Dourbes, le 23 août 2014 COMMÉMORATION DE 14 18 À VIROINVAL Mesdames, Messieurs, Au nom de l Administration communale de Viroinval et en mon nom personnel, je vous remercie pour votre présence à cette journée commémorative de la guerre 14-18 à Viroinval. Le centenaire de la «Grande Guerre» occupe les esprits et l actualité médiatique depuis de nombreux mois. Un centenaire frappe toujours l imaginaire des gens. C est un repère symbolique, une période courte et longue à la fois. 100 ans, déjà! 100 ans seulement! Il n y a rien d étonnant à ce que le centenaire du début de la Première Guerre mondiale frappe les esprits beaucoup plus que tout autre événement. Avec le recul, on le sait, cette guerre fut effroyable. Elle a atteint une intensité inconnue jusqu'alors. Elle a engagé plus de soldats, provoqué plus de morts et causé plus de destructions matérielles que toute autre guerre auparavant. Cette première fracture du XXème siècle a provoqué une onde de choc d une ampleur incommensurable ; elle a anéanti plusieurs millions d êtres humains et a modifié la vie de dizaines de millions de personnes. 1
Elle a changé de manière irrémédiable le destin des peuples en Europe et dans le monde. 14-18 a marqué nos esprits, tout d abord, par la violence inouïe, par la violence extrême, qu elle a généré, que l on (re)découvre avec les témoignages d époque. Ensuite, tout était «exceptionnel» pour l époque : mobilisations générales des armées, déclarations de guerre, invasion de notre pays par l Allemagne en violation de la neutralité de la Belgique, occupation de la quasi-totalité de notre territoire par les forces allemandes pendant plus de quatre ans, famines et privations notre pays a connu la première aide humanitaire internationale Sous l angle militaire, la Grande Guerre fut celle de l évolution des armements : les armes automatiques (les mitrailleuses) lesquelles ont fauché tant de vies dans les deux camps, l artillerie, notamment la «grosse Bertha» qui fait frémir aujourd hui encore, les premières armes chimiques avec les tristement célèbres «gaz moutarde», les débuts de l aviation militaire qui était encore à ses balbutiements, les premiers blindés tout cela étaient les préludes aux moyens de destructions encore plus massifs qui furent utilisés par la suite. Ce qui a frappé notre imaginaire, c est le fait que cette guerre qualifiée de «totale» fut une véritable hécatombe, une énorme boucherie de chair humaine Ainsi, à la fin du mois d août 1914, pas moins de 160.000 soldats étaient déjà morts au combat. 2
Dans la mémoire collective, 14-18, ce fut la guerre des tranchées, la misère humaine sur les fronts, l héroïsme des soldats, la tuerie de masse Pour les soldats, le premier hiver aux tranchées fut terrible. Les stratèges militaires des deux camps prédisaient une guerre courte, intense et rapidement victorieuse! Rien n avait été prévu pour lutter contre le froid et les conditions de vie misérables, contre la faim, la maladie ; un véritable enfer, comme l illustre si bien l écrivain français Max GALLO 1 : «C est de la boue et du cadavre, dit d une voix lente un poilu. Les vieux morts réapparaissent par morceaux. On vit avec les rats, les maitres de la position C est par centaines qu ils pullulent [ ] Je sens pourtant ces bêtes immondes qui me labourent le corps [ ]. Ces rats énormes sont aussi gras de viande humaine.» Chez nous, août 1914, il y a 100 ans, c était l invasion allemande, les combats et, hélas, les exactions contre les civils. Ce 23 août, Dinant, «ville martyre» 2 commémore les 674 victimes civiles passées par les armes ou jetées dans la Meuse dans des sacs. Dans la Vallée de la Sambre, la région de Tamines a connu un sort similaire. 1 Max GALLO, «Une histoire de la Première Guerre mondiale 1914. Le destin du monde», pp. 303 2 Au total, sept villes martyres en Belgique : Aarschot, Andenne, Dendermonde, Dinant, Leuven, Sambreville, Visé. A côté de ces villes martyres, huit villages martyrs en Province de Namur : Bièvre (Bièvre), Couvin (Frasnes-les-Couvin), Fernelmont (Franc-Warêt), Hastière (Hastière-par-Delà, Hermeton-sur-Meuse et Waulsort), Onhaye (Anthée), Philipeville (Romedenne et Surice), Somme- Leuze, Yvoir (Spontin). 3
Plus près de chez nous, les villages de Frasnes et de Surice ont été reconnus comme «villages martyrs». Dans notre entité, si l invasion allemande ne prit pas un tour tragique d une telle ampleur, il n en reste pas moins que plusieurs victimes civiles furent à déplorer, sans parler des destructions de maisons. C est précisément à ces victimes civiles que Viroinval a voulu rendre hommage dans le cadre des commémorations de ce centenaire. Ce matin, un hommage particulier leur a été rendu aux pieds des monuments aux morts de Nismes et de Oignies. Il en sera de même au cimetière de Dourbes où nous nous rendrons dans quelques minutes pour les trois villageois tués en août 1914. Ensuite, je vous inviterai à rejoindre la salle Dothorpa pour découvrir l exposition intitulée «Le premier mois de la guerre dans les villages de l entité de Viroinval». Cette exposition a été conçue et réalisée par Mr Bernard NAIN, historien local et conservateur des archives de Viroinval, que je tiens à remercier chaleureusement au nom du Collège communal pour ses recherches et son travail opiniâtre visant à transmettre notre passé aux générations futures. (Applaudissements sollicités) Avant de repartir en cortège vers le cimetière, puis vers la salle Dothorpa, il nous reste à inaugurer le monument aux morts de Dourbes, qui a été restauré pour la circonstance, ainsi que les trois sépultures des victimes civiles de la 1 ère guerre mondiale, qui avaient subi les outrages du temps. 4
Le travail de rénovation a été réalisé par les Etablissements RONVEAUX de Ciney et ont été financés par une subvention de la Région wallonne. Mesdames, Messieurs, Puissent les commémorations du centenaire de la «Grande Guerre» susciter en chacun de nous une réflexion profonde sur les notions de «Guerre» et de «Paix». Notre «devoir de mémoire» est assorti d un «devoir de réflexion». Depuis 1914, en un siècle, notre démocratie a évolué ; elle s est affermie et améliorée, sans être parfaite. Une démocratie réelle se fonde sur des citoyens informés, responsables, critiques, participatifs, voire indignés comme nous le suggérait ce grand témoin, feu Stéphane HESSEL. «Plus jamais cela» fut le leitmotiv de l après 1918, de l entre-deuxguerres. Une vague de pacifisme qui n a pas vu, ou voulu voir, les dangers de la montée en puissance des nationalismes, du fascisme, des totalitarismes, lesquels ont mené le monde tout droit vers la Seconde guerre mondiale. On connaît la suite Donner du sens aux commémorations de 14-18, c est inévitablement évoquer le temps présent. 5
Après 1945, il y a eu la réconciliation franco-allemande, qui a été le moteur de la construction européenne et la source d une paix durable depuis près de sept décennies en Europe occidentale. Le sens des commémorations aujourd hui n est certainement pas de susciter un sentiment anti-allemand, que du contraire. Le peuple allemand est maintenant un peuple allié et ami et nous devons relever avec lui les défis auxquels l Europe est confrontée. Lors de l inauguration de la «Place de l Europe» à Kleinmaischeid- Dierdorf, nous avons pu mesurer combien nos voisins allemands sont attachés à l idéal de paix, à l amitié entre les peuples et à la construction européenne. C est vrai, en un siècle, le monde a bien changé Tout d abord, l arsenal de destruction massive est sans limite aujourd hui. L armement nucléaire a proliféré contre la volonté des grandes puissances qui voulaient en conserver le monopole. Les armes chimiques ont été utilisées récemment en Irak et en Syrie. L arme bactériologique représente une menace potentielle sérieuse. 6
Ensuite, malgré les leçons des deux conflits mondiaux, notre monde, dans sa globalité, n a pas su éradiquer la guerre et imposer une paix durable entre les peuples. L Europe occidentale a été épargnée, certes ; mais aujourd hui, le monde est un village : vous prenez un avion quelque part, vous survolez l Ukraine et vous êtes subitement réduit en fumée, anéanti par un conflit a priori local. Les nationalismes qui portaient l orage en 1914 sont toujours bien présents dans de nombreuses régions du monde et constituent autant de menaces contre la paix. Le rejet de l autre a pris d autres formes, celles des dogmatismes religieux : les fanatismes, l anti-sémitisme, le fondamentalisme islamique, le djihadisme, particulièrement actif dans les chaos irakien, afghan et syrien. Ce que nous devons combattre en tant que citoyens indignés et responsables, ce sont toutes les formes de racisme, d intolérance, de discriminations fondées sur la race ou la religion ou sur toute autre différence. Jusqu où va la bêtise humaine lorsqu en Israël, certains extrémistes veulent interdire / empêcher / détruire un mariage entre une femme d origine juive et un musulman? 7
L actualité du centenaire de 14-18, c est l est ukrainien qui est en feu ; c est la résistance des kurdes à Mossoul et la fuite des chrétiens d Irak face à la folie meurtrière des djihadistes avec un journaliste américain, c est notre civilisation qu ils tentent de décapiter - ; c est un nouveau massacre de civils palestiniens par l armée d occupation israélienne dans l étau de Gaza Un conflit armé ne se résume pas à un bilan statistique, du type : «Aujourd hui, 150 morts en Irak», «Aujourd hui, 50 palestiniens écrasés sous les bombes israéliennes à Gaza», Chaque mort, dans quel que conflit que ce soit, a un nom, un prénom, une famille, une histoire. Chaque mort est une vie brisée, écrasée, anéantie. Dans ce sens, les portraits des 5.000 poilus présentés dans l exposition du Musée du Petit Format, «La Carte du feu», l hommage rendu ce jour à chaque victime civile et aux victimes militaires d août 1914, les sépultures rénovées de ces défunts nous rappellent cette réalité, replaçant l être humain au centre de l attention et stimulant nos consciences individuelle et collective. Tout cela nous invite à réfléchir et à agir en tant que citoyens et en tant que démocrates. Connaître notre passé, le comprendre et en tirer les leçons pour analyser le présent, c est construire notre avenir. 8
C est là le sens profond qu il nous appartient de donner aujourd hui aux commémorations du centenaire de 1914-1918. Merci à toutes et tous pour votre participation et votre attention. Jean-Marc DELIZEE Député fédéral et Bourgmestre f.f. de Viroinval 9