent se concentrer sur les lecteursenregistreurs, dont des dysfonctionnements peuvent altérer les bandes. De nouveaux lecteursenregistreurs ont pu également échouer à lire des bandes d une génération antérieure, les rendant ensuite inutilisables, même avec des lecteurs anciens. Des phénomènes d usure ont été constatés sur des bandes fréquemment utilisées mais semblent avoir concerné bien davantage les premières générations. A partir de la LTO3, la fiabilité est jugée généralement satisfaisante. La copie, par elle-même, ne semble pas occasionner de pertes significatives : un fonds d archives a mesuré que 0,1% des fichiers ont eu des problèmes lors d un premier transfert, plus aucun lors du second ; la BBC n a rencontré des difficultés qu avec 20 de ses 10 000 bandes LTO3, difficultés assez aisément résolues. La durée de vie d une bande conservée dans de bonnes conditions, et en prenant soin de la dérouler et enrouler à intervalles réguliers, est estimée à 15 à 30 ans, voire plus. Ce constat doit cependant être tempéré par celui de l obsolescence plus rapide des lecteurs-enregistreurs, qui peut intervenir dans un délai de 5 à 7 ans. La recommandation s impose de pratiquer une ou plusieurs copies, avec obligation de migration (cf. infra). La conservation sur bandes LTO exige d organiser les migrations en combinant au mieux 4 variables : - l apparition de nouveaux formats, décidée par le fabricant ; - la compatibilité du lecteur avec les générations de bandes ; - l obsolescence de la bande ; - l obsolescence du lecteur. Dans l univers informatique, la LTO s est répandue grâce à sa fiabilité, à ses grandes 8

capacités de stockage et à ses coûts réduits. Toutefois, les limitations de sa rétrocompatibilité et la complexité des migrations induites tendent à la disqualifier pour la conservation à long terme. De plus, des craintes ont pu s exprimer, que la fin du marché de la cassette VHS n ait pour conséquence une sensible diminution de l effort de Recherche et Développement en matière de bandes magnétiques, ainsi qu un enchérissement des différents composants. Les disques optiques numériques enregistrables Un rapport récent de l Académie des Sciences et de l Académie des Technologies sur la conservation de l information numérique 9 prend les disques optiques numériques pour objet d étude principal. Nous nous appuierons largement sur ce travail, qui nous semble avoir apporté des lumières nouvelles. Les disques optiques numériques enregistrables (DONE) font l objet d une production de masse (plus de 10 Mds d unités/an) ; ils se distinguent en : - CD-R ( Recordable, soit inscriptible une seule fois) ou RW ( ReWritable, soit inscriptible et effaçable pour une nouvelle inscription) ; - DVD-R ou RW ; - BD-R (Blu-ray). Comparés au disque dur magnétique ou à la bande magnétique LTO, les DONE offrent de relativement faibles capacités d enregistrement : environ 600 Mo pour les CD ; environ 5 Go pour les DVD ; 25 Go pour les BD. Le principe de lecture optique n entraînant aucune usure mécanique, ces supports ont pu un temps être présentés notamment par leurs fabricants ou distributeurs comme éternels. La réalité est fort éloignée. Nous ne saurions mieux faire que de citer ici le rapport des deux Académies (p. 45 et sq) : Les DONE, dans leur forme actuelle, sont loin d être les objets simples, soumis à une évolution facilement prédictible, que l on aurait pu espérer. ( ) sous la pression du marché, les solutions retenues par les constructeurs privilégient avant tout la capacité et la rapidité d écriture, ainsi qu un prix très bas ; la longévité n est guère prise en compte. Evoquant de prétendus disques d archivage, dans lesquels une couche d or, ou d or et d argent, remplace la couche habituelle d aluminium, le rapport conclut sans détours : ces disques ne sont pas nécessairement meilleurs que les disques standard ; ils sont parfois même pires. La fabrication des disques optiques numériques est inhomogène et peu reproductible, poursuit le rapport, y compris pour un modèle donné d un fabricant donné ; on constate d importantes variations de la qualité, en fonction du lot et de la date de fabrication. La conclusion semble sans appel : les DONE ont une durée de vie non garantie et non prédictible, qui peut être de moins d un an dans les pires des cas. Ces supports sont par conséquent tout à fait inadaptés à une conservation pérenne et doivent être réservés à un usage de sauvegarde transitoire. Leurs faibles capacités d enregistrement militent dans le même sens. On doit cependant mentionner une voie éventuellement prometteuse, mais qui n a pas aujourd hui de réalité industrielle : la gravure physique dans du verre, à lecture optique. A la 9 Longévité de l information numérique, par Jean-Charles Hourcade, Frank Laloë et Erich Spitz EDP Sciences, 2010. 9

différence de supports physiques plus récents, le verre a en effet ce mérite d être depuis longtemps bien connu et documenté ; c est un produit simple dont on connaît les conditions d évolution. Incorruptible et inaltérable, il est un candidat sérieux pour un objectif de conservation de (très) longue durée dans une stratégie passive, de surcroît peu consommatrice d énergie. Les tenants de cette solution 10 l accompagnent du choix d une lecture sur support CD/DVD, dont la prolifération planétaire garantit qu on saura toujours le lire dans 100 ans, même si alors il n a plus aucune réalité commerciale. Ce choix répond peut-être à la question de l accessibilité à long terme des données, mais il n est pas sans défaut, le principal étant la faible capacité d un disque : 10 Go. Sauf à répondre que l encombrement est un faux problème, il y a là une difficulté. Le caractère aujourd hui seulement prototypique de cette technologie rend très incertaine l estimation du coût de son application aux problématiques d archivage de masse. On peut aussi mentionner une technologie de micro-gravage sur saphir synthétique 11, dont le caractère inaltérable garantirait une conservation de quelque 2000 ans. Le dispositif de lecture, microscope ou tout appareillage grossissant, est indépendant de toute technologie informatique. En l état, le procédé est d abord destiné au texte et à l image fixe. Les capacités de stockage évoquées ( jusqu à 39 000 pages au format A4 restituable en 75 dpi sur un disque de 20 cm de diamètre, soit l équivalent d un CD ) et les tarifs annoncés de 0,5 à 3 l image ne semblent pas pouvoir convenir à l archivage film. La bande vidéo numérique Le format HDCAM SR, introduit par Sony en 2003, enregistre des images HDTV dans une résolution de 1920 x 1080 - soit légèrement moins que le format de cinéma numérique 2K (2048 x 1080) et utilise le format de compression MPEG-4. Il est douteux que le HDCAM SR puisse prétendre à la dignité de format d archivage. Les principaux arguments sont les suivants : - une résolution dégradée par rapport à celle de la pellicule 35 mm ; - une incertitude forte quant au destin de la bande vidéo numérique : si l accord semble se faire (cf. Digital Dilemma, op.cit.) sur une durée de vie de 5 à 10 ans dans de bonnes conditions de conservation, rien ne prouve qu un nouveau format de bande soit apparu au terme de la vie sur étagère d une bande HDCAM SR. La diffusion télévisuelle tendant de plus en plus à ne plus recourir aux bandes 12, les développements dans ce domaine deviennent hautement conjecturaux. Mémoires Flash L usage des mémoires Flash s est généralisé depuis quelques années. Le rapport Longévité de l information numérique (op. cit.) relève qu elles peuvent rivaliser avec le disque dur, voire le surpasser, en termes de rapidité d accès, et que, ne contenant pas d élément mécanique, elles échappent aux fragilités et restrictions d utilisation associées, qui pénalisent le susdit. 10 La jeune société française Essilex, notamment 11 Portée par Arnano, société créée en 2009 et issue du CEA-LETI de Grenoble. 12 Ce phénomène est amplifié par l incapacité de Sony de fournir des cassettes HDCAM SR suite au séisme japonais de mars 2011. 10

Toutefois, la charge électrique stockée qui représente l'information n'est pas parfaitement isolée et peut donc disparaître au bout d'un certain temps. Même si certains constructeurs annoncent une durée de vie allant jusqu à 100 ans, il conviendra de retenir 10 ans comme la période avant laquelle il faut effectuer une réécriture pour s'assurer de la conservation des données. De plus, le principe de migration de charges électriques sur lequel elles reposent les rend potentiellement vulnérables à tout effet ionisant ; elles sont par ailleurs soumises à des phénomènes d usure lors des cycles de lecture et écriture. Des capacités d enregistrement limitées, et les coûts induits 13, constituent une raison supplémentaire de ne pas les considérer en l état présent de la technologie comme des supports candidats à un archivage pérenne. Données numériques sur pellicule Le film - nous le verrons - n'a pas dit son dernier mot. Comme tout support analogique, il peut également être le réceptacle de données numériques. C'est d'ailleurs ainsi que les sons numériques SDDS et Dolby Digital sont inscrits sur les bobines exploitées dans les salles de cinéma. Des matrices formées de petits carrés blancs et noirs matérialisent les suites de "0" et de "1". Il est possible de densifier l'information en utilisant ce procédé sur les différentes couches colorées. Dans un tel dispositif, l information numérique ainsi conservée bénéficie de la grande longévité du support film (pour peu que les conditions de stockage soient optimisées). Afin de garantir la relecture, il convient d inscrire les informations nécessaires au décodage en amorce de la bobine. Pour la conservation de l'image, cette technologie se révèle peu adaptée car gourmande en pellicule. En effet, la longueur nécessaire en numérique est près de trois fois supérieure à celle nécessaire en analogique. Dans le domaine du son, l'enregistrement des pistes audio d'un film de 2 heures nécessiterait 600 mètres de pellicule (l'équivalent d'une bobine), ce qui semble raisonnable. L inscription de données numériques sur pellicule est actuellement développée et commercialisée par des sociétés telles que Preserve.On en France ou Bitsave en Suisse. Elles seront renforcées par ARRI qui annonce l intégration de cette technologie dans ses imageurs et scanners dans le courant de l année 2012. 1.2. Les stratégies associées 1.2.1. Répondre à l obsolescence des supports Deux stratégies distinctes peuvent être mises en œuvre pour répondre au phénomène d obsolescence des supports et au risque qu il entraîne de corruption ou de perte totale des données enregistrées. La migration Elle consiste dans le transfert de données depuis un support physique ancien vers un support physique neuf, à intervalles réguliers. Les données anciennes sont donc préservées jusqu à ce qu un nouveau cycle de migration soit rendu nécessaire par l obsolescence du support. Il s agit donc d un processus constant de contrôle de l état de conservation des données, et d un processus infini. Mais l acte lui-même de lecture des données aux fins de vérification peut 13 Environ 350 $ pour un modèle de 120 Go en 2009. 11

entraîner à son tour des risques d erreurs. Il doit donc intégrer des procédures de vérification de l intégrité et de la qualité des données. Il est ici important de signaler qu une migration optimale est une conservation du contenu d information total, devant inclure les sources, l historique, les liens contextuels avec des données extérieures. La migration peut supposer une actualisation des formats de fichiers pour les harmoniser avec les dernières générations de systèmes d exploitation ou d applications logicielles. Cette veille permanente explique que l on parle alors de stratégie active. Une migration tous les cinq ans est considérée comme suffisamment prudente pour les disques durs numériques, tous les trois à cinq ans pour les bandes LTO. On n aura garde d oublier qu à chaque migration, les données transférées doivent l être sur plusieurs copies : la redondance n est pas une option mais une obligation. La migration offre par ailleurs l avantage de répondre à une difficulté récurrente en matière d archivage : comment garantir à long terme la capacité à lire des données enregistrées dans un contexte technologique révolu? En transférant les données sur un support neuf, elle garantit leur accès via les matériels et logiciels contemporains de l acte de lecture. Elle ouvre aussi de ce fait la possibilité de répondre à d éventuels nouveaux usages, supposant de nouveaux supports et formats. L émulation Elle constitue une stratégie alternative à la migration sous l angle de l accessibilité des données. Son principe est d assurer une forme de compatibilité a posteriori, en préservant le format de données originel, souvent sur le support physique originel, et en fournissant des outils qui permettent de lire les données après que le format de fichier, le support de stockage, les logiciels et matériels d origine ont cessé d être maintenus. En pratique, elle suppose l écriture de logiciels qui fonctionnent sur un matériel nouveau comme si c était un matériel ancien, traduisant de l un à l autre. Ceci implique un développement et une maintenance permanents, et donc onéreux. Complexité et coûts expliquent sans doute que cette voie ait été jusqu alors moins explorée. Le rapport Digital Dilemma (op. cit.) ne choisit pas entre l une et l autre stratégie, appelant même à étudier de possibles hybridations. 1.2.2. Maîtriser les volumes de données Pour répondre à des objectifs de maîtrise des volumes de données à stocker/archiver ou à transmettre, il est courant de faire subir aux fichiers une compression, opération par laquelle l information est représentée sous une forme plus courte que la forme originale. Selon les algorithmes utilisés, la compression peut prendre plusieurs formes : avec perte, mathématiquement sans perte ou perceptuellement sans perte. Si les bénéfices, en termes opérationnels et économiques, sont évidents, les risques encourus ne sont pas anecdotiques. Le rapport Digital Dilemma (op. cit.) laissait la question ouverte, tout en soulignant que la majorité des opérateurs des différents secteurs économiques concernés par les problématiques d archivage restaient hostiles au principe. Les travaux menés dans le cadre du projet PrestoPRIME apportent un éclairage plus net. 12

L encodage, et en particulier la compression, peut amplifier dans de fortes proportions même de faibles niveaux de corruption des données (image et son), affirme ainsi Matthew Addis (op. cit.). Des fichiers entiers peuvent devenir inutilisables. Il est important de noter que le risque n est pas corrélé au niveau de compression : une compression sans perte est tout autant susceptible d entraîner une corruption qu une compression avec perte. Il s ensuit la réaffirmation de la nécessité de stratégies proactives de contrôle de la qualité et de l intégrité des données. La compression, indispensable dans une perspective de maîtrise des volumes, et donc des coûts, semble cependant devoir être comprise comme un facteur de risque supplémentaire. 1.3. Conclusions provisoires On peut ici tirer quelques premières conclusions avant que de considérer l hypothèse du retour sur film. La première est qu il n existe pas à ce jour de support numérique garantissant un archivage de longue durée sans disparition ou corruption de tout ou partie des données. Il ressort par ailleurs des développements précédents que, parmi les différents supports numériques existants, deux seulement ont aujourd hui 14 vocation à être utilisés sous conditions - dans une perspective d archivage : le disque dur magnétique et la bande magnétique LTO. L un comme l autre, on l a vu, sont sujets à une obsolescence à relativement court terme. S impose par conséquent la nécessité de migrations régulières et, par principe, infinies. Mais le média numérique ne peut être lu sans la médiation d outils, matériels et logiciels, qui sont autant d éléments constitutifs du dispositif de conservation, chacun avec sa durée de vie propre ; à l expiration de l un de ces éléments, il faut non seulement le remplacer, mais aussi modifier les éléments adjacents pour qu ils demeurent compatibles. La nécessité, signalée plus haut, d appliquer des procédures de contrôle de l intégrité et de la qualité des données et métadonnées lors des migrations implique également l existence d un système global structuré, qui inclut le développement et la maintenance continus des outils comme ceux des compétences humaines mobilisées. Dès lors, la migration ne doit pas être considérée comme une tâche périodique, mais bien comme un travail permanent. L archivage numérique à long terme requiert une gestion active, et même proactive. Cette réalité a évidemment sa traduction économique. Dès lors, s ajoute aux risques proprement techniques le risque (économique, politique, administratif ) d une extinction des financements garantissant la maintenance du système et la possibilité des migrations. Le tableau suivant figure les durées de vie estimées des différents éléments constitutifs d un système d archivage numérique. Durée de vie Matériels Logiciels 3 à 5 ans Serveur Logiciel 14 On trouvera dans le rapport Longévité de l information numérique, précité, l évocation de pistes de recherches possibles concernant d autres supports. 13

Système d exploitaton Pilotes des périphériques 5 à 10 ans Interface physique Microprogramme (firmware) d interface 3 à 5 ans Lecteur de media Microprogramme (firmware) de contrôle du lecteur 5 à 10 ans Media Système de fichiers Format des fichiers de données Format d écriture physique variable variable 1.4. Le retour sur film Personnel qualifié Financement (Source Digital Dilemma 2007) Procédant à une enquête auprès des studios de cinéma, mais aussi auprès d autres grands opérateurs américains (Industrie pétrolière, Library of Congress, Défense, Santé, Sciences de la Terre, etc.) pour lesquels la conservation sûre et pérenne de leurs archives est un enjeu crucial, le rapport Digital Dilemma (op. cit.) en est venu à cette conclusion nette : il n y a pas aujourd hui d alternative à l archivage sur film analogique si l objectif est de pouvoir conserver et ignorer sur une période de 50 ans et plus. Cette position s appuie sur une batterie d arguments, dont le premier est l aptitude constatée après plus d un siècle d expérience - de la pellicule photochimique à conserver une bonne qualité d information sur le long terme 15. Le film 35 mm est par ailleurs un format standardisé et robuste, d un usage universel, interopérable, stable et bien compris. Densité d information et durée de vie Support Densité (en bits/cm 2 ) Durée de vie (années) pierre 10 10 000 papier 10 4 1 000 film 10 7 100 disque optique 10 10 10 (Source Matthew Addis : Preservation strategies op. cit.) On estime certes que moins de 20 % des films tournés avant 1920 et moins de 50 % des films tournés avant 1950 ont survécu, mais ces faibles pourcentages sont évidemment à référer à la nature du support nitrate d une part, à l ignorance ou au déni de la valeur patrimoniale de cette production, d autre part. De sorte qu il est communément admis aujourd hui que la conjugaison du film (tri-acétate ou polyester) et de bonnes conditions de conservation garantit une conservation de longue durée. Les grands studios cinématographiques américains ont fait le choix de conserver dans des sites sécurisés les éléments suivants : le négatif 35 mm original (OCN, pour Original Camera Negative) ; un interpositif (IP) ; des séparations YCM (Yellow, Cyan, Magenta) sur 3 négatifs noir et blanc. L ensemble constitue les preservation masters ou archival masters. [Parallèlement, les studios sauvegardent pour le court terme (i.e. la période de la première fenêtre d exploitation commerciale, soit 3 à 5 ans) interpositifs ou internégatifs qui serviront à faire de nouvelles copies, également des DCP (cf. infra) et des versions SD et HD.] 15 Le fabricant Kodak annonce une durée de vie de 500 ans pour ses pellicules actuelles. 14

La pratique de la séparation trichrome s explique par le souci de se garantir de l instabilité des colorants des pellicules couleurs. Elle a bien sûr sa traduction financière (cf. infra). Outre la préservation de l information, le support film a ce mérite d être visible à l œil nu : un support analogique pourra toujours être consulté facilement (en l espèce, avec une loupe et une source lumineuse), sans médiation technologique complexe. Son accès est donc garanti ad libitum. Cette caractéristique permet aussi de détecter directement d éventuelles corruptions et altérations, à la différence des supports numériques qui peuvent faire l objet de corruptions latentes, pouvant rester non détectées et entraîner à terme la perte de l information. 1.5. Approche des coûts 1.5.1. Disque dur et bande magnétique On aura compris de l examen des différents supports numériques ci-dessus que les coûts à considérer vont bien au-delà des coûts d acquisition initiaux du support physique et des matériels et logiciels. L obligation de migrations régulières et infinies conduit à ajouter un certain nombre de coûts récurrents : - contrats de maintenance des matériels et logiciels ; - coûts de remplacement des matériels, OS et logiciels ; - coûts de remplacement des supports physiques ; - coût du travail humain, incluant coûts de formation ; - coûts d alimentation électrique et de climatisation ; - coûts immobiliers, assurances et taxes ; - coûts induits par l augmentation des collections ; - coûts des duplications (volontaires et involontaires) de données 15

Le tableau ci-dessous résulte d une analyse comparée des coûts induits par le choix du disque dur sur serveurs ou de la bande magnétique sur robots - migrations incluses - dans le cadre du San Diego Supercomputing Center (SDSC), qui utilise l un et l autre support. Les chiffres cités (qui datent de 2007) s entendent par an et par To. Il apparaît, d une part, que le coût du support équivaut à plus de 30 % du coût total dans le cas d un stockage sur disque dur, à 20 % dans le cas d un stockage sur bande et, d autre part, que celui-ci est moins onéreux (moins d un tiers) que celui-là. La structure des coûts indique clairement que la diminution du coût des supports n induit pas dans les mêmes proportions une diminution des coûts globaux. Il est par ailleurs admis que le différentiel de coûts entre disque dur et bande sera amené à se réduire, celui-là diminuant plus rapidement que celle-ci. Une consommation électrique inférieure et une empreinte environnementale moins lourde resteront cependant des atouts consistants en faveur des bandes magnétiques, notamment dans l option sur étagère. Il est estimé que le coût de la conservation de bandes sur étagères représente 25 % du coût de la conservation de bandes sur robots. Mais il faut observer que ce différentiel diminue en proportion de la fréquence d accès aux bandes : plus cette fréquence est grande, plus en effet du travail humain est mobilisé. Le grand nombre de paramètres à prendre en compte dans l évaluation du coût de l archivage numérique explique peut-être les disparités sensibles entre les estimations des uns et des 16

autres. Matthew Addis 16, reprenant les conclusions du SDSC citées par Digital Dilemma, celles d une étude menée pour Sun Microsystems 17 et d autres encore 18, relève que leurs estimations peuvent différer très spectaculairement Relevant que le coût du stockage a diminué de moitié tous les 3 ans ou moins 19 sur les trois dernières décennies, et postulant qu il continuera à en aller de même, il se risque, en combinant ce facteur à la connaissance du coût actuel, à proposer une méthode de calcul de ce que pourrait être un coût global à perpétuité 20. Ce calcul, prévient son auteur, n est fiable qu en considération de forts volumes (dizaines à centaines de To) et suppose une conservation à long terme (10 ans et plus). On peut en trouver le détail dans l annexe 1 du rapport Preservation Strategies. Toutes ces estimations doivent être accueillies avec une grande prudence. Au-delà de ces projections hypothétiques, le point crucial est à notre avis le suivant : la diminution tendancielle des coûts d acquisition des supports induit mécaniquement une modification de la structure de coûts globale ; le poids du travail humain et de l énergie devient toujours proportionnellement plus important. Leur enchérissement régulier peut être considéré comme probable, mais en déterminer le rythme et l intensité à échéance d un siècle relève de la divination. 1.5.2. Film L industrie américaine du cinéma considère que le document maître indiscutable est la séparation trichrome YCM sur film polyester 21 noir et blanc. Son coût est estimé par le rapport Digital Dilemma (op. cit.) à 65 000 à 85 000 $, selon les options possibles. Matthew Addis (Preservation Strategies, op. cit.) établit à 80 000 $ le coût des 3 éléments combinés : séparation trichrome, négatif terminé et interpositif. Evaluant le coût global annuel de l archive film à l unité, Digital Dilemma parvient à un chiffre de 1059 $. Cette somme est obtenue en ajoutant aux coûts d amortissement des investissements susdits un coût mensuel de conservation de 40 cents (pour un film de 1000 pieds). 16 Preservation Strategies, op. cit. 17 Archiving Movies in a Digital World, Dave Cavena et al, 2007 18 Moore, D Aoust, McDonald and Minor (2007) : Disk and Tape Storage Cost Models, in Archiving 2007. Barroso and Holze (2009) : The Datacenter as a Computer: An introduction to the desin of warehouse-scale machines. Google Inc. Synthesis Lectures on Computer Architecture. 19 La tendance à la diminution du coût de stockage global est moins rapide que celle des supports. Le SDSC facturait 1500 $/To/an début 2007, 1000 $ en 2008 et 650 $ fin 2009. Pour le service d Amazon : environ 1800 $/To/an en 2007, environ 1260 $ début 2010 (pour un stockage supérieur à 500 To). La facture diminue en proportion du volume stocké : le minimum étant de 660 $/To pour un volume supérieur à 5 Po. 20 L éternité, c est long. Surtout vers la fin. (Woody Allen). 21 Le film polyester est plus résistant et plus stable que le film tri-acétate et de ce fait considéré comme mieux adapté aux impératifs de conservation. 17

Le tableau suivant exprime les coûts comparés des différentes options. Film 1059 $ HDCAM SR 1830 $ Master 2K 1955 $ Master 4K 12 514 $ (source : Digital Dilemna - 2007) On notera que, dans l esprit des rédacteurs, la comparaison pertinente est celle entre le master film 22 et les masters 2K et 4K, en considération de la perte d information induite par le HDCAM SR. Pour chaque film, il faut bien entendu considérer la résolution de l élément final de postproduction 23. Ce tableau autorise donc les rédacteurs du Digital Dilemna à affirmer que, à qualité d information comparable, le support numérique peut être jusqu à 11 fois plus onéreux que le support film. L étude précitée réalisée pour Sun Microsystems insiste sur le fait que le différentiel s atténue dans de notables proportions si l on prend en compte les coûts d accès au master film, ce que ne fait pas Digital Dilemma. Elle relève en effet que si l on veut ré-exploiter le master ne serait-ce qu une fois dans un siècle, un nouveau scan des séparations sera nécessaire, entraînant un surcoût de 65 000 $. Une éventuelle restauration ajouterait encore, évidemment, à la facture. Hors ces coûts d accès, l étude Sun parvient à une estimation de 40 % inférieure à celle de Digital Dilemma. Quoi qu il puisse en être de ces divergences, le point fondamental et qui fait consensus porte sur la structure des coûts : l archivage sur support film requiert des investissements initiaux importants, mais amortis sur 100 ans, et des coûts de conservation faibles (espace de stockage, travail humain, énergie). Soit une structure symétrique de celle de l archivage sur supports numériques. Il reste que, rapporté à la situation française, un investissement de l ordre de 80 000 $ dans les 3 éléments (négatif, séparation trichrome, interpositif) de conservation d un film pourra être jugé absolument irréaliste. Une solution alternative, évidemment moins onéreuse, mais moins sûre et de qualité moindre, consiste à se contenter d un shoot couleurs. Des chiffres couramment avancés par des professionnels français sont de l ordre de 20 000 à 30 000 24. Et s il faut considérer de potentiels coûts d accès, ils s établiraient alors à 12 000 à 15 000, coût avancé pour un scan 2K des éléments sources, hors tout travail de restauration. 1.6. Vers une solution de transition? Le numérique n a pas aujourd hui relevé de façon convaincante certains des défis posés par la pellicule 35 mm : - être un standard mondial ; - permettre la conservation à long terme (> 100 ans) sans perte de qualité ; - permettre la création d éléments maîtres pour des exploitations sur d autres supports, actuels ou futurs ; - assurer l indépendance à l égard des plates-formes technologiques ; 22 Un élément intermédiaire photochimique qui peut encaisser sans problème une résolution allant jusqu à 4K. 23 La plupart des films français sont actuellement postproduits en 2K et le seront bientôt en 4K. 24 Des coûts de 15 000, pour les plus bas, de 50 000, pour les plus élevés, nous ont occasionnellement été cités. 18

- permettre l interopérabilité ; - maîtriser les coûts. En d autres termes, les incertitudes entourant le numérique sont nombreuses et constituent des facteurs de risques importants. Puisqu il n y pas aujourd hui de support numérique incontestable et que la question d un futur support numérique satisfaisant demeure indécidable, au moins quant à sa date d apparition, le recours à une solution transitoire semble s imposer. Pour beaucoup de professionnels, le support photochimique est le meilleur voire le seul candidat. Nous nous sommes efforcés plus haut de préciser ses supériorités, notamment en termes de sécurité et de qualité de la conservation, d accès garanti dans le temps, de visibilité des coûts à long terme. Pour autant, un tel choix peut susciter doutes et interrogations. Relevons tout d abord un paradoxe, au moins apparent : c est au moment où l intégralité de la chaîne de l image, de l acquisition à la distribution, a basculé dans le numérique que la pellicule 35 mm, partout évincée, trouverait une légitimité nouvelle comme support d archive, jusques et y compris pour les films nativement numériques. La difficulté, évidemment, n est pas d ordre théorique, et renvoie à une inquiétude justifiée. Celle-ci s articule sur deux questions principales, étroitement corrélées : - qu en sera-t-il du coût et de la disponibilité de la pellicule 35 mm quand elle aura totalement disparu comme support de tournage et de projection? Confrontés à une baisse de la demande, les fabricants de pellicule, les laboratoires photochimiques et les fabricants de produits chimiques ne pourront plus réaliser les économies d échelle qui ont été jusqu alors possibles. Quels investissements seront-ils susceptibles de consentir pour un marché déclinant? - cette situation n entraînera-t-elle pas nécessairement l évanescence des compétences professionnelles associées à l usage centenaire de la pellicule? La disparition des savoirfaire est déjà constatable, selon certains de nos interlocuteurs. Il n y a pas de réponse certaine à ces questions. Un fabricant industriel de pellicule, tel que Kodak, s efforce de contenir l inquiétude, arguant de l existence de marchés de niche pour la pellicule, garantissant son existence ; sont aussi évoquées de nouvelles offres, spécifiques à l'archivage, qui devraient être dévoilées dans les années à venir par les principaux fabricants. Des augmentations sont déjà intervenues en 2011 : de 10 % chez Kodak, de 16 % chez Fuji. D autres sont à prévoir, liées à l enchérissement de certaines matières premières : le cours de l'argent a été multiplié par 4 en 2 ans ; celui du pétrole augmente inexorablement. Un argument plus consistant, mais de façon seulement transitoire, est que la bascule numérique n est pas pleinement réalisée : si elle est d ores et déjà une réalité dans nombre de territoires, la pellicule résiste encore dans d autres, qui ne sont pas à négliger. Il demeure que le mouvement vers le numérique est irréversible. Combien de temps sera-t-il nécessaire pour que la pellicule n ait plus qu une existence résiduelle? Des estimations sont avancées (de l ordre de 10 à 15 ans), mais dont les fondements sont tout à fait incertains. Une autre question concerne l aptitude de la pellicule 35 mm à suivre de possibles évolutions, vers des formats supérieurs au 4K. Il semble en effet probable que, du fait de l évolution du marché, les fabricants de pellicule n engageront pas de politique de R&D qui permette d aller au-delà de cette résolution. Outre que cette question reste aujourd hui théorique, on fera observer que la résolution n est pas l unique critère de la qualité de l image : colorimétrie, contraste, dynamique, fréquence sont également des caractéristiques importantes. 19

Les incertitudes entourant l avenir de la pellicule 35 mm sont au cœur d un autre argumentaire, que les rédacteurs ne partagent pas, mais qui doit être évoqué : il plaide également pour une solution de transition en matière d archivage, mais une solution différente. Puisqu il n existe pas aujourd hui, en effet, de support numérique satisfaisant, et puisque le rétrécissement inéluctable du marché de la pellicule risque fort de provoquer simultanément un enchérissement des coûts et une perte des compétences (voire des outils associés), il faudrait retenir la bande magnétique LTO comme support de transition. Ses capacités d enregistrement, son coût relativement modéré, sa consommation d énergie et son empreinte carbone réduites plaideraient en sa faveur. Pour les tenants de cette solution, son obsolescence ne constituerait pas une difficulté : la durée de vie d une bande LTO étant (selon ses fabricants) de quelque 30 ans, elle pourrait sans dommage représenter un support de transition fiable sur une période d une quinzaine d années, avant l émergence d un support numérique incontestable. Selon les mêmes, ledit support devrait être le disque en verre à lecture optique évoqué précédemment. Cette préconisation, qui ne manque pas d intérêt, nous semble cependant fragilisée par deux considérations : - les études que nous avons pu consulter mettent en avant, plutôt que l obsolescence des bandes LTO elles-mêmes, la fragilité des lecteurs, laquelle oblige à des migrations plus fréquentes (tous les 2 à 5 ans). Le bénéfice annoncé d un support fiable sur toute la période de transition nous paraît en conséquence remis en cause, au moins partiellement. On mentionnera également que, parmi les ayants-droit, l unanimité n est pas acquise quant à la fiabilité des bandes LTO ; - l horizon du disque en verre à lecture optique demeure hypothétique. Nous avons essayé d exprimer les principaux mérites de cette technologie mais il reste qu elle est aujourd hui à l état de prototype et laisse encore indécidées certaines questions touchant à son coût, à la densité d informations qu elle peut accepter, à ses modalités de lecture. La voie est certainement prometteuse, mais demande des recherches complémentaires. On ajoutera une troisième considération, de nature différente : les enjeux technologiques ne peuvent pas être exclusivement appréciés selon des critères technologiques ; ils s expriment nécessairement dans un contexte historique concret. En l espèce, il existe un éco-système de l industrie cinématographique qui est, au sens propre et premier, complexe. Cette complexité doit être prise en compte dans ses différentes dimensions (historiques, culturelles, économiques, techniques, etc.) et dans les interactions qu elles entretiennent. Ou, pour poser la question brutalement : est-il souhaitable de décréter la disparition la plus rapide possible de la filière photochimique? Il faut enfin attirer l attention sur une difficulté de fond, présente en filigrane dans les développements précédents : les problématiques de conservation pérenne doivent nécessairement être pensées dans un temps long, de l ordre de la centaine d années ; mais tous les éléments d analyse qu il faut mobiliser pour ce faire développements technologiques et stratégies industrielles associées, longévité des sociétés de production, de prestations techniques et de services, ainsi que les interactions entre ces différents éléments, ne peuvent être appréhendées que dans une temporalité considérablement plus courte. Cette difficulté, consubstantielle à la question posée, est indépassable. Elle commande une prudence extrême. 20