Sommaire Une famille vaste et ancienne... 4 Venues de la préhistoire........................... 4 Mystérieuses tortues marines...6 Adaptées à la vie aquatique...7 Les tortues de la Caraïbe... 9 Une mangeuse d éponges : la tortue imbriquée...10 De la couleur de l herbe : la tortue verte............11 La plus voyageuse : la tortue luth.................. 12 Une «grosse tête» : la tortue caouanne...13 La plus petite : la tortue olivâtre...13 La plus discrète : la tortue de Kemp...14 Une reproduction bien orchestrée...18 L accouplement : un ballet aquatique...18 À la recherche de la couveuse idéale...21 À l abri dans le sable............................. 25 Périlleuses émergences.......................... 28 En route vers un nouveau cycle...30 Vulnérables et menacées....32 Longtemps prisées par les gourmets...33 Le fléau de la surpêche...34 Toujours fragiles et en danger...34 Des associations actives et impliquées....44 La recherche et le suivi...45 Les soins aux blessées........................... 46 La sensibilisation................................ 46 Des progrès réels, bien que timides...50 La protection est toujours d actualité...50 Les mentalités évoluent..........................51 Les tortues, témoins de la mémoire collective...53 Repères...57 1
Préface Pour qui a eu la chance de vivre cet instant, la ponte d une tortue marine est un spectacle unique. Voir soudain apparaître à la surface de la mer cette forme arrondie, qui bientôt sort de l eau, se traîne sur la plage, s arrête, souffle, bat le sable de ses grandes nageoires, puis, avec une agilité incroyable, creuse un trou de ses pattes arrière pour y pondre une centaine d œufs tout ronds, tout blancs, qui tombent au fond du trou, relève aujourd hui d une chance inouïe. Dans les années 1970, à la période de la ponte, c est par centaines qu on les comptait sur les plages de l ouest de la Guyane mais on n en voyait presque plus sur les plages des Antilles. En 1977, une équipe de chercheurs du Muséum national d Histoire naturelle part en Guyane pour faire l état des lieux des populations locales de tortues marines, et préparer la mise en place de la préservation de ces animaux. Les directions de l Environnement n existaient pas encore, elles n ont vu le jour qu en 1994. Aux Antilles, au début des années 1990, c est grâce à l action concertée d entités aussi différentes qu étaient les directions de l Agriculture, de l Équipement, des Douanes, des Affaires maritimes, de la Forêt ainsi que des Comités des pêches et de quelques associations que nous devons le départ du travail considérable qui a probablement sauvé ces animaux de leur disparition annoncée. Les tortues marines semblent revenir peu à peu aux Antilles et, si on peut déplorer que la scène soit encore rare, elles ont bien failli disparaître totalement dans cette région. Aujourd hui, alors qu il ne s agit plus de légiférer, mais d agir, c est grâce aux efforts constants des bénévoles souvent réunis au sein de réseaux locaux, des pêcheurs, des membres de clubs de plongée et de 2
jeunes chercheurs passionnés comme Laurent Louis- Jean que ce travail peut se poursuivre. Et grâce à cet ouvrage, à la fois complet, succinct et précis, chacun d entre nous pourra apprendre à connaître ces animaux exceptionnels et contribuer à les sauvegarder. Ce n est que comme cela qu à la tombée de la nuit, au même endroit qu au début de notre histoire, mais deux mois plus tard, le sable pourra encore frémir et s ouvrir Et que des dizaines de petites tortues pourront surgir, sortir du sable, ramper de toute la vitesse de leurs petites pattes, dévaler la plage, atteindre la mer, nager de toutes leurs forces et disparaître et peut-être revenir pondre vingt ou trente ans plus tard. Jean Lescure Muséum national d histoire naturelle 3
Reconstitution de Proganochelys, l ancêtre des tortues. La science des reptiles se nomme l herpétologie. Une famille vaste et ancienne Venues de la préhistoire Terrestres comme marines, il n y a guère qu en Antarctique que l on ne trouve pas au moins une espèce de tortue, parmi près de 300 espèces connues. D une adaptabilité exceptionnelle, elles ont su s acclimater aux milieux les plus divers. Malgré cela, la moitié des espèces est aujourd hui menacée de disparition. Apparues au Trias, il y a 220 à 230 millions d années, elles sont contemporaines des dinosaures. Ce sont des reptiles, comme les lézards et les crocodiles. Les espèces marines ne sont venues que bien plus tard, il y a environ 55 millions d années. L ensemble des tortues constitue l ordre des Chéloniens, qui possèdent tous une carapace. Celle-ci est généralement dure, constituée d os, de cartilage et d écailles de kératine. Chez la tortue luth, Dermochelys coriacea, la dossière, plus souple, a l apparence d un cuir épais. 4
Une famille vaste et ancienne L ancêtre de toutes les tortues, Proganochelys, mesurait environ 90 centimètres de long. Sa carapace était plate et l animal était pourvu de solides épines sur la tête et la queue. Au cours de l évolution, les tortues perdent leurs dents mais leur bec, très coupant, est d une efficacité redoutable. Chez les espèces marines, sa forme témoigne du régime alimentaire de l animal. Il est plutôt arrondi chez les herbivores, pointu chez les carnivores. À la différence de leurs cousines terrestres, les espèces marines et certaines d eau douce n ont pas la possibilité de rétracter le cou et les membres. Mais toutes ont une respiration pulmonaire, comme l homme, et pondent à terre dans des nids qu elles creusent dans le sol. Bien qu il arrive qu on les voie par groupe de deux ou trois, elles sont plutôt solitaires, sauf en période de reproduction où mâles et femelles se rencontrent pour s accoupler. Ces animaux ont inspiré nombre de naturalistes et d explorateurs. C est le cas de l île de la Tortue, qui doit son nom à Christophe Colomb. La tortue tient son nom du latin médiéval Tartarus «lieu des enfers», en raison de son allure inquiétante. Dipsochelys dussumieri, la tortue géante des Seychelles, est la plus grosse des espèces terrestres. Les mâles peuvent peser jusqu à 300 kg, pour une taille de 1,20 m. Elles sont capables de vivre jusqu à 200 ans. 5
L île de la Tortue ainsi baptisée par Christophe Colomb parce qu elle ressemblait à une «Tortuga de mar», est aujourd hui une commune haïtienne dépendante de l arrondissement de Port-de-Paix, dont elle est séparée par un bras de mer dit «canal de la Tortue». Elle a servi de cadre au film Pirates des Caraïbes. Les tortues sont souvent accompagnées de poissons, entre autres des rémoras et des poissons pilotes. Mystérieuses tortues marines L essentiel des observations directes porte sur la période de reproduction où, sur un temps très court, les tortues marines rejoignent les côtes et se retrouvent pour s accoupler et venir pondre à terre. Hormis les espèces côtières, il est assez rare de les croiser en mer. En fonction de leur habitat, la coloration de leur carapace et de leur plastron constitue un camouflage parfaitement adapté : foncée sur le dos et claire sur la partie inférieure pour les espèces pélagiques c est-à-dire qui vivent en pleine eau vertes ou marron pour les espèces récifales ou côtières. C est probablement ce qui explique que l on en sache aussi peu sur les juvéniles, qui semblent rayés de la face du monde pendant la période suivant leur arrivée en mer. Leur âge non plus ne peut être déterminé avec précision, car on n a pas pu tracer un individu de son éclosion jusqu à sa mort. On croit savoir qu en fonction de l espèce, la longévité se situerait entre une quarantaine et une centaine d années. Cela dit, les moyens modernes d investigation que sont le marquage, le suivi par balise, l analyse des contenus stomacaux, etc., permettent de collecter de plus en plus d indications précises sur le devenir de ces animaux mystérieux après leur disparition de notre champ de vision. 6
Une famille vaste et ancienne Adaptées à la vie aquatique Même si elles y viennent pour pondre, les espèces marines passent moins de 1 % de leur vie sur terre. Elles présentent extérieurement les marques de l adaptation à la vie aquatique : leur carapace, de forme aplatie, est hydrodynamique et leurs pattes, transformées en palettes natatoires, leur servent à ramer et à «voler» dans l eau. Les pattes arrière, plus courtes et arrondies font office de gouvernail. Mais bien qu elles soient capables de rester très longtemps en apnée, leur respiration pulmonaire les contraint toutefois à remonter à la surface pour respirer, même si leur excellente capacité à stocker l oxygène réduit considérablement le temps passé à la surface. La profondeur de plongée et sa durée dépendent du volume d air inspiré. Les tortues marines peuvent plonger à des profondeurs considérables. Leur métabolisme ajustable leur permet de se maintenir longtemps sous l eau, la souplesse de leur plastron compense la pression de l eau, qui augmente au fur et à mesure de la descente. La tortue verte est capable de rester près de cinq heures en apnée et peut descendre à plus de 50 mètres. À titre comparatif, cette durée est de l ordre d une dizaine de minutes pour un homme champion d apnée et ne dépasse guère deux minutes pour un individu non entraîné. Toutes les tortues marines viennent prendre leur air à la surface. Ici une tortue verte (Chelonia mydas). 7
Plus l objectif est profond, plus grande est la quantité d air nécessaire pour annuler la flottabilité, et plus longtemps peut durer l apnée. À l inverse, au repos, les poumons remplis d air permettent le maintien à la surface. Animaux à sang froid, ectothermes, leur température varie en fonction de celle du milieu. Il arrive ainsi que, pour se réchauffer, les tortues marines prennent de longs bains de soleil, immobiles à la surface de l eau, souvent les yeux fermés. Chez la tortue luth, des adaptations particulières permettent la thermorégulation, ce qui explique la présence de cette espèce dans les mers froides, mais cette caractéristique ne la rend pas plus apte que ses congénères à résister à des températures supérieures à 45 C, qui est le seuil létal pour toutes les espèces. L adaptation à la vie aquatique 1. Tortue terrestre, Chelonoidis carbonaria, la Molocoye des Antilles. 2. Tortue verte, Chelonia mydas. Le corps est aplati, les membres transformés en palettes natatoires, la tête et les membres ne peuvent pas se rétracter dans la carapace. 1 2 8
Les tortues de la Caraïbe Sur les sept espèces de tortues marines connues à ce jour dans le monde (si l on considère Chelonia mydas agassizi comme une sous-espèce), cinq fréquentent plus ou moins régulièrement les eaux de la Caraïbe et de la Guyane.
Une mangeuse d éponges : la tortue imbriquée Lat. : Eretmochelys imbricata Abr. : Ei Fr. : Tortue imbriquée, Tortue caret Cr. : Karet An. : Hawk s bill Turtle Es : Tortuga carey Également connue aux Antilles sous le nom de karet, Eretmochelys imbricata se reconnaît à sa tête effilée, à son bec, qui évoque celui d un faucon (tortue à bec de faucon, en anglais), à la dentelure de la partie postérieure de sa carapace et à la disposition de ses écailles à la façon des tuiles d un toit. Elle vit aux abords des récifs coralliens et des étendues d algues. C est la seule qui consomme les éponges, pour lesquelles elle a un goût particulier, même si elle ne dédaigne pas d autres invertébrés comme les crustacés, les méduses, les calmars et les oursins, ainsi que les algues. Son bec crochu lui permet de chercher sa nourriture dans les crevasses. De taille moyenne, elle mesure de 60 cm à 1 m pour 43 à 75 kg à l âge adulte. C est la plus tropicale de toutes les espèces. Elle évolue de préférence sur des fonds côtiers peu profonds, mais elle est capable de plonger à plus de 50 m de profondeur pendant une demi-heure en moyenne. Sa vitesse de pointe a été mesurée à près de 25 km/h. Les populations de tortues imbriquées des Antilles françaises ont notamment des échanges entre Martinique, Barbade et Sainte-Lucie, ou entre Guadeloupe, Cuba, îles vierges et Antigua. Leur site de ponte principal se situe au Mexique. Tortue imbriquée nageant au-dessus du récif corallien, son habitat de prédilection. 10
Les tortues de la Caraïbe De la couleur de l herbe : la tortue verte La tortue verte, Chelonia mydas, doit son nom à sa couleur, qui provient des pigments contenus dans les végétaux qu elle consomme. En effet, si les juvéniles sont omnivores, et mangent entre autres des méduses et des crustacés, les adultes sont exclusivement herbivores. Ils vivent non loin des récifs coralliens et des zones d herbiers et d algues d eau profonde qui constituent leur nourriture. C est la plus grande des Cheloniidés, et la plus vive des tortues marines : elle peut atteindre près de 35 km/h en pointe. La taille et le poids moyens des adultes varient en fonction de la zone géographique. La taille de la carapace atteint en moyenne 1,10 m et l animal pèse entre 80 et 130 kg. Certains spécimens peuvent atteindre 300 kg pour 1,50 m. On la rencontre principalement aux abords des côtes continentales et des îles océaniques de près de 140 pays, jusqu à 45 de latitude de part et d autre de l équateur. C est là qu elle se nourrit, mais la plupart du temps, c est dans les mers tropi cales qu elle vient pondre. D un site à l autre, elle peut migrer sur plus de 2 000 km. Par exemple, les populations des Antilles françaises ont des échanges avec les îles d Aves (Venezuela). Leur plus grand site de ponte est situé, à Tortuguero, au Costa Rica. Lat. : Chelonia mydas Abr. : Cm Fr. : Tortue verte, Tortue franche Cr. : Tôti blan An. : Common green turtle Es. : Tortuga verde Tortue verte nageant au-dessus de l herbier. 11
La plus voyageuse : la tortue luth Lat. : Dermochelys coriacea Abr. : Dc Fr. : Tortue luth Cr. : Bataklin An. : Leatherback Turtle Es. : Tortuga cardon Le nom de cette espèce vient de sa ressemblance avec un instrument à cordes d origine orientale, sorte de guitare dont la face arrière est constituée de fines planches de bois juxtaposées. Sa dossière, de couleur noire à bleu nuit, tachetée de points blancs, comporte 7 carènes longitudinales blanchâtres et son énorme tête porte une tache rose frontale, appelée chanfrein. Dermochelys coriacea est la plus grosse de toutes les tortues marines, d où son surnom de géante des mers. La taille des adultes peut atteindre 2 mètres et leur poids près d une tonne, mais en moyenne elle pèse entre 400 et 500 kg. Elle peut nager jusqu à 36 km/h. Carnivore, elle se nourrit principalement de mé - duses, mais aussi d hydrozoaires et de plancton. De tous les reptiles, c est celui qui a la répartition la plus large : on la trouve dans tous les océans jusqu au cercle polaire arctique. Elle est pélagique à toutes les phases de son cycle : elle vit en pleine eau, loin des côtes, plonge à près de 1 300 mètres avec des apnées de plus de 80 minutes. Elle peut parcourir 15 000 km par an, ce qui fait d elle une des espèces les plus migratoires au monde. Les plages de la Guyane française et du Gabon sont ses sites de ponte les plus importants. Les tortues luth en ponte aux Antilles fran çaises ont été observées au centre de l Atlantique, en Colombie, Dominique, Grenade, Guyana, Sainte-Lucie, Trinidad et avec des échanges entre la Guadeloupe et la Martinique. Tortue luth en pleine eau, entourée de poissons pilotes. On distingue également un rémora fixé sur son plastron. 12
Les tortues de la Caraïbe Une «grosse tête» : la tortue caouanne Caretta caretta est l une des espèces les plus étudiées dans le monde. Elle est présente aux Antilles françaises, mais jamais en grande quantité. Elle vit au large, sur des fonds autour de 50 m, et choisit pour nidifier les latitudes plus élevées des zones tempérées. On la rencontre beaucoup en Floride et en Méditerranée. C est aussi une grande espèce : la carapace des adultes, de couleur brun orangé, peut mesurer jusqu à 1,50 m, pour un poids d une centaine de kilos. On la reconnaît notamment à sa grosse tête, pourvue d une large et puissante mâchoire. Elle est omnivore, mais surtout carnivore, et assez peu fidèle à ses sites de ponte. Lat. : Caretta caretta Abr. : Cc Fr. : Caouanne Cr. : Tôti jon An. : Loggerhead Turtle Es. : Tortuga caguama La plus petite : la tortue olivâtre Lepidochelys olivacea est l une des plus petites. Sa carapace, plate et brune, est cordiforme (en forme de cœur) et très en retrait au niveau des pattes antérieures. Elle mesure entre 50 et 70 cm, pour une quarantaine de kilos. Omnivore, elle se nourrit volontiers de ce qu elle trouve : de préférence méduses, gros invertébrés (crabes et autres crustacés) et poissons, mais ne dédaigne pas, au besoin, les algues et les plantes aquatiques. Elle est très rare aux Antilles, ses principaux sites de ponte sont localisés sur le plateau des Guyanes. Lat. : Lepidochelys olivacea Abr. : Lo Fr. : Tortue olivâtre Cr. : Ku ron An. : Olive Ridley Turtle Es. : Tortuga golfina 13