Matinale du 19 janvier 2012 Actualités du droit de l'internet : Revue de jurisprudence sur le commerce électronique Les grandes décisions de 2011 Anne-Sophie Lampe, Collaboratrice Marie Hindré-Guéguen, Associée DLA Piper
PARTIE 1 : Les enseignements de l'arrêt ebay c/ L'Oreal de la CJUE du 12 juillet 2011 sur la qualification et le régime applicable aux places de marché
Le contexte de l'affaire ebay / L'Oreal Actions de L'Oréal à l'encontre d'ebay dans 4 pays de l UE dont la France et le Royaume-Uni : Afin notamment de faire constater qu ebay est responsable de l utilisation, sans son autorisation, de marques de L Oréal sur ses sites ebay peut-il se prévaloir de la qualité d'hébergeur à l'égard des annonces litigieuses mises en ligne par des tiers, et donc bénéficier du régime de responsabilité aménagée des hébergeurs? 19 janvier 2012 3
La position des juridictions nationales TGI Paris, 13 mai 2009 : ebay : hébergeur pour l'activité de stockage et de mise en ligne des annonces Mais pas pour les "moyens de promotion qu elle met en œuvre sur son site pour inciter les internautes à visiter son site" High Court of Justice, 16 juillet 2009 : sursis à statuer et questions préjudicielles à la CJUE, notamment : Le service fourni par l exploitant d une place de marché en ligne relève-t-il de l article 14-1 ("hébergement") de la directive e- commerce? 19 janvier 2012 4
Rappel de l'article 14-1 directive e-commerce En cas de fourniture d'un service consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service (i.e. un tiers), le prestataire n'est pas responsable des informations stockées à la demande de ces tiers à condition que : le prestataire n'ait pas effectivement connaissance de l'activité ou de l'information illicites ; ou le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l'accès à celles-ci impossible. 19 janvier 2012 5
Position de la CJUE sur la question de la qualification d'ebay La CJUE n'exclut pas, en soi, qu'ebay puisse être qualifié d'hébergeur mais semble "durcir" le contrôle : 1. La qualification doit être écartée "si le prestataire du service, au lieu de se limiter à une fourniture neutre de celui-ci au moyen d un traitement purement technique et automatique des données fournies par ses clients, joue un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle de ces données". 2. Et si la qualification d'hébergeur est possible, il convient alors de vérifier si en l'espèce, le prestataire avait connaissance des contenus litigieux stockés. NB: Confirme la position des arrêts Google AdWords de la CJUE du 23 mars 2010 19 janvier 2012 6
Critiques de l'interprétation de la CJUE L'application discutée d'un principe de neutralité à l'article 14 de la directive difficultés d'interprétation : qu'est ce qu'une activité de stockage non neutre impliquant la connaissance ou le contrôle des données stockées? La Cour estime que lorsqu' ebay "a prêté une assistance laquelle a notamment consisté à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir ces offres, il y a lieu de considérer qu il a non pas occupé une position neutre entre le client vendeur concerné et les acheteurs potentiels, mais joué un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives à ces offres. Il ne saurait alors se prévaloir, s agissant desdites données, de la dérogation en matière de responsabilité visée à l article 14 de la directive 2000/31" 19 janvier 2012 7
Impact du nouveau critère de neutralité Premier bilan de la jurisprudence française à la suite des arrêts Google AdWords de la CJUE sur les places de marchés (ebay) sur les services de référencement payant (Google AdWords) sur les plateformes video 2.0 (Dailymotion) 19 janvier 2012 8
Conclusions La CJUE ne semble pas avoir clarifié les critères applicables pour retenir la qualification d'hébergeur au sens de l'article 14 de la directive e-commerce ; Risque de disparités dans les décisions en fonction des pays et des juridictions pour les mêmes services ; Risque d'insécurité juridique 19 janvier 2012 9
PARTIE II : CONCURRENCE ET DISTRIBUTION EN LIGNE
PLAN Quels enseignements tirer de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011? Quelles indications sur l'enquête sectorielle de l'autorité de la concurrence (ADLC) sur la distribution en ligne
LES ENSEIGNEMENTS DE L'ARRET PIERRE FABRE
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 Rappel du contexte dans lequel cet arrêt est intervenu (1/2) Relations fournisseur-distributeurs Réseau de distribution sélective Cadre juridique encadrant les restrictions verticales Règlement n 2790/1999 Développement de la revente en ligne Vide juridique et pratiques corrélatives Décisions de l'adlc (Festina, Pierre Fabre) Intégration de cette évolution du marché dans le cadre juridique Règlement n 330/2010 19 janvier 2012 13
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 Rappel du contexte dans lequel cet arrêt est intervenu (2/2) Distribution sélective et revente en ligne des produits: Sous couvert de justifications essentiellement liées à la qualité et l'image de marque des produits (horlogerie de luxe par ex.) la nécessité d'essayer les produits, de bénéficier de conseils d'un revendeur la qualité du service après-vente Parmi les critères de sélection/d'agrément des distributeurs ont progressivement été insérées des obligations incompatibles avec la revente en ligne et notamment la revente exclusive en ligne (pureplayers) nécessité d'avoir un point de vente physique interdiction pure et simple de proposer en ligne la revente des produits clause de localisation 19 janvier 2012 14
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 Pour mémoire: les principes posés par le Règlement n 330/2010 (1/3) Passage d'un régime de liberté à celui de l'autorisation: Les revendeurs doivent être autorisés à utiliser Internet pour revendre leurs produits Conforme à la position de l'adlc (Décision n 06-D-28 Festina) Aucune autorisation générale et absolue n'est cependant affirmée L'interdiction absolue faite à un distributeur de revendre ses produits sur Internet constitue toujours une restriction caractérisée de concurrence contraire à l'article 101 TFUE 19 janvier 2012 15
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 Pour mémoire: les principes posés par le Règlement n 330/2010 (2/3) Restrictions caractérisées à l'usage d'internet peuvent être tolérées: Lorsqu'elles sont objectivement nécessaires et non seulement "nécessaires" ou "objectivement justifiées" Effet probable sur des justifications tenant à l'image de marque d'un produit ou encore la "sensation de luxe" liée à certains produits (reste valable pour les ventes à bas prix) A titre de comparaison, l'adlc est allée plus loin: L'interdiction de la revente des produits sur Internet est possible mais limitée à des circonstances exceptionnelles (Décision Festina) Exclue en matière de distribution sélective, seulement possible en matière de distribution exclusive (Décision n 08-D-25 Hygiène corporelle) 19 janvier 2012 16
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 Pour mémoire: les principes posés par le Règlement n 330/2010 (3/3) Illustrations très restrictives: interdiction générale de vente de substances dangereuses pour des raisons de sécurité ou de santé interdiction temporaire liée à la mise sur le marché de nouveaux produits pendant 2 ans (à rapprocher de la pratique décisionnelle française qui autorise la restriction du lancement de nouveaux produits aux seuls points de vente physique pendant 1 an) 19 janvier 2012 17
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 Les imperfections de la règlementation Passage d'un régime de liberté à celui de l'autorisation: Renforcement significatif des droits des distributeurs Mais ne va pas jusqu'à poser le principe de l'illégalité d'une interdiction générale de revente en ligne des produits Ne figure que dans les Lignes Directrices (et non dans le Règlement lui-même) Attente légitime du marché de l'affaire Pierre Fabre et de la position de principe demandée à la CJUE dans ce cadre 19 janvier 2012 18
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 La question préjudicielle posée à la CJUE Contexte: Les conditions générales de vente et de distribution de PFDC prévoyaient que "le distributeur agréé doit s'engager à ne délivrer les produits [ ] que dans un point de vente matérialisé et individualisé". Exclut toute forme de vente par internet Clause reconnue illicite par l'adlc Appel de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (PFDC) contre la décision Hygiène Corporelle de l'adlc Question: L'interdiction générale et absolue de vendre sur internet les produits ( ) aux utilisateurs finals imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d'un réseau de distribution sélective constitue-t-elle une restriction caractérisée de la concurrence par objet au sens de l'article 101 TFUE ( )? 19 janvier 2012 19
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 Remarques préalables Décision très décevante, pas à la hauteur de l'enjeu 2 pages de motivation lapidaire N'apporte aucune précision concrète de nature à compléter/expliquer le dispositif des Lignes Directrices de 2010 (ni même à éclairer la Cour d'appel de Paris qui l'avait saisie ) Sur le plan des principes, la CJUE semble plutôt favorable aux distributeurs en laissant peu de place à la mise en œuvre d'exceptions au principe d'autorisation de la revente en ligne posé et peu de marge de manœuvre à la Cour d'appel de Paris, "coincée" entre cet arrêt et la pratique décisionnelle très ferme de l'adlc. 19 janvier 2012 20
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 Sur le fond la clause qui interdit par principe la revente en ligne de produits dans le cadre d'un réseau de distribution sélective est une restriction caractérisée de concurrence contraire aux dispositions de l'article 101 TFUE SI, après un "examen individuel et concret" de sa "teneur" et de son "objectif" et du "contexte économique et juridique dans lequel elle s'inscrit" il apparaît que, "eu égard aux propriétés des produits" concernés cette clause n'est pas objectivement justifiée. 19 janvier 2012 21
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 Quelle analyse? Formule abstraite Ne donne aucun détail pratique pour permettre d'apprécier si la clause est "objectivement justifiée" notamment en termes d'analyse de sa teneur et de ses objectifs La CJUE se retranche derrière les Lignes Directrices de la Commission N'apporte pas l'éclairage pratique et précis attendu dans le cadre d'une question préjudicielle 19 janvier 2012 22
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 Seul commencement d'explication: "la clause ( ) en excluant de facto un mode de commercialisation de produits ne requérant pas de déplacement physique du client réduit considérablement la possibilité du distributeur agréé de vendre les produits à des clients situés en dehors de son territoire contractuel" ce qui est donc susceptible (et seulement susceptible) de restreindre la concurrence dans ce secteur 19 janvier 2012 23
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 Cette conclusion s'imposait-elle vraiment? Pas vraiment, au regard des éléments de contexte (dont disposait la CJUE, mais qu'elle n'a pas pris la peine d'exploiter): PFDC: 20% de parts de marché L'ensemble de ses concurrents ont pris des engagements en vue d'autoriser la revente en ligne de leurs produits Réseau de distribution PFDC est un réseau sélectif (et non exclusif) Les distributeurs PFDC ne sont donc liés par aucune exclusivité à ce fournisseur et avaient tout le loisir de distribuer en ligne les produits des autres concurrents 19 janvier 2012 24
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 La CJUE aurait pu (aurait du?) nuancer sa conclusion Probablement au regard des rares éléments de contexte qu'elle a retenus pour son appréciation (comparés à ceux qui lui étaient soumis) Cela aurait du la conduire à refuser d'établir un lien de causalité nécessaire entre la limitation de la possibilité pour le distributeur de revendre en dehors de son territoire contractuel ET l'existence d'une possible restriction de concurrence Désintérêt pour la question soumise? Service minimum rendu à l'enrichissement du débat juridique dans le cadre duquel elle était saisie 19 janvier 2012 25
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 Seul échappatoire à la qualification de restriction caractérisée: la justification objective Renvoie l'examen de la question à la Cour d'appel de Paris Sans pour autant lui donner de "clés" pour y parvenir Seule indication semble renvoyer à l'examen des caractéristiques intrinsèques des produits (le fait que les produits nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un réseau de distribution excluant la revente en ligne) 19 janvier 2012 26
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 Une décision pleine de contradictions Une fois le principe posé, la CJUE referme immédiatement la porte de l'exemption entrouverte, En indiquant qu'elle a déjà refusé de considérer comme justifiant la restriction, les arguments relatifs à la nécessité: de fournir un conseil personnalisé au client d'assurer la protection du consommateur contre une utilisation incorrecte des produits de préserver l'image de marque des produits La CJUE ne laisse guère de chance au rachat de la clause au regard d'une éventuelle justification objective, qu'elle se garde bien de définir. 19 janvier 2012 27
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 et de lacunes Dernier manquement de la CJUE dans le débat juridique qui lui est soumis Elle ne s'attache même pas à vérifier si au-delà des justifications objectives évoquées, la clause qui lui est soumise pourrait bénéficier d'une exemption individuelle au titre de l'article 101-3 TFUE Pour mémoire: 101-1: interdiction des ententes 101-2: possibilité d'exemption par catégorie (Règlement sur les restrictions verticales par ex.) 101-3: possibilité d'exemption individuelle si 4 conditions cumulatives sont remplies 19 janvier 2012 28
Les enseignements de l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 La CJUE écarte le bénéfice de l'exemption par catégorie (conforme au Règlement): exclusion des ventes sur Internet constitue une restriction aux ventes passives Elle refuse aussi de considérer que l'interdiction de revente en ligne s'apparenterait à une clause d'interdiction de revente à partir d'un lieu d'établissement non autorisé Au motif qu'une entreprise a toujours la possibilité de soulever le bénéfice d'une exemption individuelle, la CJUE refuse de procéder à une interprétation extensive des dispositions relatives aux exemptions par catégorie Cependant, dans le même temps, elle ne fait le moindre commencement d'analyse s'agissant de l'exemption individuelle, considérant ne pas disposer de suffisamment d'éléments pour cela Renvoie l'analyse à la Cour d'appel de Paris, qui l'a saisie pour être éclairée notamment sur cette question 19 janvier 2012 29
QUELQUES INDICATIONS SUR L'ENQUETE SECTORIELLE DE L'ADLC
La procédure d'avis à l'instruction devant l'adlc Communiqué de presse du 4 juillet 2011 Contexte: Constatant la forte progression du commerce électronique en France, l'autorité de la concurrence lance une vaste étude sectorielle concernant le fonctionnement de la concurrence dans ce secteur, Objet: L'impact de la vente en ligne sur les circuits de distribution traditionnels Les comportements adoptés par les fabricants et les distributeurs face à ce nouveau mode de distribution Le rôle joué par les intermédiaires du commerce en ligne 19 janvier 2012 31
La procédure d'avis à l'instruction devant l'adlc Constats Questionnaires et demandes de documents très larges (conforme aux tendances déjà observées lors des précédentes procédures d'avis) Procédure pas complètement encadrée Nécessité d'être assisté (préparation des réponses et des auditions) Procédure de protection des secrets d'affaires Sur le fond: Evaluation des différences de traitement pouvant exister entre les distributeurs traditionnels et les revendeurs en ligne (notamment les pure players) et les risques d'éviction corrélatifs 19 janvier 2012 32
La procédure d'avis à l'instruction devant l'adlc La suite? Procédure en cours Avis qui sera rendu, ne sera pas contraignant Peut poser des recommandations "impératives" (ex: avis sur la distribution alimentaire à Paris) Risques: Communication spontanée étendue de documents et d'informations par les entreprises consultées Substitution à une enquête en bonne et due forme de l'adlc pour collecter des informations sur un marché (des entreprises et des pratiques) Peut déboucher sur une procédure contentieuse si des pratiques illicites sont mises en évidence 19 janvier 2012 33
FIN