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STÉPHANE LEBEC Q LA NEUSTRI E E T L A ME R En 1865 a été retrouvé à Glisy, su r l a rive gauch e d e l a Somme à six kilomètres e n amont d'amien s e t à une dizaine d e kilomètres e n ava l de Corbie, un tréso r d e 559 deniers d'argent, principalement frappé s a u nom de Charles l e Chauve (840/877). La présence assurée de deniers de Louis III (879/882), qui paraissait fournir u n terminu s ante qu o fiable, a d'abord persuad é le s chercheurs, à la suite d e Fernand Vercauteren 1, d e mettr e l'enfouissemen t d u tréso r su r l e compt e de s effet s d u gran d rai d viking qu i dévast a l a Picardie, e n particulie r Saint-Riquier, Amien s e t Corbie, e n février 881. Mais la présence, reconnue par Monsieur Jean Lafaurie, du nom d'eude s (888/898) dans l a légende d e trois d e se s deniers, oblige à en différer, d'un e dizain e d'années a u moins, la constitution 2. Quell e que fût, à dire vrai, la date exacte de son enfouissement, qu'i l ai t ét é rassembl é e t enterr é pa r u n habitan t d u cr u o u pa r u n individu d e passage (j'opte volontier s pour l a première solution) 3, le trésor d e Glis y présente un gran d intérê t pour l'historie n d e la circulation e t des échanges, puisque, sur ses 559 pièces, 493 portent l e nom d e leur atelier d'émission. Or, à une exceptio n près (Marsal, e n Lorraine), toutes le s pièces proviennent d'un e zon e comprise entr e la Meuse, l a haute vallée de l a Saône (Auxonne), l a Loire entr e Nevers e t Angers, la frontière d e l'armorique enfi n e n passant par Rennes - autant dire de la moitié nord de la Francie occidentale, élargi e a u bassin mosan aprè s l e traité d e Meersen d e 870. En découl e l'impressio n qu e cett e vast e régio n constitu e à la fi n d u IX e siècl e un e zone de circulation homogène, e t cela d'autant plu s qu'elle paraît tourner l e dos au x autres ensemble s régionau x (Austrasie, Burgondie, Aquitaine ) hérité s de s siècle s antérieurs, puisque les rares ateliers de la Meuse, de la haute Saône, de la Loire ou d e la march e d'armoriqu e représenté s dan s l e tréso r n e lu i on t donn é a u mieu x (Orléans, Maastricht ) qu e quatr e o u troi s pièces, plu s souven t un e seule. Plu s précisément, o n constat e qu' à par t Reim s (39 pièces), a u carrefou r de s voie s romaines, e t Saint-Deni s (31 pièces), sièg e d e célèbre s foire s a u vin, le s atelier s le s mieux représenté s son t ceu x d e Quentovic, qu i domine tou s le s autres (113 pièces), d'amiens (74 pièces) e t de Rouen (35 pièces), c'est-à-dire de s trois principaux port s 1 Fernan d VERCAUTEREN, L'interprétatio n économiqu e d'un e trouvaill e de monnaie s carolingienne s faite prè s d'amien s e n 1865, dans: Revue belg e de philologie e t d'histoire 13 (1934) p. 750-758. 2 Je doi s remercie r Jean-Pierre Devroe y de m'avoi r mis su r l a piste de cett e révisio n e n m e signalan t l'article d'hubert FRÈRE, Le denier carolingien (complément à l'ouvrage du même), dans: Revue belge de numismatiqu e e t d e sigillographi e 126 (1980 ) p. 109-127. Je sai s infinimen t gr é à Monsieur Jea n Lafaurie d e m'avoi r confirm é pa r lettr e le s correction s qu'i l avai t suggérée s à M. Frère, à savoi r l'existence de deniers d'eudes (deu x de Bruges, un d'orléans) à la légende OD ATA cachés parmi ceux de Charles l e Chauve à Glisy (E. GARIEL, Le s monnaies royale s de France sous l a race carolingienne, 1.1, Strasbourg 1883, n os 40, 41 et 82). 3 II suffit d e relever la présence relativement importante des monnaies locales (74 d'amiens, 27 de Saint- Quentin, 18 de Laon...).

406 Stéphane Lebec q de mer (mêm e Amiens, j'insiste) de l'ancienne Neustrie, ce s ports qu i abritaient, a u même titr e que Dorestad e t Maastricht, le s principales douanes que l'administratio n franque avai t établies dans le nord d e la Francie, au plus tard dan s la seconde moiti é du VIII e siècle 4. La question qu'i l convien t maintenan t d e s e poser es t d e savoi r s i les suggestion s du trésor de Glisy (qui, si l'on récapitule, feraient du nord de la Francie occidentale à la fi n d u IX e siècl e un e zon e d e circulatio n homogène, pe u ouvert e au x échange s continentaux ave c les autres parties d u mond e franc, mai s a u contraire tou t entièr e tournée ver s l a mer, singulièremen t ver s l a Manche, c'est-à-dir e ver s u n outre-me r dont i l y a lie u d e pense r que, vu e l'orientatio n de s troi s port s précités, i l étai t principalement anglo-saxon), s i ce s suggestion s s e trouvent confirmée s e t peuven t être généralisée s aprè s étud e approfondie de s sources; si elles peuvent, plu s précisément, s'applique r à l'entit é territorial e qu i fu t l a préfiguratio n géopolitiqu e d e l a Francie occidental e a u nord d e l a Loire 5, l a Neustrie de s VII7IX e siècles. Les côtes de la Neustrie: aspects du peuplement et ouverture sur la mer Le contact d e la Neustrie ave c la mer se faisait par l'intermédiaire d'un e côte étendue et dans l'ensemble hospitalière. Une tendance longue à la transgression qui, par-delà les oscillations cycliques de leur niveau, a affecté depui s la fin du III e siècle l'ensemble des mers du Nord 6, a même pu contribuer à la multiplication, depui s les bouches de l'escaut jusqu'à la baie du Mont-Saint-Michel, des havres naturels: plages sablonneuses d e l a me r d u Nord, profondémen t échancrée s avan t l a moindr e tentativ e d e poldérisation; côt e rocheus e d e l a Picardie, situé e e n retrai t pa r rappor t à l a côt e actuelle dont l e tracé n'était préfigur é qu e par l e chapelet de s îles littorales, mais o ù les estuaires e t les rivières facile s à remonter étaien t relativement nombreux; falaise s crétacées d e l a haut e Normandie, don t l'alignemen t étai t interromp u pa r l a bass e vallée des rivières qui se jetaient dans la Manche, celle de la Seine en particulier; côtes rocheuses du Secondair e ancie n e t du Primaire d e la basse Normandie, où le s plages et les criques offraien t d e nombreux abris. Sans oublier, bien sûr, le lointain estuair e de l a Loire, fenêtre ouvert e pa r l a Neustrie e n direction d e l'atlantique. Cela faisai t longtemp s qu e le s région s côtière s avaien t ét é occupées, e t dan s so n»de Bell o Gallico«, Césa r évoqu e à plusieurs reprise s le s»maritimae civitates qu i bordaient l'océan«7. Dans l'espace qui nous intéresse, les principales étaient celles des 4 Suivant l e fameu x précept e d u 27 mars 779 en faveu r de l'abbay e de Saint-Germain-des-Prés. Ed. Hartmut ATSMA e t Jea n VEZIN, Charta e Latina e Antiquiores, t. XVI, France IV, Dietikon-Ziirich 1986, n 625, p. 38-41. 5 Sur la filiation géopolitiqu e entr e la Neustrie e t la Francie occidentale, voir les pages remarquables d e Karl-Ferdinand WERNE R dans: Le s Origine s (Histoir e d e France, dirigé e pa r Jean F A VIER, tomel), Paris 1984, en part. p. 323. 6 Pour le s régions d u Nord, voi r A. VERHULST e t M. K. E. GOTTSCHALK, Transgressies e n occupatiege - schiedenis in de kustgebieden va n Nederland e n België, Gand 1980, où, s i M. K.E. Gottschalk remet en caus e l e concep t de transgressio n dan s l e ca s de l a Zéland e d u IX e siècl e (p. 25), l'idée d'u n relèvement généra l de s niveau x marin s entr e l e IV e e t l e XII e siècl e n'es t pa s contesté e (cf. A. VER- HULST, p. 11-12 et 317-318). Pour l a Normandie, voir L.HARMAN D dans : Histoire d e l a Normandi e (dirigée par M. DE BOÜARD, Toulouse 1970), p. 36-37. 7 En particulie r dan s l e ca s de s peuples armoricains : De Bell o Gallico, II34 ou VII75.

Fig. 1 Répartition des ateliers d'origine de s pièces découvertes à Glisy (S. LEBECQ, L a Documentation française, d'aprè s Fernand Vercauteren)

408 Stéphane Lebec q Ménapiens, de s Morins, de s Ambiens, de s Calètes, des Veliocasses, de s Lexoviens, des Viducasses, des Bajocasses, de s Unelles, et, autour d e l'estuaire d e la Loire, des Namnètes. Sans doute fut-ce auprè s des unes et des autres qu'il trouva ces marchands habitués des contacts ave c la Grande-Bretagne dont il aurait voulu faire ses informateurs sur la grande île et sur les possibilités d'y débarquer 8. L'intégratio n d e celle-ci dans l'orbe d e la Paix romaine ne put que faciliter le s relations entre les deux rivage s de la Manche: Gesoriacum, peut-êtr e à l'emplacement d e l'ancien Portus Itius e t en tout ca s future Bononia/Boulogne, se développa avec l'installation sou s ses murs, dès le premier siècle après Jésus-Christ, de la Classis britannica 9 ; l'esso r de Samarobrivai Amiens dut énormément a u»coup de fouet«qu e la conquête de la Bretagne donna à la Gaul e d u Nord 10 ; surtout, l a basse vallé e d e la Seine connu t un e animation qui profita, d'abord, a u développement de Juliobona/Lillebonne, don t le port se trouvait installé su r la grande plain e d'alluvion s qu i s'étend à l'ouest-sud-ouest d e la ville actuelle 11, puis, à partir du II e siècle, à celui de Rouen, où les vestiges du port romai n - un premier quai de pierre bientôt remblayé et remplacé par un second situé un peu plus a u sud, mais auss i d'importants entrepôt s - ont été récemment mi s au jour au bas d e l a Plac e d e l a Haute-Vieille-Tour 12. Ic i e t là, mai s auss i dan s de s centre s secondaires, ont été retrouvés les vestiges d'échanges multipliés entre les deux rivages de la Manche 13, qui montrent qu'existai t entr e eux un système de relations homogè - nes, don t l'irland e d'ailleur s n'étai t peut-êtr e pa s exclue 14. Ce t équilibr e allai t s e trouver compromi s pa r les graves événement s d e la fin du III e siècl e - usurpations avortées de Carausius puis d'allectus qui avaient voulu, justement, bâtir un empire à cheval sur la Manche; et premières incursions des pirates saxons. Pour fair e fac e aux uns, Constanc e Chlor e du t arme r cett e régio n qu i allai t deveni r l e Constantinus pagus, l e Cotentin 15 ; pou r oppose r au x autres u n fron t cohérent, l'administratio n impériale mit au point sur les deux rive s de la Manche le dispositif conn u grâce à la»notitia dignitatum «sou s l e nom de Litus saxonicum 16. Ce s efforts, partiellemen t englobés dan s l e vast e Tractus armoricanus qu i voulu t donne r u n encadremen t défensif au x populations maritimes de la Somme à la Loire, ne purent que différer le 8 De Bello Gallico, IV 20-21. 9 Claude SEILLIER, Boulogne, base navale romaine, dans: Les hommes et la mer dans l'europe du Nord- Ouest d e l'antiquit é à no s jour s (Colloqu e d e Boulogne-sur-Mer), édit é pa r A. LOTTIN, J.-C. HOCQUET, S. LEBECQ, Lill e 1986, p. 163-178. 10 Didier BAYAR D et Jean-Luc MASSY, Amiens romain: étude sur le développement urbain du 1 er siècle av. J.-C. a u V e siècle ap. J.-C, dans: Revue du Nord64 (1982 ) p. 5-26, en particulier p. 19. 11 HARMAND dans : Histoire d e la Normandie (cité e n.6) p. 61. 12 Patrick HALBOUT, Rouen. L a vill e romaine : découverte s récentes, dans : Dan s l e so l de s ville s normandes. Le s dossiers histoire e t archéologie 72, avril 1983, p. 28-37, en particulier p. 30-31. 13 Un exempl e parm i d'autres : l a présence d e 'black-burnished wäre', céramique originair e d u Dorset, aussi bie n à Rouen qu' à Cherbourg (II7IV e siècles) : cf. Jacqueline PILET-LEMIÈRE, Cherbourg : l a nécropole carolingienn e e t les églises primitives, dans : Dans l e sol des villes normande s (cit é n. 12), p. 8-15, en particulier p. 12; et HALBOUT, Roue n (n. 12), p. 34. 14 Cf. Edwar d JAMES, Irelan d an d western Gaul in th e Merovingia n period, dans : Irelan d i n Earl y Mediaeval Europ e (Mélange s Kathlee n Hughes, édité s par Dorothy WHITELOCK), Cambridg e 1982, p. 362-386, en particulier p. 364 365. 15 L. HARMAND, Histoir e d e la Normandie (cité e note 6), p. 72. 16 Sur la question d u Litus saxonicum, voi r D, E.JOHNSTON éd., The Saxon shore, Council for British Archaeology, Researc h Repor t n 18, Londres 1977.

La Neustrie e t l a mer 409 progressif démantellemen t d e l'apparei l militair e romain ; surtou t il s n e puren t empêcher l'installation, qu i rest e obscure à bien de s degrés, de groupes saxon s dan s l'angleterre du sud d'une part, dans le Bessin et le bas-boulonnais d'autre part 17. Les découvertes archéologique s récente s faite s dan s l e bassi n inférieu r d e l'orn e ( à Réville, Vierville, Bénouville, Hérouvillette, Frénouville, Giberville ) tou t autan t qu'entre le s basse s vallée s d e l'authi e e t d e l a Somm e ( à Vro n e t à Nouvion) 18, montrent que, dans une zone dont les limites dépassaient sensiblement celles qui, sur la bas e d'un e argumentatio n essentiellemen t historiographiqu e e t toponymique, avaient ét é traditionnellemen t attribuée s à cette implantatio n saxonne, le s contact s avec l e monde anglo-saxo n demeurèren t nombreu x e t significatif s jusqu' à l a fin d u VI e siècle. Mais la prise de possession d e l'espace côtie r par les envahisseurs barbare s n e vint assurément pas que de la mer. Comme l' a montré Ia n Wood, les Francs, en premier lieu Mérovingiens, exprimèrent à partir du VI e siècle, des ambitions hégémoniques en direction de s mer s d u Nord 19, e t i l n'est mêm e pa s excl u qu e certain s d'entr e eu x aient eu, à partir d e l a seconde moitié d u VI e siècle, une influence déterminant e su r certains royaume s d u sud-es t d e l'angleterre, pa r exempl e su r l e Ken t d u ro i Aethelbert à parti r d u momen t (560) où celui-c i épous a l a fill e d u ro i d e Pari s Caribert 20, o u su r l'east-anglia d u ro i Redwald o u d e son fil s Sigebert, ains i que l e suggère l a composition d u tréso r conten u dan s l a bourse funérair e d e Sutton Hoo - trente-sept monnaie s d'o r d'origin e exclusivemen t mérovingienne, e t qu i on t ét é rassemblées a u plu s tar d ver s 620-625 21. Plu s qu e tou t autr e argument, c'es t san s doute l a multiplication, sensibl e à partir d u VII e siècle, de s fondations monastique s sur le bord même de la mer, ou sur les basses rivières qui s'y jetaient, qui expriment le mieux l a prise d e possession pa r le s Francs d u milie u côtier. Ce s fondation s furen t souvent le produit de la rencontre entre la spiritualité colombanienne et une initiative royale (songeon s à Dagobert ou à Bathilde) ou encor e aristocratiqu e (songeon s à Ouen, naguèr e référendair e à l a cou r d e Dagobert, puis, d e 641 à 684, évêque d e Rouen), d e toute s le s façon s venu e d u cœu r d e l a Neustrie: c e furen t entr e autre s Saint-Valéry (613), Centula (625), Saint-Bertin (645), Fontenelle (649), Jumièges 17 Pour u n aperç u général, voi r Lucie n MUSSET, Le s Invasions : le s vague s germaniques, Pari s 1965, p. 151-152. 18 Pour la basse vallée de l'orne, voir Claude LORREN, Des Saxons en Basse Normandie a u VI e siècle? A propos d e quelque s découverte s archéologique s funéraire s faite s récemmen t dan s l a bass e vallé e d e l'orne, dans : Studien zu r Sachsenforschung, n 2, Hildesheim 1980, p. 231-259, en particulier p. 257; pour le Ponthieu e t le Boulonnais, voir Le Nord d e la France de Théodose à Charles Martel, catalogue d'exposition Lill e 1983, contribution d e Claud e SEILLIER, e n particulier p. 38-39. 19 Ian WOOD, The Merovingia n North Sea, Alingsâs (Suède ) 1983, en particulier p. 10sq. 20 WOOD, ibid., p. 15-17; Annethe LOHAUS, Die Merowinge r und England, Münche n 1974, p. 5-9; ou encore Richar d HODGES, Dar k Ag e économies. Th e origin s o f town s an d trade (A.D. 600-1000), Londres 1982, p. 35. 21 WOO D souligne à juste titre (op. cit. p. 14) le caractère éminemment franc d u nom de Sigebert; mais il veut fair e d e c e Sigebert, contr e l'avi s unanime, l e prince inhum é dan s l a grand e tomb e à navire d e Sutton Hoo, e n s e fondan t entr e autre s su r l'origin e de s pièce s trouvée s dan s l a bourse. Sur c e problème, e t sur l'attribution d e la tombe a u roi Redwald, voir Rupert BRUCE-MITFORD, The Sutto n Hoo shi p burial, vol. 1: Excavations, background, th e ship, datin g an d inventory, Londre s 1975, singulièrement le chapitre sur»the coins and the date of the burial«, dû pour l'essentiel à J. P. C. KENT, p. 578-682, en particulier p. 607.

410 Stéphane Lebec q (654), Fécamp (658), toutes abbayes situées en Picardie et en haute Normandie, dan s le vaste croissant o ù s'établi t l e contact d u Bassi n parisien - centré su r une ville qu i fut, depui s la fin du règne de Clovis, la véritable capitale de la Neustrie - avec la mer. La proximité d e celle-ci a été, si l'on e n croit les hagiographes e t autres auteurs d e Gesta, un argument décisi f dans le choix de l'implantation d e ces établissements 22, de la même façon qu'ell e a pu jouer un rôle déterminant dans l'acquisition d e domaines côtiers par les grandes abbayes d e l'arrière-pays 23. C'es t d'ailleur s souven t grâce aux archives, aussi bien narratives que diplomatiques, que nous ont léguées les uns et les autres, qu e nou s entrevoyon s l e mieu x le s activité s spécifique s d u milie u côtie r a u début d u Moye n Age : élevag e extensi f su r le s prés-salés, le s schorren, qu'o n voi t clairement pratiqu é dan s le s domaines acqui s e n Flandr e zélandais e par le s grande s abbayes gantoises 24 ; exploitatio n d u se l marin, qu'o n n'aperçoi t pa s seulemen t d e part e t d'autre d e l'estuaire d e la Loire, dans les baies d e Guérande e t de Bourgneu f dont les marais salants attiraient les établissements ecclésiastique s les plus lointains 25, mais auss i nettemen t plu s a u nord, dan s de s région s o ù l e défau t d'ensoleillemen t exigeait une technique d e combustion artificielle 26, par exemple dans le pays d'hon - fleur, où, à parti r d'un e dat e certe s difficil e à préciser, Jumiège s posséd a de s sauneries, ou encore dans le Talou, entre les estuaires de la Béthune et de la Bresle, où Fontenelle e n acquit, successivemen t e n 673 et 734 27 ; l a pêch e surtout, qu'o n voi t 22 Aperçu généra l dan s Emil e LESNE, Histoir e d e la propriété ecclésiastiqu e e n France, vol. 1, Epoques romaine e t mérovingienne, Lille-Pari s 1910, p. 96-98. Cet auteu r cit e (p. 98, n. 1) le ca s d e Saint - Valery, où s e trouvent conjugué s le s avantages de la mer toute proche e t de l a Somme poissonneuse ; mais on pourrait lu i ajouter le s exemples célèbres de Jumièges, évoqué dans la Vita Filiberti ch. 7 (éd. W. LEVISON, M.G.H., Scriptores rerum merovingicarum, t. V, p. 588) et de Fontenelle, évoqué dans les Gesta sanctoru m patru m Fontanellensi s coenobii, livr e 1, ch. 5 (éd. F. LOHIER e t J. LAPORTE, Paris - Rouen 1936, p. 6-7). 23 Pour une position générale du problème des domaines excentriques dans l'histoire des grandes abbayes du débu t d u Moye n Age, voi r Lucie n MUSSET, Significatio n e t destiné e de s domaine s excentrique s pour les abbayes de la moitié septentrionale de la Gaule jusqu'au XI e siècle, dans: Sous la règle de saint Benoît. Structure s monastique s e t société s e n Franc e d u Moye n Ag e à l'époque modern e (Colloqu e Paris 1980), Genève-Paris 1982, p. 167-182. Sans nier le s déterminants économique s d e la dispersio n des temporels monastiques, Monsieur Musse t insiste dans cette étude sur les déterminants sociaux (les donateurs), religieu x (l a fuite d u monde ) e t politiques (l a cohésion de s Etats). 24 Voir e n particulier l e cas parfaitement étudi é de Saint-Bavon: Adriaan VERHULST, De Sint-Baafsabdi j te Gent en haar grondbezit (7 de -14 de eeuw), Bruxelle s 1958; ID., Da s Besitzverzeichni s de r Gente r Sankt-Bavo-Abtei vo n ca. 800, dans: Frühmittelalterliche Studien 5 (1971 ) p. 193-234. 25 Comme Saint-Deni s qui, suivan t l e moin e auteu r de s Gest a Dagobert i (ch. 35, éd. Brun o KRUSCH, M.G.H., Scriptore s reru m merovingicarum, t. 2, p. 413-414), acquit ver s 635 des terre s cum salinis supra mare, dan s la baie de Bourgneuf suivan t Michel ROUCHE, L'Aquitaine des Wisigoths aux Arabes (418-781), Paris 1979, p. 204-206. Voir auss i l'ouvrage, qu i reste essentiel, de Robert LATOUCHE, Le s origines d e l'économie occidental e (IV e -XF siècle), Paris 1956, p. 185. 26 Voir à ce propos Jean-Claude HOCQUET, L'évolutio n de s techniques de fabrication d u sel marin sur les rivages d e l'europ e d u Nord-Oues t (positio n de s problèmes), dans : A. LOTTIN, J.-C. HOCQUET, S. LEBECQ, éd., Le s Homme s e t l a Me r dan s l'europ e d u Nord-Oues t d e l'antiquit é à no s jour s (note 9), p. 3-22, en particulier p. 8-13. 27 Pour Jumièges, voi r Miche l MOLLAT, Jumièges, foye r d e vi e maritim e médiéval, dans : Jumièges. Congrès scientifiqu e d u XIII e Centenair e (Roue n 1954), éd. Roue n 1955, p. 253-258, en particulie r p. 254. Sur l a difficult é d e date r le s plus ancienne s acquisition s d e cette abbaye, voir Lucie n MUSSET, Les destins de la propriété monastique durant les Invasions normandes (IX e -XI e siècles). L'exemple de Jumièges, dans: Jumièges, ibid., p. 49-55, en particulier p. 50. Pour Fontenelle/Saint-Wandrille, il fau t se reporte r au x nombreu x acte s cité s dan s le s»gesta «d e Fontenelle, e t qu i on t ét é analysé s pa r

La Neustrie e t la me r 411 partout pratiquée, par exemple dans les domaines cité s de Jumièges e t de Fontenelle, mais auss i dan s l a bai e d e l a Canche qu i assurai t un e par t important e d u ravitaille - ment e n poisson de la lointaine abbaye de Ferrières-en-Gâtinais 28, dans les marais de la Flandr e maritime, o ù s e trouverai t ains i expliqué e l a présence de s moine s d'el - none 29, o u encor e dan s l e Bessi n e t l e Cotentin, qu i fournissaien t l e monastère d e Saint-Denis e n crassi pisces, en»craspois«, c'est-à-dire e n ces cétacés pourvoyeurs d e chairs et de graisses indispensables aux appétits et au luminaire monastiques 30 : même, suivant l a Vita Filiberti, l a présence d e ces animaux marins dans la basse vallée de la Seine aurait contribu é à la première fortun e de s moines d e Jumièges 31. La pêch e au x cétacé s nécessitai t l'usag e d u bateau, dan s de s condition s parfoi s périlleuses qu'éclair e au x environs d e 875 tel passage des Miracles d e saint Vaast o ù l'on voi t deu x navire s d e l'abbay e artésienn e parti r finalemen t seul s»dan s l a me r Britannique«faut e d e n'avoi r p u s'entendr e pou r coordonne r le s opération s ave c d'autres pêcheurs 32. A qu i observ e le s source s de s VII7IX e siècles, i l apparaî t plu s généralement qu e l a pratique d e la navigation étai t suffisamment répandu e parmi le s populations d e l a Neustri e - le miracl e d e sain t Vaas t évoqu e explicitemen t le s bateaux»d e diverses églises «- pour qu e pût s e développer su r se s côtes une intens e activité maritime, et même une réelle ouverture à la vie d'échanges. C'est su r elles, et pour commence r su r le s ports, qu e j e voudrai s qu e nou s concentrion s maintenan t notre attention. Les ports de la Neustrie et la prépondérance de Quentovic Il fau t dir e qu e le s ports explicitemen t reconnu s comm e tel s par le s sources écrite s étaient relativement nombreux (voi r fig. 2), depuis la Flandre, où apparaissent Gand, dont Charlemagne fit, au plus tard en 811, un port de guerre 33, et le mystérieux Iserae portus, peut-êtr e Furnes, qu i reçut e n 860 la visite d'une flottill e viking 34, jusqu'au x marges armoricaines, o ù Port-Bail, su r l a côte oues t d u Cotentin, fai t l'obje t d'un e Ferdinand LO T dans: Etudes critiques sur l'abbaye de Saint-Wandrille, Paris 1913, p. XVI, 4 (n 6) et 18 (n 57). Su r cett e question, voi r e n dernie r lie u Lucie n MUSSET, Sur le s chemin s saunier s d e l a Normandie médiévale, dans : Annales d e Normandie33 (1983 ) p. 175-179. 28 D'après LOU P D E FERRIÈRES, Correspondance, éditio n Léon LEVILLAIN, deuxièm e tirage, Paris 1964, tomel, p. 176 (lettre 42), 19 8 (lettre 47), 20 4 (lettre 49). 29 D'après Henr i PLATELLE, L e temporel de l'abbaye d e Saint-Aman d de s origine s à 1340, Paris 1962, p.101-102. 30 Lucien MUSSET, Quelque s note s su r le s baleinier s normand s d u X e a u XIII e siècle, dans : Revu e d'histoire économiqu e e t social e 42 (1964 ) p. 147-161, en particulier p. 147-148. 31 Vita Filiberti, ch. 9, édition W. LEVISON, M.G.H., Scriptore s reru m merovingicarum, t.v, p. 590. 32 Ex miraculoru m sanct i Vedast i pa r l e moin e Ulmer de Saint-Vaast, ch. 6, éd. O. HOLDER-EGGER, M.G.H., Scriptores, t. XV (1), p. 400. 33 Annales regn i Francorum, a 0 811, éd. Reinhold RAU, Quelle n zu r Karolingischen Reichsgeschichte, t.i, Berli n 1960, p.98. 34 Le sinus qui vocatur Iserae portus es t signal é pa r l'auteu r d u Libellu s miraculoru m S. Bertini, ch. 1. Edition O. HOLDER-EGGER, M.G.H., Scriptores, tom e XV (1), p. 509. Pour c e»por t de l'yser«, M. Adriaan VERHULS T propose une identification ave c Furnes, aujourd'hui situé e à l'écart de la rivière: dans: Algemen e Geschiedeni s der Nederlanden, 1. 1, Middeleeuwen, Haarle m 1981, p. 211.

412 Stéphane Lebec q éphémère mention dans les Gesta de Fontenelle 35, mais où Nantes paraît briller d'u n plus vi f éclat : l'occasio n qu i a été donnée à saint Colomba n d' y trouve r u n navir e marchand à destination d e l'irland e a u tou t débu t d u VII e siècl e montre l a persistance, et peut-être même la réanimation grâce à l'expansion bretonne, de vieux trafic s hérités d e l'antiquité 36. Il faut bien constater cependant que c'est entre le Boulonnais et la basse vallée de la Seine, dan s c e mêm e croissan t o ù avai t ét é constaté e l a prise d e possessio n pa r le s Francs d e l'espace côtier, que s'est surtout concentré e l a vie maritime, e n particulie r dans ce s port s qu'u n diplôm e accord é e n 779 par Charlemagn e a u monastèr e d e Saint-Germain-des-Prés perme t d e considérer comm e le s sièges des trois principale s douanes maritimes installées par le pouvoir franc e n Neustrie: tarn in Rodomo quam et in Wicus (et) in Ambianis 2 "\ S i dans les cas de Rouen e t d'amiens i l s'agit de ports qui, ave c les civitates qu i les abritaient, ont ét é légués par Rome au haut Moyen Age, et don t le. renouveau au x temp s mérovingien s es t bie n exprim é pa r l a repris e d e l a frappe monétair e (fi n d u VI e siècle à Rouen, VII e siècle à Amiens) 38, il va de soi que dans l e ca s d e Wzc^s/Quentovi c i l y a e u redistributio n de s carte s a u détrimen t d e Boulogne. Certes, celle-c i a continué d e jouer u n rôle ; mais c e rôle paraît avoi r ét é désormais, e n tou t ca s à parti r de s dernière s année s d u règn e d e Charlemagne, seulement militaire. L'empereu r vin t e n effe t e n 811 inspecter à Boulogne l a flott e qu'il avai t fai t construir e l'anné e précédente, e t i l profit a d e l'occasio n pou r fair e 35 Un emporium y es t mentionné : Gest a de Fontenell e (cité s note22), livr e 10, ch.2, éd. LOHIER - LAPORTE, p. 72-73. Le sit e es t surtout conn u pour so n baptistèr e paléo-chrétien: M. DE BOÜARD, Le baptistère d e Port-Bail, dans : Cahiers archéologiques 9 (1957 ) p. 1-22. Voir e n particulier p. 17. 36 D'après l a Vit a Colomban i d e Jonas de Bobbio, livr e 1, ch. 20-23 (vers 610), éd. Brun o KRUSCH, M.G.H., Scriptores rerum merovingicarum, t. IV, p. 92-98. En partie cité par Adriaan VERHULST dans: Der Handel im Merowingerreich: Gesamtdarstellung nach schriftlichen Quellen, dans: Early Médiéval Studies (Stockholm ) 2 (1970 ) p.2-54, en particulie r p. 35 (n 75); commentaire dan s l e même article, p. 7. Voir égalemen t Archibal d LEWIS, L e commerc e e t l a navigatio n su r le s côte s atlantique s d e l a Gaule du V e au XI e siècle, dans: Le Moyen Age 59 (1953) p. 249-298; ID., The Northern Seas. Shipping and commerce in Northern Europe, A. D. 300-1100, Princeton 1958; Noël TONNERRE, L e commerc e nantais à l'époqu e mérovingienne, dans : Mémoire s d e l a Sociét é d'histoir e e t d'archéologi e d e Bretagne61 (1984 ) p. 5-27, en particulie r p. 6; Dietric h CLAUDE, Aspekt e des Binnenhandels i m Merowingerreich auf Grun d de r Schriftquellen, dans: Untersuchungen z u Hande l un d Verkeh r de r vor- und frühgeschichtliche n Zei t in Mittel- und Nordeuropa, vol. 3, éd. par K. DÜWEL, H. JANKUHN, H.SIEMS e t D.TIMPE, De r Hande l de s frühe n Mittelalters, Göttinge n 1985, p.9-99, en particulie r p. 41; e t surtout Peter JOHANEK, De r >Aussenhandel < de s Frankenreiche s de r Merowingerzei t nac h Norden un d Oste n i m Spiege l de r Schriftquellen, dans: Der Hande l de s frühe n Mittelalter s cité ci - dessus, p. 214-254, en particulier p. 227-229. 37 Référence ci-dessu s not e 4. Texte évoqu é e t cit é presqu e i n extens o dan s S. LEBECQ, Marchand s e t navigateurs frison s d u haut Moye n Age, 2 vol., Lill e 1983: voir l e 1.1 (Essai) p. 158; et surtout l e t. 2 (Corpus des Sources écrites), p. 418-419. Voir également Peter JOHANEK, Der Aussenhandel (note 36), p.234-235. 38 Sur le monnayage de Rouen, voir Jean LAFAURIE, Trouvailles de monnaies franques e t mérovingiennes en Seine-Maritim e (V e -VIII e siècles), dans: Histoire e t numismatiqu e e n Haute-Normandi e (Cahie r des Annale s d e Normandie, éd. pa r Nanc y GAUTHIER), p. 93-107, en particulie r p. 95; sur celu i d'amiens, voi r Waltraut BLEIBER, Naturalwirtschaf t un d Ware-Geld-Beziehunge n zwische n Somme und Loir e währen d de s 7. Jahrhunderts, Berli n (DDR ) 1981, p. 23-24 e t 189 : pour l e premier triens précisément daté (Clovis II [639/657]), voir le catalogue de Maurice PROU, Le s monnaies mérovingiennes, Pari s 1892, n 1107.

Abbayes disposant d'un por t en liaison directe ave c l a mer Voies romaine s CTQ" o z C Ports attestés dans le s sources écrite s ROUEN Principale s douane s [779] O Monnaie s représentées dans le trésor de Glisy [881] x Port s à fonction guerrière [811]

414 Stéphane Lebec q restaurer le vieux phare romain,»a u sommet duquel il fit allumer un feu nocturne«39. L'un de s miracle s d e sain t Wandrille, mettant e n scèn e entr e 858 et 868 le préfe t Grippo d e Quentovic, montr e qu e de s dizaine s d'année s aprè s s a restauratio n l e phare d e Boulogne étai t encor e capabl e d e tirer le s navigateurs d'un e pass e difficil e dans l a traversée d u Pas-de-Calais 40. N'empêche qu e c'es t à une vingtaine d e kilomètres a u sud, dan s l a basse vallée et l'estuaire de la Canche, que s'est concentré aux VII7IX e siècles l'essentiel de l'activité maritime boulonnaise, e t mêm e neustrienne. C'es t ic i qu e s e trouvaient l a cella de Saint-Josse, relai s oblig é dan s le s relation s qu e le s moines d e Ferrières-en-Gâtinai s entretenaient a u IX e siècl e ave c l a Grande-Bretagne 41, l a villa d'etaples, o ù étaien t éventuellement débarqués les métaux venus d'angleterre 42, et surtout - explicitement distingué d e l a précédente, c e qu i aurai t d û suffir e à clore définitivemen t u n déba t trop longtemp s favorabl e à un e localisatio n étaplois e - le-»vicus de l a Canche«, respectivement appel é Qwoentawi c e t Quaentavi c pa r le s premier s auteur s qu i e n aient fait mention a u début du VIII e siècle, Eddius Stephanus e t Bède le Vénérable 43. C'est Eddiu s Stephanu s d'ailleur s qui, dan s une phrase fameus e d e sa Vita Wilfridi, précisa que pour l e voyageur insulair e qui voulait s e rendre à Rome l a via rectissima passait nécessairemen t pa r Quentovic. L'anecdot e relaté e avai t e u lie u e n 678, celle dont parlai t Bèd e e n 668. Or l'argumen t numismatique, ven u lu i auss i d e Grande - Bretagne - ce qui n'est évidemmen t pa s un hasard-, confirm e qu e l'activité interna - tionale d e Quentovi c remontai t a u VII e siècl e (quan d furen t émis, à WIC IN PONTIO, de s trientes finalemen t enfoui s ave c l e tréso r d e Crondall, dan s l e Hampshire, aux environs d e 640) 44, peut-être même à la fin d u VI e siècle (quand fu t 39 Annales regn i Francorum, a 811, éd. RA U cité e ci-dessu s (not e 33), p. 98. V. Michel ROUCHE, dans : Histoire d e Boulogne-sur-mer (A. LOTTIN éd.), Lille 1983, p. 41-42. 40 Miracula sanct i Wandregisili, II, ch. 15. Ed. O. HOLDER-EGGER, M.G.H., Scriptores, t. XV (1), p. 408-409. Texte cit é pa r LEBECQ, Marchand s e t navigateur s (not e 37), tome 2, p. 164-165, et commenté dan s l e tomel, p. 203. 41 Cf. le s correspondance s d'alcui n e t d e Loup, tou s deu x abbé s d e Ferrières : pou r l e premier, éd. DUEMMLER, M.G.H., Epistolae, t. IV, lettres 25; 176, 177, où derrière la mention d e»wicus«s e cache souvent Saint-Josse ; pou r Loup, voi r l'éditio n LEVILLAI N cité e note 28, t.i, p. 176 (n 42), e t t. 2, p. 78-80 (n 87). 42 D'après LOU P D E FERRIÈRES, op. cit. ci-dessus, t. 2, p. 74 (n 85). 43 Vita Wilfrid i d'eddiu s STEPHANUS, ch.25, éd. Bertram COLGRAVE, Th e Lif e o f Bisho p Wilfrid, nouvelle édition Cambridg e 1985, p. 50. Historia ecclesiastic a genti s Anglorum de Bède le Vénérable, livre IV, ch. 1, édition B. COLGRAVE e t R. A. B. MYNORS (Bede' s Ecclesiastica l History o f th e Englis h People, nouvelle éditio n Oxfor d 1972), p. 332. 44 Ce trésor de 101 pièces qui e n comprenait 7 de Quentovic a été découvert e n 1828. Il a longtemps ét é attribué au x environs de 670 à la suite de la grande étude de Ch. V. SUTHERLAND, Anglo-saxon coinag e in the light of the Crondall hoard, Oxford 1948; mais on a vu les spécialistes se rallier progressivement à la datation plus précoce (c. 640) proposée par Jean LAFAURIE. Voir, de celui-ci, Le trésor d'eschare n aux Pays-Bas, dans : Revu e Numismatique 2 (1959-1960 ) p. 153-210, en particulie r p. 178, puis Le s routes commerciale s indiquée s par les trésors e t trouvailles monétaires mérovingiennes, dans: Moneta e Scambi nell'alto Medioevo (VIII e Settimana du studio de Spolète, 1960, éd. Spolète 1961), p. 231-278, en particulie r p. 252, avec, dan s l e même volume, l a discussio n entr e J. Lafaurie e t Phili p Grierson, p.326-328. Voir e n dernie r lie u BLEIBE R (op. cit. note38) en particulier p. 205-206; D.M. METCALF, Anglo-Saxon Coin s 1: Seventh t o Nint h Centuries, dans : Th e Anglo-Saxon s (dirig é pa r Jame s CAMPBELL, Oxford 1982), p. 62-63; Peter BERGHAUS, Wirtschaft, Hande l und Verkehr der Merowin - gerzeit i m Lich t numismatische r Quellen, dans: K. DÜWEL, H.JANKUH N e t al. éd., Der Hande l de s frühen Mittelalter s (op. cit. note 36), p. 193-213, en particulier p. 209.

La Neustrie e t l a mer 415 frappé sur les bords de la Canche - QUANTI A-, vers 590/600, un triens du meilleur aloi - 96,5%-, finalement inhum é ave c le prince d e Sutton Hoo 45. Dès c e moment, peut-êtr e mêm e plu s hau t dan s l e VI e siècle, Boulogn e étai t décidément supplantée. Les raisons de ce transfert d e l'activité maritime à Quentovic restent obscures; elles furent vraisemblablemen t multiples. Il va de soi que, la fortune antique d e Boulogn e ayan t ét é e n grand e parti e associé e à la présence d e l a Classis britannica et aux liens que celle-ci entretenait avec la Grande-Bretagne, la destruction des installation s d e l a première e n 256/275, et l'abandon définiti f d e l a seconde pa r Rome avan t 410 46 provoquèrent u n repl i de l'ancienne cité, favorable à une redistri - bution de s carte s dan s laquell e jouèrent à plein de s arguments décisif s e n faveur d e Quentovic. Jan Dhondt, dan s son article fondamental d e 1962, avait mis l'accent su r les condition s hydrologiques, e t plu s spécialemen t su r l a second e transgressio n dunkerquienne, qu i»du t modifie r considérablemen t le s condition s d e praticabilit é du havr e de Boulogne«47, e t rendit plu s aisémen t accessible s le s fonds d'estuaire s e t basses vallée s d e rivières, site s su r lesquel s s e multiplièren t le s port s d u trè s hau t Moyen Age. En 1977, Michel Rouche mit à son tour l'accent su r le facteur ethnique : c'est l'importanc e d u peuplement saxo n dans les contrées du Boulonnais méridiona l pratiquement désertées qui a fait de la basse vallée de la Canche un relais quasi obligé sur le s grands itinéraires fréquenté s pa r c e peuple mari n -»à la fois point d'arrivée, plaque-tournante d e répartitio n ver s le s autre s estuaires, e t poin t d e dépar t o u d e retour pou r l'angleterr e e t l e Bessin«48. J'insisterai pou r m a par t su r deu x autre s facteurs: l'un (fondamental, e t sur lequel je reviendrai) qui est le caractère originellement fisca l de s bords d e la Canche, e t la part corrélative d e la royauté franqu e dan s l'essor du vicus; l'autre (qui est étroitement associé à l'argumentation développé e à la fois pa r Jan Dhondt e t par Miche l Rouche ) qu i es t l e facteur nautique : le s peuple s germaniques de la mer du Nord avaien t diffusé u n type de navire à faible tirant d'eau, éventuellement dot é d'un e quill e rudimentaire, mai s plu s souven t à fon d pla t o u vaguement arrondi, surtou t à partir d u momen t o ù le s Frison s répandiren t su r le s rivages qu'il s fréquentaien t le s bateaux d u typ e houlque, o u encor e d u typ e cogue, qu'ils avaient mis au point 49. L'échouage devenait du même coup le mode d'accostag e idéal, et les estuaires alluviaux ou sableux les ports les plus recherchés. La basse vallée 45 Voir KENT, dans : R. BRUCE-MITFORD (op. cit. note21) p. 632 (n 25). L'identification d e l'atelier a été faite aprè s consultatio n de Jean Lafaurie. 46 Voir Claud e SEILLIER, dans : Histoire de Boulogne-sur-Mer (A.LOTTI N éd.), Lill e 1983, p.21 et 32; ID., Boulogne (not e 9), p. 173-178. Sur l'abando n définiti f de l a Bretagn e pa r le s Romains, voi r D.J. V. FISHER, Th e Anglo-Saxo n Ag e (c. 400-1042), Londres 1973, p. 1-7. 47 Ja n DHONDT, Le s problèmes d e Quentovic, dans: Studi in onore d i Amintore Fanfani, tome 1, Milan 1962, p. 181-248, en particulier p. 200. 48 Michel ROUCHE, Le s Saxons et les origines de Quentovic, dans: Revue du Nord 59 (1977) p. 457-478, en particulier p. 471. 49 Sur le s bateau x frison s e t leu r plac e dan s l'archéologi e naval e d u débu t d u Moye n Age, voi r Ol e CRUMLIN-PEDERSEN,»Cog-Kogge-Kaag«, dans : Handels og Sofartsmusee t p â Kronborg Ârbog (1965) p. 81-145, où es t montrée l'origin e frisonn e d e la cogue (quoiqu e j e ne soi s pas d'accord ave c l'auteur sur l'identification d e la proto-cogue ave c les»bateaux de type frison«don t parle la Chronique Anglo-Saxonne e n 896 - il s'agit ici de houlques); Detlev ELLMERS, Frühmittelalterliche Handelsschiff - fahrt i n Mittel- und Nordeuropa, 2 e éd., Neumünster 198 4 (en particulier p. 59-63 pour les origines de la houlque); Detlev ELLMERS, Frisian and Hanseatic merchants sailed the Cog, dans: The North Sea. A Highway of economic and cultura l exchang e (Arne BANG-ANDERSEN, Basi l GREENHILL, Egil Haral d

416 Stéphane Lebec q de la Canche, comme du reste celles toutes proches de l'authie ou de la Somme 50, se firent d e ce fait plus accueillante s au x nouveaux navires que l'estuaire, au x rives plus escarpées, d e l a Lian e o ù s e trouvait Boulogne. C'est d u rest e l e même phénomèn e qui amena, de l'autre côté du Pas-de-Calais, la substitution à Dubris/Douwres, ancie n pendant d e Boulogne a u temp s d e l'apogée romain, e t devenue moins accessibl e d u fait d e s a falais e e t d e se s plages d e galets 51, d'un sit e neuf, Sandwich, l e»vicus de s sables«, qui s'est développé à partir du VII e siècle sur les bancs alluviaux du Wantsum Stour, sur la côte orientale du Kent, et qui devint bientôt, pour qui, comme Wilfrid, venait d u continen t o u d u lointai n Sussex, l e»port d u salut«52. A l a différenc e d e Sandwich, Quentovi c n'exist e plus, e t o n s'es t longtemp s interrogé su r s a localisation. O n doi t maintenan t considére r qu e l e déba t es t clos. D'abord l a légend e fréquemmen t trouvé e su r le s monnaie s d e»wie en Ponthieu «ainsi qu e l a proximité, clairemen t formulé e pa r Alcuin, d e Quentovi c e t d e Saint - Josse (cella qui a donné naissance à un village qui porte encore ce nom) 53 auraient d û depuis longtemps réduire à néant toute argumentation e n faveur de la rive droite de la Canche. Or, Léo n Levillain, l e premier semble-t-i l (e n 1930), après avoi r fait éta t d e fouilles pratiquée s e n 1841/1842 dans l e hamea u d e Visemarest, situ é su r l a riv e gauche de la Canche, dans le fond d e la vallée à cinq kilomètres en aval de Montreuilsur-Mer, avai t proposé d e rapprocher l'ancien nom du lieu-dit, Wis-ès-Maretz, de la forme Wicus qui, dans l a Gaule carolingienne, suffisai t souven t à désigner Quento - vic 54. Cette analyse a été depuis confirmée par les travaux de Jan Dhondt et de Michel Rouche, qui ont reçu le renfort d u linguiste Hubert L e Bourdellès 55. Il a été relevé en GRUDE éd., Oslo 1985), p. 79-95; et enfin LEBECQ, Marchands e t navigateurs frisons (op. cit. note 37), tome 1, p. 165-183 (où l'o n verr a démontré e l'origin e frisonn e d e l a houlque). 50 L'existence d e l a douane d'amien s (voi r ci-dessu s not e 4) suffit à montrer l a réalité d u trafi c dan s l a basse vallée de la Somme. Quant au x naviculae qu i fréquentent l'embouchur e d e l'authie, voir la Vita S. Judoci (Vi e d e sain t Josse) éd. par Jean MABILLO N in Act a Sanctorum ordini s S. Benedicti, rééd. 1936, tome 2, ch. 8, p. 568. 51 Sur Douvres au x temp s romains, voir SEILLIER, Boulogn e (cit é note 9), p. 169-170; sur Douvres au x temps barbares, voir Ti m TATTON-BROWN, Th e Towns o f Kent, dans : Jeremy HASLA M éd., Anglo - Saxon Towns i n Souther n England, Chichester 1984, p. 1-36, en particulier p. 22-23. 52 Si Sandwich s e trouvait non loin du for t romai n de Richborough, l e site même était totalement vierg e au VII e siècle: cf. TATTON-BROWN, op. cit. note 51, p. 16-21. La mention d u portus salutis es t faite à deux reprise s (ch. 13 et 57) par Eddiu s Stephanu s dan s s a Vita Wilfridi (éd. COLGRAV E cité e note 43, p. 28 et 124). Très bonne cart e de la région d e Sandwich dans: David HILL, An Atlas o f Anglo-Saxo n England, Oxford 1981, p. 14. 53 Pour»Wie en Ponthieu«, voi r pa r exempl e le s monnaie s de Crondal l - ci-dessus not e 44. Pour l a proximité d e Quentovi c e t d e Saint-Josse, voi r Alcuin i Epistola e n 25, dans : Ernst DUEMMLER, M.G.H., Epistolae, t. IV, p. 66-67. Je précis e d'emblé e qu'o n trouver a presqu e toute s le s source s écrites relative s à l'histoire ancienn e d e Quentovi c dan s LEBECQ, Marchand s e t navigateurs, tome 2, Corpus (cit é note 37): toutes le s références son t groupée s dan s l'index, entré e»quentovic«, p. 458. 54 Léon LEVILLAIN, Etude s su r l'abbay e de Saint-Deni s à l'époque mérovingienne, IV. Les document s d'histoire économique, dans : Bibliothèqu e d e l'ecol e de s Chartes 91 (1930 ) p. 5-65, en particulie r p. 25, note 3. Faut-il redir e ic i l a qualité, l a nouveauté d e cette étude, e t l e fait qu'ell e n' a jamai s ét é remplacée? 55 Pour Jan DHONDT e t Michel ROUCHE, voi r le s étude s citée s notes 47 et 48, respectivement p. 195 (et n. 37) et p. 458. Pour l'approch e linguistique, voir Hubert L E BOURDELLÈS, Le s problèmes linguisti - ques d e Quentowic, dans : Revue d u Nord5? (1977 ) p. 479-485; ID., Les problèmes linguistique s d e Montreuil-sur-Mer: le s origines de la ville à travers ses noms successifs, dans: Revue du Nord 63 (1981 ) p. 947-960, en particulier p. 950-953; ID., Les ports d e la Canche à l'époque gallo-romain e e t dans l e

La Neustrie e t l a mer 417 particulier qu'un hameau voisin de Visemarest, Monthuis, était appelé il y a quelques siècles Monthevis, quan d ç a n'était pas, plu s transparen t encore, Mon t a Wis. E n sorte qu'il apparaît que c'est tout le fond d e la vallée de la Canche dans le territoire de l'actuelle commun e d e l a Calotteri e (qu i s'étal e a u pied, e t à l'ouest, d u platea u crayeux qui porte Montreuil) qui donna son site à Quentovic (voir fig. 3). Ce secteu r était d'ailleur s innerv é (ultim e déterminan t d e l a situation précis e d u vicus) pa r u n réseau d e voie s romaine s secondaire s qu i assurai t l a liaiso n ave c l a grand e voi e Boulogne/Amiens bie n connue grâce à la Table de Peutinger, qui coupait la Canche à Brimeux, e n amon t d e Montreuil, e t qu i commandai t le s direction s essentielle s d e Reims et de Paris 56. Les sondages archéologiques récent s effectué s pa r Pierre Léma n puis par David Hill sur les sites de Visemarest e t du pont d e Beutin achèvent, s'il e n est besoin, de confirmer cett e localisation 57. L a venue sur le site de l'archéologue d e Manchester suffi t à montrer l'importanc e - et l'urgence - d'une fouill e systématiqu e du site : i l fau t absolumen t qu' à l'insta r d e Hamwih, d e Dorestad, d'haithabu, d e Kaupang, d e Birk a e t d e tan t d'autre s site s côtiers, Quentovi c sort e pe u à peu de s marais tourbeu x d e l a Canche 58. Car Quentovic fut indiscutablement l e grand port d e la Neustrie mérovingienne e t carolingienne. S' y trouvai t - on l e sait maintenant suffisammen t - le siège d'une de s grandes douane s d e l'etat franc, don t Charlemagn e voulut bien exempter e n 779 les négociantes d e Saint-Germain-des-Prés 59, mai s à laquell e so n fil s Loui s l e Pieu x exigea qu'en 828 les marchands ravitaillan t l e Palais e t qu'en 831 les hommes d e l a cathédrale d e Strasbourg continuassen t d'êtr e soumis 60. A l a tête d e l a douane étai t délégué un très important personnage comme, sous Charlemagne, l'abbé Geroal d d e Fontenelle, désign é procurator... per diversos portus ac civitates exigens tributa haut Moye n Age, dans : A.LOTTIN, J.-C. HOCQUET, S. LEBECQ (éd.), Le s Homme s e t l a Me r dan s l'europe d u Nord-Ouest d e l'antiquité à nos jours (Colloque de Boulogne-sur-Mer, 1984), Lille 1986, p. 179-188, en particulier p. 184-185. 56 Voir Pierre LÉMAN, Le s voies romaines de la Belgique seconde (Thèse de 3 e cycle, Lille 1972); Charles PIETRI, dans : Histoir e de s Pays-Ba s français. Document s (dirig é pa r L.TRENARD, Toulous e 1974) p.21-23; H. LE BOURDELLÈS, Le s voie s antique s o u ancienne s d e Vicus-Quentovic, dans : Caesaro - dunum 18 (1983) (Colloque su r le s voies ancienne s e n Gaul e e t dans l e monde romain), p. 257-267. 57 P. LÉMAN e t J. L. COUSIN, Contributio n à la recherche d e Quentovic: découvert e d e tesson s d u hau t Moyen Ag e dans la Canche, dans: Revue du Nord59 (1977 ) p. 489-500; P. LÉMAN, Contributio n à la localisation d e Quentovic o u l a relance d'un vieu x débat, dans: Revue du Nord63 (1981), p. 935-945. Sur le s sondage s effectué s pa r Davi d HILL en 1984, 198 5 et 1986, communication d u mêm e a u Colloque Th e rebirt h o f Town s i n th e West, A D 700-1050, organisé pa r l e Council for British Archaeology e t le Museum of London, Londres 21-23 mars 1986, à paraître. Voir en tout dernie r lieu l'article d e Pierr e LÉMAN, A l a recherch e de Quentovic, dans : Archeologi a (Dijon/Paris), n 218, novembre 1986, p. 36-43; et Keith MAUDE, Quentovic, Dark Ag e Europort, dans: Populär Archaeology, Août 1986, p. 10-16. 58 Dois-je rappele r qu e Michel D E BOÜARD exprimait l a même impatience e n 1969 dans son articl e»o ù en es t l'archéologie médiévale?«, dans: Revue Historique241 (1969 ) p. 11. 59 D'après l e diplôme cit é ci-dessus, note 4. 60 D'après l e Précepte de s marchands de 828 étudié par François L. GANSHO F (Note su r l e >Praeceptu m Negotiatorum< d e Loui s l e Pieux, dans : Stud i i n onor e d i Armand o Sapori, tomel, Mila n 1956, p. 92-112) et reproduit in extenso dans mon Corpus (cité note 37) p. 435-437. Et d'après un diplôme de 831 en faveur d e la cathédrale de Strasbourg, dont l'original es t conservé au x archives du Bas-Rhin, e t qui a été édité par Dom BOUQUET, Recueil des Historiens des Gaules et de la France, t. VI, p. 572-573, n CLXX.

418 Stéphane Lebec q ^n Vo^ cordo réseau hydrographiqu e e t côt e d e l a Manche dans leu r tracé actue l n des dunes littorale s ~ ^--^^^ actuell e zon e d'inondatio n " ^~Z~ talu s du plateau crayeux Q ville s actuelles (Etaples, Montreuil) O villag e actue l (La Calotterie ) villages actuel s o ù son t signalé s de s a bien s fonciers d'abbay e a u IX e siècle i lieux-dits à toponyme en -vis (=v/cus ) o équipement religieu x d e l'ancien vicus lieux-dits o ù ont ét é faites de s découvertes archéologiques probante s extension maximale de l'ancienne zone 'W/h "'" d'activité du vicus Fig. 3 Quentovic dan s so n environnemen t d'aprè s l a carte IGN»Montreuil «a u 1750000 e

La Neustrie e t la mer 419 atque vectigalia, maxime in Quentawic 61, o u comme, sou s Charle s l e Chauve, Y illuster vir Grippo, prefectus emporii Quentovici 62. La titulature d u premier laiss e d'ailleurs entendr e qu'a u vicus de la Canche étai t reconnue une certaine supériorit é dans l'administratio n de s douanes pa r rapport à tels autre s port s e t cités, de toute évidence neustriens. L a même chose, semble-t-il, peu t êtr e dit e d e la monnaie: le monnayage de Quentovic, dont on a vu qu'il remonte aux environs de 600, semble en effet avoi r duré, s i l'on se réfère a u trésor d e Fécamp, jusqu' à l a fin du X e siècle, peut-être ver s 970/980 63. O r l'édi t d e Pitre s d e 864 retint Quentovic, qu i avai t pourtant ét é mis à mal par les Normands e n 842 64, parmi le s dix ateliers auxquel s Charles le Chauve continua de reconnaître le droit de frappe: non seulement l'atelie r du vicus étai t le premier cit é aprè s celu i du Palais, mais il était en outre précisé que celui de Rouen, qui suivait immédiatemen t su r la liste, ad Quantovicum ex antiquo consuetudine pertinet 65. Ains i devient-i l éviden t que non seulement la douane, mai s aussi la monnaie de l'antique civitas, qui abritait e n tout éta t de cause le second por t de me r neustrien, dépendaien t administrativemen t d e Quentovic : c e n'est pa s la première, c e n'est pas non plus la dernière foi s qu'o n entrevoi t l'étroitess e de s liens unissant l a basse vallée de la Seine aux rivages de la Canche. Si pou r le s Anglai s i l n'étai t pa s question, quan d il s parlaien t d e Quentovic, d'éliminer l e préfixe (il s avaient che z eu x tant d e vici, tan t d e noms e n -wichl), le s sources continentales - en particulier diplomatiques - abrégeaient volontiers pour ne retenir qu e WICOS o u WICUS; Alcui n lui-même, ralli é au x usages continentaux, parle dan s s a correspondance d'in vicos, dw wicos ou encore de de wicus 66. O n se demande, surtout dans le dernier exemple, qui donne lieu à une aberration grammati - cale, s i cette abréviatio n familièr e n e s'est pas répandue depui s le s temps mérovin - giens, où les trientes de Quentovic portaient souvent la simple legende de WICOS ou WICUS 67. C e qui en dirait lon g sur la diffusion d e ces monnaies, et plus générale - ment su r l a notoriét é d u lie u - un lie u où, o n v a l e voi r dan s u n instant, d e 61 D'après le s Gesta de Fontenelle, livr e 12, ch.2, éd. LOHIER e t LAPORTE cité e note22, p. 86. 62 D'après le s Miracles de saint Wandrille, II, ch. 15, éd. HOLDER-EGGER cité e note 40, p. 408. 63 Sur les origines d u monnayag e d e Quentovic, voi r le s références ci-dessu s note s 44 et 45. Sur les frappes carolingiennes, voi r Mauric e PROU, Le s monnaies carolingiennes, Pari s 1896, p. 30-32; Karl MORRISON et Henr y GRUNTHAL, Carolingia n coinage, New York 1967, p. 94 (n 121a: denie r d e Charlemagne), p. 130 (n 349-354: Louis le Pieux), p. 191-193 (n 715-728: Charles le Chauve), p.291 (n 1371 : Charles le Simple); et Françoise DUMAS-DUBOURG, L e trésor de Fécamp et le monnayage en Francie occidental e pendan t l a seconde moiti é du X e siècle, Paris 1971, p. 115. 64 D'après le s Annales d e Saint-Bertin, a 842: éd. L. LEVILLAIN, F. GRAT, J. VIELLIARD, S. CLEMENCET, Paris 1964, p. 42. 65 Edit de Pitres, éd. BORETIUS e t KRAUSE, M.G.H., Capitulari a regu m Francorum, t. 2, p. 315, 12. 66 Si Bède le Vénérable, Eddius Stephanus, Willibald auteur de la Vita prima de Boniface parlen t tous - avec des nuances orthographique s - de Quentovic, on lit in Wicus dans le diplôme de 779 pour Saint - Germain-des-Prés, ou ad Wicus dans un faux célèbr e soi-disant donn é par Dagobert à Saint-Denis et dont il sera question plu s loin. Pour ce s références comm e pour celle s de la correspondance d'alcuin, on peut s e reporter a u Corpus cit é note 37 (voir, dan s l'index, l'entré e Quentovic, p. 458). 67 Voir Mauric e PROU, Le s monnaies mérovingiennes, Pari s 1892. LAFAURIE, Le s routes commerciale s (op. cit. note44), p. 278 (avec list e d e quelques trouvailles) ; ID., Aperçu su r la numismatique d e la Neustrie (c. 650-c. 850), dans: La Neustrie (catalogu e d'expositio n édit é par Patrick PERI N e t Laure- Charlotte FEFFER, Roue n 1985), p.318-329, en particulier p. 322 (n 6: légende WICOS); ou Michel DHENIN, L a monnaie, dans : L e Nor d d e l a Franc e d e Théodos e à Charle s Marte l (catalogu e d'exposition, Lill e 1983), p. 125-134, en particulier p. 129 (n 153: légende WICUS).

420 Stéphane Lebec q nombreuses institutions neustriennes avaient, ou cherchaient à avoir, un pied-à-terre. Il nous faut e n effet aborde r maintenant l a question de s relations entre les côtes de la Neustrie (e t plus précisément le s ports qu'elles abritent) e t un arrière-pays dont tou t montre qu'entre le VII e et le IX e siècle il a multiplié ses contacts avec la mer et parfois l'outre-mer. Les contacts avec l'arrière-pays, ou Quentovic resitué Rome, pou r commencer, avai t facilit é le s choses, e n léguan t à l a Neustri e u n important résea u routie r à l'orientatio n caractéristique. L'essentie l d e l a voiri e s'articulait e n effe t su r d e grande s route s orientée s gross o mod o Sud-Est/Nord - Ouest ou, plus a u nord, Est/Ouest: le s unes e t le s autres assuraien t l a liaison entre, d'une part, le s franges orientale s du Bassin parisien - elles-mêmes adossée s au gran d axe méridien du Rhône e t de la Saône et de ses prolongements mosa n et rhénan - et, d'autre part, le s estuaires e t les grands ports d e la Manche. On devin e d'emblée qu e ce réseau avai t e u pour finalit é principale a u temps de la grandeur romaine d'assure r le contac t entr e l'italie, o u encor e le s important s réservoir s d e troupe s installé s l e long d u limes rhénan, e t l a Grande-Bretagne. C'étai t évidemmen t l e cas de l a route Chalon-sur-Saône/Paris/Rouen; d e la route Langres/Reims/Amiens/Boulogne; e t de la rout e Cologne/Maastricht/Tongres/Bavai/Cambrai/Boulogne. Mai s i l existai t d'importantes transversales, en même temps que tout un réseau de voies secondaires, qui permettaien t l'intégratio n éventuell e au x grand s mouvement s d e circulatio n d e sites reculés, e t - pourquoi pas? - de site s neufs. Encor e fallait-i l qu e l e résea u n e dépérît pas après le retrait d e Rome. Or, pour cette région comme pour les autres, la tendance a longtemps préval u parm i le s historiens à considérer le s temps mérovin - giens et carolingiens comme ceux de la dégradation, voire de l'abandon de s routes de terre. Le s texte s cependant son t suffisammen t nombreu x qu i montrent au x VI7IX e siècles la pratique de s grands déplacements continentaux, voire celle - parfois su r de longues distance s - de lourd s charrois, pour qu'o n puiss e considére r qu e l a voiri e héritée a au moins continu é d'êtr e praticable 68. Pourrait-on explique r l e développement, puis le succès durable, du port de Quentovic sans un certain entretien, et même un renouvellement, d e la voie de terre? La Canche en effet étai t une petite rivière qui, vers l'amont, devenai t vit e u n cul-de-sa c économique, e n sort e qu e le s liaison s d e Quentovic ave c son arrière-pays n e pouvaient êtr e que terrestres: c'est pourquoi, on l'a évoqu é tout à l'heure, l e raccordement d u vicus ave c les grandes voies du résea u gallo-romain fu t un e nécessité : ave c l a voie, d'abord, qu i assurai t l a liaison entr e l a baie d e l a Somme e t l'estuaire d e la Seine - celle que Charlemagne emprunt a e n l'a n 800, quand per litus maris i l all a d e Centul a à Rouen, o u qu'empruntèren t e n sen s inverse le s moines d e Fontenelle quan d e n 858 ils transférèrent leur s reliques depui s 68 Renée DOEHAERD, A U temp s de Charlemagne e t des Normands. Ce qu'on vendait e t comment on l e vendait dans le Bassin parisien, dans: Annales. E.S.C. 1 (1947) p. 266-280, en particulier p. 270; Michel ROUCHE, L'héritag e d e l a voiri e antiqu e dan s l a Gaul e d u hau t Moye n Ag e (V e -XI e siècle), dans : Flaran3. L'homm e e t la route e n Europe occidentale, a u Moyen Ag e e t au x Temps modernes, Auch 1980-1982, p. 13-32, en particulie r p. 15 et 23-26; et Jean-Pierr e DEVROEY, U n monastèr e dan s l'économie d'échanges: les services de transport à l'abbaye Saint-Germain-des-Prés a u IX e siècle, dans: Annales E.S.C. 39 (1984 ) p. 570-589, en particulier p. 572-576.

La Neustrie e t la mer 421 leur monastère jusqu'à Quentovic 69 ; et surtout ave c la voie qui, empruntant d'abor d le vieil axe Boulogne/Amiens, menait ensuit e a u cœur même de la Neustrie, à Paris: quand - exemple donné par Bède, mais qui n'est pa s l e seul - le vieux Théodore d e Tarse, nouvellemen t prom u archevêqu e d e Canterbury, du t rejoindr e so n sièg e e n 669 après un e longu e halt e à Paris, e t qu'i l fit, escort é par Raedfrit h prévô t d u ro i Egbert de Kent, l e voyag e d e Quentovic, i l dut d'abor d emprunte r l a transversal e Paris/Beauvais/Amiens, avan t d e suivr e l a grand e rout e d e Boulogne, qu'i l du t finalement quitte r avan t l a traversé e d e l a Canch e pou r rejoindr e pa r de s voie s secondaires Quentovic 70. De toute évidence, l'ancien résea u romain avait dû, surtou t dans les dernières sections du trajet, êtr e adapté au développement d u nouveau port. Par contre, l à où l a voie d'ea u existait, i l est incontestable qu'ell e a été beaucou p utilisée. Le s caractère s même s d e l a nouvell e batellerie, fait e d e navire s autan t capables de remonter le cours des rivières que d'affronter l a houle marine 71, ainsi que la multiplicité - voire, en particulier dans les moments d'affaiblissement d e l'autorit é centrale, la multiplication - des taxes et tonlieux qui entravaient le développement d e la circulation continentale 72, lu i ont donn é un avantag e certain. J'ai évoqu é l'anima - tion de s estuaire s e t de s basse s rivière s côtières, à travers le s exemples picard s d e la Canche bie n sûr, mai s auss i d e l a Somme ou d e l'authie. C e qu i frapp e surtout, c e sont le s déplacements su r d e très longues distance s qu i montrent qu e le s navires d u temps pouvaien t mettr e l a plu s haut e vallé e de s rivières, parfoi s de s fleuves, e n contact rapide, quelquefois mêm e immédiat (j e veux dire sans changement d'embar - cation) ave c l a mer. Ains i l a Loire, qu e remontaien t le s bateaux rempli s d'esclaves, mais surtout, plu s régulièremen t mentionnés, parfoi s jusqu' à Nevers, le s bateau x remplis d e sel 73, était-elle descendue par de s navires parfois chargé s de sarcophages, 69 Pour 800, voir le s Annales regn i Francorum, a 800, éd. RA U (cité e note 33), p. 72; pour 858, voir le s Miracula sanct i Wandregisili, éd. HOLDER-EGGE R (cité e note 40), p. 408. 70 BEDE, Histori a ecclesiastica, livr e IV, ch. 1. Ed. COLGRAVE-MYNOR S cité e note43, p. 330-332. Cette tradition a ét é repris e pa r MABILLO N dan s so n éditio n de l a Vit a S. Theodori de s Acta Sanctorum ordinis S. Benedicti (vol. 2, réédition d e 1936, p. 1030-1042), en particulie r p. 1032: c'est à ell e qu e renvoie Mme DOEHAERD dans son article cité note 68, p. 270 (n. 12). Sur Théodore de Tarse, v. en part. Wilhelm LEVISON, England and th e continen t in the eighth Century, Oxford 1946; et Henry MAYR - HARTING, Th e Coming of Christianity to Anglo-Saxon England, Londres 1972, en particulie r p. 121-122. Pour l e réseau des voies secondaires dans la région d e Quentovic e t son raccordement au x grandes voie s romaines, voir L E BOURDELLÈS, articl e cit é note 56. 71 Je renvoi e au x ouvrages de D. ELLMERS e t d e S. LEBECQ cité s note 49. 72 La multiplication abusiv e des tonlieux dans les années qui ont précédé le retour à l'unité franque sou s Clotaire II est clairement suggéré e par le s articles 8 et 9 de son édit de 614. Ed. BORETIU S e t KRAUSE, M.G.H., Capitulari a regu m francorum, 1. 1, p. 20. Pour avoi r un e bonn e idé e de s taxe s pesant su r l a circulation terrestr e (foraticum, rotaticum, portaticum, pontaticum, pulveraticum.. J, i l suffi t de s e reporter au x diplômes d'exemptio n accordé s au x abbayes d e Saint-Denis (753) ou d e Saint-Germain - des-prés (779) par Pépi n l e Bre f e t Charlemagne : voi r mo n Corpu s de s source s écrite s cit é note 37, p. 403 et p. 419. Le no m de Françoi s L. GANSHO F domin e l a bibliographi e de l a question : voi r A propos d u tonlie u sou s le s Mérovingiens, dans: Studi in onore d i Amintore Fanfani, 1. 1, Milan 1962, p. 293-315; et ID., A propos d u tonlie u à l'époque carolingienne, dans : L a Città nell'alt o Medioev o (VI e Settiman a d i studio de Spolète, 1958, éd. Spolèt e 1959), p. 485-525. 73 ROUCHE (dan s L'Aquitaine, op. cit. not e 25, p. 245, 31 5 et 598 n. 384, avec références ) e t plu s récemment JOHANE K (dans : Der >Aussenhandel< op. cit. note36, p. 226-227) font bie n d e mettr e e n relation avec la route du sel l'existence de s tonlieux de Port-Saint-Père (sur le Tenu), de Champtoceaux et de Vocassé (sur la Loire), dont le produit fut donné en 652/653 à l'abbaye de Stavelot/Malmédy. Un diplôme de Loui s l e Pieux (817/829) exempte d'ailleur s explicitemen t d e tout tonlie u su r l e se l deu x

422 Stéphane Lebec q mais beaucou p plu s souven t chargé s d e vin, comm e ceu x qu'affrét a à Orléans au x environs de 585 le marchand Christophe dont parle Grégoire de Tours 74. C'est dan s une simple scafa, une barque, que Colomban descendi t la Loire de Nevers à Nantes, et c'est de nouveau en barque qu'à Nantes il prétendit gagner les bouches de la Loire, après avoi r a u préalable confi é se s compagnons e t une cargaiso n qu i n e comprenai t pas moins d e cent mesures d e vin et trois cents mesures de céréales à»un navire qu i pratiquait l e commerc e ave c le s Irlandais«. Curieusemen t - signe d'u n cie l qui, suivant l'hagiographe, ne voulait pas que le moine revînt sur la terre de ses ancêtres - le bateau marchand fut, dan s la traversée d e l'estuaire d e la Loire, refoulé par le flu x de la marée montante su r les berges du fleuve 75. Semblabl e mascaret nous es t décrit, sur la Seine, par l'auteur de s Gesta des abbés de Fontenelle:»venant de l'océan infin i appelé auss i Me r britannique, s e formen t dan s c e fleuve, d e jou r e t d e nuit, deu x marées qui s e rencontrent, lutten t l'une contr e l'autre, de telle façon qu e le cours d u fleuve paraî t plutôt remonte r ver s s a source que descendr e e n ava l... On enten d l e flot à plus de cinq milles, et il apparaît comme une vague immense pénétrant dan s le lit d u fleuve... Cette barr e s e répan d dan s le s prés avoisinants, e t combl e plu s o u moins le s huit cent s pas qu i séparen t l a Seine d e l'abbaye«76. D e faço n plu s patent e encore qu e dan s l e ca s d e l a Loire, i l apparaî t qu e l e mascare t d e l a Sein e n' a pa s opposé un e tro p grand e dissuasio n au x mouvement s de s bateau x marchands. Le s textes, ici, son t nombreu x e t unanimes :»voi e pou r le s vaisseaux, commodit é d'échanges pour beaucoup«, écrit, vers 700, l'auteur de la»vita Filiberti«;»glorieus e par l e va-et-vient d e se s navires«, continue, ver s 830, l'auteur de s Gest a d e Fonte - nelle 77. Nithard, heureusement, dépass e l e topos hagiographique : c e sont, trè s précisément, vingt-hui t mercatorum naves qu e Charle s l e Chauv e réquisitionn a e n mars 841 pour traverser l a Seine en direction d e Rouen, e t c'en sont vingt autres qu e Lothaire trouva à Saint-Denis en septembre de la même année dans l'espoir d e passer sur l a riv e gauche 78. Lou p d e Ferrière s cherch a mêm e à recruter e n 858»quelques habiles charpentier s qu i aideraien t le s nôtres à construire u n batea u meilleu r qu e c e que nou s pourrion s trouve r à acheter«, c e qu i prouv e à l a foi s l a nécessit é dan s laquelle s e trouvaient le s grandes institution s ecclésiastique s d'e n posséde r un, ains i navires d e l'église d e Nevers. Mai s i l faut égalemen t mentionne r l'existence, ver s l'amont, d'u n trafi c d'esclaves conn u pa r un e sourc e d e 619/620, la Vie de saint Maurille évêqu e d'angers: v. VERHULST, Der Hande l (cité n. 36), p. 7 et 26. 74 Historia Francorum, livr e 7, ch. 46, éd. Rudolf BUCHNER, Grego r von Tours. Fränkische Geschichte, t. 2, Berlin 1967, p. 152. Les sarcophages pouvaient auss i constituer u n fre t d e retour: cf. TONNERRE, Le commerce (cit é n. 36), p. 16. 75 Vita Colombani d e Jonas, 1.1, ch. 20-23, éd. KRUSCH ; éd. (partielle) VERHULS T citée s note 36. Voir le commentaire d e JAMES dans: Ireland an d wester n Gaul (op. cit. note 14), p. 376-377. 76 Gesta de Fontenelle, 1.1, ch. 5, éd. LOHIER-LAPORT E (cité e note 22), p. 6-7. Cette belle traduction es t due à dom Antoine LEVASSEUR, dans: L'Eau-Dieu à Jumièges, dans: Jumièges, congrès de 1954 (op. cit. note 27), p. 235-246. On trouv e un e autr e évocation d u mascaret su r la basse Seine, mais plus courte, dans l a Vita Filiberti, ch.7, éd. LEVISO N (cité e note 31), p. 590. 77 Pour l a Vit a Filiberti, ch. 7, même référenc e qu e ci-dessu s not e 76. Traduction d e Miche l MOLLAT, dans: M. MOLLAT e t Ren é VA N SANTBERGEN, L e Moye n Age, Lièg e 1961, p.25. Commentaire d e Michel MOLLAT, dans : Jumièges, foye r d e vi e maritim e médiéva l (cit é note 27), p. 253. Et pou r le s Gesta d e Fontenelle, 1.1, ch. 5, même référenc e qu e note 76. 78 NITHARD, Histoir e des Fils de Louis le Pieux, éd. Philippe LAUER, nouveau tirage, Paris 1964: livre 2, c. 7 (p. 56-57) et livre 3, c. 3 (p. 92-93).

La Neustrie e t la mer 423 que l'existenc e d'u n march é d e bateaux su r l a Sein e moyenne o u su r l e Loing 79. L a suite d e l a correspondanc e montr e clairemen t qu'un e foi s construit, l e bateau étai t capable d e descendre, ave c passager s e t cargaison, l e Loin g pui s l a Sein e jusqu' à Conflans-Sainte-Honorine, pui s d e remonter l'ois e jusqu' à Creil, pourvu d u moin s qu'on ne fût pas»exposé aux pirates«80. Tel passage, presque contemporain (861), des Annales d e Saint-Bertin, o ù l'on voi t de s navires marchands poursuivis sur la Seine, et finalemen t saisis, par le s pirate s Scandinaves 81, montre qu e le s appréhension s d e Loup n'étaien t pa s tou t à fait vaines. Mai s i l es t tout auss i clai r qu e l a menace qu i couvait n'étai t pa s suffisant e pou r qu e l'o n renonçâ t à toute idé e d e voyage, e n ce s temps où l a pression vikin g était permanente su r l a Seine, surtout depui s l e moment (856) où l'îl e d e Jeufosse, prè s d e Mantes, fu t transformé e pa r le s pirates e n cam p retranché 82. Voic i un e bell e preuve, certe s a contrario, d e l'importance pris e pa r l a navigation fluvial e su r l a Seine carolingienne. Il fau t dir e qu e celle-c i conduisai t a u cœu r mêm e d u Bassi n parisie n - de l a Neustrie donc-, don t ell e étai t l a véritabl e bissectrice. L a Sein e e t se s affluent s convergeaient e n effe t dan s l'important march é constitué par l a ville de Paris même, par le s grand s établissement s ecclésiastique s qu i avaien t ét é fondés dan s so n immé - diate périphérie, e t par les domaines densément peuplés qui appartenaient au x uns et aux autres. Il s menaien t e n particulie r à l'abbaye d e Saint-Denis, don t le s foire s - fondées pa r privilèg e d e Dagobert en 634/635 ainsi qu e l' a définitivemen t montr é Léon Levillai n - attiraient chaqu e année e n octobre les foules sou s ses murs 83. Ici se concentraient, grâc e à d'importants charroi s e t à de tou t auss i important s mouve - ments de navigation auxquel s étaient en particulier contraints les hommes des grands propriétaires, le s produit s d e l'agricultur e e t d e l'artisana t neustriens. Bien sû r l'abbaye d e Saint-Denis, à qui avaien t ét é donnés - premier privilèg e d e cette sort e dans l'histoire d e la royauté mérovingienne - les revenus et tonlieux d e la foire, s'e n trouva-t-elle l a principale bénéficiaire ; mai s i l n'est pa s moin s éviden t qu e d'autre s établissements parisiens, Saint-Germain-des-Pré s e n tête, n e puren t qu e»profiter, directement o u indirectement, d e l'afflu x de s marchand s étranger s à Pari s e t d e l a renommée international e de s vin s d e France«, comm e écri t Jean-Pierre Devroey 84. Car ce s foires, qui commençaient l e 9 octobre, jour de la Saint-Denis, mais aussi date approximative de la sortie des vins nouveaux, étaient avant tout de s foires a u vin. Ce produit faisai t terriblement défau t dan s les pays du Nord, e t les foires, qui drainaient et écoulaien t un e important e productio n régionale, n e puren t qu e contribuer, e n mettant su r l e marché - et à des conditions nettemen t avantageuse s - un te l produit d'appel, à ouvrir l e Bassi n parisie n su r l e résea u de s grand s échange s maritime s d e l'europe septentrionale. Auss i ne s'étonne-t-on pa s d e voir, ave c le temps, d'autre s 79 LOUP D E FERRIÈRES, Correspondance, éd. LEVILLAI N cité e note 28, tome 2, p. 134 (lettre 105), p. 138 (lettre 106), p. 142 (lettre 107), p. 156 (lettre 111). 80 Cf. l a lettre 111 citée ci-dessus. 81 Annales d e Saint-Bertin, a 861, éd. LEVILLAIN-GRA T (cité e note 64), p. 84. 82 Voir Lucie n MUSSET, Le s Invasions. L e secon d assau t contr e l'europ e chrétienn e (VII e -XI e siècle), Paris 1965, p. 120. 83 Voir Léo n LEVILLAIN, Etude s su r l'abbay e d e Saint-Deni s à l'époqu e mérovingienne. IV. Les documents d'histoir e économique, dans : Bibliothèqu e de l'ecol e de s Charte s 91 (1930 ) p. 5-65, en particulier p. 14. 84 DEVROEY, U n monastèr e (op. cit. note 68), en particulier p. 579.