Ça se passe à côté de chez toi...



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Transcription:

Ça se passe à côté de chez toi... L'association lyonnaise Quais du polar qui organise le festival du même nom les 14, 15, 16 et 17 avril prochain se rapproche du quotidien «20 minutes» pour créer un concours de nouvelles sur le thème : «Ça se passe à côté de chez toi...». Nous racontons tous des histoires, amusantes, tragiques, de ces événements qui se sont passés à côté de chez nous, entendues au bureau, dans le métro, au marché, au bistrot. La 20 eme minute (prix spécial du jury) 7 h 40. Anna jeta un coup d'oeil à l'horloge sur la place. Métro ou tram? Le soleil commençait à émerger d'entre les nuages. Ce sera le tram qui justement venait de faire son apparition à l'arrêt face à l'école d'infirmière. Cela faisait si longtemps qu'elle ne l'avait pas pris. Le trajet pour Perrache prendrait donc 20 minutes. Elle aura juste le temps. Elle récupéra un 20 minutes. Il fallait qu'elle le lise en entier pour se vider la tête. Une nuit aux urgences de l'hôpital Edouard- Herriot, et vous êtes rempli de toute la misère du monde. Anna est chirurgien en urgence pédiatrique. Il fallait qu'elle oublie le sang et la souffrance de la nuit. Et surtout, il ne fallait pas penser au rendez-vous de 8 heures. Dans 18 minutes maintenant. «Les TCL annoncent un nouveau plan sécurité». Alors qu'anna finissait le dernier paragraphe de l'article en page 2, son téléphone sonna pour annoncer un SMS. «15 mn». Le SMS n'était pas signé et avec son nouveau portable, Anna n'avait plus le numéro de l'envoyeur qui s'affichait. Mais cela ne faisait pas de doute. Lui aussi faisait dérouler le compte à rebours. Lui, c'est Pierre. Il lui avait donné rendez-vous à 8 heures, à Perrache. C'était moins un rendez-vous qu'un ultimatum. Si elle ne se montrait pas, il montait dans le TGV de 8h02 et il jetait l'éponge. Il avait montré tellement de résistance. Elle l'avait snobé, rejeté ses appels, l'avait fait pleurer devant son interphone sans lui ouvrir la porte, l'avait humilié devant ses copains et sa famille. Il avait tout accepté, tout pardonné. D'habitude, Anna faisait fuir les mecs bien, et ce dès les premiers rendez-vous. Mais lui n'était pas pareil. C'était le genre de type sympa que tout le monde adore. Tout de suite, et pour toujours. Et cela depuis qu'il était tout petit! Cela vous donne une confiance en vous que la plus grande des emmerdeuses n'arrive pas à saper. Même la mère d'anna l'adorait. Quand ils allaient lui rendre visite, elle en oubliait son diabète et n'arrêtait pas de rigoler. Elle qui n'avait plus souri depuis le suicide de son mari. «Agression à la sortie d'un collège de Bron» en page 3 et un nouveau SMS. «Tu me surveilles?» Une alarme se déclencha dans le ventre d'anna. Ce n'était pas Pierre. Ce devait être François-Xavier. «La cata! Il est dans le tram». Trois mois qu'elle prenait le métro pour éviter de tomber sur lui et voilà. «// est là le jour où il ne faut pas». A moins... A moins que cela soit le prétexte idéal pour ne pas se rendre au rendez-vous de Pierre. De toute façon, cela n'aurait jamais pu marcher entre eux... Elle avait rencontré François-Xavier sur cette même ligne de tram. Il était tellement touchant, sur la banquette d'en face... Anna l'avait pris pour un étudiant en train de réviser avant un exam sur le campus de Bron. Il lisait une pièce de Musset, presque à voix haute. «J'ai tout oublié», lui avait-t-il lancé, avec un regard mi-amusé, mi-angoissé. «Pardon?». «Mon texte, je l'ai oublié. La première est ce soir et je ne sais plus rien». Ils étaient descendus ensemble du tram et elle l'avait fait répéter toute la matinée dans un bar. Ils s'étaient retrouvés après le spectacle, où il joua son rôle de jeune premier avec tout l'éclat dont il était capable. Sûr qu'il était beau! Et schizo à un stade avancé. Quand il prenait le tram, ce n'était pas pour se rendre au campus de Bron, mais il s'arrêtait un peu avant, à l'arrêt de l'hôpital psychiatrique du Vinatier. Anna avait passé un coup de fil à un collègue qui y bossait. «Ce type, s'il n'était pas le fils d'un directeur d'usine qui emploie 2500 personnes, il serait enfermé à double tour». C'est quand elle avait vu qu'il ne se sortait jamais sans un cutter qu'elle avait commencé à ne plus répondre à ses coups de fils, et à éviter le tram. Elle aimait bien les timbrés, mais là, ils ne jouaient pas dans la même catégorie! A la lecture du message qu'il lui avait envoyé, Anne compris qu'il lui en voulait encore. Et qu'il était dans un mauvais jour. Il devait être dans un autre compartiment. Avec un peu de chance, elle pourrait s'esquiver rapidement au terminus et l'éviter. 7h54. Le tram traversait le pont. Anna essaya de lire son horoscope. «Des rencontres fructueuses». Sûr. A l'arrêt, elle sauta sur le quai. «Anna» entendit-elle crier derrière elle. Elle accéléra son pas. Trois contrôleurs arrivaient sur le quai. «II ne faut pas qu 'ils l'arrêtent», pensa-t-elle rapidement, dans un réflexe de médecin. Cette pensée la fit s'immobiliser. Elle se retourna. Les contrôleurs commençaient à stopper les personnes derrière elle. Anna vit François-Xavier. Elle eut un pincement au cœur. Il était tellement mignon. Quant le contrôleur lui fit signe de stopper, elle eut envie d'aller le protéger. Mais le contrôleur n'avait aucune envie de lui faire du mal. Il voulait juste son ticket. Il faisait son boulot. Il n'aurait juste pas dû toucher le bras de François-Xavier. Comme par réflexe, celui-ci sortit son cutter et le planta dans l'estomac du contrôleur. Un cri, long et clair. Anna fut presque sûre que ce n'était pas elle qui avait crié.

Et ces deux pensées se télescopèrent dans son esprit : «C 'est moi qui aurais dû recevoir ce coup de cutter». Et puis : «Si je lui avais parlé, il n 'aurait agressé personne et le contrôleur serait encore vivant». Anna sut que, si elle ne faisait rien, cette dernière pensée allait achever de la rendre folle. Alors elle se mit à courir. Pas en direction des cris et du sang, non. Vers les quais du TGV. Il fallait qu'elle retrouve Pierre. Qu'elle lui fasse partager sa souffrance. Oui, ils allaient vivre ensemble, se construire une famille, une belle maison qui recouvrirait tous les fantômes. Il était 8 heures. Elle avait deux minutes. Daniel Gostanian Daniel Gostanian 435 rue des garines 01700Miribel 06 60 39 00 15 Ça se passe à côté de chez toi... L'association lyonnaise Quais du polar qui organise le festival du même nom les 14, 15, 16 et 17 avril prochain se rapproche du quotidien «20 minutes» pour créer un concours de nouvelles sur le thème : «Ça se passe à côté de chez toi...». Nous racontons tous des histoires, amusantes, tragiques, de ces événements qui se sont passés à côté de chez nous, entendues au bureau, dans le métro, au marché, au bistrot. L'épée des Ducs Vous connaissez le théâtre des Ducs? Oui, après la Brasserie des Ducs, rue des Ducs, la boulangerie des Ducs, le fleuriste des Ducs, la boucherie des Ducs etc...on trouve le théâtre des Ducs. Un théâtre populaire, pas un de ces grands bâtiments sans âme qui fleurissent tout autour de notre belle ville, anciennes salles des fêtes relookées alu et verre et qui ont pris pompeusement le nom de Luminier, Polaris et autre Sémaphore. Un théâtre du centre ville, avec une programmation contemporaine, pas prise de tête pour un sou, mais sans donner dans la facilité. Un havre de curiosité, et d'éveil politique par dessus le marché. Moi qui vous en parle je n'y ai jamais mis les pieds. Enfin... je n'y avais jamais mis ni les pieds ni les oreilles. Parce que depuis quelques jours j'y suis comme qui dirait fourré aux Ducs, fourré et praliné. Et le spectacle n'est pas joli à voir croyez-moi, malgré que ce soit de la pure tragédie ; seulement pour le coup c'est du vrai sang qui coule, c'est pas du colorant. Y a un type qu'est mort et il n'ira pas saluer à la fin de l'histoire. Si y en a qui vont applaudir c'est les vers de terre et les cloportes. Rideau. Le type qu'est mort c'est un acteur. C'était. Il est pas près de rejouer. Avec une épée en travers du thorax il aura du mal à articuler. Brichet. Franck Brichet. 62 ans. Toute sa carrière à Lyon, quelques escapades à Bordeaux, à Lille et même aux îles Maurice, pour une tournée à la grande époque des Centres Culturels Français. Pas d'antécédents. Pas connu du milieu. Ni de la maison. Le théâtre pour seul vice... un toxicomane hautement dépendant d'ailleurs. Du genre à jouer le soir, répéter l'aprèsmidi et donner un cours de théâtre au Lycée Saint-Just le matin. Marié à une costumière. Habite... habitait à deux pas des Ducs. Les Ducs c'est sa deuxième famille, 25 ans qu'il y joue, le public apprécie. J'ai vu la revue de presse du type... chapeau Brichet. Chapeau et... bon voyage. Alors y a de ça trois soirs, le régisseur l'a trouvé avec une grande épée d'acier plantée dans le corps, du sang partout, au beau milieu de sa loge. Le régisseur, l'épée il la connaissait pas ; pas un accessoire comme les autres, une vraie, une qui perce, qui coupe et tout et tout... Voilà. Ils sont tous sans dessus dessous aux Ducs. Une sacrée affaire. Pas fréquent dans ce milieu. Y en a qui ont parlé de suicide. Pourtant personne ne l'avait senti préoccupé ces derniers temps. Un type qu'avait un boulot dingue, Brichet, des projets en veux tu en voilà, reconnu par tous, aimé, admiré ; un illuminé aussi, du genre à déclamer son texte en marchant dans la rue à six heures du matin ou à dix heures du soir, et pas en mettant la sourdine... non le suicide c'est parce que personne n'arrive à accepter l'idée que Brichet se soit fait zigouiller par quelqu'un. Personne n'arrive à imaginer par qui. Evidemment on a interrogé la costumière, Mme Brichet, pas de soupçon côté jupon si vous voyez ce que je veux dire. Le metteur en scène est parti trois jours à Paris, il rentre demain matin, mais les camarades de jeu, les techniciens, même les commerçants du quartier... ils trouvent tous ça incroyable. Surtout que l'épée c'est un peu désuet mais c'est quand même sacrement violent. Y a un signe quoi. Vous transpercez pas quelqu'un comme ça sans raison. D'après le rapport médical, le crime remonterait à jeudi soir, entre 23 heures et 2 heures du matin. Le régisseur a fermé les portes à 23hl5, il est formel, il a salué Brichet au bar du théâtre, vers 23 heures, après le départ des derniers spectateurs, pour aller faire son check-point sécurité. Il y a une porte poussoir, les comédiens passent par là en général. Le régisseur a enclenché l'alarme à 23hl2 et a parcouru l'espace entre le point chaud et la sortie de secours en trente secondes. Pas de surveillance vidéo. Ça coûte trop cher. Ribard, le régisseur, va presque toujours boire un dernier verre en face, chez Kati, il en est sorti à minuit quinze, Kati a confirmé. Il est le seul à pouvoir être repassé aux Ducs, le seul à avoir la clef spéciale. Si Brichet était retourné un moment dans sa loge après le départ de Ribard, qu'est-ce qu'il avait bien pu vouloir y foutre? Un coup de fatigue, un malaise? Pas dans ses habitudes de tramer au théâtre après tout le monde. Quelqu'un l'aurait entraîné?

C'est Yolande Finier qui m'a donné l'indice. Mme Finier est professeur de lettres, à Saint-Just, le lycée avec option théâtre, un repère de boutonneux qui ne jurent que par (il sort son carnet pour déchiffrer en ânonnant) Beckett, Koltès et Shakespeare. Et Brichet, bien sûr, leur professeur de théâtre. Elle m'a rapidement parlé de Cyrano, le projet sur lequel travaillait Brichet avec les élèves depuis 6 mois. Le théâtre c'est pas ma tasse de thé, mais Cyrano je sais ce que c'est... la tirade des nez et surtout les combats... à l'épée... les bretteurs... De là à soupçonner un élève trop admiratif ou une élève repoussée par le maître... Non, vraiment pas. Mme Finier m'a montré le programme de la représentation des élèves. Dans 10 jours. Ils vont maintenir le spectacle, en hommage, évidemment. Tant d'heures de travail, de passion. Et puis c'est Christin qui m'a donné le coup de grâce. Christin, dit Cyrano, un qui préparait le concours d'entrée à l'ecole de Théâtre, PENSAIT. Un malabar. Il ne comprenait pas, Christin. Franck, enfin Monsieur Brichet lui avait donné rendez-vous le lendemain du meurtre, à 10 heures, pour essayer la nouvelle épée, celle que Brichet avait enfin réussi à dégoter, une arme digne de Cyrano... une épée qu'avait tenue dans ses mains Jouvet lui-même, oui oui Louis Jouvet... elle lui avait appartenue... Christin était formel, Brichet lui avait raconté mille anecdotes sur le grand Jouvet. Ils s'étaient connus pendant la période parisienne de Brichet et s'étaient revus à Lyon. Comment Brichet avait récupéré cette épée des mains de Jouvet? Bizarre bizarre... D'après le lycéen, Brichet avait cherché depuis des semaines une épée pour Cyrano - une qui fasse un peu classe, pas le maigre assemblage de nickel qu'avait proposé l'intendant du lycée qui avait un oncle armurier - et avait fini par se souvenir qu'il l'avait planquée au théâtre, aux Ducs, il y avait des années de ça, elle y était plus en sécurité que chez lui. Ribard, le régisseur, n'était même pas au courant. Christin se souvenait de la voix exaltée de Brichet au téléphone : «elle doit être sous le faux plafond des loges, 25 ans qu 'elle est là, j'espère qu 'elle a pas trop rouillé... ah tu peux t'inscrire au club de muscu parce que crois moi c 'est pas du balsa!!». Le faux plafond des loges... Ça faisait partie du plan de rénovation et d'isolation du théâtre, il y avait 6 ans d'après Ribard. Mise aux normes de sécurité, etc... Les ouvriers avaient terminé après avoir cloué quelques planches sans que personne ne prenne la peine de vider le grenier. Brichet était monté le fameux soir, par une trappe. Il avait attendu que Ribard soit parti, pour ne pas l'emmerder avec ça et avait délatté les lambris du grenier pour sortir la lame tant convoitée. Quelques minutes après, elle devait lui traverser le sternum sans autre forme de procès... L'examen du journal électronique de l'alarme nous apprend que celle-ci s'est déclenchée à 23h27, sans doute par une mauvaise manipulation de Brichet, les câbles passant justement tout près de la trappe à battant qui permet l'accès au grenier. Brichet redescend à toute allure pour couper l'alarme, laissant l'épée au sol... du grenier. Un sol légèrement en pente. Une trappe à battant. 3 mètres 50 de haut. Et voilà. Brichet en re-pénétrant dans la loge a fait basculer son destin et cette lourde épée qui ne demandait qu'à glisser. Gilles Feuvrier decidela3@wanadoo.fr Ça se passe à côté de chez toi... L'association lyonnaise Quais du polar qui organise le festival du même nom les 14, 15, 16 et 17 avril prochain se rapproche du quotidien «20 minutes» pour créer un concours de nouvelles sur le thème : «Ça se passe à côté de chez toi...». Nous racontons tous des histoires, amusantes, tragiques, de ces événements qui se sont passés à côté de chez nous, entendues au bureau, dans le métro, au marché, au bistrot. RIEN QUE LES FAITS Vous est-il déjà arrivé d'être accusé, alors que vous étiez totalement innocent? Cherchez bien dans votre enfance. Vous souvenez-vous de ce sentiment d'injustice? Tous vous accusent, les faits s'acharnent contre vous, c'est une évidence au yeux des autres vous vous êtes «le» coupable.....immanquablement dès que vous essayez de fournir une explication et que vous ouvrez la bouche pour donner votre version des faits, on vous prend pour un menteur ou parfois pire...pour un simple d'esprit. Il ne vous reste qu'une solution, attendre que l'orage passe en vous refermant tel l'escargot dans sa coquille...seulement voilà...ça va faire bientôt une heure que j'attends, le cul posé sur une chaise en plastique à regarder mes chaussures. Petits détails qui ont leur importance, il est quatre heures du matin, mon poignet droit est menotte à un anneau fixé au mur et je suis couvert de boue comme si je sortais d'un combat de catch féminin...le verrou claque, la porte s'ouvre, quelqu'un pénètre dans le bureau. Sans lever les yeux, je jette un regard de coté, jeans, para boots, polo...ça ne ressemble pas à un uniforme de police. Alors que l'homme prend place derrière le bureau, j'entrevoie une once d'espoir de pouvoir raconter mon histoire à une personne compréhensive ou au moins un peu moins bornée qu'un flic. Je relève doucement la tête, ma nuque est douloureuse, normal..

.une heure de mutisme ça ankylose...mon regard croise le sien...aie! Il a la tronche de Yul Branner, l'expression de son visage me rappel une scène du film «le roi et moi», vous savez le passage ou l'institutrice rend fou de rage son excellence...eh! ben la c'est pareil, à part que lui il a des cheveux...il a aussi des cernes sous les yeux, comme quelqu'un que l'on vient d'extirper de son lit...il me fixe, il a l'air furax.. J'adopte ma stratégie de départ, je baisse la tête...direction mes pompes... Alors... on reprend tout depuis le début. Vous vous appelez Rémy Dumont, trente trois ans, célibataire, fils de Roger Dumont et de Jacqueline Prévost, vous résidez au 4 rue des cerisiers à Ecully dans le Rhône- Alpes, profession serrurier dans la société Fichet & Bosh. Vous avez été arrêté à deux heures du matin cette nuit par une patrouille suite à l'appel d'un agent de sécurité de la fac de médecine d'ecully qui vous à aperçu en train de roder à l'arrière des bâtiments, vous avez aussi pénétré par effraction dans plusieurs propriétés privées alentours, de plus on a retrouvé sur vous des traces de sang, le rapport d'analyse vient de tomber, c'est du sang humain... Du groupe A positif or vous êtes B négatif. Pour résumer, les charges qui sont retenues contre vous sont : délit de fuite, effraction....et....meurtre, nous venons de retrouver le buste en partie dévoré d'une femme non loin de l'endroit ou vous avez été appréhendé.. Ben voilà...tout m'accuse, ils ne savent pas qui elle est, ni comment elle a été ni ce qu'elle faisait là, mais le meurtrier bien évidement c'est moi! et pourquoi pas un cadavre chez moi... - Le téléphone sonne et Yul Brunner décroche violemment. Oui j'écoute...mmm...oui et alors...où ça...très bien qu'ils continuent et dites leurs de chercher avec une sonde à méthane...et la victime...mmm...eh! Bien vous élargissez vos recherches, remontez sur deux ans et sur tout le département...bien sûr que je les veux toutes, mineurs, femmes, hommes...hein!..maître comment...ok fais le monter... Après avoir raccroché, il se lève, fait le tour du bureau et vient me parler ou devrais-je dire me hurler dans l'oreille. Je sais quel genre de type tu es...derrière ton look de sainte nitouche, tu es une saloperie de tueur sans pitié. Seulement la fête est finie pour toi, on vient de trouver à ton domicile, dans ta cuisine, des restes humains...un fémur pour être précis...tu les manges c'est ça hein.t'es un putain de cannibale...tu t'introduis chez les femmes la nuit, facile quand on est serrurier, tu les tues, et ensuite tu les ramènes chez toi pour les bouffer... On frappe à la porte...un homme en costume pénètre dans la pièce, il se présente et dit qu'il est l'avocat de garde...je vais enfin pouvoir raconter toute mon histoire, il me propose un café, des cigarettes.. Je refuse impatient d'en finir avec cette histoire. Il fait sortir sans ménagement Yul Brunner qui commençait à pas mal s'exciter et lui dit de rester dans les parages, qu'il aurait besoin de lui plus tard, mais qu'avant il voulait savoir si la procédure avait bien été respectée. Il a une bonne tête, il est jeune, il doit avoir une trentaine d'années il ressemble à Delon dans la «piscine» avec l'air un peu plus jovial quand même... Il se tourne vers moi, me sourit et me demande si je n'ai pas été maltraité, je lui réponds que non à part que depuis que je suis arrivé ici à chaque fois que j'ai voulu raconter mon histoire, je n'ai obtenu qu'une seule réponse... «ferme-la!» D'un signe de la main, il m'encourage à tout lui raconter... Alors voilà...tout a commencé hier soir vers vingt-trois heures. Le film se termine, j'ouvre la porte-fenêtre pour rentrer mon chien, quand je vois Mister «T» débouler du fond du jardin avec un truc énorme dans la gueule. Petite précision, Mister «T» c'est un danois arlequin d'environ quatre-vingt kilos. Bref il se pointe devant moi, et je lui arrache ce qui ressemble à un reste de jambon à l'os... du sang coule à chaque extrémité, je rentre rapidement, file à la cuisine je pose le bout de viande sur la table histoire de ne pas en mettre de partout dans la maison, pour ma chemise c'était trop tard, elle ressemblait déjà à un mouchoir de cascadeur hémophile... c'est à ce moment que j'ai réalisé que c'est une cuisse humaine. Je sais vous aller me dire qu'à ce moment j'aurais du prévenir la police... mais c'est mon chien, je ne voulais pas qu'on lui fasse du mal, et puis ce n'était certainement pas sa faute, peut-être que quelqu'un a balancé ça par-dessus le grillage... Je ressors pour voir si d'autres morceaux traînent, et je vois Mister «T» s'engouffrer dans le massif d'hortensias dans le fonds du jardin et disparaître. Je l'appelle, pas de réponse. Je me précipite et constate un trou béant creusé sous la clôture, malheureusement cette partie du terrain est mitoyenne avec le voisin, et l'accès ne se fait que par l'entrée côté route. Je ne sais plus quoi faire, j'imagine les pires choses, sans réfléchir, je me précipite dans le trou... De l'autre côté aucune trace de Mister «T», je fouille le long de la haie, et je constate un autre trou... Au point où j'en suis, pourquoi reculer?... De nouveau je plonge dedans, et quand je dis je plonge c'est au sens propre, le trou est rempli de boue... Je me retrouve dans un parc, avec plusieurs bâtiments à étages... Cela ne peut être que la fac de médecine, de chez moi j'entends parfois les élèves... Un aboiement au loin m'encourage à poursuivre mon investigation, je contourne les bâtiments, au détour de l'un d'eux j'aperçois Mister «T» le museau enfoui dans une benne à ordures renversée... Je m'approche... il se retourne... il a dans la gueule la moitié d'un buste de femme coupé dans

la hauteur, un coup d'oeil sur la benne me permet de mieux comprendre...en lettres peintes au pochoir on peut lire «SECTION ANTHROPOLOGIE ET CRIMINALITE / CREMATORIUM»... Tout à coup un sifflet retentit... J'ai prends la fuite en passant par l'avenue, quant à Mister «T» il court trois fois plus vite que moi... Je ne sais pas où il est passé... Voila toute l'histoire... Mon avocat me regarde... compréhensif... Ne vous inquiétez pas... il est clair que selon vos dires vous n'êtes pas responsable... Vous n'avez rien à faire là... Je vais m'occuper de vous... Il se leva, ouvrit la porte et d'un signe fit entrer Yul Brunner qui vint s'asseoir à son bureau... sur un ton solennel comme si nous étions dans un prétoire mon avocat lâche. Mon client n'est pas responsable... De ses actes... Pour notre système de défense, nous plaiderons le déséquilibre mental... Il ne peut pas rester dans vos locaux, nous le transférons cette nuit même à l'hôpital psychiatrique du champ vert de Lyon, où nous serons à même de le protéger des autres mais aussi de luimême... dans l'attente de son procès. Aujourd'hui encore, quand je raconte cette histoire, j'ai un goût d'amertume et une grosse boule dans la gorge... Il leur a fallut dix sept jours pour comprendre que j'étais innocent, cinq de plus pour me libérer du carcan psychiatrique et un an pour me remettre complètement... Je vous en prie...ne souriez pas de ma mésaventure... Personne n'est à l'abri... Et votre histoire est peut-être déjà commencée... Sébastian Charles 81 rue Gustave Eiffel 38200 Vienne 04 74 57 22 05 charles3869@tiscali.fr