Dossier Réalisé par le Théâtre National de Strasbourg

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Transcription:

Dossier Réalisé par le Théâtre National de Strasbourg

DOM JUAN De Molière Mise en scène Julie Brochen [Du 13 au 16 Mars] mardi et vendredi 20h30 mercredi et jeudi à 19h00 DURÉE : 2h00 [Rencontre avec l équipe artistique jeudi 15 à l issue de la représentation] Contact : Amandine Polet 03 81 88 90 74 / amandine.polet@nouveautheatre.fr

DOM JUAN Création avec les comédiens de la troupe du TNS De Molière Mise en scène Julie Brochen Lumières Olivier Oudiou Scénographie Julie Brochen et Marc Puttaert Costumes Thibault Welchlin Maquillages, coiffures Catherine Nicolas Direction musicale et vocale Françoise Rondeleux Piano Loïc Herr Assistanat à la mise en scène Élodie Vincent Élèves du groupe 39 Amélie Enon (section Mise en scène) et Kévin Keiss (section Dramaturgie) Les réalisations des accessoires, des costumes et du décor sont réalisés par les Ateliers du TNS. Avec Muriel Inès Amat Elvire, femme de Dom Juan Christophe Bouisse Dom Alonse, frère d Elvire Fred Cacheux Dom Carlos, frère d Elvire Jeanne Cohendy Charlotte, paysanne Hugues de la Salle Monsieur Dimanche, marchand Julien Geffroy La Ramée ; Gros Lucas ; Franscisque, pauvre Antoine Hamel Pierrot paysan Ivan Herisson Sganarelle, valet de Dom Juan Mexianu Medenou Dom Juan, fils de Dom Louis Cécile Péricone Gusman ; Une suivante d Elvire ; La Statue du Commandeur André Pomarat Dom Louis, père de Dom Juan Hélène Schwaller Mathurine, paysanne et Amélie Enon, Loïc Herr, Kévin Keiss et Élodie Vincent Dom Juan passe de femme en femme, et n'est fidèle qu'à un principe : son refus de se «lier». Pour Julie Brochen, Dom Juan n'est pas un simple séducteur, il revendique son anticonformisme. Homme d'esprit plus que de chair, il vit son absolu besoin de liberté à la fois comme une vision politique et comme un jeu. Penser «autrement» est dangereux, il le sait. L'espace représente une écurie. De la terre, du bois, du fer, un univers de «poids», d'où l'abstraction doit naître. Cette création réunit les comédiens de la troupe du TNS ainsi que d'autres acteurs et des élèves du groupe 39 de l'école.

NOTE D INTENTION L Insoumis Dom Juan est, pour moi, avant tout, un insoumis. Son héritage, c est le devoir de calquer sa conduite et sa pensée aux normes de son temps ce à quoi il va se refuser obstinément, jusqu à la mort. Dom Juan est jeune, entier, borné dans sa position qui consiste justement à «dépasser les bornes». Cela me fait penser à une phrase de Brecht : «On dit d un fleuve emportant tout qu il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l enserrent.» Ainsi, Dom Juan peut paraître «inexcusable» jusqu à l arrivée de Dom Louis, son père. C est une confrontation d une violence inouïe. Dans cette scène, Dom Juan perd complètement l usage de la rhétorique. Quel est l espace de liberté pour Dom Juan? Tout semble avoir été fait avant lui. Tout le renvoie à une «perfection» dans laquelle il devrait avoir la chance de s inscrire, et son chemin autant que ses habits devraient être la gageure d une continuité. Mais il se refuse à cet héritage sans espace, et prend le parti du présent, du mouvement. Au blanc, il oppose le noir, au noir, le blanc. Il cultive un besoin de confrontation maladif avec tout ce qui semble «établi». Il est jeune, et veut trouver «sa» place, et ne pas seulement être un portrait figé dans une époque qu il juge hypocrite et statufiée dans des comportements et des postures stériles. Molière, quand il écrit Dom Juan, sort de Tartuffe, pièce interdite. Il sait ce que sont les relations d influence et de pouvoir. On le sent habité par la colère, le dégoût du «bien pensant» et de la censure. Ce n est pas un hasard si les premiers mots de la pièce font l éloge du tabac : son usage avait été condamné par Louis XIII et les dévots, et en 1642 le pape l avait interdit (la fumée sortant du nez et de la bouche le faisant s apparenter à la figure du diable). Molière utilise Sganarelle et l écran de la «comédie» pour se jouer de la sottise des apparences et de l hypocrisie. Dans la scène où Sganarelle est déguisé en médecin, il montre que c est «l habit qui fait le moine» ; il s en amuse autant qu il le déplore. Sganarelle est drôle parce qu il est angoissé. Il cherche à s appuyer à des «repères» face à un réel sans cesse en mouvement et qui lui échappe. C est une sorte de «clown» ou «bouffon» triste. Il est aussi pitoyable qu optimiste, dans un monde qui ressemble à un radeau à la dérive et qui se nie comme tel. Sganarelle provoque, certes, mais pour amener Dom Juan à se ranger à la pensée et aux usages communs. En vérité, les rôles sont inversés : le «vrai bouffon», celui qui bouleverse les codes et les comportements, c est Dom Juan. Par ses sarcasmes, son refus de se soumettre, il provoque Sganarelle et la société entière et dénonce, à travers lui, la pauvreté des «cases» dans lesquelles il se sent enfermé. Le monde est un échiquier où Dom Juan se refuse à être un simple pion. Il s y autoproclame roi et veut livrer bataille, partir à la conquête d espaces nouveaux. Ainsi, il remet tout en question : le mariage, la filiation, la foi. Dans tous les domaines, il refuse «l unique». Il est beaucoup question du «Ciel», mais la foi est partout présente comme une création humaine, un mot sans cesse invoqué comme outil d asservissement, qui ne promet rien d autre qu une condamnation. Dans la scène avec le pauvre, Dom Juan oppose à la foi l amour de l humanité. C est une scène magnifique, qui me renvoie à l idée que Molière devait se trouver dans une grande solitude de pensée, et avoir peur de la mort en tant qu écrivain et homme. Il devait «jouer serré», étant parfois, pour survivre, obligé de céder à la menace (la scène du pauvre, justement, sera longtemps censurée). Dom Juan, lui, ne cède pas et joue la partie jusqu au bout. Car c est bien de jeu dont il est question. Pour moi, la statue n a rien d un signe divin. Elle est animée par un esprit de revanche. C est une partie d échecs où deux forces s affrontent. Toute une armée se met en place face à Dom Juan, pour que la «belle» ait lieu.

Je souhaite que cette idée soit présente dans la scénographie. Il n y aura pas, à proprement parler, d échiquier. Mais le plancher sera peint de motifs noirs et blancs. Il apparaîtra par moments seulement, car il sera recouvert d une terre épaisse, lourde. L ensemble de l espace évoquera une écurie. De la terre, du bois, du fer. Je veux que les personnages soient salis, empêtrés parfois. Les costumes évoqueront le XVIIe, mais sans réalisme, plutôt comme un ensemble d images, de codes qui survivent à l historicité. Je pense à Jérôme Bosch, à Bacon, à des silhouettes primitives et instables. Des corps comme des «gueules». Le tout devra rendre compte de la brutalité de la querelle des passions. La pièce est remarquablement construite. Ce qui me frappe, c est qu à partir du départ de Dom Louis, tout est déstructuré. Ne restent que des lambeaux de rapports, à mesure que le danger grandit. Et l échec final est un constat froid, précipité, sans tonitruance. Un couperet. C est cela qui est effrayant : le soudain silence de Dom Juan. Le vide. Le retour à la norme. Pour moi, Dom Juan raconte le péril d un naufrage collectif, au milieu duquel sa parole est une bouée. Chaque spectacle est une expérience en soi, une tentative : celle de réunir la troupe du TNS et les élèves sortant de son École a, pour moi, une portée symbolique ; celle de réaffirmer haut et fort la double identité du TNS comme seul Théâtre national décentralisé et lieu de formation unique. C'est en ce sens que j ai proposé à l ensemble du groupe 39, le premier recruté à mon arrivée, de faire partie de la création de Dom Juan. Ainsi, certains d entre eux ont choisi de nous suivre et de croiser l histoire de la troupe. André Pomarat et Hélène Schwaller ont décidé eux aussi de continuer à écrire avec nous ce nouveau répertoire. La figure du père devient elle-même symbolique, car André Pomarat Dom Louis, issu du groupe 1 de l École, sera face à Mexianu Medenou Dom Juan son fils, élève du groupe 39. Quarante ans d École au centre du processus même de recherche, au coeur du travail lui-même. Relire Dom Juan avec le regard neuf, audacieux de nos apprentissages croisés. J ai bataillé des années avec le Discours de la méthode, parcours obligé des étudiants en philosophie de la Sorbonne et je le retrouve aujourd hui en socle d'une réflexion sur la connaissance, sur la liberté de jugement, contenues dans la pièce et dans le rôle de Dom Juan. Au-delà du côté parjure et blasphématoire qui n est pas pour me déplaire, la témérité et l audace de Molière me renvoient constamment à l École, à son irrévérence provocante, à son instabilité, son insatiabilité, sa jeunesse. Dom Juan est un esprit nouveau, irréductible qui aime à échapper à toute règle énoncée, à jouer avec les nerfs, avec la sensualité, avec la morale, avec la vie même. Il incarne d une certaine façon le danger d être en vie. Julie Brochen, décembre 2010

«La constance n est bonne que pour des ridicules.» Acte I, scène 2 TROIS QUESTIONS À MEXIANU MEDENOU Posées par Thomas Flagel Poly Mars-avril 11 Comment avez-vous mené votre questionnement sur le background de Dom Juan? J'ai du mal à le trouver, je tâtonne. On se demande pourquoi il se comporte ainsi. Sa mère, par exemple, n'est pas dans la pièce. Pour moi, elle est morte, même si on ne le sait pas, et son rapport à elle fait qu'il en est là aujourd'hui. Je m'invente des pistes. Je suis aussi pris par ce que j'ai déjà vu et entendu sur Dom Juan. J'amène une noblesse de jeu malgré moi, alors que j'aimerais être plus détaché du romantisme. Le rendre plus concret, plus moderne. La perception populaire du personnage est celle d'un séducteur libertin alors qu'il est tout autant un impertinent provocateur renversant les codes sociaux... Il choisit la liberté, sans se soucier des autres. Peu lui importent les répercussions. Il est fidèle à lui-même, infidèle aux autres. Ce n'est pas tant un séducteur, mais il est à l'affût. Il cherche à s'amuser, provocant Sganarelle comme on embête son petit frère. Lui vit libre, se joue de tous car il se sait condamné. Il croque la vie à pleines dents. Il aime la beauté qui se dégage des femmes au moment où elles s'abandonnent. Ce moment l'excite. Une fois obtenu, il les délaisse, ce n'est pas Casanova. Dom Juan est poursuivi par les frères d'elvire. Vous travaillez sur la traque, l'urgence de vivre et d'échapper : à lui-même, au monde, à Dieu? Oui, comme aux questions métaphysiques qu'il a dû se poser avant de les mettre de côté. Il a tué le Commandeur au cours d'un duel pour l'honneur. Il ne se défile jamais et en même temps, en le tuant, il a peut-être perdu quelque chose de lui.

RÉSUMÉ DE LA PIÈCE ACTE I Gusmon, écuyer de Done Elvire, converse avec Sganarelle, valet de Dom Juan. Il ne comprend pas que Dom Juan ait abandonné Done Elvire, qu'il avait épousée après l'avoir enlevée du couvent. Sganarelle, désinvolte, répond aux interrogations de Gusman. Il lui enlève ses illusions et esquisse un portrait de son maître, libre penseur, "grand seigneur méchant homme" et "épouseur à toutes mains". Arrive Dom Juan : il confie à Sganarelle que seule la conquête l intéresse. Il évoque l inconstance de l amour et dévoile à son valet le secret de son propre caractère : il ne peut s'attacher à aucune femme, et rêve, tels les grands conquérants, de succès sans cesse recommencés. Le voici libre de se lancer dans une nouvelle "entreprise amoureuse" : il s'agit d'enlever une belle, au cours de la promenade en mer que lui offre son fiancé. Mais survient Elvire, douloureuse et indignée. Elle reproche à Dom Juan sa trahison et lui demande des comptes. Dom Juan se réfugie dans une impudente hypocrisie et lui répond avec le cynisme le plus odieux. Elvire appelle sur lui la punition du ciel et le quitte en le menaçant de sa vengeance. Dom Juan, impassible, s apprête à mener à bien "l entreprise amoureuse" dont il a parlé à Sganarelle. ACTE II Dom Juan a échoué dans son entreprise amoureuse. Alors qu il souhaitait enlever la jeune fille en mer, une bourrasque a retourné sa barque. Il n a été sauvé que grâce à l intervention de Pierrot, un paysan. Pierrot et Charlotte discutent de ce sauvetage. Le jeune homme raconte comment il a sauvé du naufrage un grand seigneur magnifiquement vêtu. Mais cet accident n a pas tempéré les ardeurs de Dom Juan. A peine remis de ses émotions, Il fait les yeux doux à une jeune paysanne, Mathurine. Pierrot sort et Dom Juan entre en scène. Il entreprend de séduire Charlotte et lui promet le mariage. Charlotte, un moment hésitante se laisse gagner par l'ambition de devenir une noble dame. Pierrot, de retour, trouve Dom Juan baisant la main de Charlotte. Il se fâche, s interpose mais doit vite quitter la scène sous les soufflets de celui qu il vient pourtant de sauver de la noyade. Sganarelle essaye de s'interposer et reçoit quelques gifles qui ne lui étaient pas destinées. Dom Juan fait la cour à Charlotte. Mathurine, la jeune paysanne qu il a séduite précédemment, apparaît. Les deux paysannes se jettent l'une à l'autre les promesses de mariage que Dom Juan leur a faites. Le séducteur tente de persuader chacune d'elles qu'elle est la seule aimée. Un valet vient prévenir Dom Juan que des hommes armés sont à sa recherche. Il prend la fuite. ACTE III Dom Juan, en habit de campagne et Sganarelle, en robe de médecin, font route à travers la forêt. Dom Juan confie à Sganarelle son scepticisme sur la médecine. Elle est selon lui un tissu d'absurdités. Il lui indique aussi qu'il ne croit pas plus en Dieu qu'à la médecine. Sganarelle, scandalisé une fois de plus, tente de démontrer l'existence de Dieu. En vain. Les deux hommes se sont égarés. Ils demandent leur chemin à un pauvre homme qui leur indique le chemin de la ville. L homme leur fait l aumône. Dom Juan lui donne une pièce d'or " pour l'amour de l'humanité". Dom Juan entend des bruits d épée. Il porte secours et sauve un gentilhomme attaqué par trois voleurs. Il s agit de Dom Carlos, l'un des frères d'elvire parti à sa poursuite. Les deux hommes, qui ne se connaissent pas, ne prennent pas conscience de l'incongruité de la situation. Dom Alonse, un autre frère d Elvire les rejoint. Lui, reconnaît Dom Juan l'ennemi de leur famille. Dom Carlos persuade son frère de remettre à plus tard la vengeance contre un homme qui vient si généreusement de lui sauver la vie. Dom Juan promet à Dom Carlos d'être à ses ordres quand il le souhaitera. Demeurés seuls, Dom Juan et Sganarelle aperçoivent, entre les arbres, le tombeau d'un Commandeur. Il s agit du commandeur

que Dom Juan a tué en duel six mois auparavant. Celui-ci, par bravade, invite la statue du défunt à dîner. La statue incline la tête et indique ainsi qu elle accepte l invitation. ACTE IV Le soir même, Dom Juan, rentre chez lui, et attend son dîner. Se succèdent chez lui une foule d importuns : M. Dimanche, son créancier. Dom Juan couvre l intrus de tant de compliments que celui-ci n a pas le temps de réclamer son dû. Arrive ensuite Dom Louis, père de Dom Juan, qui reproche à son fils sa conduite déshonorante. Dom Juan ne manifeste vis-à-vis de son père qu'une froide insolence. Puis c est le tour d Elvire. Touchée par la grâce, elle demande à Dom Juan, avant de retourner au couvent, de renoncer au vice et de se convertir en Dieu. Vaine intervention. Dom Juan est pourtant séduit par la jeune femme et a beaucoup de difficultés à la laisser partir. Dom Juan se met enfin à table, mais il a oublié son invité : la statue du Commandeur. Elle invite Dom Juan à dîner le lendemain. ACTE V Revirement de situation. Dom Juan annonce à son père qu il s est converti. Le vieil homme est touché par cette nouvelle et s'en félicite. Sganarelle, lui aussi se réjouit de la nouvelle. Mais Dom Juan le détrompe vite et lui indique que ceci n est que pure hypocrisie. Dom Carlos, le frère d Elvire, vient donner ses ordres à Dom Juan, en lui demandant de rester fidèle à sa soeur. Dom Juan se retranche derrière sa supposée conversion. Dom Juan est allé trop loin. Le ciel décide de donner une ultime chance à cet effronté : une femme voilée, ayant l allure d un spectre et la voix d Elvire, demande à Dom Juan de se repentir. Dom Juan veut frapper le spectre, mais celui-ci s évanouit. Dom Juan a laissé passer sa dernière chance. Surgit alors la statue du Commandeur. Elle rappelle à Dom Juan la promesse qu il lui a faite : partager avec elle son repas. Elle entraîne Dom Juan dans les abîmes de la terre, en enfer. Sganarelle, resté seul, réclame, en vain, ses gages. Tiré du site internet www.alalettre.com

PRÉSENTATION DES PERSONNAGES DANS LA MISE EN SCÈNE DE JULIE BROCHEN Dom Juan : dans la mise en scène de Julie Brochen, Dom Juan est joué par Mexianu Medenou, élève du groupe 39 de l Ecole du TNS. Il incarne à la fois l insolence de la jeunesse et de la beauté. Tout en élégance, en nonchalance mais de manière ferme, Dom Juan est celui qui repousse sans cesse les limites de la société, de la morale. Pour Mexianu Medenou, Dom Juan est fidèle à lui-même, infidèle aux autres. Il brouille les cartes. C est un Jacques Dutronc puissance mille! Pas un gentleman cambrioleur ou un «j aime les filles» un peu dandy, mais quelqu un qui retourne sa veste ostensiblement, en le disant droit dans les yeux! (Julie Brochen citée dans Poly, mars-avril 2011). Sganarelle : valet de Dom Juan, il le suit dans tous ses déplacements. Sganarelle est un personnage angoissé, pétri de contradictions : il tente toujours de faire revenir son maître sur le droit chemin mais reste curieux de vivre par procuration les aventures de Dom Juan. Dom Louis : père de Dom Juan. C est un gentilhomme qui déplore les agissements de son fils et considère que ce dernier fait honte à son nom. Il espère de Dom Juan sa rédemption et sa conversion à la religion, en vain. Ce personnage essentiel apparaît à deux reprises seulement mais dans des scènes de grandes tensions. Après l orgueil blessé révélé à l acte IV, sa tendresse l emporte à l acte V après la feinte conversion du fils. Elvire : Dom Juan vient de l épouser quand la pièce commence. Elle incarne à elle seule toutes les femmes séduites par Dom Juan. Après l avoir enlevée d un couvent, Dom Juan renonce à elle. Elle réapparaît à l acte IV pour essayer de le sauver. Selon Louis Jouvet, cette figure totalement tragique peut être une représentation de la Vierge Marie. Julie Brochen y voit plutôt une jeune fille socialement excisée et pour Muriel Inès Amat, Elvire n est que dans l amour, de Dieu ou de Dom Juan, et elle découvre brutalement le désespoir et l humiliation par la faute de ce dernier. (citées dans Poly, mars-avril 2011). Dom Carlos : frère d Elvire, il se lance à la poursuite de Dom Juan pour venger sa soeur. Attaqué par trois voleurs, Dom Juan, dont le visage est méconnu de Dom Carlos, lui porte secours. Dom Alonse : second frère d Elvire, c est lui qui reconnaît Dom Juan. Gusman : valet d Elvire. Charlotte : jeune paysanne, fiancée de Pierrot, séduite par Dom Juan et à qui il promet le mariage. Mathurine : jeune paysanne séduite par Dom Juan à qui il promet également le mariage. Pierrot : paysan, fiancé de Charlotte, qui sauve Dom Juan de la noyade. Gros Lucas : Ami de Pierrot, cité par Molière. Julie Brochen confie ce rôle au comédien qui joue également La ramée et le pauvre. Monsieur Dimanche : créancier de Dom Juan. Le pauvre : mendiant.

La statue du commandeur, le spectre et la femme voilée : rôles pris en charge par la même comédienne. PHOTOS DE RÉPÉTITIONS Photographe : Franck Beloncle Première répétition à la table lundi 24 janvier 2010 Passage au plateau

Répétitions chant et musique - extraits du Requiem de Mozart en ré mineur - extraits de Monteverdi (1567-1643) - extraits de Thomas Tallis (1505-1595) - extraits de Giacinto Scelsi (1905-1988) Répétitions scènes d escrime

AUTOUR DU PLATEAU COSTUMES Le travail du costumier à l épreuve du texte Dans la pièce, Molière donne à plusieurs reprises des indications concernant la mode vestimentaire au XVIIème siècle. Elles n apparaissent pas dans des didascalies mais sont directement prises en charge par les personnages. Sganarelle décrit à l acte I scène 2 les habits de son maître : Pensez-vous que pour être de qualité, pour avoir une perruque blonde et bien frisée, des plumes à votre chapeau, un habit bien doré, et des rubans couleur de feu (ce n est pas à vous que je parle, c est à l autre), pensez-vous, dis-je, que vous en soyez plus habile homme, que tout vous soit permis, et qu on n ose vous dire vos vérités? Pierrot, le paysan, parle avec étonnement des vêtements que portent les gens de haute société (Acte II scène 2) : Nannain, ils l avont r habillé tout devant nous. Mon quieu, je n en avois jamais veu s habiller, que d histoires et d angigorniaux bouton ces Messieus-là les Courtisans, je me pardrois là-dedans pour moy, et j étois tout ébobi de voir ça. Quien, Charlotte, ils avont des cheveux qui ne tenont point à leu teste, et ils boutont ça aprés tout comme un gros bonnet de filace. Ils ant des chemises qui ant des manches où j entrions tout brandis, toy et moy. En glieu de d haut de chausse, ils portont un garderobe aussi large que d icy à Pasque, en glieu de pourpoint, de petites brassieres, qui ne leu venont pas usqu au brichet, et en glieu de rabas un grand mouchoi de cou à reziau avec quatre grosses houpes de linge qui leu pendont sur l estomaque. Ils avont itou d autres petits rabats au bout des bras, et de grands entonnois de passement aux jambes, et parmy tout ça tant de rubans, que c est une vraye piquié. Igna pas jusqu aux oreilles qui n en soiont farcis tout de pis un bout jusqu à l autre, et ils sont faits d eune façon que je me romprois le cou aveuc. Comment le costumier s empare-t-il des indications de l auteur dans son travail de recherche et création? Doit-il suivre le texte à la lettre et simplement l illustrer? Comment peut-il s en inspirer? Comment peut-il s en éloigner? Bien évidemment, chaque création est singulière et s élabore en collaboration avec le metteur en scène. Les costumes ont été conçus par Thibaut Welchin. Plus d une vingtaine de silhouettes ont été réalisées à l atelier de costumes du TNS sous la direction d Elisabeth Kinderstuth. Le mot «silhouette» désigne un costume dans son ensemble (pourpoint, culotte, chemise ) et les accessoires qui l accompagnent (bijoux, chaussures ).

Documents qui ont servi de fil rouge à la recherche et à la création des costumes de Dom Juan Robe exposée au Musée d Art brut de Lausanne Détail d un costume français du XVIIème siècle brodé d or

Étape de création du costume de Dom Louis Source : photo d un costume du XVIIème siècle

La réalisation de la couronne a été confiée à Daniel Cendron Source d inspiration : La Madone de Séville Présentation et recherche de costume au plateau avant finalisation

SCÉNOGRAPHIE Sources iconographiques Gravure anglaise, Franc-Maçon, 1754 Écuries de Villeneuve-Lembron, scène de bataille peinte sur la voûte

LE CHEVAL La fabrication aux ateliers de construction du TNS sous la direction d Hervé Cherblanc Sur scène Étude du cheval :

AUTOUR DU MYTHE DE DOM JUAN Milan Kundera, Risibles amours (extrait) La fin des don Juan «Si vous me demandez si je suis un don Juan ou la mort, je dois, bien qu'à contrecoeur, me ranger à l'avis du patron, dit Havel, et il avala une bonne gorgée. Don Juan était un conquérant. Et avec des majuscules, même. Un Grand Conquérant. Mais, je vous le demande, comment voulez-vous être un conquérant dans un territoire où personne ne vous résiste, où tout est possible et où tout est permis? L'ère des don Juan est révolue. L'actuel descendant de don Juan ne conquiert plus, il ne fait que collectionner. Au personnage du Grand Conquérant a succédé le personnage du Grand Collectionneur, seulement le Collectionneur n'a absolument plus rien de commun avec don Juan. Don Juan était un personnage de tragédie. Il était marqué par la faute. Il péchait gaiement et se moquait de Dieu. C'était un blasphémateur et il a fini en enfer. «Don Juan portait sur ses épaules un fardeau tragique dont le Grand Collectionneur n'a pas la moindre idée, car dans son univers toute pesanteur est sans poids. Les blocs de pierre se sont changés en duvet. Dans le monde du Conquérant, un regard comptait ce que comptent, dans le monde du Collectionneur, dix années de l'amour physique le plus assidu. «Don Juan était un maître, tandis que le Collectionneur est un esclave. Don Juan transgressait effrontément les conventions et les lois. Le Grand Collectionneur ne fait qu'appliquer docilement, à la sueur de son front, la convention et la loi, car collectionner fait désormais partie des bonnes manières et du bon ton, collectionner est presque considéré comme un devoir. Si je me sens coupable, c'est uniquement de ne pas prendre Élisabeth. «Le Grand Collectionneur n'a rien de commun ni avec la tragédie ni avec le drame. L'érotisme, qui était le germe de catastrophes, est devenu, grâce à lui, une chose pareille à un petit-déjeûner ou à un dîner, à la philatélie, au ping-pong, ou à une course dans les magasins. Le Collectionneur a fait entrer l'érotisme dans la ronde de la banalité. Il en a fait les coulisses et les planches d'une scène où le vrai drame n'aura jamais lieu. Hélas, mes amis, s'écria Havel d'un ton pathétique, mes amours (si je peux me permettre de les appeler ainsi) sont les planches d'une scène où il ne se passe rien. «Chère doctoresse et cher patron. Vous avez opposé don Juan à la mort, comme les termes d'une contradiction. Par pur hasard et par inadvertance, vous avez ainsi mis en lumière le fond du problème. Regardez. Don Juan bravait l impossible. Et c est cela qui est tellement humain. En revanche, dans le royaume du Grand Collectionneur rien n est impossible, parce que c est le royaume de la mort. Le Grand Collectionneur, c'est la mort qui est venue chercher par la main la tragédie, le drame, l'amour. La mort qui est venue chercher don Juan. Dans le feu infernal où l'a envoyé le Commandeur, don Juan est vivant. Mais dans le monde du Grand Collectionneur où les passions et les sentiments mendiant voltigent dans l'espace comme un duvet, dans ce monde-là, il est définitivement mort. «Allons donc, chère madame, dit tristement Havel, moi et don Juan! Ce que je donnerais pour voir le Commandeur, pour sentir sur mon âme l'atroce poids de sa malédiction, sentir croître en moi la grandeur de la tragédie! Allons donc, madame, je suis tout au plus un personnage de comédie, et même cela ce n'est pas à moi que je le dois, mais justement à lui, don Juan, car c'est uniquement sur l'arrière-plan histori que de sa gaieté tragique que vous pouvez encore saisir, tant bien que mal, la comique tristesse de mon existence de coureur de jupons, existence qui, sans ce repère, ne serait qu'une grisaille banale, un paysage fastidieux.» Milan Kundera, Risibles amours, Edition Gallimard, 1968, pp. 138-140

Dom Juan ou l ambition du conquérant «Enfin il n est rien de si doux que de triompher de la résistance d une si belle personne, et j ai sur ce sujet l ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n est rien qui puisse arrêter toute l impétuosité de mes désirs : je me sens un coeur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu il y eût d autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.» Réplique de Dom Juan, acte I, scène 2 Édition Petits Classiques Larousse, 2006, p. 31 Ödön Horváth, Don Juan revient de guerre (préambule) On ignore si don Juan a jamais vécu en tant que personnage historique. Ce qui est certain, c'est que le type donjuanesque a existé autrefois, et il est clair, par conséquent, qu'il existe et existera toujours. Je me suis donc autorisé à peindre un don Juan de notre époque, puisque notre propre époque nous est toujours plus proche. En apparence, ce don Juan-ci appartient lui aussi au passé, car il est mort pendant la grande époque de l'inflation 1919-1923, à un moment donc où - au sens le plus banal du terme - toutes les valeurs ont été bousculées. Mais en apparence seulement car, d'un point de vue un peu plus élevé, nous vivons toujours l'inflation, impossible de prévoir quand elle s'arrêtera. C'est un fait caractéristique de notre époque que de voir à quel point chaque : individu change en son for intérieur, suite aux catastrophes qui adviennent à l'ensemble des gens. Ainsi don Juan lui aussi revient de guerre et croit être devenu un autre. Il restera pourtant

celui qu'il était. Il ne peut pas faire autrement. Il n'échappera pas aux femmes. L'énigme de don Juan, on a essayé de la résoudre de mille façons, depuis des siècles, mais on ne le peut pas. Le personnage a subi les transformations les plus diverses, de la vision primaire de l'adultère meurtrier et profanateur jusqu'à celle du galant lassé, sous le scalpel psychologique... Dans la tradition et dans la légende, il vit en tant que grand criminel qui, tel une force élémentaire, s'insurge contre les moeurs et les lois. Il est le grand séducteur toujours séduit par les femmes. Toutes lui succombent - mais, et c'est peut-être là l'essentiel, il n'est aimé d'aucune. (C est pourquoi cette pièce ne contient aucune scène d'amour.) Qu'est-ce qui attire donc les femmes chez don Juan? Ce n'est pas seulement la sexualité mâle dont il est sans doute le représentant le plus fort, c'est leur lien avec cette sexualité, particulièrement fort et exclusif. Ce don Juan recherche toujours la perfection, quelque chose donc qui n'existe pas sur terre. Et les femmes veulent toujours lui prouver, et se prouver à elles-mêmes, qu'il peut trouver sur terre tout ce qu'il cherche. Le malheur des femmes est de posséder un horizon terrestre - et c'est seulement quand, effrayées, elles devinent qu'il ne recherche point la vie mais qu'il désire la mort, qu'elles s'écartent de lui, terrorisées. La faute tragique de don Juan est d'oublier toujours ce désir, de le railler même, pour devenir ainsi la victime cynique de ses effets, non sans tristesse d'ailleurs. Ödön Horváth, Don Juan revient de guerre, pièce en trois actes Édition l Arche, 1997, Théâtre complet t. V Traduction de Henri Christophe* pp. 187-188