Décision du Défenseur des droits n MLD-2011-89



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Paris, le 12 janvier 2012 Décision du Défenseur des droits n MLD-2011-89 Vu l article 71-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; Vu la loi organique n 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, Vu la loi n 2011-334 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, Vu les articles 225-1 et 225-2 du Code pénal, Vu l avis du Collège, Saisi, par l intermédiaire d une association et du correspondant local, d une réclamation de Madame X relative à la résiliation d un contrat d assurance automobile et au refus d y substituer un autre contrat, opposés par le courtier en assurances Y, en raison de son appartenance à «la communauté des gens du voyage», le Défenseur des droits, en vue de régler la situation exposée dans la note récapitulative ci-jointe, décide : - de transmettre le dossier au Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de R. ; - d adresser à la Présidente de la CNIL un signalement quant à l existence possible d un fichier élaboré par le courtier Y fondé sur l appartenance des assurés à «la communauté des gens du voyage». Le Défenseur des droits demande à être tenu informé des suites données par la CNIL à ce signalement dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision. Le Défenseur des droits Dominique Baudis

Transmission au parquet dans le cadre de l article 33 de la loi n 2011-333 du 29 mars 2011 1. La haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l égalité (HALDE) a été saisie, le 20 septembre 2010, par l intermédiaire d une association et de Monsieur Z, correspondant local. 2. La réclamation porte sur la résiliation d un contrat d assurance automobile et le refus d y substituer un autre contrat, qui ont été opposés à Madame X en raison de son appartenance à «la communauté des gens du voyage». 3. Depuis le 1 er mai 2011, conformément à l article 44 de la loi organique n 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, «les procédures ouvertes par [ ] la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité [ ] se poursuivent devant le Défenseur des droits». FAITS 4. Madame X fait partie de «la communauté des gens du voyage». Elle est assurée pour son véhicule auprès de la Société Y. Sur sa demande, une association dédiée aux gens du voyage a cherché, le 7 septembre 2010, à faire reporter la garantie relative à ce véhicule sur un autre véhicule automobile dont elle est propriétaire. 5. Dans un courrier daté du 7 septembre 2010, Madame B., responsable du Service concerné de la Société Y, répond que son service sera contraint de résilier le contrat actuel la liant à Madame X, s il est confirmé qu elle appartient à «la communauté des gens du voyage» (pièce n 1). 6. En effet, elle explique qu elle n est pas enregistrée dans le cadre des contrats dédiés aux gens du voyage. En outre, elle précise qu il ne pourrait «pas prendre en garantie le nouveau véhicule car il s agit d un véhicule léger, véhicule exclu pour notre contrat gens du voyage en tant que premier véhicule». 7. Confirmation faite, la compagnie d assurance informe, dans un courrier du 8 septembre 2010 (pièce n 2), Madame X de la résiliation de son contrat d assurance dans les termes suivants : «après confirmation [ ], nous apprenons donc que vous faites partie de la communauté des gens du voyage. Or le contrat qui assure votre [véhicule] ne garantit pas les personnes de votre communauté, élément que vous avez omis de nous déclarer lors de la souscription de votre contrat. Aussi nous sommes au regret de vous informer que nous sommes contraints de résilier votre contrat actuel ( ) puisque nous sommes en exclusion sur ce produit [ ]. Nous avons dans notre catalogue de produits, un contrat spécial Gens du Voyage pour des véhicules utilitaires ou des véhicules avec attelage. Malheureusement le nouveau véhicule que vous nous demandez d assurer ne possède pas d attelage, nous n avons donc pas de solutions à vous proposer pour vous assurer». PROCEDURE D ENQUETE 8. Une avocate a répondu à l enquête au nom et pour le compte de la société morale Y, de son dirigeant et de Madame B, responsable du service concerné de la Société Y qui est la signataire du courrier litigieux du 8 septembre 2010. 9. En réponse à la notification des griefs adressée par les services de la HALDE au PDG de la société Y et à sa salariée, l avocate précise, par courriers du 30 mars et du 31 mai 2011 (pièces n 3 et 4), que la société Y n est pas une compagnie d assurance mais un courtier.

10. Agissant en qualité d intermédiaire entre les compagnies d assurance et les assurés, elle indique respecter les critères de souscription imposés par lesdites compagnies. Elle proposerait aux clients appartenant à «la communauté des gens du voyage» des contrats d assurance spécifiques élaborés par certaines compagnies d assurance. 11. L avocate indique que la société Y n est toutefois «pas décisionnaire s agissant de la création ou la suppression des offres d assurances ni même s agissant des critères d ouverture aux assurés des différents contrats d assurances qu elle propose en sa qualité de courtier-grossiste. Elle ne fait qu appliquer les critères imposés par les compagnies». 12. A cet effet, l avocate transmet l annexe technique n 3 au protocole de délégation de souscription et de gestion des contrats automobiles signée entre Y et une compagnie d assurance (aux droits de laquelle intervient désormais la compagnie A.) en date du 6 août 2009 ( 1 ). 13. Contrairement à ce qu affirme l avocate, l appartenance à «la communauté des gens du voyage» ne figure pas parmi les conditions d exclusion prévues par le contrat. Ce sont «les forains» qui en sont expressément exclus. En outre, le contrat indique que les personnes sans domicile fixe peuvent précisément être garanties en responsabilité civile dans le cadre de contrats à durée ferme. 14. Selon la représentante de la société Y et de sa salariée, «l existence même de contrats spécifiques au profit des personnes appartenant à la communauté des gens du voyage tient visiblement au taux de sinistralité important généré par ces assurés et non bien évidemment à l appartenance vraie ou supposée à une ethnie». Elle en conclut que ce type de contrats ne peut donc être considéré comme discriminatoire car ils permettent de couvrir «un risque particulier». 15. Elle ajoute que cette pratique relève des mêmes restrictions que celles relatives aux contrats pour les jeunes conducteurs ou des personnes ayant fait l objet de poursuites judiciaires pour conduite sous l emprise d un état alcoolique. DISCUSSION 1) Le principe d interdiction des refus discriminatoires de prestations de services 16. Selon l article 225-1 du code pénal, «constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, ( ) de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée». 17. L article 225-2 1 et 4 du même code prohibe respectivement toute discrimination dès lors qu «elle consiste à refuser la fourniture d un bien ou d un service» et «à subordonner la fourniture d un bien ou d un service à une des conditions fondées sur l un des éléments visés à l article 225-1». Dans ce dernier cas, le caractère discriminatoire d une telle l offre ne nécessite pas que les cocontractants virtuels soient entrés en relation. La simple émission de l offre discriminatoire suffit à déclencher l application de l article 225-1 4. ( 1 ) On relèvera que ce document est seulement paraphé par le directeur technique de la société d assurance qui ne l a manifestement pas signé.

18. L'expression «fourniture de biens ou prestation de service», est très large. La jurisprudence précise que les termes «biens et services» doivent se comprendre comme visant «toutes les choses susceptibles d'être l'objet d'un droit et qui représentent une valeur pécuniaire ou un avantage» ( 2 ). 19. Le contrat d assurance est une convention par laquelle le souscripteur obtient de l assureur le paiement à son profit ou à celui d un tiers d une prestation quand un événement se réalise. 20. Le courtage est une prestation d'intermédiation en assurance entendue comme «l'activité qui consiste à présenter, proposer, ou aider à conclure des contrats d'assurance ( ) ou à réaliser d'autres travaux préparatoires à leur conclusion» (article L. 511-1 et R. 511-1 du code des assurances). 21. L offre d un contrat d assurance, qu elle émane directement d un assureur ou de son courtier, relève de la qualification de fourniture de services au sens des articles 225-1 et 225-2 du code pénal. La HALDE l a relevé dans plusieurs de ses délibérations ( 3 ). Cette analyse a notamment été confortée par la Cour d appel de Nîmes dans un arrêt (devenu définitif) du 6 novembre 2008 (n 08-907) condamnant pénalement le refus d une assurance automobile fondé sur l âge. Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté (Cass. crim. 7 avril 2009 n 08-88017). 22. En l espèce, l assureur A. a conclu un protocole général de délégation de souscription et de gestion de contrats de groupements automobile de particuliers avec son courtier Y. 2) Les discriminations à l encontre des gens du voyage fondées sur l origine ou l appartenance à une ethnie 23. Dans sa délibération n 2007-372 du 17 décembre 2007 sur les gens du voyage, la HALDE a relevé que : «les gens du voyage apparaissent en pratique comme un groupe identifié ayant en commun d être victimes des mêmes différences de traitement, du fait de leur appartenance réelle ou supposée, à la communauté Tzigane. Cette analyse est confortée par les positions prises, depuis de nombreuses années par le Conseil de l Europe comme par la Commission des Droits de l Homme des Nations-Unies qui considèrent que les différences de traitement visant les voyageurs, tziganes ou autres, doivent être considérées comme des discriminations fondées sur l origine» ( 4 ). 24. Le Défenseur des droits a repris cette analyse dans sa décision n LCD-2011-57 relative au montant du dépôt de garantie imposé par une société de téléphonie mobile aux gens du voyage. 25. La chambre criminelle de la Cour de cassation considère également les discriminations à l encontre des gens du voyage comme des discriminations fondées sur l origine ou l appartenance à une ethnie. Dans un arrêt du 28 novembre 2006 ( 5 ), elle a qualifié un ( 2 ) Cour d Appel Paris 21 novembre 1974 ( 3 ) Délibérations n 2006-161 du 3 juillet 2006 ; n 2007-234 du 1 er octobre 2007 ; n 2008-177 du 1 er septembre 2008. ( 4 ) Pour d autres cas de discriminations, V. par exemple la délibération n 2010-3 du 25 janvier 2010 concernant le règlement d un camping municipal réservant l accès à des touristes tout en excluant expressément et systématiquement les gens du voyage ou la délibération n 2009-416 du 21 décembre 2009 à propos du refus d accès, par un casino, à sa salle de jeux à une personne appartenant à la communauté des gens du voyage, présentant une pièce justifiant de son identité. ( 5 ) Bull. crim, n 294, p. 1060.

refus de vente opposé à des gens du voyage de discrimination à raison de l origine ou de l appartenance à une ethnie. 26. L élément matériel selon lequel le courtier Y exclut les gens du voyage de l offre d assurance-automobile ressort particulièrement des courriers des 7 et 8 septembre 2010. Cette exclusion est corroborée par les conclusions de l enquête menée par les services de l ex-halde. 27. Le courrier du 7 septembre 2010 demande expressément à la réclamante de signaler si elle appartient à «la communauté des gens du voyage». Ayant confirmé cette appartenance, le contrat de Madame X est résilié par la responsable du service concerné de la Société Y au motif qu il ne couvre pas «les personnes de [sa] communauté». 28. L élément intentionnel consistant à traiter différemment les gens du voyage des autres souscripteurs ressort à la fois des courriers adressés à la réclamante et des éléments recueillis lors de l enquête. 29. Madame X est expressément exclue des contrats d assurance automobile pourtant obligatoires, et ce du seul fait de son origine ou de son appartenance ethnique. 30. L offre différenciée effectuée par Y à l égard des gens du voyage n a été contestée à aucun moment de l enquête. 31. C est donc en pleine connaissance de cause que le refus d assurance a été opposé à Madame X par la société Y, professionnel de l assurance qui ne peut se retrancher derrière une quelconque ignorance des règles de droit. 32. L avocat de la société Y tente néanmoins de se déresponsabiliser en disant appliquer une clause d exclusion de l assurance-automobile des gens du voyage prévue par le contrat la liant à l assureur dont elle est le mandataire. 33. Contrairement à ce qu affirme l avocate, l appartenance à «la communauté des gens du voyage» ne figure pas parmi les conditions d exclusion prévues par le contrat. Ce sont «les forains» qui en sont expressément exclus. 34. En outre, elle argumente que «l existence même de contrats spécifiques au profit des personnes appartenant à la communauté des gens du voyage tient visiblement (sic) au taux de sinistralité important généré par ces assurés et non bien évidemment à l appartenance vraie ou supposée à une ethnie». Elle en conclut que ce type de contrats ne peut donc être considéré comme discriminatoire car ils permettent de couvrir «un risque particulier». 35. Le fait que l avocate du mis en cause tente de justifier les raisons de cette exclusion ou le fait que d autres types de garantie soient réservés aux gens du voyage n empêche pas de caractériser une intention discriminatoire. 3) L inapplicabilité des exceptions prévues en la matière : 36. Le législateur a réservé des hypothèses dans lesquelles des différences de traitement sont autorisées : a) tel est notamment le cas de l article 225-3 du code pénal en matière d accès aux assurances mais uniquement au regard du critère de l état de santé, et non de l origine. Cette exception n est donc pas applicable en l espèce.

b) le caractère aléatoire du contrat d assurance prévu par l article 1964 du code civil ( 6 ). 37. En réponse à l enquête menée par les services de l ex-halde, la représentante des mis en cause explique que l existence de contrats spécifiques dédiés aux personnes appartenant à «la communauté des gens du voyage» n est pas fondée sur leur ethnicité mais sur le risque accru généré par ces assurés : selon les termes de la réponse faite par l avocate, les gens du voyage connaitraient un taux de sinistralité important. 38. Le mis en cause n apporte cependant aucun document ni élément objectif à l appui de cette allégation. Un tel registre, s il existait, serait illégal. 39. L avocate défend également ses clientes en s appuyant sur un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 juin 1993. Cet arrêt porte sur l existence de contrats d assurance automobile comportant un tarif préférentiel proposés uniquement à certaines femmes ( 7 ). La haute Cour a estimé que cette situation ne caractérisait pas une discrimination fondée sur le sexe au sens du droit pénal. 40. Il convient toutefois de relever que cette jurisprudence relative à une tarification différenciée n est pas pertinente car la réclamation de Madame X ne concerne pas une simple différence de tarifs mais un refus pur et simple d assurance. Par ailleurs, les différences de tarifs en cause dans cet arrêt étaient fondées sur une évaluation objective des risques qui n étaient pas spécifiquement en lien avec le sexe des conducteurs ( 8 ). Or, comme indiqué précédemment, la société Y ne produit aucun élément statistique au soutien de ses allégations. 41. Enfin, il faut souligner que le législateur a rendu obligatoire plusieurs assurances, parmi lesquelles l assurance automobile. Cette obligation d assurance s impose aux conducteurs afin de s assurer au profit de tiers, mais également aux sociétés d assurance (articles L. 212-1 et suivants du code des assurances). 42. Ainsi, aucune disposition législative ne permet de déroger à l interdiction des discriminations fondées sur l origine, réelle ou supposée, du propriétaire d un véhicule dans l offre d une assurance obligatoire imposée par la loi. 43. En conséquence, il apparaît que la Société Y et sa salariée, Madame B, ont refusé la souscription d un contrat d assurance, ce refus prenant la forme de la résiliation de son contrat antérieur et d un refus de lui substituer un nouveau contrat en se fondant sur l origine ou l appartenance de Madame X à «la communauté des gens du voyage». 4) L imputabilité des faits litigieux 44. Loin de déresponsabiliser le courtier de ses agissements, les termes du contrat qui le lie à l assureur lui en font, au contraire, porter l entière responsabilité. ( 6 ) Le contrat d assurance est une «convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l une ou plusieurs d entre elles, dépendent d un évènement incertain». ( 7 ) Cass. Crim. 8 juin 1993 n 92-82.749 ( 8 ) V. également C.J.U.E. 1 er mars 2011 Association belge des Consommateurs Test-Achats ASBL, aff. C-236/09 qui invalide l article 5-2 de la directive 2004/113 permettant de déroger au principe de l égalité de traitement entre hommes et femmes de sorte que des différences de primes et de prestations puissent être fondées sur le sexe à certaines conditions.

45. La responsabilité du PDG d Y peut être engagée en sa qualité de représentant légal de la société pour avoir résilié un contrat d assurance et refuser la souscription d un nouveau contrat avec Madame X au titre de l article 225-2 1 du code pénal. 46. Quant à Madame B, elle ne fait pas partie des instances dirigeantes de ladite société. Elle est l auteure du courrier litigieux et est susceptible d encourir les sanctions prévues pour avoir méconnu l article 225-2 1 du code pénal. Toutefois, on notera que ce courrier ne fait que répondre à une politique générale de la société qui l emploie. CONCLUSION 47. En l absence d éléments objectifs et circonstanciés permettant de justifier la décision individuelle de résiliation d assurance et de refus opposé à Madame Christine X, les faits de l espèce sont de nature à caractériser un refus de prestation de service fondé sur l origine réelle ou supposée de la réclamante. 48. Ces agissements contreviennent aux dispositions prévues aux articles 225-1 et 225-2 du code pénal et sont susceptibles d engager la responsabilité de la Société Y.