L ÉCHELLE MACRO-ÉCONOMIQUE



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PLANÈTE CONSERVATION Volume 38, No. 2 Mai 2008 IUCN (Union internationale pour la conservation de la nature) Rue Mauverney 28 1196 Gland, Suisse Tél. +41 22 999 0000 Téléc. +41 22 999 0002 worldconservation@iucn.org www.iucn.org/worldconservation Directrice d édition: Anna Knee Rédacteur en chef: John Kidd Distribution: Cindy Craker Collaborateurs: Deborah Murith Katharine Mann Maquette: åtta design sàrl, Genéve, Suisse Imprimé par: Polygravia SA, Suisse Opinions Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles de l UICN, de son Conseil ou de ses membres. Abonnements L abonnement à Planète Conservation, version imprimée ou électronique, est gratuite. Pour souscrire, veuillez vous adresser à www.iucn.org/worldconservation ou nous contacter par courriel: worldconservation@iucn.org. Commentaires et suggestions Veuillez contacter l équipe de Planète Conservation par courriel à worldconservation@iucn.org ou nous téléphoner: + 41 22 999 0116. Prochain numéro Le prochain numéro de Planète Conservation, à paraître en septembre 2008, sera un numéro spécial consacré au 60e anniversaire de l UICN. Vos textes et propositions d articles sont les bienvenus ; veuillez nous les faire parvenir avant le 30 juin 2008. Anciens numéros Les anciens numéros de Planète Conservation sont disponibles à l adresse www.iucn.org/worldconservation Papier Ce magazine est imprimé sur papier FSC à base de fibre de bois provenant de forêts bien gérées et certifiées selon les règles du Forest Stewardship Council (FSC). Photographies Cover: Getty Images/David Oliver; p 4: Reuters/ Pascal Rossignol; p 6: Still Pictures/Jim Wark; p 8: Reuters/Mark Avery; p 10: Corbis/Lester Lefkowitz; p 12: Reuters/Khaled Abdullah Ali Al Mahdi; p 13: Still Pictures/ullstein - superclic p 14: Still Pictures/Joerg Boethling; p 15: Reuters/Alberto Lowe; p 16: Reuters/ Karoly Arvai p 17: Still Pictures/Steven Kazlowski; p 20: Getty Images/Achim Sass; p 22: Corbis/NYC/Robert Essel; p 23: Corbis/ Peter Dench; p 25: Corbis/Sygma/James Andanson; p 26: VISUM/Still Pictures/Marc Steinmetz; p 27: Reuters/Natalie Behring; p 28: Still Pictures/Frans Lemmens; p 30: Still Pictures/Trygve Bolstad; p 31: Google Earth; p 33: Corbis/Zefa/Gregor Schuster; p 34: Reuters/Hannibal Hanschke; p 35: Corbis/Gideon Mendel Table des matières L ÉCHELLE MACRO-ÉCONOMIQUE Une mondialisation plus verte...4 Quels sont les rapports de la mondialisation et de l environnement? Présentation par Josh Bishop Priorités perverses...6 Les subventions «perverses» atteignent un montant dix fois supérieur à celui des dépenses pour l environnement dans le monde: description d un paradoxe, par Norman Myers Changer de cap...8 Alejandro Nadal nous met en garde contre l idée que la libéralisation économique pourrait par elle-même résoudre nos problèmes environnementaux Nous sommes tous dans le même bateau...10 Le Secrétaire général de l OCDE, Angel Gurría, croit que la mondialisation peut fournir les mécanismes d une meilleure gouvernance environnementale NOURRIR LA PLANÈTE Banquet ou famine.........12 Giovanni Malfatti souligne l importance du rôle des multinationales alimentaires pour une production alimentaire durable Récolte volée... 14 A cause de la mondialisation, les agriculteurs indiens sont dépossédés de leurs terres et de leurs ressources, dit Vandana Shiva Meilleurs kilomètres?......15 James MacGregor, Ben Garside et Bill Vorley pèsent les avantages relatifs des «kilomètres équitables» et des «kilomètres alimentaires» vis-à-vis de l environnement Piller le Pacifique.........17 Des flottes de pêche lointaines pillent les eaux du Pacifique, nous dit Martin Tsamenyi Ils ont dit.........18 Des membres de l UICN donnent leur avis sur la mondialisation et l environnement COMMUNICATION Reliés à la planète.....20 Kirsi Sormunen, de Nokia, explique pourquoi l expansion des technologies de l information et de la communication est un atout pour la sensibilisation environnementale Vu du village.........22 Dumisani Nyoni se demande ce que signifie la mondialisation pour un petit village 2008 Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources

PLANÈTE CONSERVATION Mai 2008 COMMERCE ET VOYAGES Voyager léger........23 Nous devons équilibrer la croissance du tourisme et la conservation de la biodiversité, nous dit Francesco Frangialli, Directeur de l Organisation mondiale du tourisme des Nations Unies Un appétit ravageur..25 La mondialisation accroît la demande de produits de la vie sauvage Steven Broad de TRAFFIC fait le point Sécurité intérieure....26 La libéralisation du commerce peut favoriser la propagation d espèces envahissantes en l absence de contrôles adaptés, expliquent Jaime Rovira, Alex Brown et Imène Meliane Lutter contre les envahisseurs...27 Le rôle de l UICN dans la lutte contre les espèces envahissantes INNOVATION Passer à l échelle mondiale.....28 Les paiements internationaux de services écosystémiques (PISE): l état des lieux par Wendy Proctor et Anna Lukasiewicz Regrouper les bienfaits.....30 Le travail de l UICN sur les paiements internationaux de services écosystémiques Sous les yeux du monde entier..31 Rebecca Moore explique comment Google Earth Outreach contribue à la conservation environnementale Connaissances en partage......33 Comment la mondialisation de l information commence à améliorer le taux de succès des projets de conservation de l environnement Un projet plus vert....34 La Directrice exécutive adjointe du PNUE, Angela Cropper, fait le point du débat sur le renforcement de la gouvernance environnementale Retour à l avenir.....35 Pourquoi le mouvement environnemental doit prendre une orientation nouvelle

Une mondialisation plus verte La mondialisation ne va pas s arrêter mais la communauté internationale peut l aiguiller sur une voie plus durable, d après Joshua Bishop, conseiller économique de l UICN.

L ÉCHELLE MACRO-ÉCONOMIQUE D après les géologues, les continents formaient jadis une seule masse terrestre, où les espèces animales et végétales se propageaient largement. Lorsque les continents ont commencé à se séparer, la séparation des différentes populations a donné lieu à l évolution d espèces distinctes. La faune et la flore unique des îles sont un témoin éloquent des effets de l isolement. Imaginons les communautés humaines de ces époques lointaines, beaucoup plus démunies que nous en matière de déplacements et de communication. Nous pouvons supposer que la longue séparation matérielle due à la dérive des continents allait donner lieu à la naissance de communautés diverses, avec des langages, des cultures, des religions et des institutions différentes. C est plus ou moins ce qui s est passé, à la suite de la barrière millénaire établie par les océans, les montagnes et les déserts. Alors, qu arriverait-il si les continents se réunissaient subitement? Des espèces animales et végétales ayant évolué séparément se propageraient et deviendraient rivales. Certaines espèces disparaîtraient ; des hybrides apparaîtraient. Le processus pourrait être chaotique et destructeur, mais aussi dynamique et créatif. Si le choc des continents est une définition mélodramatique de la mondialisation, la métaphore renferme cependant un peu de vérité quant à la portée et à l échelle de l évolution en cours, ou, plus précisément, de l évolution que nous nous imposons nous-mêmes. Qu arrive-t-il lorsque des sociétés séparées depuis longtemps sont soudain réunies? L histoire récente recèle des témoignages douloureux de conflits issus du «choc des civilisations», même si elle témoigne aussi de nouvelles formes de coopération et d innovation issues de l interaction sociale. Le terme «mondialisation» désigne en bref l intégration mondiale. Si la dimension économique (commerce et investissements internationaux) est évoquée le plus souvent, la mondialisation comprend aussi l intégration sociale, culturelle, linguistique, politique, technique et environnementale au-delà des frontières nationales. Un cadre si large attire naturellement l intérêt de beaucoup d acteurs. Les milieux du commerce et de l investissement veulent que la promesse d accès aux marchés et de non-discrimination que renferme la mondialisation soit réalisée. Les milieux du développement souhaitent que les pays les plus pauvres tirent bénéfice de la mondialisation. Les syndicats se préoccupent du maintien des normes du travail et du progrès vers un traitement juste et équitable pour les travailleurs. Bien entendu, les défenseurs de l environnement veulent empêcher une «course vers le bas», où les pays braderaient de plus en plus leurs normes environnementales afin d attirer ou de garder des activités économiques. Les écologistes ont beaucoup d autres préoccupations, y compris la diffusion d agents pathogènes et d espèces exotiques envahissantes issue de l accroissement du commerce et des voyages. Si l intégration mondiale des marchés agricoles et l adoption de technologies à forte consommation d énergie et de substances chimiques ont amélioré la sécurité alimentaire, elles ont aussi entraîné une Le terme «mondialisation» désigne en bref l intégration mondiale. Si la dimension économique (commerce et investissements internationaux) est évoquée le plus souvent, la mondialisation comprend aussi l intégration sociale, culturelle, linguistique, politique, technique et environnementale au-delà des frontières nationales. simplification écologique. Les agriculteurs du monde entier cultivent un nombre restreint d espèces agricoles identiques, tandis que des milliers de variétés locales traditionnelles ont disparu. Mettre un si grand nombre d œufs agricoles dans le même panier nous met tous en situation de risque en cas d épidémies de ravageurs ou de foyers de maladie. Le problème est, bien évidemment, que nos institutions n avancent pas à la même allure que les difficultés issues de la mondialisation. L intégration mondiale renforce la demande et accroît la circulation de biens et de services, y compris le commerce des ressources biologiques, tandis que nos mécanismes de gouvernance sont lents à s adapter et à s améliorer. Pour les forêts, par exemple, l essor commercial a souvent suscité la faillite écologique, car des bois à forte valeur sur le marché sont exploités, souvent illégalement, et vendus au plus offrant sans aucun souci de durabilité. De nouveaux enjeux environnementaux mondiaux sont apparus et nécessitent une réponse à l échelle de la planète. Le changement climatique en est l exemple le plus connu, mais il y en a d autres : la surpêche marine, la sédimentation de l azote, les polluants persistants. La plupart de ces problèmes empirent, avec des conséquences de plus en plus visibles pour les populations humaines. Du côté positif, la mondialisation a créé des points forts bien réels, qui peuvent contribuer à répondre aux problèmes environnementaux. La communication est quasiment instantanée à l heure actuelle ; si quelqu un trouve une solution, nous l apprendrons très vite. La production industrielle et la distribution sont intégrées à l échelle mondiale ; si nous avons besoin de produire quelque chose, un vaccin contre la grippe aviaire par exemple, on peut le faire à une échelle massive et le diffuser dans le monde entier, plus vite que jamais par le passé. La science aussi s est mondialisée. Les principales avancées et les nouvelles applications sont partagées et copiées à une vitesse croissante. Même si les compétences techniques sont inégales et que des questions liées à la propriété intellectuelle empêchent encore la circulation de produits et d informations, l activité scientifique a un caractère de plus en plus mondial et n est plus l apanage d une élite de pays riches. Le public est sensibilisé, d une façon plus large et plus approfondie que jamais, aux enjeux environnementaux de la planète. Encore plus important, les attentes du public en matière environnementale, vis-à-vis des gouvernements et des entreprises, ont atteint un niveau plus élevé, ce qui rend plus difficile de suivre des politiques dommageables ou intéressées. La mondialisation ne va pas s arrêter et nous laisser le temps de nous concerter. Il s agit de savoir ce que les acteurs de l environnement peuvent faire afin d infléchir le processus de mondialisation de telle façon qu il favorise le développement durable au lieu de le compromettre. Nous devons trouver des solutions pratiques qui soient dans la logique de la mondialisation et non contre elle. Nos priorités devraient inclure le renforcement des capacités des pays en développement afin de prévoir les impacts de la mondialisation sur les milieux naturels et d y répondre vite. Les institutions internationales doivent être renforcées de façon à doter ces pays des compétences nécessaires pour évaluer les grands enjeux environnementaux (espèces exotiques envahissantes, changement climatique, surpêche ) et y répondre. La communauté scientifique doit parvenir à un consensus sur les priorités environnementales de la planète, ainsi que sur des politiques susceptibles d y répondre efficacement. Enfin, nous devons engager toute la puissance du secteur privé afin de rendre la mondialisation plus verte. PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008 5

Priorités perverses La mondialisation suscite des subventions «perverses» s élevant au moins à 200 milliards de dollars. Dix fois plus élevées que les dépenses de protection environnementale, ces subventions portent atteinte aux habitats de biodiversité aussi bien qu à l économie. Norman Myers décrit ce paradoxe. Nous savons depuis plusieurs décennies que la planète entre dans une phase d extinction massive d espèces. Depuis, des milliers de scientifiques ont écrit des dizaines de milliers de livres et d articles à ce sujet, et les acteurs, que ce soit les Etats, les organismes internationaux ou les ONG, ont consenti des efforts sans précédent pour répondre à la crise. Mais, si les ressources de conservation (compétences scientifiques, financement, création d aires protégées et autres mesures ) se sont beaucoup développées, les problèmes se sont aggravés encore davantage, avec le déclin d habitats aussi importants que les forêts tropicales, à un rythme encore plus accéléré. Les efforts les plus soutenus semblent à peine ralentir la vitesse de l extinction. Il ne s agit pas d une conclusion défaitiste. Elle est, bien au contraire, réaliste, et il est nécessaire de suivre lucidement la situation. Se demander dans quelle mesure nous faisons mieux qu auparavant n est pas la même chose que de se poser la question centrale: «Faisons-nous assez?» Avons-nous avancé, dans quelle mesure les efforts en faveur de l environnement ne sont-ils pas à la hauteur, combien de temps reste-t-il avant que la crise de l extinction déborde notre capacité de réponse et que les efforts ultérieurs ne soient plus que des 6 PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008

L ÉCHELLE MACRO-ÉCONOMIQUE opérations de sauvetage? Est-il vrai, et dans quelle mesure, que les écologistes ont traité les symptômes des problèmes environnementaux, au lieu de s attaquer à leur source, qui comprend notamment ces subsides «pervers», portant atteinte tant à l environnement qu à l économie? 20 milliards de dollars sont dépensés annuellement pour la protection environnementale, tandis que les subventions perverses contribuent, par inadvertance certes, à détruire les habitats de biodiversité tout en dépensant au moins dix fois plus. Tant que nous ne nous serons pas attaqués aux méga et méta-problèmes des subventions perverses, les écologistes devront faire remonter un rocher de plus en plus grand le long d une pente de plus en plus raide. Ceci implique une approche élargie de la protection environnementale. Certes, les défenseurs de l environnement ont fait beaucoup d efforts pour sauvegarder la biodiversité et ont acquis des compétences approfondies en la matière. Ils pourraient toutefois ne pas se borner à chercher des solutions, mais s attaquer à la source des problèmes ; comment les éliminer avant qu ils n aient pris de l ampleur? Entre autres, en abordant la question de ces subventions perverses qui Tant que nous ne nous serons pas attaqués aux méga et méta-problèmes des subventions perverses, les écologistes devront faire remonter un rocher de plus en plus grand le long d une pente de plus en plus raide. détruisent les forêts, favorisent la désertification, réduisent les ressources en eau, encouragent la pollution à grande échelle et l érosion des sols, et causent même des perturbations climatiques, parmi d autres formes de destruction des ressources biologiques. Si d autres pays développés suivaient l exemple de la Nouvelle Zélande et réduisaient considérablement leurs subventions agricoles, plusieurs centaines de milliards de dollars de dépenses superflues se trouveraient libérés à d autres fins. La disparition graduelle de ces subventions contribuerait aussi considérablement à prévenir de nouveaux dommages écologiques aux habitats de biodiversité sur des millions de km 2. Quel en serait le coût? Il y a différentes réponses. La sauvegarde de 35 hauts lieux de la biodiversité terrestre coûterait 3,5 milliards de dollars environ sur cinq ans, un investissement susceptible de réduire la crise d extinction des espèces du taux énorme de 2/5. En effet, 35% à 45% des 10 millions d espèces estimées de la planète se trouvent dans ces hauts lieux, où elles sont gravement menacées. En termes de coûts financiers, c est faisable; les autres éléments ne sont pas insurmontables non plus. Ainsi, les technologies de remplacement des combustibles fossiles (l une des causes principales de destruction des habitats à l avenir) sont largement disponibles et devraient entraîner des avantages financiers considérables à long terme. Les principaux obstacles sont d ordre politique ; par exemple, les groupes d intérêt qui perpétuent les subventions perverses malgré leurs nombreux coûts environnementaux et économiques. Ce qu il faut, c est un engagement politique à l échelle de ce que fut le Projet Manhattan pour mettre au point la première bombe atomique. Il y eut aussi le Plan Marshall, dont le coût s est élevé à 90 milliards de dollars (équivalent dollars 2001), même s il n est pas certain que Harry Truman et George Marshall auraient pu faire accepter leur grande initiative à l heure actuelle, vu l activité des groupes de pression qui défendraient leurs intérêts particuliers au détriment du Plan. D autres projets à grande échelle des dernières décennies ont vu le jour avec des coûts du même ordre de grandeur (en dollars 2001): envoyer un homme sur la Lune, 100 milliards de dollars ; le Projet de défense anti-missile, de 150 à 240 milliards de dollars. Un troisième projet, d un montant bien moindre (240 millions de dollars seulement) était la sonde Pathfinder, chargée de chercher des formes de vie sur Mars (quelques moisissures primitives?) Il s agirait donc de se positionner dans un cadre de vision sociétale et de volonté politique afin de traduire la réflexion en action. A différents moments de l histoire, des communautés humaines ont mobilisé leurs ressources institutionnelles pour atteindre des réussites relativement bien plus coûteuses que la réponse nécessaire à notre crise biotique. Ainsi, la construction des pyramides d Egypte et des cathédrales gothiques en Europe ont mobilisé une part exceptionnellement importante des ressources économiques et sociales de leurs époques respectives. Il s agissait dans les deux cas d une démarche de l ensemble de la société. Une tentative semblable pourrait être faite aujourd hui, notamment si l on considère que les avantages à long terme seraient beaucoup plus durables que ceux des pyramides et des cathédrales jusqu à présent. Après tout, si l humanité échoue à protéger la biodiversité à une époque de danger sans précédent, le temps nécessaire pour que l évolution crée des espèces de remplacement sera au moins mille fois plus long que le temps d existence des pyramides. L humanité pourrait y trouver inspiration pour bien comprendre l enjeu, avec autant d efficacité, au moins, que les motivations religieuses pour les pyramides et les cathédrales gothiques. Norman Myers, scientifique indépendant, spécialiste de l environnement et du développement, est professeur à l Université d Oxford et de Duke. Il a été à l origine, à la fin des années 1980, de la thèse des hauts lieux de biodiversité, qui a mobilisé 850 millions US$ en faveur de l environnement. PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008 7

Changer de cap Croire que la libéralisation économique et la croissance suffisent à résoudre nos crises environnementales est une erreur, nous dit Alejandro Nadal. Pour bien des analystes, le rapport entre mondialisation et environnement se réduit à une simple question : l intégration financière et commerciale encourage-t-elle une gestion environnementale saine ou bien favorise-elle la dégradation écologique? Cette question peut induire en erreur. L impact de la mondialisation sur l environnement ne peut pas être mesuré de façon exacte car il s agit d un processus déséquilibré, où coexistent à la fois des économies à croissante lente et à croissance rapide et des disparités énormes de revenus par habitant au niveau international. Aucun processus d ajustement économique ne viendra redresser automatiquement ce déséquilibre. Aucun consensus sur la définition de la mondialisation ne semble même émerger. Nous nous devons de comprendre la nature économique de la mondialisation avant d en évaluer son rapport avec l environnement. La mondialisation découle davantage des forces profondes qui agissent au sein des économies capitalistes et de politiques délibérées de libéralisation financière et commerciale que de l évolution technologique en matière de transports et de communications. La voie vers une plus grande intégration des marchés financiers et commerciaux a été ouverte en 1973 quand les anciennes institutions de Bretton Woods ont été remplacées par des taux de change flexibles. Ce mécanisme créait de nouveaux risques pour les agents économiques privés mais offrait de nouvelles opportunités de profit par le biais d opérations sur les marchés mondiaux de devises. Cela explique pourquoi les transactions spéculatives sur les marchés étrangers de devises atteignent des montants bien supérieurs au commerce des biens et des services, tandis que les flux de capitaux rivalisent en importance avec les réserves des banques centrales. En réponse aux fluctuations des taux de change et des taux d intérêt, ces flux de capitaux peuvent être inversés, entraînant alors des crises profondes. Prévus pour pallier cette situation, les programmes de stabilisation ont encore plus gravement endommagé les économies locales et l environnement dans des pays aussi divers que l Argentine, les Philippines et l Indonésie. Beaucoup sont de l avis que la mondialisation conduit à un accroissement des revenus par habitant et qu il s ensuit une meilleure santé environnementale. Cela n est pas corroboré par les faits. Entre 1945 et 1973, les taux de croissance étaient plus élevés qu entre 1973 et 2005. S il est vrai que la croissance a repris pendant les dix dernières années, il subsiste des incertitudes en ce qui concerne les grands déséquilibres entre les pays dont l épargne interne est énorme (la Chine) et ceux où le déficit du budget de l État est important (les Etats- Unis), ce qui continue à être un sujet de préoccupation pour l économie mondiale vu les possibles répercussions sur la stabilité du système financier mondial. La crise financière et la récession économique probable aux Etats-Unis en 2008 ne vont faire que ralentir davantage l économie mondiale. Ainsi, contrairement à ce que prétendent les médias, la performance économique à l ère de la mondialisation n est pas l histoire d un succès sans faille. En outre, les problèmes environnementaux foisonnent et certains se sont aggravés (de la dégradation des sols et la destruction des forêts à la surexploitation des aquifères et la perte de ressources génétiques). Par ailleurs, dans les économies à croissance rapide, la dégradation environnementale a atteint des niveaux critiques. La Chine, l Inde et le Brésil en sont La mondialisation n a pas mobilisé les ressources requises pour parer à la dégradation environnementale et n a pas réussi à créer un système de gouvernance à même de relever les défis de notre temps. les meilleurs exemples et la demande de ressources naturelles dont ils sont l objet (par exemple en minerais et bois) a de graves répercussions environnementales au plan mondial. Les grands bouleversements environnementaux, comme le réchauffement climatique mondial ou l extinction massive d espèces, ont commencé des dizaines d années avant le début de la mondialisation. Mais la mondialisation n est pas parvenue à les enrayer. Ainsi, nous sommes loin d avoir réussi à stabiliser les concentrations de CO2 dans l atmosphère et même les objectifs les plus modestes du protocole de Kyoto vont rester lettre morte. Le jugement le plus critique des rapports entre la mondialisation et l environnement est probablement celui de l Évaluation du Millénaire sur les écosystèmes. D après les conclusions de cette étude, pendant les 50 dernières années, l homme a modifié les écosystèmes de la Terre plus vite et plus profondément qu au cours d aucune autre période comparable de l histoire de l humanité. Parmi les services écosystémiques examinés par l Évaluation, 60% sont en train de se dégrader ou font l objet d une utilisation non durable. Tant que les coûts croissants continueront à être à la charge des plus démunis d une façon aussi disproportionnée, les Objectifs du Millénaire resteront lettre morte. Les conséquences 8 PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008

L ÉCHELLE MACRO-ÉCONOMIQUE négatives de cette dégradation pourraient encore s aggraver pendant les 50 années à venir. Si nombre d études font état de réductions dans l émission de certains polluants et d un accroissement de l efficacité de la production énergétique dans plusieurs pays, cette plus grande efficacité dans certains domaines va parfois de pair avec la dégradation d autres indicateurs environnementaux ou avec le déplacement des coûts environnementaux vers d autres pays. La mondialisation n a pas mobilisé les ressources requises pour parer à la dégradation environnementale et n a pas réussi à créer un système de gouvernance à même de relever les défis de notre temps. Il est bien évident qu un changement de cap s avère essentiel. Un nouveau plan d action pour la durabilité et la responsabilité sociale devrait se fonder sur trois principes majeurs. Premièrement, les marchés ne sont pas des mécanismes autorégulateurs ; il est indispensable de reconnaître la nécessité d interventions novatrices en matière de politiques publiques. Deuxièmement, étant donné que les politiques macroéconomiques ont des effets importants sur la distribution du revenu, le choix des technologies et la gestion des ressources, elles se doivent d intégrer la durabilité environnementale dans leurs objectifs. Troisièmement, la distribution du pouvoir économique et politique est essentielle à la répartition des coûts environnementaux. La persistance des asymétries est peut-être l obstacle principal qui s oppose à la bonne gouvernance requise pour une protection adaptée de l environnement. La redéfinition du développement devrait être prioritaire, car l idée que la croissance illimitée (notamment telle que nous la concevons aujourd hui) est la source du bien-être humain est un leurre conduisant à la catastrophe. Alejandro Nadal est professeur à El Colegio de Mexico. Il préside également le Thème Environnement, macroéconomie, commerce et investissements de la Commission de l UICN des politiques environnementales, économiques et sociales. PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008 9

Nous sommes tous dans le même bateau L échelle planétaire de nos problèmes environnementaux les plus pressants, ainsi que de la mondialisation économique, nécessitent un renforcement de la coopération environnementale internationale, dit Angel Gurría, Secrétaire général de l Organisation de coopération et de développement économiques (OECD). La mondialisation peut être un moteur de solutions environnementales s il existe des cadres institutionnels et politiques adaptés, ainsi qu une coopération internationale renforcée. La coopération environnementale mondiale est plus indispensable que jamais car nombre d enjeux environnementaux pressants nécessitent des solutions à l échelle mondiale et que la mondialisation économique nous oblige à rajouter de nouvelles dimensions à notre démarche environnementale. La publication récente de l OCDE Perspectives de l environnement à l horizon 2030 montre que il est possible, à un coût accessible, de répondre aux enjeux environnementaux les plus pressants (dont le changement climatique, la perte de biodiversité et la rareté de l eau) si on tient compte de la croissance économique prévue et des coûts et conséquences de l inaction, et à condition que les pays travaillent ensemble. Ainsi, trouver des solutions efficaces et au moindre coût en réponse au changement climatique nécessite la participation de tous les grands émetteurs. Nombre de hauts lieux de la biodiversité se trouvent dans des pays en développement, mais les avantages de leur conservation s étendent au monde entier. La rareté de l eau est pour l essentiel une question locale ou régionale, mais des bonnes pratiques existent, que la coopération internationale permettrait de diffuser à l échelle mondiale. Une coopération renforcée entre les pays membres et non-membres de l OCDE est indispensable pour réaliser des 10 PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008

L ÉCHELLE MACRO-ÉCONOMIQUE Une coopération environnementale internationale adaptée porte non seulement sur quoi faire et comment le faire, mais se pose également la question de savoir qui paiera quoi. objectifs environnementaux ambitieux à un moindre coût. Des économies émergentes, comme le Brésil, la Russie, l Inde, l Indonésie, la Chine, l Afrique du Sud, sont des partenaires essentiels pour trouver des solutions internationales aux défis environnementaux planétaires, compte tenu de leur rôle croissant dans l économie mondiale et de l accroissement rapide de leurs impacts environnementaux. Une coopération environnementale internationale adaptée porte non seulement sur quoi faire et comment le faire, mais se pose également la question de savoir qui paiera quoi. L incertitude autour de qui devrait prendre des mesures et qui devrait en assumer les coûts est le principal obstacle au progrès, tout particulièrement pour des enjeux tels que le changement climatique et la perte de biodiversité, pour lesquels les coûts et les avantages de l action politique sont inégalement répartis entre les pays et les générations. Pour maîtriser les coûts mondiaux de l action environnementale, il faut mettre fortement l accent sur l utilisation d instruments de marché: prix de l eau, commerce des émissions, taxes sur les polluants, charges sur les déchets. L élimination des subventions préjudiciables à l environnement, notamment pour les combustibles fossiles et la production agricole, serait un bon point de départ, détournant l économie d activités polluantes et qui surexploitent les ressources naturelles. Les contribuables et les consommateurs économiseraient beaucoup d argent. Cependant, un ensemble de politiques est nécessaire pour compléter les instruments du marché par des réglementations, des accords avec le secteur privé et des politiques d information, afin de répondre aux insuffisances du marché et de l information. La crainte de l impact potentiel sur la compétitivité industrielle empêche souvent d avoir recours à des outils de marché, notamment des taxes sur le carbone et des mécanismes de compensation des émissions, pour résoudre des problèmes environnementaux. Beaucoup de pays s inquiètent de la perte potentielle de compétitivité de leurs entreprises sur le plan international si elles doivent faire face à un surcroît de taxes qui ne sont pas appliquées partout dans le monde. Pourtant, l impact de ces taxes sur la compétitivité des secteurs concernés est souvent compensé par des gains dans d autres domaines. Une meilleure information permettrait d éclairer les effets globaux macro-économiques et distributifs. Le vrai problème consiste à se mettre d accord sur des politiques harmonisées sur le plan mondial afin d égaliser les règles du jeu. La mondialisation, y compris le développement du commerce et la libéralisation des investissements, peut contribuer à une allocation de ressources plus performante sur le plan mondial, à condition qu il existe des politiques environnementales saines et des institutions solides. En l absence de ces garde-fous, la mondialisation risque d amplifier les insuffisances des politiques et des marchés et d aggraver les pressions environnementales. La gouvernance environnementale internationale doit être renforcée pour permettre de mieux aborder les enjeux environnementaux transfrontaliers et d assurer l intégration des questions environnementales dans les politiques commerciales et d investissements, ainsi que dans les programmes de coopération au développement. D une façon générale, la mondialisation développe les marchés, encourage la concurrence et peut pousser les entreprises à s adapter et à innover. Elle peut aussi contribuer à la diffusion de technologies moins polluantes. Des dirigeants d entreprise vont déjà de l avant, encouragés par la demande d innovations et produits «verts» de la part des consommateurs. Le secteur des biens et services environnementaux devrait progresser sensiblement. Des solutions technologiques existent déjà pour nombre de problèmes environnementaux ; de nouvelles solutions apparaissent, notamment pour les énergies renouvelables et l efficience énergétique, le piégeage et l emmagasinage du carbone et les véhicules hybrides, dont le coût devrait devenir de plus en plus compétitif dans les décennies à venir. Si des technologies de biocombustibles de «deuxième génération» (utilisant les déchets de biomasse, par exemple) sont largement disponibles d ici 2030, on pourrait éviter l accroissement prévu des cultures de biocarburants sur des terres agricoles, l utilisation accrue de pesticides, engrais et eau, et les impacts de ce genre d utilisation des sols sur la biodiversité. Si la mondialisation entraîne un certain nombre d effets potentiels, favorables et défavorables, sur l environnement, l état de l environnement et des ressources naturelles a à son tour des incidences sur le développement économique et la mondialisation. La concurrence pour des ressources naturelles rares, l exploitation de ressources renouvelables comme les stocks halieutiques et les bois tropicaux, les effets des changements climatiques sur l agriculture, les prix de l énergie et la recherche de sources alternatives d énergie peuvent influer fortement sur l évolution du commerce et des investissements dans les années à venir. Si la perte de biodiversité n est pas arrêtée, des activités mondialisées comme l industrie pharmaceutique et l agroalimentaire seront touchées par une dégradation plus forte de leur capital de ressources naturelles. La coopération au développement est une autre dimension à prendre en considération. Certains des pays les plus pauvres du monde sont des oubliés de la mondialisation car ils ne peuvent s intégrer dans l économie mondiale, en partie à cause des barrières commerciales des pays de l OCDE. Les pays riches doivent aider les pays en développement à tirer profit des avantages de la mondialisation sans sacrifier l environnement, en diffusant des connaissances et des bonnes pratiques technologiques et en ouvrant davantage leurs marchés. Les pays en développement, qui sont les plus vulnérables à la dégradation environnementale, manquent de capacités pour y faire face et s adapter. Le Comité d aide au développement et le Comité des politiques environnementales de l OCDE se sont associés afin de mieux prendre en compte les questions environnementales dans les programmes de coopération au développement. Suite à une réunion ministérielle conjointe des Ministres de l environnement et des Ministres de la coopération au développement de l OCDE, en 2006, les pays membres de l OCDE préparent des lignes directrices sur l intégration de l adaptation au changement climatique dans les activités de coopération au développement, se fondant sur des outils politiques tels que l évaluation environnementale stratégique. L OCDE soutient aussi la mise au point de stratégies de financement réalistes et durables pour l approvisionnement en eau et les services sanitaires et elle élabore de nouvelles approches pour améliorer le développement de capacités de gestion environnementale à la lumière de la Déclaration de Paris sur l efficacité de l aide. L OCDE est une organisation internationale regroupant 30 pays membres attachés à la démocratie et à l économie de marché. Elle examine des questions économiques, environnementales et sociales, aide les gouvernements à trouver des solutions à des problèmes communs et à élaborer, mettre en œuvre et coordonner leurs politiques nationales et internationales. En mars 2008 l OCDE a publié ses Perspectives de l environnement à l horizon 2030, qui analyse les tendances économiques et environnementales à l horizon 2030 (et 2050) et comporte des simulations d actions politiques (et d inaction) face aux principaux enjeux et coûts. www.oecd.org PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008 11

Banquet ou famine? Les multinationales ont un rôle très important à jouer pour assurer la production mondiale d aliments, explique Giovanni Malfatti, de l Initiative pour une agriculture durable.

NOURRIR LA PLANÈTE Pourquoi l industrie alimentaire devrait-elle s impliquer dans l agriculture durable? La question peut se poser. Une réponse superficielle serait : pour des raisons d image ou de responsabilité sociale des entreprises. En fait, la réponse est beaucoup plus simple et évidente : la disponibilité future de nourriture. Plusieurs fois dans l histoire, il a semblé que la population allait croître plus vite que la production d aliments et la distancer. A chaque fois, la production s est accrue pour répondre à la demande. La croissance démographique (80 millions de personnes par an) et la modification des habitudes alimentaires font partie de l équation. Dans des pays en développement, surtout en Chine et en Inde, une classe moyenne croissante demande une plus grande variété d aliments, notamment de la viande et des produits laitiers. Cette évolution du régime alimentaire, qui était autrefois en moyenne de 150 g de riz par jour, a accru la demande de nourriture animale et réduit les surfaces disponibles pour l agriculture (pour chaque tête de bétail, plusieurs hectares sont destinés au L enjeu actuel et futur de la production alimentaire consiste à faire en sorte que, partout dans le monde, chaque parcelle soit cultivée de façon durable, afin de produire la nourriture dont nous avons besoin sans détruire le capital naturel dont nous dépendons. subventionné pour les biocarburants a créé des tensions quant à l utilisation des terres pour la nourriture ou pour l énergie. Les biocarburants représentaient l année dernière presque la moitié de l augmentation de la demande mondiale d huiles végétales et 7% de leur consommation totale, d après le service de prospective Oil World. L accroissement de la production de biodiesel est controversé, non seulement à cause de la concurrence pour l utilisation des terres pour des cultures alimentaires, mais aussi en raison de préoccupations environnementales. Des études récentes semblent indiquer qu une croissance des cultures de biocombustibles à grande échelle dans le monde accroîtrait le CO2 atmosphérique au lieu de le réduire. Bien avant le dévoilement de ce sombre scénario planétaire, l industrie alimentaire, premier acheteur de matières premières agricoles, savait que, pour bénéficier d un approvisionnement fiable et croissant, ces produits doivent être cultivés de façon durable. Le secteur a lancé des initiatives destinées à y répondre, soit axées sur un produit spécifique, soit dans le cadre d une démarche élargie et plus holistique. Jusqu à ces derniers temps, en raison du manque d intérêt ou de connaissance de l agriculture durable de la part des consommateurs, cette production a suffi à satisfaire une demande réduite à un petit créneau. Or, à l heure actuelle, il est nécessaire et urgent de répondre aux conséquences du changement climatique pour la production agricole mondiale, à la croissance démographique, à la croissance exponentielle de la demande alimentaire et à des politiques irresponsables en matière de biocarburants. Ceci n est possible que si les trois piliers de la durabilité (social, économique, environnemental) sont mis en œuvre de façon généralisée dans l agriculture et tout le long de la chaîne alimentaire. L enjeu actuel et futur de la production alimentaire consiste à faire en sorte que, partout dans le monde, chaque parcelle soit cultivée de façon durable, afin de produire la nourriture dont nous avons besoin sans détruire le capital naturel dont nous dépendons. Nous devons tous œuvrer en faveur d une plus grande durabilité pour les décennies à venir. Par le passé, les questions environnementales et sociales n étaient soulevées que par une poignée d ONG. Elles ne sont plus une nuisance tolérée, mais des partenaires de plein droit lorsqu il s agit de définir la stratégie de l industrie alimentaire. L UICN travaille avec la Plateforme Sustainable Agriculture Initiative (SAI) (Initiative pour une agriculture durable), qui encourage l agriculture durable et regroupe différents acteurs de la chaîne alimentaire, dont Nestlé, Danone, Unilever, Coca-Cola et McDonald s. www.saiplatform.org pâturage au lieu d accueillir des cultures céréalières pour la consommation humaine). Selon l Organisation des Nations Unies pour l alimentation et l agriculture (FAO), le prix du blé, lié à la disponibilité des terres, s est accru de plus de 80% depuis un an et celui du maïs de 25%. Les réserves céréalières mondiales sont tombées à leur niveau le plus bas depuis 1982. Les prix ont connu une telle envolée que le Programme alimentaire mondial, qui s est fixé pour objectif de nourrir 73 millions de personnes cette année, a déclaré devoir réduire les rations ou le nombre de bénéficiaires de l aide. En outre, de grands pays producteurs, tels que le Kazakhstan et la Russie, ont décidé d imposer des droits à l exportation sur leurs céréales. Une autre tourmente vient secouer les marchés alimentaires mondiaux. L envolée du prix des carburants a modifié les coûts de production et de transport des aliments dans le monde entier. L engouement PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008 13

Récolte volée Les agriculteurs indiens sont privés de leurs terres et de leurs ressources au profit du secteur privé, explique Vandana Shiva. L agriculture dépend du capital naturel: des semences, des sols et de l eau sains. L agriculture durable est donc vitale afin de préserver nos ressources naturelles et d assurer la sécurité alimentaire mondiale. Cependant, l état de ces ressources est également fonction de leur régime de propriété: les sols, l eau et la biodiversité ne peuvent être utilisés durablement que si leur propriété est collective. En Inde, l eau et la biodiversité ont été gérées comme un bien communal jusqu à une époque récente. La terre aussi était utilisée individuellement mais sa propriété était collective. La mondialisation et la libéralisation du commerce ont conduit à la privatisation de l eau et de la biodiversité et à la concentration de la propriété foncière. Six décennies de réforme agraire sont bouleversées par la mise en place d instruments tels que des zones économiques spéciales, soumises à un régime réglementaire différent du reste du pays et axées sur la promotion des exportations et de l investissement étranger direct au moyen d avantages fiscaux. Le gouvernement s est servi de droits qu il s est octroyé lui-même pour céder à des entreprises de grandes étendues de terres agricoles fertiles et de terres communales faisant vivre des millions de personnes. Les terres communales des villages étaient considérées par les autorités coloniales britanniques comme des «terrains vagues», puisqu elles ne leur permettaient pas d en tirer des revenus. A l heure actuelle, ces soi-disant «terrains vagues» sont cédés au secteur privé. En mai dernier, le gouvernement du Rajasthan a adopté une nouvelle loi sur l affectation des terrains vagues à des plantations de biocarburants et à leur production. La réglementation permet une cession de 1000 à 5000 hectares de terres communales à des entreprises de biocarburants pour une période de 20 ans. Ce transfert sans consentement de droits communautaires vers des droits de propriété privée est de fait une «clôture des terres communales». Ces terres entretiennent la biodiversité, qui fournit du combustible, des fourrages, des médicaments et de la nourriture à l économie rurale, notamment aux paysans sans terre. Les cultures de biocombustibles, comme le Jatropha, n apportent rien de pareil. Les terres communales des villages servent maintenant à produire du carburant pour les voitures des riches des zones urbaines : on passe de l équité à l injustice, de la durabilité à la non-durabilité. La loi du Rajasthan sur les combustibles implique aussi une demande plus importante d eau. La loi rend l arrosage obligatoire et détourne des ressources en eau déjà rares des besoins agricoles et d eau potable. Des nappes phréatiques précieuses sont aussi en danger. Les espèces végétales des terres communales du Rajasthan sont adaptées à la rareté de l eau. Leur remplacement par des plantations de Jatropha irriguées aboutit non seulement à une clôture des terres communales, mais aussi à la privatisation des eaux communales des villages. Dans d autres régions, la privatisation de l eau est liée aux investissements. Si une entreprise investit dans un barrage d irrigation, elle peut de fait privatiser l eau et la vendre aux agriculteurs. Le droit des agriculteurs à l eau disparaît et des droits des entreprises sont créés. Le projet de liaison fluviale (200 milliards de dollars) conduira inévitablement à la privatisation de l eau, car il dépendra d investissements privés et de prêts de la Banque mondiale. Les entreprises recherchant la privatisation de ressources communales ont recours à des institutions telles que la Banque mondiale et l Organisation mondiale du commerce (OMT) pour créer de nouvelles formes de propriété privée. La diversité de la nature et l innovation collective de millions d agriculteurs du monde entier deviennent la propriété intellectuelle d un certain nombre d entreprises. Ceci prive les pauvres de leurs moyens vitaux de subsistance, mais impose aussi des pratiques agricoles et productives non viables dans la durée. La clôture des «biens communs biologiques» a lieu à travers des brevets, qui sont au cœur de l Accord de l OMT sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce. Le biopiratage (piratage et brevetage de biodiversité et de connaissances des peuples autochtones) est l un des principaux problèmes liés aux brevets. Ainsi, des brevets sont pris sur le neem (un arbre à croissance rapide connu pour ses propriétés médicinales), le riz basmati, le blé et le curcuma. La privatisation des semences au moyen de brevets substitue le monopole des entreprises aux droits des agriculteurs. Le profit est le seul mobile des entreprises lorsqu elles cherchent à promouvoir des intrants exogènes. Lorsque les agriculteurs sont endettés et perdent leurs terres, celles-ci deviennent également un monopole des entreprises. La non durabilité et le monopole privé s alimentent réciproquement, comme le font la durabilité et les biens communaux. L avenir de l agriculture et des agriculteurs dépend de la protection partagée des ressources vitales de la planète. La privatisation de ces ressources est synonyme de famine et de désertification, de faim et de suicides de paysans. Le Dr Vandana Shiva est physicienne, écologiste, militante et auteure de nombreux ouvrages. En Inde, elle a créé le Navdanya, un mouvement pour la protection de la biodiversité et les droits des agriculteurs. Elle joue un rôle actif à l International Forum on Globalization, une alliance regroupant des militants, des scientifiques, des économistes, des chercheurs et des écrivains et ayant pour but de promouvoir la réflexion novatrice et l éducation du public en réponse à la mondialisation économique. 14 PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008

NOURRIR LA PLANÈTE Meilleurs kilomètres? Le concept de «kilomètres équitables» se profile de façon plus porteuse dans le supermarché mondial de la durabilité que les «kilomètres alimentaires», d après l Institut international pour l environnement et le développement (IIED). En 2007, les «kilomètres alimentaires» se sont trouvés au premier plan des préoccupations des consommateurs britanniques, qui s efforçaient d acheter des produits parcourant la route la plus courte du lieu de production jusqu à l assiette, afin de réduire l empreinte carbonique. Cependant, à une plus large échelle, les produits frais nécessitant obligatoirement un transport aérien entre l Afrique et le Royaume-Uni représentent moins de 0,1% des émissions britanniques. En outre, les émissions par habitant d Afrique subsaharienne sont minuscules comparées à celles des pays industrialisés. Sur l autre plateau de la balance, plus d un million de moyens de subsistance en Afrique dépendent en partie de ces productions. Pour la chaîne logistique alimentaire, l heure est venue des «kilomètres équitables», une idée qui relie le développement des pays du Sud aux programmes environnementaux et permet aux distributeurs britanniques d apporter une réponse plus équilibrée au nom de leurs millions de clients. Le concept de kilomètres alimentaires utilise la distance comme une mesure de l impact environnemental pour la production alimentaire et les chaînes d approvisionnement. Or, les kilomètres alimentaires ne sont pas en eux-mêmes un bon indicateur de mesure de l impact environnemental. Ils ne répondent pas non plus aux enjeux mondiaux du développement durable, qui nécessitent des arbitrages équilibrés entre coûts et bénéfices environnementaux, sociaux et économiques. Pour y parvenir, le calcul de l impact total des consommateurs d aliments sur le carbone et l énergie devrait associer les données du transport aux données totales de production, transformation, distribution et préparation des repas et les peser vis-à-vis de choix alternatifs. Le coût environnemental total nécessiterait le calcul d un ensemble d éléments complémentaires, dont la déforestation, la destruction des habitats, l utilisation de l eau et d autres émissions. Pour des chaînes logistiques à l échelle mondiale, les calculs deviennent encore plus complexes, par exemple lorsqu on met en balance l impact environnemental des consommateurs britanniques et les moyens de subsistance des populations rurales africaines. Le Protocole de Kyoto reconnaît le besoin d équité et de croissance économique pour les pays en développement dans la transition vers un avenir sobre en carbone. L «espace écologique» est un indicateur d équité lié aux émissions d un pays : plus elles sont importantes, moins il PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008 15

reste d espace écologique pour investir dans de nouvelles activités économiques. Au Royaume-Uni, les émissions annuelles par habitat sont de 9,2 tonnes, comparées à 0,2 tonnes au Kenya et 0,1 tonne en Ouganda. Les pays d Afrique subsaharienne ont des «réserves» considérables d espace écologique comparés aux pays auxquels ils exportent ; ils devraient pouvoir les utiliser ou investir dans la production de fruits et légumes frais. En outre, l empreinte carbonique du Royaume-Uni a une origine principalement nationale. Les avantages socio-économiques de ce commerce pour l Afrique sont substantiels. Plus d un million de moyens de subsistance dans les zones rurales dépendent en partie de la consommation britannique de fruits et de légumes frais importés d Afrique. Plus de 100 000 emplois des zones rurales d Afrique subsaharienne sont liés à ces exportations. L intérêt légitime pour les produits locaux et les «kilomètres alimentaires» ne doit pas obligatoirement jouer contre les intérêts des pays en développement. Il est clair que les consommateurs, les responsables politiques et les entreprises de la chaîne alimentaire devraient fonder leurs décisions sur des informations solides. PDG de Tesco, a évoqué le besoin de mettre en balance les «kilomètres équitables» et les «kilomètres alimentaires», en admettant qu il y aurait des «choix difficiles» à faire. «Nous pourrions dire «on arrête toute importation par avion». Et pourtant, des producteurs qui comptent parmi les plus pauvres du monde mettent leurs marchandises sur le marché par avion». Tesco s est engagé à accroître le commerce avec le Kenya, abandonnant son projet d étiquetage du transport aérien et, en juin, Marks & Spencer a assuré les producteurs agricoles kenyans que les importations de fruits et de légumes frais se poursuivraient. En même temps, Co-operative Retail s est engagé à réduire les émissions carboniques, «mais jamais au dépens des plus pauvres de la planète». Le débat sur les kilomètres alimentaires rentre dans la démarche élargie du «cycle de vie carbonique» d un produit, de la semence à l assiette. A partir de là, Carbon Trust et l organisme normalisateur British Standards Institute mettront au point une nouvelle norme pour mesurer l empreinte carbonique des produits. La portée de l exercice n est pas encore précisée, mais il est improbable qu il comprenne des considérations environnementales telles que la déforestation ou la destruction d habitats. En Europe, les grandes surfaces britanniques sont des acteurs importants, pionniers de nombreuses innovations techniques. Il est souhaitable que les distributeurs d autres pays suivent en évitant des réactions réflexes ou des solutions partielles. Les décisions devraient prendre forme à partir des enseignements tirés en tenant pleinement compte de l ensemble des impacts environnementaux du «cycle de vie carbonique» des aliments et des enjeux du développement durable. L intérêt légitime pour les produits locaux et les «kilomètres alimentaires» ne doit pas obligatoirement jouer contre les intérêts des pays en développement. Il est clair que les consommateurs, les responsables politiques et les entreprises de la chaîne alimentaire devraient fonder leurs décisions sur des informations solides. S il faut arbitrer entre des dommages environnementaux et des gains de développement, l ensemble du contexte doit être examiné de façon approfondie, c est-à-dire que l importance du dommage doit être considérée dans le contexte de l utilisation actuelle de l espace écologique africain, quantifiée et comparée à celle d autres choix alimentaires, et que l importance du gain de développement doit aussi être quantifiée, pour déterminer si les pauvres bénéficient réellement du commerce concerné. Par James MacGregor, Bill Vorley et Ben Garside, du Groupe marchés durables de l Institut international pour l environnement et le développement (IIED). www.iied.org www.agrifoodstandards.net Début 2007, les distributeurs britanniques de produits frais rivalisaient d initiatives écologiques pour faire valoir leur engagement en faveur de l environnement. Tesco et Marks & Spencer ont annoncé que les emballages des produits indiqueraient le transport aérien et qu ils allaient stocker davantage de produits alimentaires locaux. Des ONG du développement se sont associées au ministère britannique du développement international pour appeler à une vue plus équilibrée des choses, un débat plus éclairé et moins de gestes alibis. Le terme «kilomètres équitables» a été forgé. Il ne faut pas négliger les moyens de subsistance de tant d Africains pour des gains environnementaux limités. La reconnaissance des limites du concept de kilomètres alimentaires a été scellée lorsqu en mars 2007, Terry Leahy, 16 PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008

NOURRIR LA PLANÈTE Piller le Pacifique La mondialisation n est pas une bonne nouvelle pour les pêcheries des îles du Pacifique et les populations qui en dépendent, explique Martin Tsamenyi. Nulle part au monde, les effets négatifs de la mondialisation sur la pêche marine n ont été aussi marqués que dans la région des îles du Pacifique, qui comprend des Etats et des écosystèmes comptant parmi les plus petits et les plus vulnérables du monde. Les écosystèmes marins et côtiers de ces Etats insulaires sont extrêmement importants pour la subsistance des îliens du Pacifique, qui en dépendent pour leur nourriture et leur sécurité nutritionnelle. Les pêcheries de thon les plus importantes au monde, d une valeur estimée de 3,1 milliards de dollars environ, se trouvent dans la région. Pour nombre d Etats insulaires du Pacifique, les accords internationaux d accès à la pêche dans leurs zones économiques exclusives (ZEE) représentent la source principale de revenus de l Etat. D autres activités économiques importantes, comme le tourisme, dépendent d un environnement marin sain. Or, en raison de la mondialisation, la région accueille des flottes de pêche du monde entier: Europe, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Asie et Afrique. Il en résulte l octroi hasardeux et sans contrôle de licences de pêche à des bateaux étrangers, une pression sur des mécanismes de gouvernance déjà faibles et la corruption. L accroissement de la pêche étrangère met en danger les principales espèces de thon, notamment l albacore et le thon obèse. Nombre de flottes de pêche lointaines, tant autorisées que non autorisées, tirant profit des insuffisances institutionnelles des Etats insulaires du Pacifique, se sont engagés dans des activités de pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), que ce soit la pêche sans licence, de fausses déclarations et des transbordements non autorisés de captures ou la non activation des systèmes de surveillance et de suivi des bateaux. La mondialisation du secteur de la pêche marine découle de la doctrine de la «liberté des mers», défendue par le juriste hollandais Grotius au 17 e siècle, en vertu de laquelle des bateaux de pêche parcouraient sans réglementation aucune une partie importante des océans. La déclaration des ZEE au titre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982), a accéléré l expansion et la portée des flottes de pêche lointaines au lieu de les ralentir. La disposition du droit de la mer faisant obligation aux Etats côtiers d accorder l accès aux surplus de leur capture autorisée à l intérieur de leur ZEE a permis aux flottes mondiales de circuler librement d une juridiction à une autre. L ouverture des ZEE des Etats côtiers au titre d accords d accès a eu des effets positifs, tels qu un meilleur accès aux technologies de pêche, le renforcement des capacités de pays en développement au moyen de partenariats commerciaux bilatéraux et un accès aux marchés mondiaux pour les produits halieutiques. Le cadre juridique et institutionnel international de la pêche, issu du système des Nations Unies, des organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) et de la pléthore d ONG œuvrant à la protection du milieu marin, a mis en place des normes internationales et de meilleures pratiques de gestion durable de la pêche, y compris l approche de précaution, l approche écosystémique de gestion de la pêche, l assistance technique et le renforcement des capacités des pays en développement. Ces effets positifs de la mondialisation sont contrebalancés par des effets négatifs, notamment sur les écosystèmes marins et la sécurité alimentaire de nombreux pays en développement : subventions préjudiciables, recours à des «pavillons de complaisance» (les navires sont immatriculés dans un pays étranger afin de réduire les coûts opérationnels ou de contourner des réglementations nationales) aboutissant à la pêche INN, accès à des techniques de pêche destructrices à travers le commerce international, «marchandisation» de nouvelles espèces, comme les poissons des récifs, en vue de leur exportation à des restaurants et des aquariums de pays développés. Tous ces éléments ont porté gravement atteinte aux écosystèmes marins et aux ressources alimentaires des populations côtières. La mondialisation et ses effets sur tous les aspects de l activité humaine, y compris la pêche, sont inévitables. Une action concertée d urgence, régionale et internationale, est nécessaire afin de répondre d une façon adaptée aux effets négatifs de la mondialisation, en particulier sur la biodiversité marine et les populations qui en dépendent. La liste prioritaire comprend de nombreux éléments, dont la mise en place d un registre mondial des navires de pêche et des informations plus transparentes sur leurs propriétaires. La lutte contre la pêche INN doit être renforcée sur le plan international, par exemple par l harmonisation des critères INN par les ORGP. La coordination internationale entre les institutions ayant des mandats liés aux océans devrait être améliorée. Des règles doivent être élaborées ou affinées pour assurer la transparence d immatriculation et de la propriété des navires de pêche. Des codes de conduite de bonne gouvernance contribueraient à lutter contre la corruption dans le domaine des pêches. Le renforcement des capacités de gouvernance des pays en développement et la promotion de la gestion participative ou communautaire, notamment pour les pêches côtières, permettrait d amorcer des évolutions nécessaires dans des régions telles que les îles du Pacifique. Nombre de ces activités sont déjà abordées dans des instances régionales et internationales, en particulier par des institutions intergouvernementales. Pour être efficaces, elles doivent être mises en œuvre en partenariat avec l ensemble des acteurs mondiaux de la conservation environnementale. Si des mesures adaptées de contrôle et de sauvegarde sont mises en place, rien n empêche la coexistence de la mondialisation et de la protection de l environnement marin. Martin Tsamenyi est professeur de droit et directeur du Centre national australien de ressources et de sécurité marines, Université de Wollongong, Australie. Il est membre de la Commission du droit de l environnement de l UICN et travaille avec l UICN au projet PROFISH sur l application de la loi, la corruption et la pêche, ainsi qu à des projets sur la pêche océanique dans les îles du Pacifique du Fonds pour l environnement mondial. www.iucn.org/themes/marine PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008 17

Ils ont dit Planète Conservation a rencontré plusieurs membres de l UICN et leur a demandé s ils pensaient que la mondialisation était une bonne ou une mauvaise chose pour l environnement et de quels impacts ils avaient personnellement été les témoins. JAPON PÉROU 18 PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008

FEEDING THE WORLD NEPAL ROYAUME-UNI MALI PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008 19

Reliés à la planète Trois milliards de personnes possèdent à l heure actuelle un téléphone mobile et cette connectivité mondiale présente un énorme potentiel pour agir en faveur de l environnement. Kirsi Sormunen, Vice-président chargé des questions environnementales chez Nokia explique comment.

COMMUNICATION Il n y a guère longtemps, l idée que des millions de personnes pourraient posséder des téléphones mobiles semblait une utopie. Et pourtant, la barre des 100 millions d abonnés a été franchie au milieu des années 90, puis on est passé à 500 millions en 2000, à 3 milliards en 2007 et nous approchons aujourd hui des 4 milliards. La technologie mobile a eu un impact considérable sur la vie de nombreuses personnes, particulièrement dans les pays en développement. L infrastructure du réseau est moins coûteuse et plus facile à construire que la technologie fixe traditionnelle et le réseau a aidé à franchir la brèche numérique en fournissant un outil de communication aux personnes qui vivent dans les zones rurales. D après une étude de la London Business School en 2005, une augmentation de 10 téléphones portables sur 100 personnes dans les marchés émergents se traduit par un accroissement impressionnant de 0,6% du PIB. Il existe aussi des preuves solides que les technologies de l information et de la communication (TIC) et la technologie mobile en particulier, peuvent contribuer à lutter contre le changement climatique. Les nouveaux modes de travail, tels que les vidéoconférences et le travail à domicile diminuent la nécessité de se déplacer, ce qui contribue à réduire les émissions de CO2. Les téléphones portables ne sont plus seulement un téléphone et deviennent des outils à usages multiples : réveil, radio, caméra vidéo, appareil photo, lecteur MP3, système de navigation. Regrouper plusieurs produits en un et remplacer les produits matériels par des octets, être en mesure par exemple de télécharger de la musique ou d autres services représente un gain en efficacité à la fois du point de vue matériel et du point de vue de l énergie. En outre, cette technologie est source d une plus grande efficience énergétique, dans la mesure où les habitations, les bureaux et les transports ont un meilleur rendement énergétique. Il y a actuellement, dans notre secteur, une série d initiatives visant à augmenter le potentiel qu ont les TIC de réduire la consommation d énergie. On peut mentionner notamment le rapport de la «Global e-sustainability Initiative» et du «Climate Group» sur le rôle des TIC dans le changement climatique, à paraître cette année. Nokia a la chance de faire partie d un secteur économique à faible empreinte écologique. Cela étant, notre position de leader exige de nous de la responsabilité. Nokia est reconnue comme l une des plus grandes marques mondiales, avec plus d un milliard d usagers de nos téléphones portables à l heure actuelle. Nous avons un grand rayonnement mondial grâce à nos services opérationnels et nos chaînes de production. Nous voulons compter parmi les meilleurs en matière de performance environnementale et offrir des produits et des solutions permettant des choix durables. Notre démarche environnementale est fondée sur le principe du cycle total de vie du produit ; elle fait partie intégrante de l ensemble de nos activités. Inclure des composantes environnementales peut s avérer un moteur d innovation, comme l a récemment prouvé le lancement d un téléphone portable dont la coque est en partie composée de plastiques biodégradables et dont le chargeur utilise un minimum d énergie en position de veille, l emballage de présentation étant petit et compact. Étant donné que nos activités s orientent de plus en plus vers les logiciels et les services, nous sommes en train d explorer différentes voies qui permettraient à la technologie mobile de contribuer davantage au développement durable. Cela commence par des mesures très simples, comme un signal de rappel sur tous nos téléphones indiquant de débrancher dès que la batterie est chargée. Si tous les utilisateurs de téléphones portables Nokia y pensaient, cela génèrerait une quantité d énergie capable d alimenter en électricité 150 000 foyers en Europe! Un nombre croissant de téléphones mobiles vendus offrent également l accès à internet, ce qui ouvre de nombreuses possibilités. Sur l un de nos derniers modèles, vous pouvez déjà télécharger un catalogue environnemental qui contient des conseils écologiques, et vous pourrez prochainement compenser les émissions de CO2 d un vol que vous prendrez, grâce à votre téléphone portable. Un outil d apprentissage téléchargeable sur les questions environnementales est déjà disponible en Chine et le WWF a lancé une campagne intitulée «Stop Climate Change» (Arrêtez le changement climatique) en utilisant des bandeaux publicitaires mobiles. Ces deux applications ont été accueillies très favorablement parmi les utilisateurs de mobiles. Une initiative similaire a été lancée en mars par l UICN et le WWF avec le soutien de Nokia : il s agit de la communauté en ligne «connect2earth» qui ouvre une nouvelle voie dans la sensibilisation environnementale, au moyen de la téléphonie mobile. Nous avons tous vécu, pendant longtemps, bien au-dessus des capacités écologiques réelles de notre planète et sommes maintenant confrontés à de grands problèmes environnementaux en matière de biodiversité, de rareté de l eau et de réchauffement climatique. Les pouvoirs publics, les organisations et les citoyens doivent tous agir maintenant pour y répondre. En dernière instance, ce sont toutefois les décisions que nous prenons et les choix que nous faisons, en notre qualité de dirigeants et de personnes à titre individuel, qui comptent. Ensemble nous pouvons tous apporter notre grain de sable à la solution et faire en sorte que les choses bougent vraiment. La technologie mobile peut jouer un rôle important en permettant et en favorisant des choix durables. www.nokia.com/environment connect2earth L UICN et le WWF ont lancé en mars une communauté verte en ligne pour les jeunes connect2earth un site web où les jeunes peuvent s exprimer sur les questions environnementales. Avec le soutien de Nokia, connect2earth utilise les toutes dernières technologies pour permettre aux internautes de télécharger des textes, mais aussi des vidéos et des photos prises avec leurs téléphones mobiles ou appareils photos. Il y a un espace réservé pour donner une note ou déposer des commentaires sur les présentations des autres jeunes. Chaque mois, les utilisateurs votent et le gagnant reçoit un téléphone portable Nokia de dernière génération. À la fin du concours, en août, un gagnant du grand prix sera sélectionné, sur une liste de finalistes établie d après le classement général obtenu, par un jury d écologistes distingués du monde entier. Le gagnant (ou la gagnante) sera invité à se rendre à Barcelone où il (ou elle) présentera ses idées à des écologistes, des dirigeants du monde entier et des personnalités du monde des entreprises, lors du Congrès de la nature de l UICN en octobre prochain. www.connect2earth.org PLANÈTE CONSERVATION MAI 2008 21