SESSION BIBLIQUE Jérusalem, si je t oublie, que ma main droite m oublie (Ps 137,5) A l'heure où débutent les réunions du MCR faisant découvrir aux équipes la nouvelle formule de la campagne d'année donnant une place très importante à la compréhension de textes bibliques, il a paru non seulement intéressant mais aussi utile de faire connaître une formation qui existe depuis longtemps et qui peut répondre à la demande de formation réclamée par beaucoup. Cette formation fut la première organisée en France. D'abord conçue pour des religieuses, elle fut intégrée ensuite par l Institut Catholique de Toulouse et proposée par correspondance à toute personne désireuse de mieux entrer dans la connaissance de la Bible. Aujourd hui les raisons de suivre cette formation sont multiples et répondent à une demande croissante des chrétiens ou pas. Une session a lieu en fin d'année scolaire et prend un thème différent chaque année : cette année c'était «Jérusalem». Il n'est pas obligatoire de suivre les cours par correspondance du TEB pour y participer et y participe des personnes venues de toute la France et parfois même d'outre-mer ; la session comprend des conférences, des travaux dirigés, une initiation méthodologique aux différentes lectures de la Bible et même quelques heures de cours pour introduire ceux qui le souhaitent, à l'étude de l hébreu ou du grec bibliques. Les lignes qui suivent ne constituent pas un compte rendu mais sont le résultat d une compilation personnelle pour dégager quelques lignes de force de cette session particulièrement riche. On a supprimé les références trop nombreuses qui risquaient d alourdir le propos. 1
Jérusalem toujours au cœur d une histoire violente «Une ville de lumière et de sang» qui depuis environ trois millénaires se voit démolie et reconstruite et passer de domination en domination. Jusqu à aujourd hui elle n a jamais connu de paix relativement longue, malgré son nom : ville de Dieu et ville des hommes qui concentre le sacré «dans ce petit pays [où] il y a trop d histoires et trop de prophètes». A l origine de ce qu elle va devenir on trouve le roi David qui en fait sa cité à partir d une petite place forte appartenant aux Jébuséens, et qui y transporte l Arche d Alliance. Le choix de ce site se révéla intelligent parce que stratégiquement important entre le royaume de Juda et le royaume d Israël. Les rois, David et Salomon d abord bâtirent, en particulier autour du Temple, une ville qui régit toute la vie religieuse d Israël. Mais la tragédie de sa destruction pendant la période babylonienne, et de l exil qui s en suivit, va déterminer les célébrations de tous les drames de l histoire par la suite. C est pendant cet exil sur les bords du fleuve de Babylone que se crée la grande nostalgie de Jérusalem évoquée dans le psaume 137 ; et la douleur engendre une violence qui s exprime particulièrement dans les psaumes. Cette violence se dit dans la prière : comment comprendre que Dieu accepte la destruction de Jérusalem et de son Temple? Le psalmiste affirme que Dieu ne peut être responsable d un mal qui le détruirait. Donc prier Dieu de mettre fin au mal c est remettre ce mal entre ses mains en lui demandant de convertir la violence qui habite le cœur de l homme. Et le psaume peut alors se terminer dans l expression de la confiance et s épanouir dans la louange. Pourtant, si l on reprend l histoire, la majeure partie de l élite du peuple d Israël ne reviendra pas à Jérusalem et continue à s installer auprès des rois étrangers. L exil pour eux n est pas un accident mais un choix et Jérusalem devient alors une terre imaginée, nourrie de phantasmes, et, pour cette raison, plus redoutable qu une terre réellement possédée. 2
Jérusalem au cœur de symboles contrastés La ville dans la Bible : des visages contrastés En face du Jardin créé par Dieu Caïn crée la première ville dont il est question dans la Bible et lui donne le nom de son fils Hénok. Par la suite il y aura l échec de la construction de Babel : une ville réduite à une tour qui exprime l orgueil pour se faire un nom ; puis la condamnation de Sodome et Gomorrhe à cause de leurs dérives morales et idolâtres. La vision dévalorisante de la ville comme lieu de vie fermé, replié sur lui-même et gardé, méfiant à l égard de l étranger, est opposée à la tente d Abraham ouverte sur les quatre coins de l horizon comme la Jérusalem céleste à la fin de l Apocalypse dont aucune porte n est fermée. Dans le Cantique des Cantiques la ville prend des valeurs plus ambivalentes, Jérusalem y est évoquée seulement par «les filles de Jérusalem» qui sont en face de la bien-aimée ; le Cantique exprime une tension permanente entre le désert, la campagne, le jardin et la ville. Cette dernière est tour à tour inquiétante par ses gardes qui patrouillent ou protectrice quand on évoque la maison de la mère. Elle peut être le lieu de l absence du bien-aimé et de sa recherche mais aussi le lieu de retrouvailles intimes. On ne peut évoquer ici toutes les lectures de ce texte qui reste énigmatique mais on est avec lui déjà dans une œuvre allégorique. Jérusalem une allégorie féminine Ce sont les prophètes qui vont souligner le rôle ambigu de Jérusalem dont les habitants, à commencer par les rois, trahissent souvent ses ambitions religieuses. C est alors qu à travers évocations, invocations ou imprécations des prophètes, Jérusalem devient femme : tour à tour épouse ou veuve, mère ou prostituée, infidèle ou abandonnée, mais aussi mère qui accueille et protège la vie dans un milieu hostile. C est elle que le Seigneur désigne comme son épouse chargée de 3
transmettre la révélation. Ainsi ces perspectives prolongées dans les psaumes ouvrent, malgré tout, à l espérance, car rien n est perdu aux yeux du Seigneur. En effet à l horizon théologique se profile la Jérusalem céleste dont l art du Moyen Age va célébrer la splendeur, évoquée déjà chez les prophètes et reprise à la fin de l Apocalypse, à travers vitraux, fresques et tapisseries. Visions actuelles de Jérusalem dans les trois monothéismes Ces visions doivent beaucoup précisément au domaine symbolique et allégorique. La perspective juive Les juifs pratiquants considèrent que la présence divine abritée dans le Temple autrefois, même retirée au ciel après la destruction du Temple, est encore attachée, d une certaine manière, au mur de soutènement de la colline du Temple dit Mur Occidental ou Kotel. C est pourquoi la sainteté du lieu demeure en attendant la construction du troisième Temple indestructible, lui, à la fin des temps. Pour les musulmans La sourate 17 du Coran évoque la vision du voyage nocturne de Mahomet sur son cheval ailé et la mosquée lointaine (Al Aqsa). 4
Le lieu de cette mosquée lointaine n est jamais précisé, mais à la fin du VII ème siècle les Umayyades affirment que le site réel d Al Aqsa est en fait le Mont du Temple. Pour les chrétiens La Jérusalem céleste de l Apocalypse met en regard le début et la fin de la Bible : la ville de Caïn semblait en opposition au Jardin créé par Dieu. Or à la fin de l Apocalypse Dieu fait descendre «la sainte Jérusalem nouvelle» sur terre en prenant acte de la ville créée par l homme, mais «apprêtée comme une épouse parée pour son époux». Et Jérusalem devient un don de Dieu. Enfin et surtout Jérusalem fut le lieu du drame de la passion de Jésus. Mais il ne faut pas penser que c est seulement l imaginaire qui prévaut quand on parle de Jérusalem. Elle est aussi objet d études scientifiques très poussées. En témoigne la vitalité de l archéologie, la terre d Israël et Jérusalem en particulier, sont les lieux les plus fouillés au monde par les archéologues. Et pour analyser tout ce qu ils apportent comme matériau l Ecole Biblique de Jérusalem est au premier rang. La Bible de Jérusalem, fut la première bible catholique scientifique, ses auteurs avaient l ambition de s approcher au plus près d un texte original en compilant toutes les bibles disponibles. Cependant la découverte des manuscrits de la Mer Morte rendirent ce modèle obsolète : on se trouvait devant plusieurs versions de certains livres avec des ajouts, des commentaires intégrés au texte. Dans ces conditions on ne pouvait pas canoniser une version et il fallait admettre la pluralité textuelle. Il apparaît de plus en plus que les textes bibliques ne sont pas uniquement le produit de l environnement qui les a vu naître, mais qu ils ont évolué et ont produit aussi un monde, parce que la parole de Dieu vit et accompagne la vie des hommes au fil du temps. C est pourquoi 5
l Ecole Biblique de Jérusalem a aujourd hui un nouveau projet : étudier la Bible en ses traditions, traditions qui depuis des siècles ont commenté et amplifié ce qu elle dit. En conclusion On pourrait affirmer que pour comprendre Jérusalem il faut intégrer toutes les lectures : historique, archéologique, textuelle, spirituelle, théologique, politique Cette session faisait apparaître combien Jérusalem concentre, encore aujourd hui, une charge historique et symbolique qui en fait toujours un lieu de conflits parce qu elle continue à fasciner et à être objet de conquête et de pouvoir ; mais elle représente aussi un désir de prière pour découvrir ce qu est l homme à l horizon de Dieu. Et l on pourrait utiliser pour terminer une expression de Lévinas sous forme de souhait : que, dans notre monde qui devient global, Jérusalem prenne sa place pour symboliser et faire vivre une «universalité de rayonnement»! Catherine Decout septembre 2015 6