LE FRANC ET SON HISTOIRE



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Transcription:

LE FRANC ET SON HISTOIRE par M. MAURICE BALTAZARD Membre titulaire Bien que le franc, surtout depuis la fin de la dernière guerre ait servi de sujet à de multiples conversations, et ait été l'objet de commentaires forcément défavorables dans tous les milieux sociaux, sont cent cinquantenaire a passé presque inaperçu; aucune manifestation officielle n'ayant marqué la date de cet anniversaire. Et cependant, le 7 avril 1953, le franc, né le 17 germinal An XI, a dépassé, sa 150 e année. Aussi il n'est peut-être pas tout à fait inutile, même à retardement, d'évoquer brièvement son histoire. A la vérité, le franc a existé longtemps avant l'an XI. En effet, le premier franc remonte à 1360, l'année du traité de Brétigny (près Chartres) en vertu duquel Jean le Bon recouvrait sa liberté en cédant aux Anglais le sud-ouest de la France et en leur promettant le paiement d'une rançon de 3 millions d'écus d'or. La paix étant rétablie, le roi arrive à Calais en juillet, puis à Paris en décembre, redevenu libre, c'est-à-dire: franc. L'ordonnance de Paris du 5 décembre 1360 constitue l'acte de naissance d'un franc, pièce d'or pur de 3 grammes 88 ayant cours pour 20 sous. La France retrouvait en même temps que son souverain une monnaie d'or de bon aloi, comme elle n'en connaissait plus depuis Saint Louis. Cependant le Roi ne consentit pas uniquement à émettre «de méchantes monnaies à haut cours», et il s'adressa également à l'impôt. «Nous prendrons, dit-il, sur le peuple de langue d'oil ce qui est nécessaire, savoir 12 deniers par livre sur les marchandises (on comptait alors 12 deniers par sou tournois et 15 par sou parisis), ce que payera le vendeur, une aide du cinquième sur le sel, du treizième sur le vin et autres breuvages. De laquelle aide,

174 LE FRANC ET SON HISTOIRE pour la grande compassion que nous avons de notre peuple, nous nous contenterons». Sur la pièce ainsi créée caracole un roi franc avec la devise «Francorum Rex Dei gratia». En 1365, sous le règne de Charles V, une nouvelle pièce d'or est frappée pesant 3 gr. 82 qui reproduit l'effigie du roi régnant et qui, cette fois, est représenté à pied. Et puis c'est une éclipse qui va durer pendant 2 siècles avant que reparaisse un nouveau franc. C'est une pièce d'argent pesant 14 gr 18 dont 11 gr 79 de métal fin, frappée en 1575 à l'effigie de Henri III et qu'on appellera le «franc blanc» pour la distinguer du franc jaune des premiers Valois. A son tour Henri IV en 1607 allégera son poids, et une pièce sera frappée en 1618, à l'effigie de Louis XIII. La France vivra alors sous le régime du bi-métallisme. Il exista également un franc d'argent dit «franc de la Ligue», à l'effigie de Charles X, c'est-à-dire du Cardinal Charles de Bourbon, né en 1523 et mort en captivité, en 1590, proclamé roi par la Ligue, qui était le propre frère d'antoine de Bourbon, roi de Navarre, père de Henri IV (1518-1562). A nouveau le franc va disparaître sous Louis XIV et ne sera plus qu'une monnaie de compte. Ayant toujours conservé son cours de 20 sous, pratiquement dans l'esprit du public il s'aligne sur la livre tournois et on dit indifféremment Livre ou Franc. Pas tout à fait cependant, car le Dictionnaire de l'académie, jusqu'à son édition de 1822, spécifie que le «mot franc n'est d'usage ni au singulier, ni avec les nombres primitifs 1, 2, 3, 5. On s'en sert fort bien dans presque tous les autres nombres, ce qui implique qu'on devait dire alors: 20 sous, 40 sous, un écu, cent sous et 4 francs, 6, etc. Les hommes de notre génération se souviennent certainement que pendant très longtemps le langage populaire a conservé cette notion. Quand on parlait de revenus annuels, par contre, on disait plutôt qu'ils s'élevaient à tant de livres par an. En fait, chez les meilleurs auteurs du temps, on trouve livre pour franc et réciproquement. C'est ainsi qu'au moment où La Flèche expose à son maître les conditions imposées par un prêteur, qui au demeurant n'est déjà qu'un vulgaire usurier, Molière fera dire au valet de Cléante (L'Avare, Acte II, Scène I) : «de quinze mille francs qu'on demande, le prêteur ne pourra compter en argent que douze mille livres». Et cette situation va se maintenir jusqu'à la période révolutionnaire. Avant de l'aborder il paraît opportun de retenir quelques considérations complémentaires sur le système monétaire de l'époque. Sous l'ancien Régime, les monnaies tiraient leur pouvoir d'achat, non de la matière dont elles étaient fabriquées, mais des empreintes qui y étaient apposées, le prince ayant

LE FRANC ET SON HISTOIRE 175 le droit d'exiger à titre de service rendu à ses sujets un droit de seigneuriage, en dehors des frais de fabrication ou droit de brassage. A son gré, il pouvait démonétiser, retirant les pièces de la circulation et les remplaçant par de nouvelles pièces de même titre et de même poids, dont la valeur nominale était majorée. On cite en exemple la refonte de 1726, date à laquelle le seigneuriage atteignait 7/6/16 % sur l'or et 5/6/7 % sur l'argent. Le dernier tarif antérieur à la Révolution, celui de, 1771, fixait encore le seigneuriage à 1.292 % pour l'argent et 1.267 sur l'or; le droit de brassage à la même époque à 14,6 % pour l'argent et 2,8 % pour l'or. Mirabeau citera une circulaire du 2 avril 1779 dans laquelle on reprochait aux directeurs de l'administration des Monnaies de ne pas fabriquer «des pièces assez faibles pour qu'il en puisse résulter un plus grand bénéfice pour le Roi». Le système monétaire en vigueur avait l'inconvénient d'être duodécimal, tant pour la monnaie de compte que pour la monnaie réelle. La livre, la monnaie de compte, était divisée en 20 sous, chaque sou correspondant à 12 deniers. Les coupures monétaires étaient pour l'or et l'argent, 3, 6, 12, 24 et 48 livres, et il était malaisé de payer des sommes de 7, 8, 10, 11, 13, 14, 16 et 17 livres. Les abus comme les inconvénients du système furent dénoncés par Mirabeau dès le 12 décembre 1790 dans un Mémoire distribué à l'assemblée Constituante dont les conclusions peuvent se résumer comme suit: 1 Incorporation de la monnaie de compte dans une monnaie réelle, autrement dit équivalence définitive et intangible de la livre et d'un poids fixe d'argent. 2 Par voie de conséquence: abolition de la tarification des espèces ainsi que du droit de seigneuriage. 3 Frappe de monnaies d'or portant l'indication de leur valeur en livres d'argent, à cours commercial libre: Pièces de 10, 20, 50 et 100 livres. 4 Décimalité des monnaies d'or et d'argent, bien que Mirabeau, on ne sait au juste pourquoi, ait laissé subsister dans son projet la division du sou en 12 deniers. Ce plan aboutissait au monométallisme argent, ce métal étant d'ailleurs depuis des siècles la matière principale de la monnaie et constituant en conséquence la monnaie étalon. Ces différentes notions ainsi mises en lumière devaient servir de base aux projets élaborés par la suite de 1791 à l'an V. Par

176 LE FRANC ET SON HISTOIRE l'article 5 de la loi des 11-28 juillet 1791 la Constituante abolit le droit de seigneuriage pour les menues monnaies d'argent. Le décret du 1 er août 1793, qui contient l'ébauche du système métrique des poids et mesures, décide que l'unité monétaire appelée franc aura un poids fixe d'argent du centième du grave (kilogramme). Une loi du 16 vendémiaire An II (7 octobre 1793) tenta d'organiser le nouveau système monétaire, le franc devant être re- 900 présenté par une pièce d'argent au nouveau titre de pesant 1000 la 100 e partie du grave appelée «républicaine». Il y avait aussi une pièce d'argent pesant 5 fois plus, dite «cinq républicains». On devait également frapper une pièce d'or, pesant le 100 e du 900 grave au titre de qu'on appellera le franc d'or. La loi du 18 1000 germinal An III sur le système métrique substitue le nom de franc à celui de livre. On trouve ensuite 3 lois du 28 thermidor An III ; la première décide que l'or sera frappé en pièces de 10 gr. 09/10 de fin, portant seulement l'indication de leur poids. La 2 e définit le franc, qui se divise en décimes et centimes, et doit être représenté par une pièce d'argent de 15 gr. au titre de 9/10. Elle autorise la fabrication de pièces de 2 frs et 5 frs de 10 et 25 gr. au titre de 9/10 portant l'indication de leur valeur. La 3 e loi enfin renouvelle pour ces monnaies l'abolition du seigneuriage. Les pièces d'or de 10 grs instituées successivement par les lois de l'an II et l'an III ne furent jamais frappées. C'est à la fin de l'an V que le Directoire soumet au Conseil des Cinq-Cents un projet de loi pour la création d'une pièce d'or de 10 grs qui porterait l'indication de la valeur en francs, proposant la valeur de 32 frs correspondant au rapport de 1 à 16 entre l'or et l'argent. Le Conseil des Cinq-Cents refusa de fixer la valeur de la pièce et le Conseil des Anciens à son tour rejeta le projet voté par le Conseil des Cinq-Cents, parce que la pièce d'or n'avait pas de valeur fixe. En l'an X le financier Gaudin proposa la frappe de pièces d'or de 20 et 40 frs dont le poids serait fixé d'après le rapport existant à cette époque entre le prix de l'or et celui de l'argent, et qu'il estimait être sensiblement de 1 à 15. C'était précisément le rapport d'après lequel avaient été créées, en vertu de l'edit de 1785, les diverses pièces d'or et d'argent constituant le

LE FRANC ET SON HISTOIRE 177 fonds de la circulation monétaire avant la Révolution. En adoptant un rapport identique, on rendait possible une circulation parallèle. Le projet Gaudin ayant été adopté, malgré l'opposition de la section des Finances du Conseil d'etat, devint la loi du 17 germinal AN XI (7 avril 1803) qui constitue la véritable charte du franc et dont il suffit de rappeler les dispositions essentielles. Avant tout elle proclame l'identité de la monnaie de compte et de la monnaie réelle, le franc est un poids fixe de métal fin, conformément à une disposition générale figurant en dehors de la série des articles numérotés et ainsi placée en vedette. Cinq grammes d'argent au titre de 900/1000 constituent l'unité monétaire qui conserve le nom de franc. C'est donc l'argent qui est la matière de l'unité de compte, c'est lui qui fournit l'unité monétaire qui est l'étalon, mais il n'est pas la seule monnaie légale. L'or, l'argent et même le cuivre sont également investis d'un pouvoir libératoire illimité, l'or étant tarifié en francs d'argent d'après le rapport 1 à 15 1/2, rapport légal qui d'ailleurs n'est pas littéralement exprimé dans la loi, et résulte implicitement des tailles adoptées pour l'argent et pour l'or. Le franc d'argent pe- 1000 sant 5 grs 09/10, le kg vaut soit 200 frs. De son côté un kg 5 d'or à 9/10 destiné à la taille légalement obligatoire de 155 pièces 3100 de 20 frs vaut 20x155 = 3.100 frs, d'où le rapport final = 200 15 1/2; rapport qui d'ailleurs n'est pas destiné à demeurer invariable. La pièce d'or de 20 frs pesant 6 grs 452, la valeur du franc correspondait ainsi à 0 gr. 3226 autitre de 900/1000. Ainsi défini à 4 grs 50 d'argent fin, le franc correspondait sensiblement à la livre tournois, qui depuis l'edit de janvier 1726 équivalait au poids de 4 grs 50516 d'argent fin. Comme la plupart de ces pièces anciennes étaient passablement usées, on admit en fait que leur valeur moyenne n'était plus guère que de 4 grs 45 de métal fin. Ce qui fit que le nouveau franc, le franc germinal, dépassait légèrement la livre d'environ 1.80 et on observera les équivalences suivantes: 1 fr. = 1 livre 3 deniers, 5 frs = 5 livres 1 sou 3 deniers, 100 frs = 101 livres 5 sous. Toutefois pour faciliter certains décomptes, une loi du 17 floréal An VII prescrivit que pour les traitements, les impôts, les pensions, et les contrats, la substitution se ferait au pair franc pour livre.

178 LE FRANC ET SON HISTOIRE A première vue on est quelque peu surpris par cette abondance de textes législatifs et par les tâtonnements qui présidèrent à la naissance du franc germinal, mais on s'explique l'une et les autres, si on considère d'un peu près la situation financière de la France, au cours de la période révolutionnaire. Sous la Monarchie déjà, les premières expériences de papier-monnaie avaient été tentées, d'ailleurs sans succès, et en particulier celle du financier John Law (1671-1729) s'était révélée désastreuse. L'émission des assignats procédant d'une conception nouvelle consistait dans la création d'une monnaie intégralement gagée. La Révolution, pauvre en numéraire, disposait par contre d'un domaine foncier d'une incontestable valeur comprenant les biens de la Couronne, les biens ecclésiastiques et plus tard ceux des Emigrés mis à la disposition de la Nation. En représentation de cet imposant patrimoine difficilement mobilisable, on conçut bientôt l'idée séduisante de créer des obligations à ordre auxquelles un paiement certain serait assigné. C'est ainsi que naquit l'assignat. Dès le début de la Constituante, le plafond de l'émission était triplé, s'élevant de 400 à 1.200 millions entre décembre 1789 et septembre 1790. De cette dernière date à février 1793 il passe de 1.200 millions à 3.100 millions, et en 1794, la limite d'un plafond étant abandonnée, la circulation atteint rapidement 9.500 millions, l'assignat perdant constamment de sa valeur, le numéraire n'ayant pas cessé de circuler surtout en province. Le papier, «la monnaie de Paris», s'effritait de plus en plus et on pouvait faire la même constatation sur le marché des changes étrangers. C'est alors que la Terreur prit des mesures draconiennes, en interdisant la vente du numéraire, puis en tentant de le réquisitionner. Les Bourses furent fermées et les sociétés de capitaux dissoutes. Certains billets et singulièrement les assignats «à face royale» furent démonétisés purement et simplement pour réduire d'autant la circulation. La chute de Robespierre mit fin à cette contrainte. Plusieurs plans d'assainissement furent bien établis, mais aucun n'ayant été appliqué, l'inflation poursuivant sa marche galopante, ainsi que cela se passe en pareil cas, la hausse des prix s'accentua, précédant et dépassant constamment le rythme des émissions. A la fin de la Terreur le montant total des Assignats s'élevait à 9 milliards de livres et, se poursuivant en 1795, une augmentation constante en porta le chiffre à 45 milliards au début de 1796. De sorte que les assignats perdirent peu à peu leur fonction monétaire et le Directoire, obligé de s'incliner devant les faits, procéda à une dévaluation officielle en faisant admettre l'équivalence de

LE FRANC ET SON HISTOIRE 179 100 à 1 entre le papier et le numéraire, proportion qui au surplus fut vite dépassée. Le Directoire dut alors se résoudre à une réforme plus profonde. Le 19 février 17Ô6, les planches et matrices servant à la fabrication des assignats furent solennellement brisées, cependant que le Directoire, menacé de banqueroute immédiate, paraît au plus pressé en émettant une nouvelle monnaiepapier sous la forme des «Mandats territoriaux», contre laquelle devaient être échangés les assignats. Cette nouvelle expérience, ou plutôt, cet expédiant ne suscita aucun enthousiasme dans le public et la livre mandat qui lors de sa création, en 1796, valait théoriquement une livre métal moins d'un an après, en février 1797, avait perdu 99 % de sa valeur. Ce fut alors la faillite que le Corps législatif eut la sagesse de consacrer par une loi du 4 février 1797, qui sonna le glas du papier monnaie. L'assainissement financier s'imposait de façon urgente, conditionnée par une réforme monétaire qui précisément fut l'œuvre de la loi du 17 germinal an XI. Et le système ainsi institué allait durer pendant 111 ans, de 1803 à 1914. Pendant cette longue période de stabilité il y aura bien quelques alertes, car la carrière d'une monnaie n'est jamais exempte d'aléas, alertes qui en général coïncideront avec les événements historiques de haute importance dont en réalité elles sont les conséquences. En septembre 1805, l'encaisse de la Banque de France, dont les premiers statuts avaient été approuvés par l'assemblée des Actionnaires du 18 février 1800 (An VIII, 28 pluviôse) était descendue à 1.200.000 francs devant une circulation financière d'environ 60 millions. Le public s'alarma et devant l'affluence des demandes de remboursement, la Banque dut limiter à 500.000 francs par jour le montant des remboursements, chaque porteur ne pouvant présenter qu'un billet. Du 26 février au 14 mars 1848, l'encaisse s'abaissa de 140 à 70 millions et un arrêté du gouvernement provisoire du 15 mars 1848 décréta le cours forcé, qui fut aboli par la loi du 6 août 1855. La guerre de 1870 devait entraîner à nouveau l'établissement du cours forcé. Cette fois, le cours forcé fut la conséquence des avances faites au Trésor public par la B.D.F., soit pendant la guerre, soit durant les opérations du paiement de l'indemnité de guerre qui s'élevèrent à 1.425 millions et il fut imposé à la B.D.F. dès le 12 août 1870. Deux jours" plus tard le maximum des émissions fut porté à 2.400 millions, puis à 2.900 millions lors de l'emprunt de 2 milliards, puis à 3.200 millions pour l'emprunt de 3 milliards. En dépit de ces efforts considérables, l'encaisse de la Banque fut rapidement reconstituée: 1871, 551.500.000 francs; 1872, 728 mil-

180 LE FRANC ET SON HISTOIRE lions; 1873, 762 millions; 1874, 1.130 millions; 1875, 1.541 millions; 1876, 1.987 millions; 1877, 2.106 millions, au point que la loi du 3 août 1875 disposait que le cours forcé cesserait aussitôt que la dette de l'etat vis-à-vis de la Banque serait réduite à 300 millions. En fait la convertibilité pu être à nouveau assurée dè& 1874, par étapes; dès le 7 novembre 1873, la Banque donnait en échange des billets, des pièces de 5 francs en argent, le 7 mai 1874 des pièces de 5 et 10 francs en or, le paiement en pièces d'or de 20 francs étant repris à la date du mois de novembre 1874. Cependant le cours forcé ne fut aboli que par la loi du 1 er janvier 1878, qui passa inaperçue. Peu de chose en somme en comparaison des vicissitudes qui attendaient le franc à partir de 1914. Et en face quel prestige pour le franc pendant plus d'un siècle durant lequel il fut vraiment la monnaie sur laquelle s'alignèrent les capitales du Monde. Et ce prestige, on le retrouve encore dans la formation de l'union latine. Le rapport légal de 1 à 15 1/2 put être maintenu tout le temps que les valeurs commerciales des deux métaux ne se modifièrent pas. Mais vers 1860 l'argent s'apprécia par rapport à l'or, et par le jeu de la loi de Gresham (Thomas) 1519-1579, qui spécifie que «la mauvaise monnaie chasse la bonne», la mauvaise monnaie, l'or en l'espèce, chasse l'argent. Pour enrayer la fuite des monnaies d'argent, la France prit le parti de billonner au titre de 0.835 les pièces de 2 frs, 1 fr. et 0 fr. 50, supprimant la libre frappe de ces monnaies que seul désormais l'etat pourra fabriquer et limitant leur pouvoir à 50 frs, exceptant toutefois les pièces de 5 frs de ce nouveau régime lui conservant son titre de 0.900 et un pouvoir libératoire illimité, à l'effet de maintenir le bi-métallisme. Et ladite pièce continua à s'enfuir. Le 23 X 1865, la France passa avec la Belgique, l'italie et la Suisse une Convention dite d'union latine à laquelle la Grèce adhéra en 1868, consacrant un état de fait existant entre les Pays qui ayant adopté le sytsème de la loi française du 17 germinal AN XI, dans leurs relations commerciales utilisaient indifféremment les pièces frappées par chacun d'eux. A partir de 1873, un renversement se produisit, et ce fut l'or qui s'apprécia par rapport à l'argent, et, en 1878, on dut supprimer la libre frappe des pièces d'argent de 5 frs, leur laissant toutefois le pouvoir libératoire illimité afin de conserver un semblant de bi-métallisme, régime boiteux sous lequel la France restera jusqu'à la loi monétaire du 25 juin 1928 qui marque l'abandon officiel du bi-métallisme.

LE FRANC ET SON HISTOIRE 181 La loi du 5 août 1914 va consacrer la rupture avec la définition de 1803, le franc cessant d'être convertible en métal et ne le sera plus désormais que pendant une courte période allant de 1928 à 1933 à un taux cinq fois inférieur. Pendant la guerre 1914-1918 et au cours des années qui suivirent, l'institut d'émission dut venir en aide à l'etat qui avait à faire face à des dépenses considérables et sans cesse croissantes. Sous l'empire des circonstances et par dérogation à sa fonction monétaire classique, la B.D.F., sous le couvert du cours forcé, dut émettre du véritable papiermonnaie. Et cette situation alla se prolongeant, caractérisée par une inflation sans cesse accrue, jusqu'à l'abrogation du cours forcé par la loi du 25 juin 1928, marquant le retour à un système monétaire à base métallique. * * Dès le 31 mars 1926, le Gouvernement d'alors avait convoqué un Comité d'experts lui demandant de lui proposer les moyens de parer à la crise financière qui, en fait, se faisait sentir depuis 1924. Ce Comité devait conclure en préconisant la stabilisation du franc le plus tôt possible à un niveau compris entre le cours du franc résultant du coût de la vie atteint au moment décisif de l'opération et le cours du franc atteint au même moment sur le Marché des Changes. Or la parvient à son cours maximum de 243 francs le 21 juillet 1926 (avant 1914, le pair du franc à Londres était de 25,22 par ). Dès la constitution du Gouvernement Poincaré, le 22 juillet 1926, elle recule à 208 le 23, pour coter 199 francs le 26 et 196 francs le 27, soit une baisse de 47 firancs (19,38 %) en 5 jours seulement. Une loi du 7 août 1926, permettant à la B.D.F. d'acheter l'or intérieur et des devises étrangères sans avoir à se préoccuper du maximum légal d'émission, constitue la première étape du redressement financier en lui procurant le moyen de constituer une forte encaisse. La confiance renaît bientôt et le mouvement de rapatriement des capitaux s'amplifie au point d'inquiéter MM. Charles Rist et Pierre Quesnay, respectivement Sous-Gouverneur et Directeur des Etudes Economiques de la B.D.F., redoutant ce qu'ils appellent une «panique de confiance». Il est vrai en effet que la baisse des changes diminue pour les Français le prix des produits étrangers et augmente pour ces derniers le prix des produits français. Mais il arrive un moment où les produits français ne pourront plus s'écouler à l'étranger, et où en France, malgré les droits de douane (il n'y

182 LE FRANC ET SON HISTOIRE avait pas à l'époque de contingents), ils se trouveront primés par les produits étrangers. Il est vrai que cette situation entraînera à faire baisser les prix français, provoquant la mévente, la réduction des salaires et par suite le chômage. Pour que la revalorisation monétaire n'entrainât pas de graves perturbations, il fallait l'arrêter au moment où elle viendrait buter contre le niveau des salaires en vigueur. Pour MM. Rist et Quesnay les salaires fixaient à la revalorisation du franc un plancher en dessous duquel il ne fallait descendre à aucun prix. Ces deux spécialistes connaissaient bien la question pour avoir participer à la stabilisation autrichienne, à la restauration du Mark, et pour avoir observé les événements qui se déroulaient au même moment en Angleterre. Le Gouvernement britannique, le 28 avril 1925, venait de réduire la convertibilité de sa monnaie au niveau d'avant-guerre, du fait que la dépréciation de la n'avait pas excédé 10 % de sa valeur. Ils devront faire les plus grands efforts pour faire partager leur opinion à M. Moreau, gouverneur de la B.D.F., et à M. Poincaré; ce dernier surtout pendant 2 ans se montrera un revalorisâtes convaincu. M. Rueff, ancien sous-gouverneur de la B.D.F., nous présente les deux personnages: «Emile Moreau, Inspecteur Général des Finances, est un financier éprouvé. Il a été directeur du Cabinet Rouvier, puis pendant 20 ans gouverneur de la Banque d'algérie, mais il reste très attaché à son Poitou natal. Il est et sera toujours de Montmorillon. Il exploite le domaine familial. Il aime la chasse, il a peu voyagé, il ne pratique aucune langue étrangère. Les parents et amis qui l'entourent sont, pour la plupart, avoués, notaires, magistrats. Je suis sûr qu'à son premier contact avec MM. Rist et Quesnay, leur connaissance de l'étranger, leur pratique des milieux internationaux, l'ont plus inquiété que rassuré. Ses voix familières sont celles de la Province et de la terre française». Et cependant MM. Rist et Quesnay parviendront assez vite à le décider à arrêter la hausse du franc par des achats de devises, et c'est lui qui à son tour aura à lutter longuement contre M. Poincaré pour réaliser la stabilisation de 1928. Et M. Rueff poursuit: «M. Poincaré est l'homme dont l'intelligence peut tout comprendre, mais fils d'un Ingénieur des Ponts et Chaussées, frère d'un Inspecteur Général de l'instruction Publique, cousin germain d'un Professeur à la Sorbonne et d'un Professeur au Collège de France, il est un survivant des notables. Il se sait dépositaire de la tradition bourgeoise et républicaine. II sent que la dévaluation appauvrira les rentiers et les pensionnés, déclassera les fonctionnaires et les intellectuels au profit des

LE FRANC ET SON HISTOIRE 183 commerçants détenteurs de stocks et des spéculateurs de tout acabit. Il sait que le dommage sera d'autant plus grave que la dépréciation aura été plus profonde. Il prévoit l'ébranlement que la modification indirecte des contrats fera subir à la moralité publique et privée et le coup qui sera porté à la tradition d'enrichissement par le travail et par l'épargne. Il devine qu'après IV.menuisement occulte et comme honteux des rémunérations en frrmcs, l'esprit revendicatif apparaîtra comme la défense nécessaire des niveaux de vie. Tout cela lui fait horreur et le prépare à résister de toutes ses forces aux conclusions que sa raison et son patriotisme tendront à lui imposer. La seule politique qui lui paraît moralement acceptable, c'est le retour au cours de 1914, tel qu'il était fixé par la loi monétaire. De Poincaré, M. Moreau dira de son côté «Raymond Poincaré qui était l'honnêteté même, et qui avait a un point peu commun chez les hommes politiques le souci de l'intérêt public et de la gloire de la France, était au fond de son cœur avec les revalorisateurs». La question du niveau des salaires semble bien avoir été la préoccupation dominante du Président Poincaré qui, à plusieurs reprises, reçut la visite de M. Léon Jouhaux, alors Secrétaire Général de la G.G.T., venu attirer l'attention du Chef du Gouvernement sur les risques de chômage que la hausse du franc entraînait déjà. Ainsi, en août 1926, il avait appelé à son Cabinet, M. Rueff, alors jeune Inspecteur des Finances, pour le charger d'une étude sur le niveau d'une éventuelle stabilisation du franc. En octobre 1926, il lui demanda de porter son enquête sur le niveau des salaires, désirant savoir quel était, pour chaque industrie, le niveau minimum de change à partir duquel elle devrait réduire ses salaires pour conserver ses débouchés. Ayant opéré des sondages en comparant les salaires français et allemands, M. Rueff, le 20 septembre 1926, pouvait conclure que si on voulait stabiliser actuellement à la parité des prix de gros allemands, il faudrait fixer le cours d'environ 140 francs par. A la parité des prix de détail correspondait un cours d'environ 120 francs et à celle des salaires, un cours compris entre ces 2 limites, 132 frs 50 en moyenne; or, à cette date, la se situait aux environs de 130 francs, cotant 125 francs en décembre 1926. C'est alors que la Banque, d'accord avec le Gouvernement, décida de modifier le caractère de son intervention sur le Marché des changes. Par une déclaration officielle, elle fit connaître qu'elle se portait acheteur de toutes devises offertes et vendeur de toutes devises demandées à un cours fixe voisin de 124 francs. Ce fut

184 LE FRANC ET SON HISTOIRE le début de la période de stabilisation de fait qui devait durer jusqu'à la Loi du 25 juin 1928, date à laquelle elle devait être transformée en stabilisation de droit, A noter en passant que la Banque dut absorber pendant ce laps de temps près de 31 milliards de devises. Le 30 mai 1928, M. Moreau posa le problème de la stabilisation légale en déclarant que «l'équilibre budgétaire était assuré depuis juillet 1926, que la Trésorerie se trouvait en super-équilibre, que l'assainissement du Bilan de la B.D.F. allait être réalisé, que les élections d'avril 1928 avaient consacré le triomphe de M. Poincaré et des idées de sagesse qu'il représentait». Il ajoutait que «la situation politique était stabilisée, les finances étaient stabilisées», rendant ainsi hommage, à près d'un siècle de distance au principe proclamé par un autre grand Lorrain, le Baron Louis (1755-1837;. M. Moreau, par ailleurs, constatait que la parité de 125 francs par avait été tenue depuis de longs mois et que l'économie nationale paraissait s'y être adaptée, estimant qu'il fallait stabiliser sans retard à ce cours. Et il ajoutait «Je fus obligé de le dire à M. Poincaré au début de juin 1928, en mettant dans la balance la menace de ma démission». Finalement, le 21 juin 1928, le Président du Conseil, enfin convaincu, dans un discours à la Chambre des Députés démontra la nécessité de la stabilisation. Et M. Moreau dira de lui qu'il a su parler en admirable avocat qui sait plaider de façon magistrale. M. Bueff de son côté, à propos du même discours, affirmera: (( Il n'est pas le plaidoyer d'un avocat habile, mais celui d'un patriote éclairé qui, après un débat de conscience prolongé, à définivement choisi de soumettre son sentiment aux exigences de sa raison». Dans la journée du 24 et dans la nuit du 24 au 25 juin, le projet de loi présenté par le Gouvernement fut voté à la Chambre par 402 voix contre 18 et au Sénat à la presque unanimité. Ainsi se terminait ce que M. Moreau a appelé le drame de la stabilisation. M. Rueff, lui aussi, dira: «C'est un drame antique qui se joue derrière les apparences d'une réforme financière, celui de la Fatalité, imposant à la France, contre la volonté quasi unanime de son opinion publique, contre les sentiments du chef de son Gouvernement et contre les tendances profondes du Gouverneur de la Banque d'emission, la stabilisation de sa monnaie à un cours représentant le cinquième seulement de son niveau d'avant 1914». Tout d'abord la loi du 25 juin 1928 a aboli le cours forcé établi par la loi du 5 août 1914, la France revenant ainsi à un système monétaire à base métallique. Elle substitue le monomé-

LE FRANC ET SON HISTOIRE 185 tallisme or au bi-métallisme en définissant le franc au poids de 65 milligrammes 1/2 au titre de 900/1.000, soit 58 mmg. de fin, consacrant la dépréciation du franc 1928 qui ne représente plus 1 que du franc germinal. Elle prévoit la frappe de pièces d'or 4925 de 100 francs au titre de 900/1.000 ayant cours légal illimité, reportant à une date ultérieure à fixer par décret la frappe pour compte des particuliers. Jusqu'à cette date la Banque est tenue d'acheter tout l'or qu'on lui présentera sur la base de 1 franc par 65 mmg. 5 d'or. La fabrication des monnaies d'argent pour le compte de l'etat au titre de 680/1.000, pièces de 10 francs (10 gr.) et de 20 francs (20 gr.) auront pouvoir libératoire jusqu'à 250 francs. Les monnaies de bronze d'aluminium et de nickel seront acceptées dans les paiements, les premières jusqu'à 50 francs, les autres jusqu'à 10 francs. Enfin, en exécution de la présente loi, il est procédé à la revalorisation de l'encaisse de la B.D.F. En comparant la situation hebdomadaire du 25 juin 1928 à celle du 24 juin 1926, on constate que l'encaisse de disponibles est passée de 3.684 millions d'anciens francs, soit 18.143.700.000 de francs nouveaux, à près de 29 milliards de francs nouveaux. A cette encaisse s'ajoute plus de 25 milliards de disponibilités à vue à l'etranger et de devises en rapport. En bref, c'est un total de 54 milliards (or et devises) qui sert de garantie au nouveau franc. Par ailleurs, les avances de la Banque de l'etat qui s'élevaient le 24 juin 1926 à plus de 42 milliards, ont été ramenées à 3.200 millions. La stabilité ainsi réalisée va durer jusqu'à la loi du 1 er octobre 1936 qui abrogera ou suspendra certaines dispositions de la loi du 25 juin 1928. Et notamment le franc n'est plus défini, et tout en restant rattaché à l'or, il n'est plus défini par un poids d'or de 65 mmg 5. Sa nouvelle définition n'est pas inscrite dans la loi, et un décret ultérieur fixera dans des limites qu'elle prévoit la nouvelle teneur en or du franc, son poids d'or à 900/1.000 ne devant être ni inférieur à 43 mmg ni supérieur à 49 mmg. Par rapport à sa parité or antérieure de 65, mmg. 5, la dépréciation du franc devait atteindre 34,35 % dans le premier cas et 25,19 % dans le second. Cette loi devait être complétée par la suite par celle du 10 mars 1937 et par un décret-loi du 30 juin 1937 qui, en somme, demeure le dernier mot de notre droit monétaire. Ce dernier texte supprime les limites de 43 mmg. et 49 mmg. établies par la loi d'octobre 1936, de sorte que la parité est désormais indéter-

186 LE FRANC ET SON HISTOIRE minée et que le sort du franc demeure ainsi en suspens! Ledit décret-loi stipule bien «que la nouvelle teneur du franc, unité monétaire française, sera fixée par un décret pris en Conseil des Ministres, ainsi que les conditions de convertibilité des billets de la B.D.F.». Ce texte prévoit astucieusement le retour tôt ou tard à l'étalon-or, sauf avis contraire du Parlement, mais à l'heure actuelle il est permis de se demander sur quelles bases? En réalité le franc est flottant, il n'est plus stabilisé. Depuis 1937, le franc pourrait-on dire, n'a plus de valeur légale, ou du moins ses variations ne correspondent plus à cette définition. Pratiquement, il est défini par une autre monnaie, qui fut d'abord la et qui est maintenant le dollar, variant selon le cours du marché libre. Mais il ne faut pas oublier que depuis 1937, et pour reprendre l'expression de M. Rueff, il y a eu pour la France un second drame combien plus douloureux encore que le premier et dû lui aussi à la Fatalité.